CMAJ/JAMC Special supplement
Supplément spécial

 

Lignes directrices sur la transfusion de globules rouges et de plasma aux adultes et aux enfants

Les risques d'une transfusion sanguine

Les risques non infectieux

Les médecins ont en général un meilleur accès à des renseignements sur les risques non infectieux que sur les risques infectieux d'une transfusion sanguine. C'est pourquoi on n'abordera ici que brièvement les risques non infectieux (Tableau 4).

Il est possible d'éviter la plupart des réactions hémolytiques aiguës causées par une incompatibilité ABO en procédant aux tests appropriés avant la transfusion et en prenant des mesures pour prévenir les erreurs. Sur 158 décès par transfusion qui ont été causés par une hémolyse aiguë et ont été signalés à la Food and Drug Administration des États-Unis entre 1976 et 1985, au moins 86 % avaient été causés par des erreurs cléricales141.

Dans une analyse des erreurs transfusionnelles mortelles et non mortelles (transfusion de sang à une personne autre que le receveur prévu ou transfusion de sang du mauvais groupe) signalées au Département de Santé de l'État de New-York de janvier 1990 à octobre 1991, 22 % des erreurs ont été liées au prélèvement ou à la prescription, 32 % se sont produites à la banque de sang et 46 % ont eu lieu au moment de la transfusion121. Les auteurs estiment à 1 sur 12 000 le taux d'erreurs transfusionnelles et à 1 sur 600 000 unités transfusées le taux de décès causé par une erreur de transfusion. Toute discussion plus poussée de ces incidents indésirables possibles dépasse la portée du présent document. Il importe toutefois de signaler que plusieurs complications, outre l'hémolyse aiguë, peuvent être mortelles : hémolyse retardée, anaphylaxie, syndrome pulmonaire aigu d'origine transfusionnelle, réaction du greffon-contre-l'hôte, purpura post-transfusionnel et surcharge en fer. Nous conseillons d'excellentes références récentes aux lecteurs intéressés122,141.

Signalons enfin que des études récentes effectuées chez l'animal et chez l'humain suggèrent que les transfusions sanguines peuvent causer un état de dépression immunitaire142,143.

Les risques infectieux

Les risques infectieux décrits dans cette section ne s'appliquent qu'aux produits sanguins non fractionnés. On ne peut jamais garantir que le sang humain ne contient absolument aucun agent infectieux. Les risques changent constamment avec le temps et le resserrement des exigences qui régissent la sélection des donneurs et l'amélioration des méthodes de laboratoire ont réduit la prévalence des agents infectieux connus dans les dons de sang.

Les sources les plus fiables d'information sur le risque de transmission de maladies infectieuses par la transfusion sanguine sont les grandes études prospectives multicentriques dans lesquelles on a mesuré les taux de séroconversion chez des donneurs réguliers et le nombre d'infections acquises dans une cohorte importante de sujets qui ont reçu des globules rouges. Il y a relativement peu de renseignements sur les risques d'infection provenant du sang recueilli au Canada. C'est pourquoi nous nous en sommes remis en grande partie à des données provenant des États-Unis. Les risques sont peut-être moins marqués au Canada parce que l'incidence de certains virus à transport hématogène chez nos donneurs est plus faible144.

Lorsqu'ils obtiennent un consentement éclairé pour administrer une transfusion sanguine, les médecins peuvent trouver utile de comparer les risques résiduels d'infection provenant d'une transfusion aux risques de décès attribuables à diverses causes (Tableau 5). De même, une connaissance des risques associés aux interventions planifiées (c.-à-d. chirurgie cardiovasculaire majeure, anesthésie générale) peuvent aider à mieux comprendre le risque relatif que représente une transfusion. Au sujet d'un rapport portant sur des infections virales transmises par transfusion145, Holland146 affirme qu'aujourd'hui, les risques graves posés par la transfusion de certains produits sanguins à des patients sont plus faibles que ceux que présentent la maladie sous-jacente ou le traitement applicable à cette maladie.

Même s'il incombe probablement à l'agence responsable de la collecte et de la distribution du sang d'informer les professionnels de la santé au sujet des risques courants d'infection liés à la transfusion, un comité de transfusion de l'hôpital ou l'équivalent devrait aider à diffuser cette information aux professionnels de la santé et aux patients.

Contamination virale

Une transfusion peut être contaminée par un virus seulement si le donneur était atteint de virémie lorsqu'on a obtenu son sang. Au Canada, tous les dons de sang sont soumis à des analyses de dépistage sérologique d'infection par les virus de l'immunodéfience humaine de type 1 et 2 (VIH-1 et VIH-2), le virus T-lymphotrope de type I (HTLV-I), le virus de l'hépatite B (VHB) et le virus de l'hépatite C (VHC). L'analyse de dépistage du HTLV-I détecte aussi la plupart des infections causées par le HTLV-II150. On peut déterminer le risque résiduel d'infection transfusionnelle (probabilité qu'un test de dépistage ne réussisse pas à détecter l'agent infectieux) posé par un des virus ci-dessus en fonction d'estimations du nombre de donneurs qui donnent du sang au cours de la «fenêtre» d'infectivité. Cette fenêtre s'étend des quelques jours qui suivent le moment où la personne est infectée par le virus, période durant laquelle le virus se multiplie rapidement, jusqu'au moment le plus hâtif où le test de dépistage permet d'en détecter la présence. Si l'on recueille le sang au cours de cette période, on suppose qu'il peut infecter des tiers par transfusion. L'étude «REDS» (sur l'épidémiologie du rétrovirus auprès des donneurs)145 effectuée aux États-Unis a porté sur quelque 590 000 donneurs réguliers qui ont effectué 2,3 millions de dons de sang entre janvier 1991 et décembre 1993. L'étude a produit les estimations suivantes du risque qu'une unité de sang contaminé par un virus ne soit pas détectée : VIH, 1 sur 676 000; HTLV (I et II), 1 sur 641 000; VHC, 1 sur 103 000 et VHB, 1 sur 63 000.

L'estimation originale au sujet du VIH, qui s'établit à 1 sur 493 000 dans le cadre de l'étude REDS145, était fondée sur la génération antérieure des tests de dépistage d'anticorps, mais non sur les tests de dépistage de l'antigène p24 du VIH-1 introduits en mars 1996 dans les analyses routinières des dons de sang au Canada et aux États-Unis. On a calculé que le test de dépistage de l'antigène p24 raccourcit la fenêtre d'infectivité de 27,3 % dans le cas du VIH, pour la ramener à 19 jours, ce qui réduit à environ 1 sur 676 000 unités le risque de laisser une unité contaminée pénétrer dans l'approvisionnement de sang. L'estimation de l'étude REDS est proche de la limite supérieure d'une plage de 1 sur 450 000 à 660 000 unités dont les centres de lutte contre la maladie et de prévention des États-Unis et la Croix-Rouge américaine ont fait état dans une autre étude151. À la suite d'une étude réalisée entre avril 1989 et mars 1993, Remis et ses collaborateurs144 ont estimé le risque d'infection par le VIH à 1 sur 913 000 unités (IC à 95 %, 1 sur 507 000 à 1 sur 2 050 000) de sang collectées au Canada.

Le risque d'infection par le VHB, estimé à 1 sur 63 000 dans le cadre de l'étude REDS145, est beaucoup plus élevé que le risque de 1 sur 200 000 mentionné par Dodd152. Le taux moins élevé était cependant fondé sur des renseignements antérieurs fournis par le Service de santé publique des États-Unis153.

Jusqu'à 35 % à 50 % des donneurs de sang au Canada ont des résultats positifs aux tests de dépistage du CMV154. Le risque de complication grave provenant d'une infection à CMV transmise par transfusion est en grande partie limité aux nouveau-nés qui ont un très faible poids de naissance (moins de 1200 g), aux individus dont le système immunitaire est déprimé, et particulièrement les patients soumis à une greffe de moelle osseuse, ainsi qu'aux mères séronégatives en début de grossesse, chez qui il y a risque d'infection du fœtus. Le risque d'infection à CMV chez les bénéficiaires de transplantations d'organes n'a été que marginalement réduit par l'administration de produits sanguins CMV-négativés, comme le rapporte une étude canadienne154. Les centres de transfusion de la Croix-Rouge canadienne ont identifié un groupe de donneurs de sang CMV-négatifs qui peuvent fournir sur demande des produits sanguins pour des patients à risque. Le CMV est transmis seulement par les leucocytes infectés. Les techniques de réduction du nombre de leucocytes dans les produits transfusés, y compris l'utilisation de filtres à leucoréduction, peuvent aussi réduire le risque d'infection par le CMV155. Les unités de sang très frais présentent un risque plus élevé d'infection à CMV que les produits entreposés depuis plusieurs jours156.

On considère que le virus de l'hépatite G (VHG) est le même que celui de l'hépatite GB de type C (VHGB-C) dérivé auparavant d'une autre source. La technique de polymérase en chaîne a permis de détecter l'ARN du VHG chez 1 % à 2 % des donneurs de sang bénévoles aux États-Unis. Ce virus est transmis par voie parentérale et on l'a retrouvé chez des patients qui avaient reçu une transfusion. Beaucoup d'individus qui présentent des signes sérologiques de la présence du VHG sont aussi infectés par le VHC et seraient éliminés comme donneurs de sang à la suite de tests de dépistage du VHC. Même si l'infection par le VHG peut conduire à l'état de porteur chronique, il n'y pas de preuves concluantes démontrant que le VHG est une cause d'hépatite aiguë ou chronique130. Kao et ses collaborateurs157 ont contesté les publications faisant état d'un lien de cause à effet entre l'infection par le VHG et l'apparition d'une aplasie médullaire chez deux patients; de même, l'existence possible d'un rôle étiologique de certaines souches de ce virus dans quelques cas d'hépatite fulminante demeure à clarifier158. Pour procéder à des études épidémiologiques d'envergure visant à définir l'épidémiologie et l'histoire naturelle de l'infection par le VHG, il faudra encore attendre la mise au point de nouvelles techniques de laboratoire130.

On a documenté des infections attribuables à des produits sanguins contaminés par d'autres organismes comme le virus de l'hépatite A et le parvovirus B19, qui ne font pas l'objet de tests de dépistage chez les donneurs, mais on ne dispose pas encore d'estimé des taux d'infection due à la transfusion. Le risque de conséquences cliniques graves d'une infection par le parvovirus B19 est le plus élevé dans le cas des patients atteints d'anémies hémolytiques (drépanocytose, p. ex.), chez qui l'infection peut provoquer le développement d'une crise aplasique transitoire, des personnes atteintes d'immunodéficience, chez qui elle peut entraîner l'apparition d'une anémie chronique grave, et des femmes enceintes séro-négatives chez qui l'infection peut provoquer une mort intrautérine par anasarque fœto-placentaire. Le risque de mort fœtale est inférieur à 10 % lorsque l'infection est dépistée au cours de la première moitié de la grossesse et il devient négligeable si l'infection survient au cours de la deuxième moitié. On n'a pas signalé, chez les nouveau-nés, d'anomalie congénitale liée à une infection par le parvovirus B19159.

Contamination bactérienne

La contamination bactérienne de produits provenant d'un don de sang peut découler d'une exposition à des bactéries de la peau lors de la ponction veineuse, de l'usage d'aiguilles ou de tubulures contaminées à la source par le fabricant, de la manipulation par le personnel clinique ou hospitalier appelé à préparer ou à administrer la transfusion, ou encore, d'une bactériémie asymptomatique chez le donneur au moment de la collecte (Yersinia enterocolitica, p. ex.).

Le nombre de bactéries contaminantes augmente avec la durée de l'entreposage des globules rouges ou du plasma avant la transfusion, ce qui accroît la possibilité de signes cliniques d'infection chez le receveur. L'entreposage à la température de la pièce favorise la croissance de la plupart des bactéries pathogènes, tandis que Yersinia se multiplie facilement à des températures d'entreposage d'à peine 4°C.

La fréquence des infections chroniques significatives attribuables à la contamination bactérienne des globules rouges est inférieure à une unité transfusée sur un million160. On a estimé le risque de décès consécutif à une infection bactérienne à un sur neuf millions d'unités de globules rouges transfusées161. La contamination bactérienne de produits sanguins compte pour 16 % des décès associés à une transfusion et signalés aux États-Unis entre 1986 et 1991 : 28 % de ces décès ont été associés à une transfusion de globules rouges. La transfusion de sang autologue ne réduit pas le risque de contamination bactérienne162.

On a à peu près éliminé la transmission de la syphilis par transfusion au Canada en sélectionnant soigneusement les donneurs et en soumettant chaque don à des analyses de dépistage des marqueurs sérologiques de l'infection syphilitique.

Contamination parasitaire

Le sang ne peut être contaminé par des parasites que si le donneur est atteint d'une parasitémie -- habituellement asymptomatique -- au moment de la collecte. Les critères de sélection des donneurs fondés sur leurs antécédents de voyages récents ou de résidence antérieure dans des régions endémiques réduisent considérablement la possibilité de collecter du sang susceptible de transmettre le paludisme, la maladie de Chagas ou la leishmaniose. Les cas signalés de maladie de Chagas liée à une transfusion sont extrêmement rares aux États-Unis et au Canada. On a signalé récemment quelques cas de malaria associés à une transfusion au Canada, et on estime le risque résiduel de recevoir une unité contaminée par ce parasite à 1 sur 400 000 unités (Anthony Giulivi, MD, FRCPC, Société canadienne de la Croix-Rouge, Ottawa : communication personnelle, 1996).

Maladie de Creutzfeldt-Jacob

On croit que cette maladie neurologique dégénérative fatale d'évolution rapide est causée par un agent infectieux de nature protéique appelé prion. Sont exclues définitivement comme donneurs de sang les personnes considérées comme porteuses possibles de la maladie de Creutzfeldt-Jacob suite à des greffes de cornée ou de dure-mère, des injections d'hormone de croissance ou de gonadotrophines dérivées d'extraits de cerveau humain, ou dont les parents au premier degré ont des antécédents de maladie de Creutzfeldt-Jacob. On retire immédiatement du circuit de distribution les produits sanguins et les dérivés du plasma provenant d'une personne considérée comme porteuse possible de la maladie de Creutzfeldt-Jacob ou chez qui on a diagnostiqué la maladie par la suite. Ces précautions ont été prises même si l'on n'a jamais encore confirmé chez l'humain l'existence d'un seul cas de maladie de Creutzfeldt-Jacob liée attribuable à une transfusion sanguine163.

Dans une étude portant sur 202 personnes atteintes de la maladie de Creutzfeldt-Jacob, on a trouvé chez 16 d'entre elles des antécédents certains de transfusion sanguine. Ce taux était toutefois comparable à celui d'un groupe témoin164. Une analyse américaine portant sur la mortalité attribuable à des causes multiples pendant la période de 1979 à 1994 a révélé 3642 certificats sur lesquels on avait indiqué la maladie de Creutzfeldt-Jacob comme cause du décès. La drépanocytose ou l'hémophilie, deux maladies associées à une exposition fréquente aux produits du sang, n'ont été mentionnées sur aucun certificat. Une étude réalisée aux États-Unis en 1995 n'a repéré aucune personne atteinte d'hémophilie qui avait aussi contracté la maladie de Creutzfeldt-Jacob165. La somme des données épidémiologiques réunies aux États-Unis renforce la conclusion selon laquelle le risque de transmission de la maladie de Creutzfeldt-Jacob par des produits sanguins serait nul ou extrêmement faible et, de ce fait, demeurerait théorique pour le moment165. Le Laboratoire de lutte contre la maladie de Santé Canada a lancé un programme de surveillance active de la maladie de Creutzfeldt-Jacob et entreprend des études épidémiologiques détaillées pour surveiller l'existence de tout lien possible entre la transfusion et la maladie de Creutzfeldt-Jacob.

Recommandations relatives aux risques d'infection par le sang et le plasma

  1. Les médecins, les autres professionnels de la santé et les consommateurs devraient avoir accès à des renseignements courants et exacts sur les risques d'infection posés par les transfusions de globules rouges et de plasma.
         Niveau des données probantes : S/O

  2. Des comités de transfusion à l'échelle locale (hôpitaux) ou régionale devraient veiller à ce qu'on diffuse aux professionnels de la santé des renseignements exacts sur les risques d'infection liés aux transfusions sanguines
         Niveau des données probantes : S/O

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| CMAJ June 1, 1997 (vol 156, no 11) / JAMC le 1er juin 1997 (vol 156, no 11) |
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