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CMAJ
CMAJ - June 13, 2000CMAJ - le 13 juin 2000

Le médecin de la tempérance

JAMC 2000;162 :1655


En 1789, Benjamin Rush, médecin de Philadelphie, a publié les résultats de son enquête au sujet des effets des spiritueux sur le corps et l'esprit humains.1 Il y a inclus un «thermomètre moral» où il établissait un lien entre les «degrés» de concentration d'alcool et des points sur une échelle de tempérance et d'intempérance. Au sommet de l'échelle, Rush plaçait l'eau, le lait et la mélasse, qu'il associait à la santé, à la richesse et au bonheur. Le vin, le porto et la bière se situaient un peu plus bas, sources de joie et nourrissants «consommés seulement aux repas et en quantité modérée». Les spiritueux et le petit verre du matin, au bas de l'échelle, étaient une cause «d'hydropisie, d'épilepsie et d'apoplexie» qui entraînaient «l'obscénité, la fraude, les travaux forcés ou le fouet».

Les arguments médicaux (ou quasi-médicaux) étaient persuasifs dans de telles questions et des historiens ont considéré Rush, dont l'ouvrage Inquiry s'est vendu à plus de 170 000 exemplaires, à l'origine du mouvement de la tempérance aux États-Unis.2 Au milieu du XIXe siècle, le mouvement s'était lancé sur la scène politique et législative et c'est pourquoi des gouvernements des États-Unis et du Canada ont commencé à imposer une forme ou une autre de prohibition.

On continue depuis de confondre tempérance et abstinence. L'abstinence est un état extrême et rigide qui débouche parfois sur la prohibition et la condamnation. La tempérance, par ailleurs, est un mécanisme d'auto-limitation et de modération, le juste milieu. Platon considère la tempérance comme une des vertus cardinales d'une société et d'une personne3 — idéal vers lequel tendre et voie difficile à suivre, sauf pour celui qui tombe au fond du baril et n'a aucun choix, comme Sisyphe.4

Les dieux ont condamné ce personnage mythologique à hisser sans cesse un rocher au sommet d'une colline pour le punir de son insobriété et de ses passions excessives. Peut-on décrire la voie du rétablissement pour le toxicomane comme le mythe de Sisyphe? L'intérêt que nous portons alors à Sisyphe atteint son point culminant au sommet de la montagne, là où l'horizon est sans limite et l'évasion et l'altitude semblent réelles et proches. Les toxicomanes pourraient reconnaître dans ce tableau le risque de rechute, la tentation d'échapper au dur labeur de la tempérance. Sisyphe accepte alors son impuissance, s'en remet aux forces de la gravité, retombe au bas de la pente, retourne à son rocher pour le faire rouler de nouveau jusqu'au sommet, pouce par pouce, un pas à la fois, des centaines de fois, dans la simplicité. Chaque jour est un recommencement — ce qui traduit les mantras du rétablissement que certains d'entre nous connaissent si bien.5

C'est l'inévitabilité du retour au rocher qui donne au mythe de Sisyphe son caractère mythologique. Il est destiné à suivre les étapes, à s'en tenir au programme et à recommencer sans cesse. Un toxicomane, lui, doit faire ce choix.

Comment pouvons-nous, comme prestateurs de soins de santé, aider un toxicomane à suivre la voie du rétablissement — aussi ardue, sans fin et ennuyante puisse-t-elle sembler parfois? Selon Albert Camus, il faut imaginer que Sisyphe est heureux. Ce qui est impossible du point de vue des dieux, qui cherchaient à le condamner. Il semble qu'il faille changer de point de vue. Nous devons peut-être nous aussi choisir de descendre.

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Références
  1. Rush B. An inquiry into the effects of spirituous liquors on the human body and the mind. Boston : Thomas and Andrews; 1790.
  2. Library Company of Philadelphia. The origins of the American Temperance Movement [accessible en direct]. Disponible : www.librarycompany.org/Ardent%20Spirits/Temperance-medicine.html (consulté le 15 mai 2000).
  3. Platon. La République, ch. 16, 430d. Disponible : Plato.evansville.edu/texts/jowett/republic16.htm (consulté le 15 mai 2000).
  4. Camus A. Le mythe de Sisyphe. Paris : Gallimard; 1942.
  5. Hazelden Foundation. Each day a new beginning. New York: Harper & Row; 1985.

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