ISSN: 1918-5901 (English) -- 1918-591X (Français)

 

2009: Volume 2, Issue 2, pp. 117-119

 

Un compte rendu de livre par

Alykhanhthi Lynhiavu

Université de Montréal, Canada

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Immigration, diversité et sécurité: Les associations arabo-musulmanes face à l’État au Canada et au Québec
Sous la direction de
Micheline Labelle, François Rocher, et Rachad Antonius
Québec: Presses de l’Université du Québec, 2009. 180 pp.
ISBN: 9782760523722.

Cet ouvrage est d’une actualité brûlante. Il s’ancre dans les débats qui occupent le politique et la société civile et rend bien compte de leur complexité. Son originalité réside dans l’analyse approfondie des nouvelles priorités étatiques en matière d’immigration, de gestion de la diversité et de lutte contre le racisme dans le contexte sécuritaire de l’après 11 septembre 2001 et dans l’observation d’une double interface: celle entre les espaces politiques fédéral et québécois, et celle des ONG de défense des droits de la personne et des associations arabo-musulmanes avec ces niveaux multiples de gouvernance. Les revendications de ces groupes, qui sont sujettes à reconfigurations, sont étudiées dans la perspective du rapport à l’État.

Globalement, cet ouvrage repose sur la thèse selon laquelle les citoyens arabo-musulmans sont affectés distinctement par le recentrage, parfois contradictoire, des politiques publiques afférentes à la gestion de la diversité et par l’exacerbation de tendances racistes. L’ensemble de ces phénomènes est accentué par le nouveau contexte géopolitique international qui influe sur l’évolution idéologique de l’État canadien à cet égard. Cette dynamique accroît leur sentiment d’exclusion, d’autant qu’ils perçoivent comme inefficaces les multiples démarches entreprises depuis 2001 à l’endroit des divers paliers gouvernementaux pour faire valoir leur point de vue.

La séquence des mots-clés du titre “Immigration, diversité et sécurité” synthétise bien l’évolution des enjeux: l’immigration, auparavant et avant tout un enjeu économique, est devenue, eu égard au fait de la diversité ethnoculturelle et aux flux migratoires internationaux, un enjeu identitaire et politique que complexifie le climat de guerre au terrorisme. Déjà dans les années 1990, l’État canadien avait apporté une réponse aux enjeux des migrations internationales et du pluralisme en redéfinissant la nature et la fonction de l’immigration. Celle-ci devait notamment répondre aux nouvelles exigences de cohésion sociale autour d’une identité canadienne revalorisée. Les orientations politiques traduisant aussi des préoccupations sécuritaires, “l’immigration (était déjà) bel et bien passée d’un enjeu de low politics (démographie et main d’œuvre) à un enjeu de high politics (relations internationales et sécurité)” (1-2). Le virage sécuritaire opéré après les attentats du 11 septembre a provoqué un “nouveau codage de l’ennemi extérieur et intérieur” (2). Malgré ce contexte défavorable, le nombre de résidents permanents venant d’Afrique et du Moyen-Orient n’a cessé d’augmenter entre 1998 et 2007. Leur condition critique, dans une tension entre besoins et contraintes, est soulignée avec justesse par les auteurs: “Ces personnes doivent relever les défis de l’intégration économique, et ceux qui résultent de l’impact de la politique étrangère du Canada au Moyen-Orient et de l’environnement médiatique national et international” (2-3). Dans ce cadre, deux logiques paradigmatiques concurrentielles peuvent être distinguées: la logique sécuritaire conjointe à la lutte contre le terrorisme et celle de l’intégration associée à la lutte contre le racisme.

Les principaux enjeux, relevés par les auteurs, concernent: l’exercice de citoyenneté par des minorités dont les pratiques transnationales obligent à reconsidérer les paradigmes classiques d’assimilation et d’intégration; les mécanismes de contrôle social, interprétés à l’aune de la consolidation de l’unité canadienne, qui questionnent le degré de tolérance du libéralisme politique à l’égard d’identités perçues comme menaçantes; l’intégration par l’emploi des minorités visibles dans un contexte de mondialisation néolibérale d’accroissement des inégalités et des discriminations; la politique de reconnaissance, relativement remise en question en raison du fait qu’elle serait, au vu des nouveaux rapports de forces autour d’intérêts contradictoires, susceptible de favoriser la fragmentation sociale; et enfin, l’arabophobie-l’islamophobie et le profilage racial comme obstacles à l’intégration, liés au racisme institutionnel qui se manifeste dans des domaines tels le système judiciaire, le logement, l’éducation, les services et la surveillance des frontières.

L’approche méthodologique se décline selon deux axes complémentaires. Une analyse systématique de la législation et de la documentation universitaire et gouvernementale présentant les politiques publiques canadiennes et québécoises, et une étude de terrain réalisée auprès de fonctionnaires des deux gouvernements, de représentants de 10 associations musulmanes et de 6 ONG de défense des immigrants et des minorités racisées. Ce matériau empirique, riche de témoignages dont de larges extraits sont publiés, constitue un des points forts de l’ouvrage. À cela s’ajoute en filigrane une lecture critique des médias d’information qui ont leur part de responsabilité dans la représentation dominante et souvent biaisée des Arabo-musulmans.

L’ouvrage se compose de trois grands chapitres. Le premier vise à situer les revendications des communautés et des associations arabo-musulmanes dans le contexte social propre à leurs groupes de référence. Les conditions sociopolitiques prévalentes dans le pays d’origine (en particulier le statut de minorité ou de majorité) et l’histoire migratoire sont des éléments clés pour comprendre les rapports à l’État, les effets structurants de la vie associative en situation de migration et les orientations politiques qui se traduisent en revendications en matière d’aménagement de la diversité. Un travail inédit et très utile sur le profil particulier de chaque association est présenté. Le deuxième chapitre analyse les principales orientations des politiques d’immigration au Canada et au Québec au cours des 30 dernières années, les positions des ONG, et les effets différenciés de ces politiques sur les revendications et les stratégies d’interventions des leaders des associations arabo-musulmanes. Le dernier chapitre traite des principales transformations de la politique fédérale du multiculturalisme et de la politique québécoise d’interculturalisme depuis la fin de la décennie 1990 et aborde des questions préoccupantes au regard de l’intégration, à savoir les modalités d’intégration des immigrants, les paramètres de la prise en compte de la diversité et les nouvelles formes de racisme. Sont analysés la perception des politiques par les individus et les groupes qui les défendent et le recentrage de leurs revendications sur certains programmes.

En conclusion, nous voudrions souligner l’intérêt du travail portant sur la terminologie pour qui veut mieux saisir les significations que recouvrent les termes “arabe”, “musulman”, “communauté”, etc., et la dyade “Arabo-musulman”. Nous soulignons ici la grande précision en même temps que la clarté pédagogique dans la présentation historique de l’arrivée des Arabes et des musulmans au Québec, de 1882 à aujourd’hui. Ce portrait, tout en nuances, est dressé avec finesse, envers et contre la perspective essentialiste sur l’identité. Le premier chapitre permettra à l’enseignant, au chercheur, comme au journaliste ou au politicien, de prendre la mesure des expressions de la diversité des cultures sociales et politiques des Arabo-musulmans au Canada et au Québec.

Un dernier mot relatif au cadre d’analyse. L’ouvrage est placé sous l’égide de la Chaire de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté (CRIEC- UQAM), à laquelle sont rattachés les trois auteurs. L’Observatoire international sur le racisme et les discriminations est un volet de la CRIEC.

À propos du réviseur

Alykhanhthi Lynhiavu est professionnelle de recherche. Détentrice d’une maîtrise en anthropologie de l’Université de Montréal, ses sujets de prédilection concernent les minorités racisées. Dans le cadre de recherches menées à l’UQAM, elle a étudié la représentation des Arabo-musulmans dans les médias d’information québécois lors de la ”crise des accommodements raisonnables” en 2007 et le traitement médiatique du conflit israélo-palestinien de décembre 2008 - janvier 2009. Elle s’intéresse aux concepts de laïcité et de multiculturalisme.

Pour citer ce compte rendu de livre:

Lynhiavu, Alykhanhthi. (2009). [Compte rendu du livre Immigration, diversité et sécurité: Les associations arabo-musulmanes face à l’État au Canada et au Québec]. Global Media Journal -- Canadian Edition, 2(2), 117-119.
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