Les compétences de l'arbitre de griefs et de la CSST
Droit de retour au travail après un accident
Monique Desrosiers, avocate
La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles1 accorde au travailleur un droit pour protéger ses acquis professionnels, soit: son emploi, son salaire et les avantages sociaux dont il bénéficiait, de même que ses qualifications professionnelles.
Il s'avère souvent difficile pour le travailleur ou l'employeur qui sont liés par une convention collective de travail de déterminer à qui s'adresser: l'arbitre de griefs ou la CSST?Les articles 244 à 246 prévoient la procédure permettant la mise en application du droit de retour au travail. Dans ce cas, la loi accorde préséance à la convention collective. Par ailleurs, l'article 32 prévoit que le travailleur qui croit avoir été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée par la loi peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue à la convention collective qui lui est applicable ou déposer une plainte à la CSST.
Il s'avère toutefois souvent très difficile pour le travailleur ou l'employeur qui sont liés par une convention collective de travail de déterminer à qui s'adresser: l'arbitre de griefs ou la CSST?
De plus, il n'est pas toujours évident de savoir quel recours utiliser: la plainte en vertu de l'article 32 ou les mécanismes prévus aux articles 244 à 246?
La jurisprudence récente des bureaux de révision paritaires de la CSST, de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelle et des arbitres de griefs permet maintenant d'y voir un peu plus clair.
Plainte en vertu de l'article 32
Le recours prévu à l'article 32, qui vise de façon générale toute sanction que peut imposer un employeur à un travailleur victime d'une lésion professionnelle, s'appliquera lorsque c'est le droit de retour au travail lui-même qui est en cause. C'est le cas lorsque l'employeur refuse de réintégrer le travailleur dans ses fonctions : Lachance et Culinar inc.2. Le travailleur visé par une convention collective peut, à son choix, recourir à l'arbitrage de griefs.
Recours en vertu des articles 244 à 246
Les recours prévus aux articles 244 à 246 s'appliquent aux modalités d'application du droit de retour au travail. C'est le cas, notamment, lorsque le travailleur cherche à obliger son employeur à lui accorder un emploi convenable: Santeusanio et Fonds de solidarité des travailleurs du Québec (F.T.Q.)3 et Dompierre et Produits forestiers canadien Pacifique ltée4; lorsque le litige porte sur le poste de travail que doit occuper un travailleur à son retour au travail en raison de ses limitations fonctionnelles: Hôpital Maisonneuve-Rosemont et Labine5; lorsque le travailleur estime que sa paie de vacances n'a pas été calculée de façon appropriée: Gilbert et MIL Davie inc.6 ; lorsque le travailleur réclame la prime d'assiduité qu'il recevait avant son absence: Distex Industries inc. et Laflamme7.
Arbitrage de griefs
S'il y a une convention collective prévoyant des dispositions relatives à la mise en application du droit de retour au travail, c'est la procédure de griefs prévue à la convention qui est applicable (art. 244).
Dans ce cas, il faut cependant que le litige porte précisément sur ce qui est prévu à la convention collective. L'article 244 ne délègue à l'arbitre que la compétence relative à la mise en application du droit de retour au travail, et non celle de déterminer le moment où ce droit peut être exercé, ni la compétence pour évaluer la capacité du salarié: Corp. Urgences-santé et Rassemblement des employés techniciens ambulanciers du Québec8. Dans cette affaire, le salarié, un technicien ambulancier qui ne pouvait plus exercer son emploi en raison de ses limitations fonctionnelles, contestait par grief le refus de l'employeur de le réintégrer dans le poste de chauffeur de véhicule de médecin. L'arbitre a accueilli le moyen préliminaire invoqué par l'employeur et il s'est déclaré sans compétence. Selon lui, c'est dans le cadre du processus de réadaptation prévu par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles que le salarié a revendiqué la fonction de chauffeur de véhicule de médecin, et la CSST n'a rendu aucune décision relativement à cette fonction, ni en ordonnant sa réintégration ni en qualifiant cet emploi de convenable. D'une part, l'article 349 accorde en toute exclusivité à la CSST la compétence pour décider de toutes les questions qui relèvent de la loi, dont notamment celle de savoir si un emploi est convenable pour le salarié compte tenu de sa capacité résiduelle ou de ses limitations fonctionnelles. D'autre part, le recours à la procédure de griefs prévu à l'article 244 est exceptionnel et ne peut être exercé que si les parties ont prévu des dispositions relatives à la mise en application du droit de retour au travail. Or, dans cette affaire, même si les parties avaient prévu de telles dispositions; celles-ci ne portaient pas sur la détermination de la capacité d'un salarié d'occuper tel ou tel poste, mais bien sur l'engagement de l'employeur à faciliter et à favoriser une telle affectation. De plus, le grief ne contestait pas le non-respect de cette disposition par l'employeur, mais il réclamait la réintégration du salarié dans le poste de chauffeur. L'arbitre ne pouvait donc décider si l'employeur avait contrevenu à son obligation de faciliter et de favoriser la réintégration du salarié au poste de chauffeur sans évaluer d'abord et à la place de la CSST sa capacité de le faire.
Comité de santé et de sécurité du travail
Si les modalités d'application du droit de retour au travail ne sont pas prévues dans une convention collective, elles sont déterminées par le comité de santé et de sécurité formé en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (art. 245).
Intervention de la CSST
Dans le cas où il n'y a ni convention ni comité, le travailleur et son employeur s'entendent sur les modalités d'application du droit de retour au travail. En cas de désaccord, le travailleur ou l'employeur peut demander l'intervention de la CSST (art. 246).
Erreur dans le choix du recours
Enfin, lorsque le mauvais recours a été utilisé, à savoir la plainte en vertu de l'article 32 plutôt que la demande d'intervention à la CSST, on note deux approches: selon l'approche formaliste, on ne peut assimiler ces recours, qui sont distincts et qui obéissent à des règles et à des objectifs différents: Dompierre et Produits forestiers Canadien Pacifique ltée9. Selon une autre approche, il n'y a pas lieu de faire preuve d'un formalisme excessif puisque, à l'origine, la CSST est compétente dans les deux cas: Lemire et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada10; Hôtel-Dieu du Sacré-Coeur de Jésus et Bergeron11.
Toutefois, lorsque le recours approprié était l'arbitrage de griefs, la plainte en vertu de l'article 32 est irrecevable: Larue et Sidbec-Feruni inc.12.
2 [1993] B.R.P. 583 (D.T.E. 94T-32) ;
3 [1995] C.A.L.P. 410 (D.T.E. 95T-535 et Jurisélection J7-02-31) ;
4 [1996] C.A.L.P. 599 (D.T.E. 96T-549 et Jurisélection J8-03-18) ;
5 [1990] B.R.P. 558 (D.T.E. 90T-1272) (appel, C.A.L.P. 22285-60-9010) ;
6 [1995] B.R.P. 557 (D.T.E. 96T-239) ;
7 [1996] B.R.P. 531 (D.T.E. 96T-1309) (appel, C.A.L.P. 81327-03-9607) ;
8 T.A. 97-00582, 1996-12-16 (D.T.E. 97T-236) ;
9 [1996] C.A.L.P. 599 (D.T.E. 96T-549 et Jurisélection J8-03-18) ;
10 [1993] B.R.P. 401 (D.T.E. 93T-663) (appel, C.A.L.P. 49437-62-9302) ;