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Le débat public sur l’autoroute A12 (France) en termes d’effets : une analyse en trois temps

Victoria Reichel, Charlotte Da Cunha et Martin O’Connor

Résumés

Cet article étudie un processus participatif officiel : le débat public organisé, de mars à juin 2006, par la Commission nationale du débat public (CNDP). Ce débat avait pour objectif de s’interroger sur l’utilité d’un projet, attendu par certains habitants et leurs autorités locales depuis 1965 : la construction du prolongement d’une autoroute dans les Yvelines (Île-de-France, France).

Notre analyse examine ce débat à travers un cadre d’évaluation pour les approches participatives. Ce cadre d’évaluation distingue trois types d’effets, correspondant à trois échelles de temps différentes: 1) Les effets procéduraux reflètent les effets du débat à court terme (meilleure qualité et utilisation de l’information du processus décisionnel et conditions de la participation du public). 2) Les effets substantifs traitent de l’impact du débat sur la décision finale. Ils ne peuvent être évalués qu’une fois la décision effectivement prise. 3) Les effets contextuels reflètent les effets de long terme du débat sur les communautés locales et, plus généralement, sur la société et les institutions. Notre étude montre comment ce cas d’étude peut être apprécié à la lumière de ces trois effets.

This article examines an official participation process; the public debate organised by the National Committee of Public Debate (CNDP) between March and June 2006. The debate questioned the interest of a project that some inhabitants and authorities were awaiting since 1965 to be realized; the construction of a motorway extension in the outskirts of Paris, France.

Our analysis comprehends the examination of this debate referring to an assessment scheme for participatory processes. The assessment scheme distinguishes three types of effects, each one on a different scale of time: 1) Procedural effects concern short term effects of the debate, e.g. access and enrichment of information, conditions of public participation. 2) Substantial effects concern the impact of the debate on the final public decision. They can only be assessed once the decision is taken. 3) Contextual effects consider long term impacts of the debate on society and community, on civil as well as on institutional levels. Our study shows how these three types of effects interfere in our case study.

Texte intégral

état de lieu de l’évaluation des approches participatives dans la littérature

1L'intérêt d’engager la population civile dans des processus décisionnels de politiques publiques s'est accru de manière considérable durant ces dernières décennies. Une multitude de pratiques innovatrices sont apparues qui, s'adaptant à toute sorte de contexte social et de populations cibles, ont pu prendre des formes institutionnalisés (comme le débat public en France) ou des formes plus inédites. Un recensement réalisé par Rowe et Freyer (2005) liste, rien que pour le Royaume-Uni et les Etats-Unis, une centaine de techniques de participation, allant de A comme « Art Creative Experience » jusqu’à W comme « Whole System Development ».

2Mais où en est-on de l'évaluation de toutes ces techniques de participation et de concertation? Le nombre de travaux qui recensent, classent et comparent les différentes pratiques est grand, l’engouement pour la participation n’ayant pas échappé à la communauté scientifique. La plupart des travaux se concentrent sur des études comparatives, qui présentent et classent les techniques connues en comparant les contextes et échelles politiques, les populations visées ou encore les zones géographiques, p.ex. en démontrant des spécificités culturelles liées à différentes démarches (Nord versus Sud, monde anglo-saxon versus latin etc.).

3Parallèlement, le développement d’évaluations ex-post systématiques des expériences empiriques est resté modeste. Or, pour les autorités et organismes financeurs et organisateurs de ces expériences, la question de la performance, de l’efficacité, ou autrement dit, du simple « résultat » d’un processus participatif joue, comme pour toute autre dépense (d’autant plus si elle est publique), un rôle non négligeable. Rowe et Freyer (2000) ont argumenté qu’une raison plausible pour expliquer cette lacune réside dans l’absence de critères d’évaluation mobilisables pour un tel exercice. Logiquement, sans définition pertinente de la performance de l`exercice participatif, des critères d`évaluation ne peuvent pas être définis. Qu’est-ce qui constitue alors la performance d'un processus participatif et comment pouvons-nous la déterminer, voire la mesurer ?

4Pour la recherche en sciences sociales, l’intérêt d’évaluer un processus participatif pourrait se limiter, au premier abord, à son impact sur la décision publique. Dans ce cas, on se questionnerait sur : Est-ce que nous décidons mieux en passant par la participation publique ? Ceci est certes un questionnement crucial, mais cette vision de la participation semble réductrice. Une évaluation juste devrait s’interroger sur la valeur ajoutée globale de la démarche participative, c'est-à-dire la valeur qui n’aurait pas pu être apportée par un processus décisionnel sans participation. Il s’agit alors de s’intéresser à l’ensemble des effets produits par une démarche de participation publique, autant pendant qu’après celle-ci et chercher ainsi à comprendre ces différents effets à travers des horizons temporels successifs.

Le débat public sur le projet de prolongement de l’autoroute A12

5Comme pour chacun des 40 débats publics que la CNDP a menés depuis sa création, l’historique du projet est singulier et mérite donc un éclairage. L’objet du débat public est le projet de la prolongation d’une autoroute dans le département des Yvelines (appelé ci-après « débat public A12 »). L’A12, axe de contournement de Paris, se transforme de manière abrupte en une route nationale (la RN10) à son entrée dans l’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines (figure 1).

Figure 1. Le couple A12-RN10 : un axe structurant majeur de l’ouest parisien. Source : Ministère des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer 2006a, p. 12.

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  • 1  La fameuse stratégie des « villes nouvelles » a conduit, à l’époque, à la création de (...)

6Le problème majeur, tel qu’il est présenté par le débat public, se pose pour Saint-Quentin-en-Yvelines, une ville nouvelle1 à forte croissance, ainsi que les communes de Coignières et les Essarts-le-Roi. Elles sont traversées par la RN10 (une deux fois deux voies) et souffrent de sa saturation, qui s’est progressivement aggravée au fil des décennies. Jalonnée de feux tricolores, la RN10 induit de nombreuses variations de vitesse et des impacts lourds sur la qualité de vie des habitants et sur l’environnement: embouteillages réguliers, coupure du territoire, risque élevé d’accidents, mauvaise qualité de l’air etc.

7D’après la Direction Départemental de l’Equipement des Yvelines (DDE 78, désignée maître d’ouvrage par le ministère), quatre solutions, sous forme de familles de tracés, existaient pour remédier au problème (figure 2). La première famille (n°1) envisageait la transformation de la RN10 dans son emprise actuelle. Au sein de cette famille, une première variation ne prévoyait que le réaménagement de la RN10 pour augmenter sa capacité de trafic (n°1A), l’autre faisait passer l’autoroute A12 en tunnel en dessous de la route nationale (n°1B). Les trois autres familles de tracés (n°2, 3, 4) dessinaient une autoroute dans des trajectoires entièrement nouvelles, engageant une consommation d’espace résidentiel et naturel à différents degrés. La deuxième famille constituait un passage à proximité de la route nationale et donc de zones résidentielles. La troisième famille contournait légèrement une commune urbaine pour passer à deux endroits par le Parc Naturel Régional adjacent (PNR de la Haute Vallée de Chevreuse). La dernière famille (n°4) était entièrement rurale et prévoyait même le passage par un site classé à l’intérieur du PNR.

Figure 2. Les quatre familles de tracés du projet de prolongement de l’autoroute A12. Source : Ministère des transports de l’équipement, du tourisme et de la mer 2006a, p. 47.

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8Cependant, il ne faudrait pas concevoir le projet de prolongement de l’A12 comme un problème à une échelle purement locale. Même si la longueur totale de voies est faible (moins de 20 km), qu`elle sert de desserte locale et que son prolongement aurait un impact direct sur les riverains, le projet a une portée plus grande. Le maillon A12-RN10 constitue une jonction importante pour le transit de la Normandie au nord, de l’Ouest de la France au sud, et de Paris à l’est. Cet ajout du transit suprarégional au trafic local explique pourquoi le passage abrupt de l’autoroute A12 en RN10 est aussi nuisible que controversé.

  • 2  Le prolongement de l’autoroute A12 a été inscrit au Schéma Directeur d’Aménagement et (...)

9Le projet de prolongement existe depuis la planification, dans les années 1960, de la ville nouvelle. Le projet est inscrit dans les documents successifs d’aménagement des autorités depuis 19652, et pourtant, ces dernières n’ont jamais pu aboutir à une décision. Devant les enjeux de déplacements, de reconquête urbaine et de préservation de l’environnement et du cadre de vie, aucune réponse durable n’a été trouvée. Diverses études ont été menées et de multiples propositions de tracés ont émergé, chacune faisant l’objet de nombreux échanges entre autorités institutionnelles, élus locaux et habitants. Les propositions ont été rejetées les unes après les autres, par l’un ou l’autre des acteurs, faisant du prolongement de l’A12 un exemple typique du phénomène Nimby (Not In My Back Yard) : tous les concernés sont d'accord sur la nécessité du changement, mais personne ne veut accueillir la solution dans sa zone de vie.

10En 2006, plus de quarante ans après sa première mention, le projet A12 devait enfin pouvoir dépasser l’impasse du conflit par son passage en débat public. Avant d'entrer dans les détails de l’analyse de ce débat, nous présentons ci-dessous les caractéristiques clés du débat public A12 afin d'en faciliter la lecture (tableau 1).

Tableau 1. Le débat public sur le projet de prolongement de l’A12 en 10 questions.

1. Qui a organisé le débat public ?

En tant que maître d’ouvrage, la direction départementale de l’équipement (DDE, un service de l’État) a saisi la CNDP. Cette dernière a décidé d’organiser un débat public avec une commission particulière (CPDP).

2. Quand le débat public s’est-il déroulé ?

Du 23 mars au 16 juin 2006.

3. Sur quoi a porté le débat public ?

Le projet de prolongement de l’A12 est-il opportun ?

Si c’est le cas, comment intégrer les valeurs du développement durable (économique, sociale et environnementale) dans la conduite du projet ?

Quelle solution est la plus adaptée aux territoires concernés : vaut-il mieux une autoroute réalisée en tracé neuf ou le réaménagement de la RN10 ?

4. Pour qui le débat public a-t-il été organisé ?

Pour informer le public et lui donner des moyens de s’exprimer d’une part.

Et pour éclairer le maître d’ouvrage, d’autre part.

5. Quelles sont les propositions du maître d’ouvrage ?

Famille n°1. Transformation de la route nationale RN10 (tracé urbain).

Famille n°2. (A12 en) jumelage avec la voie ferrée.

Famille n°3. (A12 ) par le tracé médian.

Famille n°4. (A12 ) par le vallon du Pommeret (PNR) (tracé rural)

6. Combien de personnes ont participé aux débats et comment ?

7000 participants aux 13 réunions et auditions publiques. 1255 questions ont été posées, 1550 avis donnés, 35200 visites du site internet.

7. Quelles conclusions a tiré la CPDP ?

Son compte rendu contient les appréciations générales du public. La CPDP n’a pas rendu d’avis sur un tracé précis.

8. Qui a décidé suite au débat ?

Le maître d’ouvrage (DDE), soit les services de l’État.

9. Qu’a-t-il décidé ?

Il a décidé de prolonger l’autoroute et retient un tracé (n° 2C’ de la famille n°3).

10. Est-ce que cette décision a été appliquée ?

Pas encore. La Région n’a pas intégré le projet dans son schéma directeur voté en automne 2008. La finalisation ou non de ce projet dépend du rapport de force entre État et Région, surtout à propos du financement.

L’analyse du débat en termes d’effets: la considération des temps pluriels

11Selon certains participants et observateurs, le débat public A12, objet empirique de notre proposition d'évaluation, a laissé ouvertes quelques questions importantes. Est-ce que le débat s'est correctement déroulé ? Quelle a été son utilité pour aider à la prise de décision finale ? Qu’est-ce que le débat public a apporté au respect de l’intérêt général, qui n’aurait pas pu être apporté par un processus décisionnel sans participation du public ?

  • 3  Pour chacun des dossiers ouverts, la CNDP peut confier l'animation du débat public soit (...)

12Pour répondre à ces questions, l'analyse du débat public A12 pourrait se référer aux objectifs du débat tels qu'ils étaient établis par la Commission Particulière du Débat Public3 (CPDP) A12. Dans sa documentation officielle nous pouvons lire que ceux-ci étaient de nature triple (Ministère des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer, 2006a):

  • informer la population sur le projet soumis au débat, sur ses enjeux, ses aspects techniques, ses impacts ;

  • permettre à la population de s’exprimer sur ce projet, en formulant des observations, des critiques, des suggestions sur tous les aspects du projet : son opportunité, sa conception, ses caractéristiques, ses conséquences ;

  • éclairer le maître d’ouvrage par de nouveaux éléments d’appréciations.

  • 4  Selon Smith, qui se concentrait sur la participation en opposition à la simple communication, (...)

13« Informer », « impliquer » et « consulter » sont les termes qui servent alors ici pour désigner les objectifs officiels du débat public A12. Ce sont les mêmes objectifs qui définissent, depuis Smith (Rowe, Frewer, 2000) toutes les formes de participation publique4. Par conséquent, ils ne nous informent pas sur les enjeux spécifiques et les attentes de performance réelle du débat public A12, ceux-ci n‘ayant pas été clairement fixés par les objectifs établis.

14Afin de guider l’évaluation du débat public A12, nous proposons, après avoir présenté le contenu du projet, d'appliquer une grille d'analyse en termes d'effets. Cette typologie, établie par Sybille van den Hove (2001), distingue trois catégories, chacune se référant à un horizon temporel différent : du « pendant » (effets procéduraux) au « après » (effets contextuels) en passant par la question de l’effet sur la décision publique finale (effets substantifs). La différenciation entre différents types d’effets se fonde sur le constat que l’acceptation d'une décision par les membres d’une société dépend autant du caractère du processus décisionnel que du résultat substantif (Ostrom, 2000, Murray, 2005). Ainsi, la typologie des effets établit un cadre permettant d’aborder la question de la légitimité d’un processus de décision et, par là, des procédures de légitimation d’une décision dans un contexte social donné (van den Hove, 2001).

15Nous nous intéressons tout d'abord aux effets procéduraux (1) qui se réfèrent au déroulement du débat public et s’inscrivent dans le temps court des échanges de la communauté débattante (le « pendant »). Nous évaluons dans ce cadre des effets tels que l'amélioration de la qualité de la base informationnelle des processus de prise de décision et l'utilisation plus efficace de l'information (a) ; la construction du domaine de choix possibles pour la décision (b) ; la mise en place de processus dynamiques (c) ; l'amélioration dans la gestion des conflits entre acteurs (d) ; l'amélioration de l'efficacité du processus en termes de durée et de coûts (e) ; l’augmentation du pouvoir d'influence d’acteurs représentant des intérêts peu organisés ; et, l’augmentation de la légitimité du processus décisionnel (g).

16Les effets substantifs concernent le résultat du débat et sa relation avec la prise de décision politique. La qualité de la décision est ici évaluée en termes de résultats sur les plans environnementaux (a), économiques (b) et techniques (c), ainsi qu’en termes de son acceptabilité sociale (d). Dans le cadre du débat public en France, l’échelle temporelle de la réalisation de ces effets dépend de la volonté du décideur. Même si chaque commission de débat (CPDP) est obligée de rendre son compte rendu dans un délai de trois mois après la fermeture du débat, la décision politique réelle (p.ex. déclencher le projet de construction) peut être appliquée des années plus tard.

17En contraste avec l’échelle temporelle courte des effets procéduraux se trouvent les effets contextuels. Ils se rapportent au temps long de l’évolution des perceptions des problèmes et de la légitimation de nouvelles règles d’échange. Leur objectif est d’estimer si le débat a donné lieu à une modification du contexte social dans lequel s’est inscrit le conflit. Plus précisément, le contexte social peut évoluer suite à des effets concernent l’information et l’éducation du public (a) ; l’amélioration de la capacité stratégique des décideurs (b) ; des changements de perception et de conceptualisation du contexte social (c) ; la modification des rapports de force et des conflits traditionnels (d) ; le renforcement des pratiques démocratiques et de l'implication des citoyens dans la vie publique (e) ; et l’augmentation de la confiance des acteurs dans les institutions (f).

18Dans la suite de cet article, pour chacun de ces effets, nous allons nous interroger sur ce que le débat public A12 a réellement produit. Chaque effet nous sert alors comme critère d`évaluation qui se caractérisera par une description la plus synthétique possible. La grille originale de van den Hove (2001) n`ayant pas établi de conventions qualitatives (c'est-à dire des conventions de description comme présent/absent, faible/moyen/haut etc.), nous présenterons des conventions développés au cours de cet exercice, à la fin de cet article dans un tableau qui synthétise tous les effets mentionnés (Tableau 2).

19Les effets du débat public A12 sont spécifiques avant tout aux parties prenantes présentes à l’aire d’étude du projet et à la période donnée. Nous entendons par partie prenante une personne qui prend une part active dans un processus décisionnel, qui a un rôle à jouer car elle a un intérêt dans le résultat de la décision, qui est concernée ou encore celle qui subit le processus sans agir directement mais seulement par l’intermédiaire d’un représentant qui est lui-même partie prenante. Une partie prenante est considérée comme une catégorie homogène de plusieurs agents regroupés selon leurs rôles, leurs fonctions, ou leurs points de vue sensiblement voisins. Elle peut être un individu isolé, un groupe d’individus, un corps constitué ou une collectivité (Le Dars, 2004).

20L’ensemble des parties prenantes, même ceux qui n’ont pas souhaité, pas pu ou pas vu la nécessité de participer activement, est rassemblé sous la dénomination « population » dans les documents du débat public et dans la suite de l’analyse. Les parties prenantes ayant participé activement sont dans leur ensemble le « public du débat ». Pour éviter toute confusion avec le terme « débat public », ces acteurs sont rassemblés sous la dénomination « public » dans la suite de l’analyse.

21Les observations sur lesquelles se base cette évaluation ont leur source exclusivement dans les documents officiels du débat (dossier et études du maître d’ouvrage, , compte-rendu et verbatims des débats, contributions du public), mais aussi sur des documents politiques (plans, programmes d'action et stratégies traitant de l'aménagement du territoire en Île-de-France : projet d’action stratégique de l’état en région Île-de-France, schéma directeur de la région Île-de-France, contrat de projet Etat Région, document régional de développement rural) et d'autres documents traitant des problèmes d’aménagement du territoire existants en Île-de-France provenant essentiellement des parties prenantes du projet ( communauté scientifique, société civile, etc)

Effets procéduraux : des effets de court terme sur le déroulement du débat

22L’institutionnalisation du débat public s’est accompagnée de la reconnaissance de la contre-expertise et de la pluralité des expertises pour alimenter la discussion et enrichir les connaissances (Fournieau et Tafere, 2007). Logiquement, un premier effet procédural du débat consiste en une meilleure qualité et utilisation de l’information du processus décisionnel (a). Affirmé explicitement par les objectifs du débat public A125, le partage des informations entre institutions décisionnelles et le public a été assuré par de nombreux dispositifs de communication mis en place par la CPDP : des dépliants d’informations, un dossier complet du maître d’ouvrage et sa synthèse, deux journaux du débat, des affiches et panneaux dans les espaces publics des communes concernées, une exposition itinérante et un site Internet qui donnait accès à l’ensemble de l’information et la possibilité de soumettre des avis et questions. Par la suite, les 13 réunions publiques ont attiré, entre mars et juin 2006, entre 250 et 720 personnes chacune, soit 7000 personnes au total. Chacune des réunions était consacrée à une thématique distincte et a eu lieu dans les différentes communes de la zone d’étude, afin de correspondre aux exigences d’un accès égalitaire pour tous.

  • 5  « […] permettre à la population de s’exprimer sur le projet […] » et (...)

23L’échange de l’information a permis la contestation de certains aspects du dossier du maître d’ouvrage. Par exemple, le modèle de déplacements de la Région Île-de-France sur lequel s’est appuyé le dossier a été mis en question par différents participants. Selon eux, plusieurs paramètres n’ont pas été pris en compte : des hypothèses de rupture (p. ex. fin du pétrole), une réforme potentielle des modes de consommation énergétique en vue du respect du protocole de Kyoto, l’essor potentiel des voitures électriques, etc. (CPDP, 2006b).

  • 6  En détail, ces études comprenaient : 1) une évaluation monétaire des impacts (...)

24L’organisation de trois séances spéciales dites « dires d’experts » ainsi que la réalisation de quatre études complémentaires au dossier initial sont d’autres signaux pour une qualité informationnelle améliorée6. Ces dernières, commanditées par la CPDP au cours du débat, ont été rendues publiques avant la clôture de celui-ci. Les séances spéciales ont, quant à elles, apporté de précieuses contributions sur des sujets d’incertitudes qui n’entraient pas dans les compétences du maître d’ouvrage : une prospective de trafic à long terme, une évaluation de l’impact d’un axe routier déterminé sur la qualité de l’air ainsi qu’un éclairage du lien entre accessibilité et dynamisation économique et sociale du territoire.

25Le savoir échangé a aussi été de nature non technique laissant les riverains partager leurs vécus, valeurs et connaissances très personnelles. Même si toutes les expressions, qu’elles soient objectives ou subjectives, ont été répertoriées sur le site de la CPDP, nul ne sait quelles informations se sont avérées in fine vraiment pertinentes et ont influencé la décision finale.

26Un autre effet procédural est celui d’un élargissement du domaine de choix possibles pour la décision (b). Contrairement à l’effet précédent, il ne s’agit pas d’approfondir les enjeux du projet A12, mais d’aller au-delà et de proposer des solutions et remèdes. Cet effet suit la thèse selon laquelle le débat public, par la confrontation de l’irréductible pluralité de représentations du monde et de systèmes de valeurs, fait émerger une palette de choix sociaux plus large. Le signal le plus évident est l’intégration de quatre tracés proposés par des acteurs externes (associations, élus, un conseil en développement et des particuliers), chacune présentant une variante plus ou moins radicale des tracés originaux développés par le maître d’ouvrage. Aussi ont été proposées des solutions alternatives à la construction de l’autoroute (par exemple en « limitant la vitesse de façon à créer un flux idéal » (CPDP, 2006b), ou en « repensant le management de la mobilité à travers le développement du covoiturage ou des taxis collectifs » (CPDP, 2006a).

  • 7  Les quatre tracés alternatifs n’ont été présentés au public que pendant la réunion du 22 (...)

27Dans ce contexte, le calendrier du débat public a posé de vrais problèmes. La plupart des propositions de tracés n’étant apparues que dans les derniers jours de débat, le temps n’a pas été suffisant ni pour les évaluer avec la même rigueur que les tracés originaux, ni pour les soumettre véritablement au débat pendant les réunions publiques7. Dans le compte rendu de la commission on ne trouve ainsi qu’une présentation brève de chacun des quatre nouveaux tracés ainsi qu’une appréciation générale de la part du maître d’ouvrage sur leur faisabilité. Par la suite, et comme nous allons notamment le présenter dans les effets substantifs, tous ces tracés ont été abandonnés au profit d’un tracé de la famille n°3. Le public est donc resté dans l’ignorance absolue sur 1) la suite précise de l’appréciation de ces propositions par les services d’État et 2) l’importance donnée à ces tracés pour les décideurs en comparaison avec les tracés initiaux. Ces faits laissent les propositions du public dans un état plutôt embryonnaire.

28Est-ce que le débat public A12 peut être qualifié de processus dynamique (c) ? Pour cela, il aurait fallu garantir une continuité efficace de l’implication citoyenne dans le processus décisionnel. De grands moyens ont été mis en œuvre pour organiser l’échange entre des décideurs politiques et la société civile à tous les niveaux. Néanmoins, une surcharge (notamment en termes de temps) des moyens humains de la CPDP et du maître d’ouvrage a été observée. Le délai d’attente pour obtenir une réponse à une question posée sur internet ou par écrit lors d’une réunion a souvent atteint trois semaines.

29Ensuite, la présentation de la décision publique a été en fort décalage avec le déroulement du débat. Il n’y a eu ni déclaration officielle, ni réunion pendant laquelle un représentant de la DDE aurait pu expliquer les raisons de la décision ministérielle auprès de tous ceux qui s’étaient investis pendant les mois de débat. Une publication dans le Journal Officiel de la République Française et une notice sur le site internet de la CPDP ont été les seuls retours officiels (en dehors des médias) vers le public.

30On s’accorde aujourd’hui sur le fait que le débat public existe pour chercher la coopération entre les parties prenantes d’un projet plutôt que leur affrontement - à moins que cet affrontement puisse être qualifié de constructif. Le débat public a-t-il favorisé une meilleure gestion des conflits entre les acteurs (d) ?

  • 8  Nous précisons que « tracé urbain » correspond aux tracés de la famille 1 sur l’emprise (...)

31Dans le cas de l’A12 une opposition forte entre deux camps s’était établie, et ceci bien avant qu’il soit question d’organiser un débat public : ceux favorables au prolongement de l’A12 s’opposent à ceux qui sont pour un réaménagement de la RN10 sans nouvelle infrastructure. Vu l’ancienneté du projet, ces positions ont eu beaucoup de temps pour se figer et se durcir. C’est pourquoi la CPDP formulait un de ses objectifs par « fissurer les positions monolithiques des uns ou des autres » (CNDP, 2006). Le débat public, même s’il a élargi le choix de familles de tracés à quatre, n’a pas réussi à désamorcer cette opposition. Les demandeurs de l’autoroute se sont majoritairement rabattus sur la famille de tracés appelée « tracé rural » (n°4) et les défenseurs du réaménagement de la RN10 sont très vite devenus les défenseurs de la famille de tracés appelée « tracé urbain » (n°1)8. Cette territorialisation des intérêts des habitants est typique du syndrome Nimby.

  • 9  Ainsi, dans son dossier de débat, le maître d’ouvrage parlait de 4 « familles de (...)

32Une « bonne » gestion de conflit dépend de plusieurs facteurs. Le premier, le développement d’un langage commun, n’a pas toujours été atteint lors du débat public A12. Les débats ont été marqués par un décalage permanent entre langage technique – voire technocrate - des experts d’un côté et un langage d’un registre plutôt émotif du public de l’autre. La commission et le maître d’ouvrage ont commis de graves erreurs pédagogiques en utilisant des nominations de tracés confuses9. Le public a perdu beaucoup de temps à s’approprier ces dénominations de tracés, ce qui a probablement retardé la formation d’opinion et, ergo, la prise de parole au sujet des tracés.

  • 10  Il serait intéressant de quantifier les temps de parole de différents participants (membres de (...)

33Quant à la qualité de l’organisation de l’échange entre les différents participants du débat public, les discussions se sont souvent déroulées qu’entre les membres de la commission, le maître d’ouvrage et les experts invités, sans véritablement inclure les citoyens et leurs représentants dans le débat « sur scène »10. Les interventions du public étaient le plus souvent réduites à des échanges de type « question-réponse » avec le maître d’ouvrage et très peu entre citoyens. Le manque de dialogue entre acteurs, opposés à des degrés différents, a vraisemblablement diminué la capacité de chacun à apprécier entièrement l’opinion de l’autre.

34Pour dépasser une situation de controverse, il est aussi important de faire bon usage de l’information, en la hiérarchisant par exemple. Dans sa fonction d’instance veillant au bon déroulement de l’évaluation collective, le débat public est, comme le remarquent avec justesse Brugidou et al. (2007), « objet d’une tension entre deux pôles: d’un côté la nécessité de représenter la diversité des points de vue présents dans la controverse, de l’autre celle d’évaluer la force des argumentations pour un échange dynamique. » Si le débat public A12 a certes pris au sérieux le premier point, il n’a pas bien réussi à atteindre le deuxième, celui de la hiérarchisation des informations. C’est ainsi que la CPDP doit, dans son compte rendu, avouer que « malgré l’effort d’organisation fait par la CPDP […] l’indispensable part de liberté dans le débat fait que les questions ont été traitées de façon moins ordonnée. » (CNDP, 2006).

35A première vue, une comparaison avec un processus décisionnel sans élément participatif ne semble pas attribuer au débat public une plus grande efficacité en termes de durée et de coûts (e). Ayant duré quatre mois (sans compter les mois de préparation et d’analyse postérieure) pour un budget total de 959.000 euros, le débat public A12 paraît un processus coûteux et long. Un tel jugement rapide négligerait très évidemment deux grandes questions : Quel est notre consentement à payer pour un processus de démocratie participative ? A quelle référence, c’est à dire à quelle situation sans débat public, peut-on comparer ce coût ?

36Durant les 40 dernières années, le projet de prolongement de l’A12 a fait couler beaucoup d’encre et de nombreux efforts de sensibilisation, d’information et de communication ont été réalisés de la part d’associations, de municipalités et des services d’État. Ces coûts de controverse matériels et humains – on pourrait aussi dire les coûts d’un débat public non institutionnalisé – n’ont jamais été comptabilisés. Tous les apports indirects du débat public A12 sont impossibles à quantifier : l’éducation du public l’acceptabilité sociale du projet, le changement du contexte social etc. En l’absence de certitude sur ces coûts d’opportunité, tout jugement sur l’efficacité en termes de durée et de coûts du débat public serait alors extrêmement imprudent.

37Une critique peut être avancée sur l’efficacité du débat public dans son déroulement. Il prend place très en amont dans le processus décisionnel. Les données dont dispose le public sont donc celles d’études préliminaires. Si les demandes d’études complémentaires et leur acceptation tendent à minimiser ces lacunes, le temps nécessaire à leur réalisation est quelque peu incompatible avec le calendrier restreint du débat public. Les citoyens ne peuvent donc pas s’exprimer sur ce retour d’information.

38Le dernier aspect important des effets procéduraux concerne la représentativité des acteurs (f). Si le débat public cherche vraiment à réduire les asymétries de pouvoir, il doit favoriser l’intégration des acteurs faibles, c’est-à-dire aider à augmenter l’influence de ceux qui représentent des intérêts peu organisés. En effet, tout individu ne se reconnaissant pas forcément dans l’un des regroupements existants, aura tendance à être isolé et par là même à avoir des difficultés à s’exprimer, à faire passer ses idées.

39La représentativité de la population locale en termes socioculturels n’a pas fait l’objet de mesures statistiques par la CPDP. Et si un problème d’accessibilité aux salles de réunion (pas toutes accessibles en transports en commun ou plus desservies passée une certaine heure) a certainement représenté un frein à une participation représentative, les autres moyens de communication de la commission (site internet,) étaient censés pallier ce problème.

40Il est certain que le débat a permis à divers regroupements d’acteurs, tels que les associations, de s’allier et de s’exprimer autour de positions communes. Le positionnement des acteurs a été facilité par l’aliénation à un tracé plutôt qu’à un autre. Par exemple, le « Collectif pour l'aménagement de la N10 au lieu de prolonger l'A12 » regroupait 54 associations locales et nationales.

41Cependant, nous avons noté peu d’interventions de la part d’agriculteurs, de diverses petites ou moyennes entreprises de Saint Quentin en Yvelines ou du PNR et une absence du Syndicat des transports d'Île-de-France (STIF) et de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF). Ces acteurs auraient pu apporter un éclairage supplémentaire au débat, aidant ainsi à augmenter d’autres effets procéduraux comme l’amélioration de la base informationnelle ou l’élargissement du domaine de choix social.

42George Mercadal a observé que les « projets sont souvent d’un intérêt national alors que les débats sont cantonnés dans des zones d’impact environnemental » (Mercadel, 2007). Par exemple, l’A12 contribue à l’évolution du réseau routier national. Qui a alors représenté les intérêts des futurs usagers de l’A12 ?

43Pour finir, l’amélioration de la légitimité du processus décisionnel (g) suscite l’interrogation sur la reconnaissance du « résultat » issu du débat public, c’est-à-dire sa prise en compte dans la décision publique. Cette question est, selon nous, un critère d’évaluation fondamental, traitée dans le cadre des effets substantifs ainsi que dans la discussion qui s’ensuit.

44Le débat public a un bilan satisfaisant pour les effets relevant du procédural. Les moyens mis en œuvre par la CNDP lui ont permis d’atteindre ses objectifs d’information et d’expression, même si certaines restrictions ont pu être observées. Le débat public a aussi contribué à l’enrichissement du dossier du maître d’ouvrage par de nouveaux éléments.

Effets substantifs : des effets à moyen terme sur la décision

45Les effets substantifs sont incontestablement essentiels pour évaluer la productivité du dispositif « débat public A12 ». Ils rendent compte de l’impact du débat sur la décision politique et sa qualité. Van den Hove asserte que « ce sont généralement les effets substantifs qui sont recherchés de prime abord lors de la mise en place d’approches participatives » (van den Hove, 2001). Il n’existe pas, à ce jour, de lien formel et légal entre débat public et décision politique. Si le débat est autorisé à aborder la question de l’opportunité des projets, il ne prévoit pas de procédure d’arbitrage. A l’issue du débat, le maître d’ouvrage est amené à reconsidérer son projet. Il peut le modifier dans le sens des arguments, minoritaires ou non, ou alors l’abandonner. De nombreux débats publics ont influencé les projets et les ont transformés de manière indirecte (Tiffon, 2006).

46Avant de pouvoir évaluer les effets substantifs du débat public A12, nous devons clarifier la notion de résultat(s) et selon quel(s) critère(s) on définit sa qualité. Quels sont les résultats du débat public selon la commission du débat public A12 ? Elle les diffuse dans une communication sous les cinq points suivants :

  1. Il existe une unanimité sur la nécessité absolue d’une solution aux difficultés croissantes de circulation dans l’agglomération et personne ne tolérera que l’inaction continue ;

  2. Une majorité favorise le réaménagement complet de la RN 10 avec la création d’une voie nouvelle ;

  3. Parmi les constructions nouvelles, le tracé rural (famille n°4) rassemble une majorité, mais « présente des risques de contentieux » parce qu’il passerait par un PNR ;

  4. Le maître d’ouvrage devra augmenter des longueurs en tranchées couvertes afin de parvenir à une grande acceptabilité du tracé (quel que soit le tracé choisi) ;

    • 11  Nous voyons alors en quels termes le « résultat » se définit : la CPDP rend compte de ses (...)

    La cohérence avec d’autres formes de transport doit être recherchée dans le cadre du projet de territoire. (CNDP, 2006)11.

47Quels sont les « résultat de décision » ? Conformément à la loi, le maître d’ouvrage doit prendre une décision dans les trois mois suivant le bilan de la CNDP. Le 24 octobre 2006, le ministère des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer publie qu’il a retenu la variante du tracé n° 3, nommée 2C’ (Ministère des transports de l’équipement, du tourisme et de la mer, 2006b).

  • 12 Comme la famille de tracé n°3 contient deux variantes, il est dommage que ce soit justement la (...)

48A première vue, la décision du ministère semble correspondre aux cinq points énoncés par la commission dans son bilan du débat : la RN10 sera réaménagée en boulevard urbain et une voie nouvelle sera créée. Si nous voulons suivre la grille d’analyse de van den Hove et rendre compte des effets substantifs en termes d’un « meilleur choix du point de vue environnemental, économique, technique et de l’acceptabilité sociale », nous devons examiner les caractéristiques du tracé retenu en le comparant aux autres tracés. Une grande difficulté s’est posée à cet exercice d’analyse. Les deux études officielles (le dossier du maître d’ouvrage et l’évaluation monétaire des impacts environnementaux approuvée par la CNDP comme support officiel au cours du débat) comparent les quatre familles de tracés. Mais ils ne rendent pas compte de toutes les variantes, notamment celle qui a été retenue12.

  • 13 Cette méthode se situe dans le courant de la soutenabilité faible, qui reconnait le principe de (...)

49Pour savoir si le débat public a permis une meilleure pertinence de choix d’un point de vue environnemental (a), nous nous basons sur l’évaluation monétaire des impacts environnementaux. Celle-ci renseigne un coût pour chacune des quatre familles de tracés selon leurs impacts environnementaux – déclinés en six critères : paysage, nature, accidents humains, air, climat et bruit. Selon ses auteurs, la famille du tracé retenu produira les dommages environnementaux les plus élevés : 132 millions d’euros, contre des coûts compris entre 42 millions d’euros et 127 millions d’euros pour les autres. Cette étude, comme toute autre méthode de quantification et de monétarisation des impacts environnementaux, peut être remise en question. Elle utilise des prix fictifs et est le fruit d’arbitrages controversés au sein de la communauté scientifique13. Elle a été publiée le 30 mai 2006, seulement 17 jours avant la clôture du débat. Le public n’a guère eu le temps d’en prendre connaissance et de réagir sous forme de remarques ou de questions. En revanche, dans sa décision, le ministère rend compte des préoccupations exprimées au cours du débat et assure qu’ « une attention particulière sera portée » sur des facteurs comme le bruit, les continuités écologiques et agricoles, les impacts paysagers et la consommation d’espace (Ministère des transports de l’équipement, du tourisme et de la mer, 2006b).

50En termes économiques (b), un apport majeur du débat a été l’intégration des externalités environnementales via l’évaluation monétaires des impacts environnementaux, face à un dossier de maître d’ouvrage avantageant les tracés neufs. La comparaison des tracés, avant l’étude complémentaire, a essentiellement porté sur des coûts d’investissement (déterminés par les longueurs de tranchées couvertes et non couvertes et le nombre d’échangeurs nécessaires faisant varier considérablement la durée du chantier). La famille du tracé retenu y figure, avec 460 millions d’euros, en deuxième place parmi des familles de tracés affichant des coûts compris entre 293 millions d’euros (tracé rural) et 1.095 millions d’euros (tracé urbain) – une comparaison avantageant d’une manière disproportionnée les tracés neufs et surtout le tracé rural par le PNR.

  • 14 Seule la famille 1 ne nécessite pas un réaménagement supplémentaire de la RN10.

51A l’instar du public, nous ne pouvons nous baser pour faire un bilan, d’après débat public, que sur les chiffres communiqués dans le compte rendu de la CNDP (CNDP, 2006). La DDE a comptabilisé les coûts d’investissement, les coûts d’entretien et le coût de réaménagement14 dans les bénéfices actualisés (essentiellement des gains de temps suite à la construction de l’autoroute). Suivant ce classement, la famille du tracé retenu se situe toujours en deuxième position (3 168 millions d’euros de bénéfices actualisés, contre des bénéfices entre 708 et 3 430 millions d’euros pour les autres familles de tracés). Après intégration des coûts environnementaux, le bilan change peu (3.036 millions d’euros de bénéfices actualisés globaux pour le tracé retenu, contre des bénéfices entre 666 et 3.302 millions d’euros pour les autres). Au cours du débat, le classement du tracé retenu n’a pas changé mais l’intégration des coûts environnementaux a contribué à nuancer son avantage net en termes de coût.

52Il est complexe de donner une appréciation sur l’amélioration de la pertinence des choix du point de vue technique (c). Le débat public se plaçant très en amont dans le processus, le maître d’ouvrage n’a présenté que ses études préliminaires. Ce type d’étude n’est pas assez détaillé pour que des discussions d’ordre technique à propos des infrastructures aient leur place. Une amélioration de la pertinence des choix techniques pourra être apportée par l’enquête publique (plus en aval dans le processus de décision) sur la base de l’avant-projet.

53En ce qui concerne l’acceptabilité sociale (d). Un point important du débat public était de discuter de l’opportunité de prolonger l’A12. Les études complémentaires ont apporté des informations qualitatives et quantitatives intéressantes sur l’opportunité d’un tracé neuf (notamment par rapport aux prévisions de trafic) et sur son impact environnemental. Au vu de la décision ministérielle, les défenseurs du tracé urbain peuvent légitimement se demander ce que sont devenues ces considérations sur l’opportunité réelle de construire une nouvelle autoroute.

54Le tracé retenu donne un signal clair. S’éloignant considérablement des zones résidentielles sensibles sans pour autant entrer dans le PNR férocement défendu (figure 2), ce tracé n’a ainsi pas été choisi parmi les deux solutions qui s’opposaient depuis 40 ans et qui rassemblaient des défenseurs déterminés. Le tracé « médian » (c’est ainsi que la famille n°3, dont est issu le tracé retenu, a été appelée) porte alors son nom à merveille car il est une « solution du milieu ». Il évite l’opposition nette entre le tracé rural (famille n°4) et le tracé urbain (famille n°1).

55Mais, on ne manquera pas de voir se développer une opposition à ce tracé. Il traverse des zones urbaines à Montigny-le-Bretonneux et au Mesnil Saint-Denis, et des zones non urbanisées à Trappes (Bois de Trappes) et au Mesnil Saint-Denis (plateau agricole). Même si le maître d’ouvrage a prévu des tranchées couvertes dans les zones urbaines et de prendre en compte les nuisances pendant les travaux, la mobilisation des mesnilois mais également des habitants des communes voisines, reste d’actualité.

  • 15 Le SDRIF est un document d’urbanisme prescriptif, c’est-à-dire que les documents (...)

56Presque deux années sont passées depuis l’entérination de la décision ministérielle de prolonger l’autoroute A12. En septembre 2008, la Région Île-de-France a voté son nouveau schéma directeur (SDRIF), qui définit les grandes orientations d’aménagement à moyen et long terme du territoire régional, à l’horizon 203015. Le nouveau SDRIF prévoit dix opérations à entreprendre d’ici 2030 pour compléter le maillage et optimiser l’exploitation du réseau structurant d’autoroutes et de voies rapides. L’A12 n’en fait pas partie : « D’autres projets pourront ultérieurement compléter le réseau magistral et il convient d'en préserver la faisabilité à long terme : […] le prolongement d’A12 entre Saint-Quentin-en-Yvelines et Les Essarts-le-Roi, projet ayant fait l'objet d'un débat public en 2006 et ayant été approuvé par décision ministérielle le 24 octobre 2006. […] Quant à la RN10, elle fera l’objet d’un traitement d’itinéraire pour atténuer les effets de coupure urbaine qu’elle provoque. » (Région Île-de-France, 2008).

57Dans un souci de cohérence territoriale, la Région et État auraient dû trouver un accord avant la promulgation du SDRIF. Au final, comme le prolongement de l’autoroute A12 relève de la responsabilité de l’État, il a le droit de lancer le chantier A12. Ce prolongement dépendra néanmoins de la capacité de financement de l’État pour ce projet.

58Les décideurs des projets publics sont devenus multiples. Les constructions d’infrastructures mobilisent des financements à plusieurs niveaux (État, Région, départements, agglomérations et communes). Il n’y a plus de financeur, donc de décideur, unique (Tiffon, 2006). En ce qui concerne l’autoroute A12, le ministère énonce qu’une étude des modalités de financement du projet sera réalisée et présentée aux collectivités territoriales (Ministère des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer, 2006c).

Effets contextuels : les effets à long terme sur la société

59C’est à travers l’évolution du contexte social (manifestations au niveau national, inscription du principe participatif à l’international, etc.) que les débats publics ont pu voir le jour en France. A leur tour, ils ont fait et font évoluer le contexte social car ils changent la perception et la réalité d’une société envers les processus décisionnels des politiques publiques. Il existe donc une relation bidirectionnelle entre modalité du processus de décision et contexte social.

60Un premier effet contextuel d’un processus participatif consiste en une meilleure information et éducation du public (a). Le débat public a permis de mieux informer le public, notamment sur la complexité liée à la situation actuelle, les caractéristiques des tracés potentiels, les études préalables réalisées, la palette des arguments de chacun et les modalités du processus de décision. Cette meilleure information permet au public de mieux comprendre, d’une part les enjeux particuliers liés à ce projet d’autoroute et, d’autre part la façon dont est conduit un processus de décision dans le cas d’infrastructure de transport. Cette éducation se passe, en premier lieu, au niveau de chaque débat public. Un apprentissage se construit peu à peu à un niveau collectif grâce à l’ensemble des débats publics menés en France.

61Au-delà des informations produites par le maitre d’ouvrage et les experts, l’expression des opinions et enjeux de chacun a été une donnée essentielle de l’éducation du public. A travers des processus intersubjectifs de communication et de réflexion collective, le débat public aurait pu générer une situation d’apprentissage mutuel et ainsi une modification de la perception et de la conceptualisation du contexte social (b) (O’Connor, 2002).

62Cette modification de la perception et de la conceptualisation du contexte social n’a eu lieu que partiellement du fait de trois facteurs qui ont déjà empêché une bonne gestion des conflits des acteurs : la territorialisation très marquée des intérêts de chacun, l’histoire longue de ce projet d’infrastructure et le manque d’échange entre parties prenantes. Le débat public, n’ayant pas été assez tourné vers le public, n’a pas pu offrir une agora d’échange direct entre participants. Ceux-ci ont finalement manqué de découvrir chez les uns et les autres des expériences et des représentations différentes des leurs mais néanmoins pertinentes.

63Ce débat public a-t-il modifié les rapports de force et les conflits traditionnels (c) ? Le conflit traditionnel, au moment de l’inscription du tracé du prolongement de l’autoroute A12 dans le SDAURP en 1965, peut être défini comme une opposition entre ceux qui voulaient la construction d’une voie nouvelle – se sentant en prise avec une situation ignorée et inextricable - et ceux qui refusaient toute construction nouvelle - pour préserver les terres agricoles et naturelles environnantes (et surtout le PNR). Ce conflit traditionnel a évolué au cours des années jusqu’au débat public. Au moment du débat, tous les acteurs acceptaient d’une part que la situation était devenue inacceptable et d’autre part la nécessité de mettre en œuvre des aménagements de grande envergure. Même si cela était devenu un acquis, l’affirmation collective de ce postulat a permis de déplacer le débat. Les habitants des communes traversées par la RN10 se battaient pour que leur situation soit reconnue. Une fois ce fait acquis, il était possible de débattre sur la forme et les moyens de ces aménagements.

64Une autre forme de conflit traditionnel est le rapport de force entre l’État et la Région Île-de-France. Comme cela a été décrit dans les effets substantifs, le conflit entre ces deux institutions n’a pas évolué ni avec le débat public, ni à l’issue de l’association de l’État à l’élaboration du SDRIF. Ces institutions ont cependant dû mettre au grand jour leur désaccord profond face à ce projet.

65Concernant la position du maître d’ouvrage, le cadre transparent et médiatisé du débat public l’a obligé à présenter son projet à des institutions et à des tiers experts qui ne l’auraient pas consulté sous d’autres circonstances. La DDE a présenté son projet suite au Conseil Economique et Social de la Région Île-de-France. Diverses institutions (Chambre de commerce et d’industrie de Versailles Val-d’Oise/Yvelines, Chambre Interdépartementale d’Agriculture d’Île-de-France, etc.) - naguère plutôt à la périphérie des processus décisionnels concernant les projets d’infrastructures – se sont impliquées. On peut présumer que de tels actes soient précurseurs d’une évolution des processus de décision et qu’ils inciteront à des démarches semblables dans le futur. L’absence des grandes institutions comme le STIF et SNCF a été regrettée à plusieurs reprises, une plus grande attention ayant été portée à la desserte en transport en commun de la zone par d’autres que les représentants directs de cet intérêt. Au niveau de la société civile, les rapports ont été modifiés le temps du débat, dans la mesure où il a été demandé aux associations de donner leurs avis sur les « problématiques à débattre » et les « modalités d’organisation du débat ». Le débat a aussi donné l’occasion aux particuliers (membres ou non d’associations) de s’exprimer. Il a ainsi permis aux acteurs faibles (membres pas ou peu organisés de la société civile) d’exposer leurs revendications.

66Ce débat public a-t-il amélioré la capacité stratégique des décideurs (d) ? Les expertises complémentaires ont apporté un nouveau regard au débat, en mettant notamment en avant des hypothèses possibles de rupture (concernant les prévisions de trafic, d’évolution de l’activité agricole, de coût des impacts environnementaux, etc.). Ces nouvelles expertises avaient essentiellement comme objectif de recentrer le débat autour d’une question primordiale : le prolongement de l’autoroute A12 est-il nécessaire entre Montigny-le-Bretonneux et Rambouillet ? Même si cette question était posée par le maître d’ouvrage, à travers la famille de tracés « transformation de la RN10 », son importance était étouffée par le fait de ne pas en débattre en amont du débat sur les familles de tracés.

67L’implication du public dans le processus de décision a aussi permis de faire émerger de nouvelles propositions de tracés. Mesurer l’influence de ces interventions et études sur la décision est du domaine de l’effet substantif. Le fait pour le maître d’ouvrage d’écouter puis de prendre en compte les dires d’acteurs est une évolution des modalités du processus de décision et donc un effet contextuel si cela devient un usage pour les décideurs.

68Pour finir, la possibilité donnée aux décideurs de discuter de façon approfondie avec le public et les experts indépendants peut les former tant sur le processus de médiation auquel ils participent que sur la substance des négociations à venir. Ainsi, les débats publics sont en train de former une nouvelle génération de maîtres d’ouvrage plus aptes à anticiper les préoccupations du public et à gérer les conflits entre acteurs.

69Les autres effets contextuels concernent plus directement la démocratie et les citoyens. Ce débat public a pu renforcer l’implication des citoyens dans la vie publique (e) et ainsi les pratiques démocratiques. Pour les citoyens impliqués, dans le cadre associatif mais aussi professionnel, l’organisation d’un débat public va renforcer leur conviction du bien fondé de l’implication des citoyens dans les décisions d’ordre public. La participation des acteurs du territoire au débat public (supérieur à ce qui était escompté) est un indicateur robuste que l’implication des citoyens dans la vie publique était déjà forte (CNDP, 2006). Les raisons en sont certainement la forte tradition associative de la zone mais aussi l’histoire longue de ce projet d’infrastructure Un débat public présente aussi une opportunité pour les citoyens non impliqués de s’intéresser et de participer à un processus de décision sans trop d’efforts (information largement diffusée, lieux de réunion locaux…).. Ce type de débat développe habituellement des compétences civiques (Milner, 2004) et déclenche un processus à cercle vertueux entre l’implication et la compétence civique. . Il faut cependant nuancer le propos dans la mesure où le débat public n’aura un vrai effet contextuel sur l’implication des citoyens que si la décision finale cherche à acquérir une certaine acceptabilité sociale en démontrant que les revendications des citoyens présents ont été prises en compte.

70Un dernier effet contextuel est celui d’une plus grande confiance des citoyens dans les institutions (f). Une plus grande transparence (par la meilleure information et éducation du public ainsi que l’implication des citoyens dans la vie publique) peut être à double tranchant. D’un coté, la quête de transparence dans le processus de décision peut effectivement augmenter la confiance des citoyens envers les institutions. D’un autre coté, elle peut rendre le public plutôt plus sceptique si elle témoigne du caractère désorganisé ou inefficace des procédures de prise de décision. Si la transparence contribue à mettre en lumière des zones politiques toujours opaques, le dévoilement peut entraîner la désillusion (Abram, 2007).

71Dans le cas de l’A12, plusieurs facteurs emmènent à croire que le débat public n’a pas contribué à augmenter la confiance du public dans les institutions. D’abord, l’absence de certains acteurs clés est restée inexpliquée jusqu’à la fin du débat. Le STIF et la SNCF explicitement sollicités par le public car susceptibles de pouvoir apporter des éléments de réponses concrets sur le développement des transports en commun dans le contexte du projet A12, n’ont jamais répondu aux demandes (répétées) de la CPDP. Le public a dû s’interroger sur les raisons de la distance de ces grandes institutions publiques, porteuses de l’intérêt général. Ne prenaient-ils pas au sérieux ce débat public ou y avait-il des raisons politiques pour leur absence ?

72Un autre incident peut être interprété de manière ambiguë. La CPDP a voulu engager un cabinet d’études pour la réalisation d’une expertise. Elle a dû y renoncer au dernier moment, constatant que le cabinet avait déjà travaillé pour le maître d’ouvrage. Cela révèle le problème de la neutralité des experts engagés (CPDP, 2006b). D’un autre côté, ce renoncement peut être vu comme une garantie d’indépendance de la CPDP, donc un acte qui inspire de la confiance.

  • 16 Même si la comparaison peut sembler un peu inattendue, il suffit d’analyser les cérémonies (...)

73Une autre considération au sujet de la confiance dans les institutions concerne le décalage, entre les efforts financiers et humains réalisés par la DDE et le ministère (ayant payé les frais d’un million d’euros) pendant le débat public et l’absence d’acte officiel pour présenter la décision du ministère quatre mois après la clôture du débat. Il est admis que la reconnaissance des institutions par les citoyens n’est pas une chose acquise d’avance. Elle se mérite et se travaille, par exemple, par l’organisation d’événements publics pour faire part de l’activité de l’institution publique. C’est par ces moments de « visibilité » qu’elles mettent en avant la « valeur civique et démocratique » de leur fonctionnement et des décisions qui en découlent16. Même si l’on sait que le processus participatif officiel (et donc l’implication citoyenne) s’arrête à la fin du débat public, le fait que les décideurs n’assument pas  publiquement l’arbitrage jusqu’ici prétendument collectif peut faire penser à tous ceux qui se sont engagés que leur investissement n’a pas véritablement été apprécié.

74Enfin, un facteur donnant à croire que le débat public A12 n’a pas contribué de façon positive à la construction de la confiance dans les institutions, est la démonstration du jeu de force entre hiérarchies politiques contradictoires. L’une démontre une grande volonté d’intervention (l’État représenté par le maître d’ouvrage ayant demandé le débat), invalidée par l’autre (la Région Île-de-France).

75En substance, le débat public a eu des effets plutôt positifs sur le contexte social en atteignant les objectifs qu’il s’était fixé. Toutefois, l’augmentation de la confiance des citoyens dans les institutions reste pour l’instant lettre morte, car tributaire des effets substantifs. Il faut nuancer ces résultats ; les effets contextuels, c’est-à-dire les impacts du débat public sur la société, étant durs à évaluer. Ils peuvent faire l’objet d’une mesure qualitative, mais celle-ci reste difficile à cerner et demande des moyens humains et financiers très importants. Il est difficile de mesurer précisément ces impacts essentiellement indirects, comme la perception et les systèmes de valeurs des parties prenantes, la confiance dans les institutions, l’implication des citoyens dans la vie publique, etc..

Quelles leçons tirer de l’analyse en termes d’effets ?

76Notre exercice s’inscrit dans l’interrogation actuelle de la recherche en sciences sociales sur l’évaluation du débat public (Brugidou et al., 2007). L’institution, même si jeune et toujours expérimentale, amène à se poser des questions pragmatiques : comment justifier les fonds, le temps, et l’énergie alloués à ces exercices ? En guise de méthode pour l’évaluation des processus participatifs, l’analyse en termes d’effets constitue un cadre intéressant qui structure leurs plus importants effets, attendus ou recherchés. Elle introduit aussi la notion de temporalité, particulièrement important dans des processus à composante participative.

77Nous avons cependant observés des problèmes dans son application. Tout d`abord, la situation de référence n’est pas toujours facile à définir, ce qui rend complexe le jugement de l’effet observé. Comme nous ne pouvons pas savoir si ce que ce serait passé sans débat public organisé, le jugement de l’effet reste quelque peu spéculatif.

78Deuxièmement, la présentation succincte des observations a posé problème. Van den Hove n’a pas proposé de valeurs qui rendent compte du degré que les effets ont atteint (convention  de description). Le catalogue initiale d`effets n’était alors pas assez détaillée pour répondre de manière efficace aux demandes qui sont faites de manière régulière aux praticiens de la participation publique: celle de pouvoir comptabiliser leurs effets (Abram, 2007). Sans cette comptabilité on doit toujours se contenter de mener, selon l’expression de Jean-Michel Fourniau, « un débat sur le débat », même s’il est plus structuré.

79Nous avons alors rapporté nos observations sur chacun des effets du débat public A12 de manière systématique et simplifiée dans le tableau ci-dessous. Les conventions de description que nous avons trouvé comme les plus adéquates incluent « effet n`a pas eu lieu », « effet a eu lieu », « effet a eu lieu de manière considérable » et « manque de décision finale ». Cette dernière caractéristique semblait indispensable dans le cas du débat public A12, étant donné qu'en absence de décision finale l'impact du débat public sur la décision ne peut pas être déterminé.

80Tableau 2. Grille d’analyse et bilan des effets du débat public A12. Source : d’après van den Hove, 2001, p. 56

Image3Agrandir

Légende : - effet n’a pas eu lieu, effet a eu lieu,  effet a eu lieu de manière considérable,

? manque de décision finale

Conclusion

81Notre analyse en termes d’effets avait pour objectif de définir la portée du débat public A12 sur le processus décisionnel.En nous plaçant à l’échelle courte de la durée du débat, nous pouvons constater que les moyens mis en œuvre par la CPDP lui ont permis d’atteindre ses objectifs. Le public a été informé sur le projet soumis au débat, sur ses enjeux, ses caractéristiques envisageables et ses impacts. Le débat a, en retour, permis au public d’exprimer ses points de vue, ses craintes et souhaits. Ces nouveaux éléments d’appréciations ont éclairés le maître d’ouvrage. Aussi, malgré certaines restrictions (notamment au sujet de la représentativité du public et de la réactivité des organisateurs et décideurs), le bilan des effets procéduraux est plutôt positif. Quelques effets substantifs et contextuels ont aussi directement découlés du débat, comme l’enrichissement du dossier de projet, l’éducation du public, etc.

82La phase suivante, celle de la transformation du projet en décision publique a été plus délicate. D’autant plus qu’elle est restée opaque pour sa partie la plus importante : son application. En définitive, à qui revient la décision ? D’un côté, il y a eu une décision ministérielle qui s’est référé directement au débat public et son compte rendu. Il retient le principe d’un prolongement de l’A12 par un des tracés proposés et y intègre des appréciations issues du débat. D’un autre côté, la Région Île-de-France continue de rejeter tout projet de prolongement de l’A12. Une véritable évaluation des effets substantifs étant alors impossible sous ces conditions, nous n’avons pu que les noter d’un « ? ».

83Face à des tiraillements institutionnels sur « qui incarne l’intérêt général ?», le débat public semble manquer sa chance de s’afficher avec légitimité. Un récent rapport du gouvernement français, se questionnant lui aussi sur la raison d’être et le potentiel de l’institution CNDP dans l’avenir, rend compte de cette confusion du public qui « ne comprend pas les raisons pour lesquelles il n’est pas associé à la suite de la procédure sur le projet ». Le rapport s’interroge aussi, plus généralement, sur la façon dont peut être assurée « la gouvernance d’après-débat » (Centre d’analyse stratégique, 2007).

84L’impact du débat sur la décision (son effet substantif) reflète alors une carence qui a forcément un écho négatif, à long terme, sur les effets contextuels, et notamment sur la confiance dans les institutions publiques. Quelle crédibilité de la décision ministérielle face à une instance régionale qui n’accepte pas de l’appliquer ? Quelle crédibilité du débat public A12, de l’institution débat public en général ? Dans ce contexte, comment renforcer les pratiques démocratiques et l’implication des citoyens dans la vie publique ? Comment les citoyens peuvent-ils avoir confiance dans leurs institutions ?

85Notre article a essayé d'apporter des éléments de réponse à ces questionnements en proposant une catalogue d`effets qui non seulement recense des critères d'évaluation essentiels pour toute approche participative, mais qui expose les échelles temporelles pertinentes pour un tel exercice afin de rendre possible l'interrogation systématique sur leur interdépendance.

Nous tenons à remercier, en préambule de cet article, les membres de la Commission particulière du débat public (CPDP) sur le projet de prolongement de l’autoroute A12 M. Gilbert Carrère, Mme Elisabeth Pélekhine, M. Francis Beaucire, et M. Pierre-Gérard Merlette, pour nous avoir invité à suivre et à participer à ce débat public. Nous avons ainsi eu l’honneur de présenter nos observations sur la procédure, l’organisation et la tenue du débat public lors des réunions publiques de mi-débat le 9 mai 2006 et de clôture le 16 juin 2006.

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Notes

1  La fameuse stratégie des « villes nouvelles » a conduit, à l’époque, à la création de cinq agglomérations entièrement nouvelles dans la grande couronne parisienne afin de maîtriser la croissance exponentielle de la capitale à partir des années 1960. Ces grands projets d’aménagement, portés par l’État français et toute une génération d’aménageurs, ont souvent été exportés et copiés à l’étranger avec plus ou moins de succès.

2  Le prolongement de l’autoroute A12 a été inscrit au Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région de Paris (SDAURP) en 1965, puis repris dans ces révisions successives (appelées successivement Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Parisienne (SDAURIF) puis Schéma directeur de la Région Île-de-France (SDRIF)).

3  Pour chacun des dossiers ouverts, la CNDP peut confier l'animation du débat public soit directement au maître d'œuvre soit à une commission particulière (CPDP) qu`elle constitue à cet effet. Dans le cas de l`A12, elle a choisi la deuxième option.

4  Selon Smith, qui se concentrait sur la participation en opposition à la simple communication, le terme « contribution » (input) est déterminant pour les formes participatives : permettre au public concerné de s`exprimer sur le sujet qui le concerne.

5  « […] permettre à la population de s’exprimer sur le projet […] » et « […] éclairer le maître d’ouvrage par de nouveaux éléments d’appréciations […]».

6  En détail, ces études comprenaient : 1) une évaluation monétaire des impacts environnementaux des différents tracés (cabinet d’experts indépendants) ; 2) une étude sur le statut des agriculteurs concernés par le projet A12 (Chambre interdépartementale d’agriculture d'Île-de-France) ; 3) une étude estimant, contrairement au maître d’ouvrage, une diminution du trafic (PNR et commune de Montigny-le-Bretonneux) ; 4) une contre-expertise des performances économiques et naturelles des quatre tracés, (Chambre de commerce et d’industrie et l’Institut National Géographique).

7  Les quatre tracés alternatifs n’ont été présentés au public que pendant la réunion du 22 mai 2006. Le débat public a pris fin le 16 juin 2006.

8  Nous précisons que « tracé urbain » correspond aux tracés de la famille 1 sur l’emprise de la RN10, qui ne doivent pas être confondus avec ceux de la famille 2, qui sont aussi des tracés en zone très urbanisée mais en dehors de l’emprise de la RN10.

9  Ainsi, dans son dossier de débat, le maître d’ouvrage parlait de 4 « familles de tracés » dont la famille 2 consistait en deux scénarios appelés 2A et 2A’, la famille 3 en deux scénarios appelés 2D et 2C’ et la famille 4 en un scénario dit 3C. Dans leur communiqué de presse, la commission parlait alors simplement du « tracé C »…

10  Il serait intéressant de quantifier les temps de parole de différents participants (membres de la commission, représentants du maître d’ouvrage, experts invités et grand public).

11  Nous voyons alors en quels termes le « résultat » se définit : la CPDP rend compte de ses appréciations générales sur le débat, mais ne se prononce pas explicitement pour ou contre une proposition de tracé concrète. Ceci est un choix qui n’est pas partagé par l’équivalent québécois de la CNDP, la BAPE (Bureau d’Audiences Publiques sur l’Environnement) qui existe depuis 1978 et qui a inspiré la création de la CNDP en France. Lors de la réunion de clôture du débat public A12, le Président d’antan de la BAPE, William Cosgrove, pointe sur cette différence essentielle « […] au BAPE, les Commissions  sont obligées de donner un avis […] ». (CPDP, 2006c)

12 Comme la famille de tracé n°3 contient deux variantes, il est dommage que ce soit justement la variante non retenue (avec des différences techniques et géographiques) qui ait fait l’objet de l’évaluation. Par conséquent, on ne peut que supposer que la variante finalement retenue montre des caractéristiques sinon égales au moins semblables à celles de la variante de la même famille de tracé.

13 Cette méthode se situe dans le courant de la soutenabilité faible, qui reconnait le principe de substituabilité des quatre capitaux et permet donc la compensation entre capital naturel et capital manufacturé (Ekins, 1992).

14 Seule la famille 1 ne nécessite pas un réaménagement supplémentaire de la RN10.

15 Le SDRIF est un document d’urbanisme prescriptif, c’est-à-dire que les documents d’urbanisme locaux doivent être compatibles avec les dispositions et respecter les orientations du SDRIF afin de ne pas compromettre la réalisation de ses objectifs. Le SDRIF doit néanmoins respecter les servitudes d’utilité publique affectant l’utilisation des sols et les dispositions nécessaires à la mise en œuvre de projets d’intérêt général relevant de l’État et d’opérations d’intérêt national. C'est-à-dire que « la Région ne peut remettre en cause […] la mise en œuvre par l'État des compétences qui lui ont été attribuées par la loi», comme c’est le cas du réseau routier national (Commission d’enquête sur le projet du SDRIF, 2008).

16 Même si la comparaison peut sembler un peu inattendue, il suffit d’analyser les cérémonies d’envergure pour l’investiture présidentielle aux États-Unis pour comprendre ce qu’un évènement social est capable d’exprimer : un hommage des institutions à ses citoyens non seulement pour les remercier d’avoir élu le gagnant, mais surtout pour célébrer la démocratie et les remercier pour leur implication et leur intérêt dans l’avenir de la collectivité.

Pour citer cet article

Référence électronique

Victoria Reichel, Charlotte Da Cunha et Martin O’Connor, « Le débat public sur l’autoroute A12 (France) en termes d’effets : une analyse en trois temps », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement, Volume 9 numéro 2 | septembre 2009, [En ligne], mis en ligne le 29 septembre 2009. URL : http://vertigo.revues.org/index8798.html. Consulté le 10 novembre 2009.

Auteurs

Victoria Reichel

Chargée de mission “Gouvernance participative et développement durable”, Centre d’Economie et d’Ethique pour l’Environnement et le Développement (C3ED, UMR 063, IRD-UVSQ), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, 47, boulevard Vauban, 78047, Guyancourt Cedex, France, Courriel : victoria.reichel@c3ed.uvsq.fr  

Charlotte Da Cunha

Doctorante en Sciences Economiques (C3ED, UMR 063, IRD-UVSQ), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, 47, boulevard Vauban, 78047, Guyancourt Cedex, France. Courriel:
charlotte.da-cunha@c3ed.uvsq.fr

Martin O’Connor

Professeur en sciences économiques à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, 47, boulevard Vauban, 78047, Guyancourt Cedex, France. Courriel: Martin.O-Connor@c3ed.uvsq.fr

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