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Section courante

La problématique éthique du développement de l’aquaculture industrielle au Canada : analyse mésologique d’un nouveau rapport possible à l’océan

Louis-Étienne Pigeon and Lyne Létourneau

Abstracts

Aquaculture development in Canada is a recent and important phenomenon. As an economic activity, aquaculture has the potential to compensate for the rapid loss of marine resources that have made the country’s reputation for centuries. But the development of aquaculture farms and the possibility to introduce new biotechnological techniques and products – such as the transgenic salmon – has provoked social opposition from various organizations and interest groups directed towards the investors and promoters of this new industry. This article aims at analyzing, from an ethical perspective, the possibilities of aquaculture in this context. The method involved is inspired from a « mesology », meaning that it focuses primarily on the human beings’ relation to nature. We argue that the development of aquaculture in Canada could be a beneficial strategy because it creates new places of contact between men and nature through a relation of domestication. Nevertheless, the introduction of high-tech methods such as transgenic manipulations can reduce the quality and the diversity of these relations because they are essentially modern techniques.

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Introduction

  • 1 Traduction de l’auteur.
  • 2 Les éléments « non sentants » sont les choses (plantes, certains animaux, choses non biotiques, etc (...)

1Le développement des techniques d’aquaculture au Canada est un phénomène qui a récemment pris une importance considérable. Au plan économique, ces techniques de production peuvent potentiellement combler un vide laissé par la baisse des stocks naturels de poissons qui faisaient la réputation du pays. Mais au plan social, l’apparition des fermes de production aquacole et la possibilité de mettre en œuvre des technologies de transgénèse pour en augmenter la productivité ont provoqué des conflits importants entre les promoteurs et d’autres groupes d’intérêts. À juste titre, on peut même affirmer qu’« au courant des dernières décennies, ce conflit s’est envenimé au point de devenir l’une des confrontations concernant le développement industriel les plus acerbes et fermées jamais observées au Canada »1 (Young et Matthews, 2010, p. 3). Au sein de cette lutte, on retrouve d’un côté les promoteurs industriels de l’aquaculture et certains pouvoirs publics, et de l’autre, les groupes environnementaux, certaines nations autochtones ainsi que des groupes de citoyens de toutes sortes. Le débat est conséquemment truffé d’arguments parfois incommensurables : on oppose la valeur intrinsèque du saumon sauvage à la valeur marchande du saumon d’élevage, on réanime des conflits territoriaux entre les autochtones et les promoteurs, on calcule selon toutes les méthodes disponibles les retombées économiques potentielles et les risques incertains, etc. Or, si les analyses d’éthique appliquée de type utilitariste ou objectiviste ayant été produites sur le thème des saumons transgéniques et de l’aquaculture en général sont parfois considérées insuffisantes par certains auteurs (Grigorakis, 2010), c’est que les grilles d’analyse utilisées ne sont pas en mesure de saisir l’enjeu dans sa pleine complexité et ne permettent donc pas de penser un terrain commun qui puisse rendre compréhensible ces oppositions. En effet, les théories utilitaristes qui se soucient de calculer les avantages et les bénéfices pour les sujets moraux n’arrivent pas à proposer un cadre de réflexion éthique assez large pour analyser des phénomènes relationnels complexes dans leur dimension holistique, surtout si ces phénomènes incluent des éléments non sentants2. Sur le plan de la prédictibilité, les analyses trop objectivistes telles que les analyses de risques et les plans uniquement utilitaristes occultent les valeurs et les principes qui fondent les arguments éthiques (Létourneau, 2012). Notre objectif est de montrer qu’une théorie éthique fondée sur les principes de la mésologie (l’étude des milieux humains) peut offrir un lieu commun à ces oppositions et aussi aider à laisser émerger un sens à ce débat.

  • 3 Les travaux de Berque sont eux-mêmes largement inspirés de la philosophie de Tetsuro Watsuji (1889- (...)

2Cet article vise à faire une analyse éthique des possibilités qu’offre l’aquaculture au Canada dans le contexte actuel, en considérant plus spécifiquement la possibilité d’introduire le saumon transgénique au sein de ce système. La méthode d’analyse s’inspire d’une approche mésologique, c’est-à-dire que le centre d’intérêt est le milieu, conçu comme le fruit des relations entre l’être humain et la nature. Cette approche est inspirée des récents travaux du géographe Augustin Berque sur la possibilité de fonder une éthique des milieux humains (Berque, 1996)3, ainsi que sur des recherches plus générales en éthique de l’environnement, notamment chez Naess (1989), Callicot (1999), Parizeau (2011) et Larrère et Larrère (1997). Cette conception particulière de l’éthique de l’environnement permet d’aborder les problématiques environnementales d’un point de vue qui ne nie pas une forme d’anthropocentrisme au profit d’une éthique qui ne se soucierait que du bien-être abstrait d’une nature sauvage tout aussi abstraite.

  • 4 La notion de médiance sera définie plus précisément dans la deuxième section de cet article.

3Il sera donc question de saisir l’enjeu éthique de ces nouvelles technologies en fonction des relations qu’elles laissent émerger ou qu’elles occultent. On parlera ainsi de la ferme d’aquaculture comme d’un ensemble de relations : relations techniques, relations axiologiques, relations économiques, relations esthétiques, relations politiques, relations symboliques et relations éthiques, des relations qui apparaissent sous la forme de la médiance4. Nous soutenons que le développement des fermes d’aquaculture au Canada peut être une stratégie bénéfique parce que celui-ci crée des lieux de rencontre entre l’être humain et la nature à travers une relation de domestication qui peut être riche au sens mésologique et qui peut même permettre de trouver des terrains d’entente entre certains partis farouchement opposés. Toutefois, la mise en œuvre de techniques de pointe telle que la transgénèse menace de réduire la qualité des relations instituées parce que ces techniques sont essentiellement des techniques modernes de « pro-vocation » de la nature (Heidegger, 2004). Mais aussi, ces techniques sont enchâssées dans un système socio-économique qui tend à généraliser les injustices et ainsi menace la qualité des relations économiques, culturelles et politiques qui forment le tissu social proprement humain au sein du milieu humain.

4Cet article est divisé en deux parties distinctes. Dans un premier temps, nous présenterons un portrait de la situation de l’aquaculture au Canada. Ce domaine est en pleine expansion et un portrait socio-économique permet de comprendre toute l’importance de cette filière aux plans économique, social et éthique. De plus, nous présenterons les aspects centraux de la controverse éthique que suscite le développement de cette filière industrielle en mettant l’accent sur les thématiques propres à l’éthique de l’environnement, un champ philosophique qui se concentre trop largement sur un idéal de protection de la nature sauvage. La deuxième partie de cet article présente une analyse mésologique du cas étudié. À travers une phénoménologie de la ferme d’aquaculture, nous pourrons ainsi constater que le véritable critère éthique qui devrait être mobilisé pour orienter le développement de la filière aquacole est la diversité des relations. Une telle approche permet de penser une éthique environnementale anthropocentrée, qui toutefois implique un respect du monde naturel. Nous conclurons par une ouverture sur des pistes de solutions possibles, inspirées de cette déduction.

L’aquaculture au Canada, une source d’espoir et de controverse

5Le développement de l’aquaculture au Canada participe d’un phénomène mondial. Cette section vise, d’une part, à présenter les données socio-économiques pertinentes à la compréhension de la problématique étudiée; et d’autre part, à analyser le débat éthique que suscite le développement de cette filière, plus particulièrement au Canada. Au terme de ce développement, nous verrons que le débat éthique met en scène des positions souvent irréconciliables, parce que les arguments énoncés reposent sur des visions différentes de l’objet de considération morale en jeu.

L’émergence de l’aquaculture : les fermes de l’avenir

  • 5 Ces chiffres proviennent des statistiques compilées par l’Organisation des Nations Unies pour l’ali (...)

6L’aquaculture est sans contredit un domaine d’activité économique en pleine expansion depuis le milieu du XXe siècle. En effet, la domestication de nombreuses espèces marines a effectivement permis le développement de techniques de production aquacole. Ces espèces sont désormais intégrées aux cycles de la consommation alimentaire humaine et ainsi produites suivant une logique analogue à celle de la production agricole terrestre. Ce développement des techniques d’aquaculture n’est pas sans lien avec une prise de conscience mondiale de la baisse substantielle des stocks de poissons naturellement présents dans les océans de la planète. À ce sujet, les chiffres compilés à l’échelle planétaire sont particulièrement éclairants. En 2009, la production de poissons et de crustacés à l’échelle mondiale atteignait 144,6 millions de tonnes, dont 90 millions de tonnes étaient issues de la capture, une quantité s’étant maintenue depuis 2001. En contrepartie, la production d’aquaculture en 2009 représentait environ 55,7 millions de tonnes alors qu’elle était de 34, 6 millions de tonnes en 2001, soit une hausse moyenne d’environ 6 % par année. De plus, les poissons provenant de l’aquaculture représentent désormais 46 % de l’offre destinée à la consommation humaine5. À ce sujet il faut néanmoins préciser que la majorité de la production aquacole mondiale est toujours produite en eau douce, soit 59,9 % du volume de production, un marché dominé par les pays asiatiques. En 2009, la production aquacole marine représentait 32,3 % du volume de production, mais son importance tend à croître de manière significative en raison du développement rapide de cette industrie dans les pays occidentaux. Tel que ces chiffres le démontrent, l’humanité tend vers une forme de domestication croissante du milieu aquatique en remplaçant peu à peu la capture des poissons et des crustacés par un élevage de ceux-ci. Tout comme nous avons domestiqué bon nombre de plantes et d’animaux terrestres pour nous nourrir, nous nous tournons désormais vers les océans et les formes de vie qu’ils abritent pour subvenir à nos besoins.

  • 6 Idem

7Ce changement dans les pratiques de production, soit un passage graduel de la capture à même les océans à la production en aquaculture, est résolument un phénomène qui touche autant les pays du Nord que du Sud, que ceux-ci soient déjà industrialisés ou non. Par exemple, la Chine, un pays où l’on pratique l’aquaculture depuis plus de deux mille ans, est toujours le plus grand producteur de poissons, et ce, autant par la pêche que par l’aquaculture. La Chine est suivie par le Pérou, dont les captures servent largement à la production de farine de poisson utilisée dans l’industrie aquacole, et l’Indonésie, où la capture en mer demeure dans ce pays une source importante de production. On remarque toutefois que le développement de l’aquaculture a permis à certains pays comme la Norvège, le Chili, la Thaïlande, le Vietnam et le Bangladesh de se tailler une place importante sur les marchés mondiaux. Le secteur de l’aquaculture a notamment permis à la Norvège (dont la population n’excède pas les cinq millions d’habitants) de devenir l’un des plus grands exportateurs de poissons au monde avec une production aquacole de 962 000 tonnes en 2009, largement dominée par l’élevage du saumon de l’Atlantique. Au Bangladesh, la filière du poisson d’élevage a été développée avec beaucoup de succès pour subvenir à une demande interne grandissante. La production aquacole au Bangladesh s’élève à 1,1 million de tonnes, toujours en 20096.

8Sur la base de ces considérations, nous pouvons présumer que le secteur aquacole continuera sa croissance et que la production contrôlée de poissons et de crustacés est désormais un fait que l’on doit observer et considérer à titre d’une réalité humaine et environnementale. Les fermes aquacoles font désormais partie intégrante des stratégies alimentaires sur la planète. En effet, l’aquaculture, parce qu’elle participe aujourd’hui de la relation de l’être humain à la biosphère, et ce, de manière toujours plus importante, implique dans sa pratique un certain nombre de transformations de cette même biosphère. Nous devons, par exemple, modifier des espaces pour y installer les fermes de poissons, trouver ou cultiver des sources de nourriture pour ces mêmes élevages, etc. De même, elle implique nécessairement des transformations dans les pratiques humaines qui lui permettent d’émerger comme activité économique, mais aussi technique et culturelle. Nous devons apprendre à élever les poissons et en ce sens nous devons apprendre à les incorporer à nos pratiques de production et d’élevage déjà existantes. C’est en ce sens et en accord avec la philosophie de Arne Naess que l’on peut d’emblée reconnaître que si l’émergence de l’aquaculture est un phénomène en apparence technique, on ne peut pas considérer ce même phénomène comme « purement technique » (Naess, 1989, p. 94) parce qu’il participe tout autant des changements culturels qui l’accompagne et lui donne sens.

9Plus qu’une simple modification dans la logique technique ou économique de la production, le développement de l’aquaculture à l’échelle mondiale apparaît comme un nouveau phénomène planétaire d’incorporation du milieu aquatique au sein du milieu humain, car l’incorporation de l’élément océanique ou marin en général au milieu humain sous-entend que nous transformons littéralement le milieu aquatique en fonction de nos besoins et usages. Nous nous engageons à habiter l’océan et les eaux de la planète.

10C’est dans le contexte de ces transformations complexes que se présente une nouvelle voie pour l’aquaculture, celle de la transformation des poissons eux-mêmes par les biotechnologies, et plus précisément, celle d’une transformation génétique de certaines espèces dans le but de les adapter au contexte de la production en aquaculture. Plus précisément, nous entendons ici l’introduction du saumon AquaAdvantage™, développé par la firme AquaBounty Technologies. Ce saumon de l’Atlantique a été modifié génétiquement par l’ajout d’un gène provenant du saumon Chinook, ce qui lui permet d’atteindre deux fois plus rapidement la taille d’un saumon mature et commercialisable. Malgré certains avantages évidents, cette perspective soulève de nombreux enjeux éthiques, dont certains relèvent directement de la nature des biotechnologies elles-mêmes, mais aussi de manière plus générale de la pratique de l’aquaculture comme activité industrielle.

  • 7 De nombreux témoignages historiques des explorateurs européens témoignent de cette abondance désorm (...)
  • 8 Pêche et océans Canada, statistiques disponibles au: http://www.dfo-mpo.gc.ca/index-fra.htm
  • 9 Idem

11Au Canada, le développement de la filière aquacole suit la tendance mondiale. En effet, on y développe cette industrie avec beaucoup de dynamisme. Cette orientation économique s’inscrit en continuité d’une histoire nationale au sein de laquelle la pêche et la collecte des ressources marines jouent un rôle important. L’histoire du Canada depuis la Conquête européenne ne pourrait pas être racontée sans faire référence aux activités de la pêche. Nous avons tous appris à l’école comment les Basques, les Bretons, les Français et les Anglais, etc. venaient s’approvisionner en morue au large des côtes de l’Atlantique. Véritable ressource miracle à cette époque, l’abondance du poisson deviendra un symbole structurant pour les populations immigrantes7 et restera une activité économique et culturelle importante tout au long de l’histoire canadienne. En 2010, la quantité totale des prises en mer s’élevait à 899 100 tonnes pour une valeur marchande de 1 614 934 000 $ CAN, ce qui classe le Canada parmi les vingt plus grands producteurs de poissons à l’échelle mondiale8. Quant à l’aquaculture, celle-ci est un domaine économique en pleine expansion qui a généré plus de deux milliards de dollars en recettes en 2009. Le Canada est d’ailleurs le quatrième producteur mondial de saumon d’élevage, qui est le produit le plus important du secteur aquacole canadien et qui représente plus de 70 % de la production totale de ce secteur économique9. Il va sans dire que cette filière est prometteuse et qu’elle laisse entrevoir un horizon vaste et important de possibilités. Notamment, l’utilisation du saumon AquaAdvantage™ par l’industrie aquacole canadienne permettrait d’augmenter substantiellement la production.

12Dans le contexte d’une économie mondialisée et compétitive, le développement des technologies aquacoles a l’avantage de placer le pays producteur qui adopte rapidement ces technologies en position de force. Le développement des techniques de production, y compris le développement des technologies de transgénèse, assure la disponibilité sur les marchés de sources de protéines convoitées tout comme il assure une compensation à la diminution des stocks de poissons dans les océans de la planète.

La controverse

13Le développement de la filière aquacole au Canada suscite de nombreuses controverses et débats éthiques qui ont été très bien documentés dans la littérature éthique et sociologique (Létourneau, 2012; Young et Matthews, 2010; Schreiber et al., 2003). Ces controverses démontrent que le présent désaccord quant au développement de l’aquaculture au Canada ne relève pas uniquement de l’interprétation des données scientifiques, mais de positions éthiques divergentes. Certaines de ces oppositions relèvent de visions du monde incommensurables; d’autres sont ancrées dans des considérations socio-économiques précises. Nonobstant cette diversité de points de vue, qui sera visitée ci-dessous, il est possible d’identifier un dénominateur commun au sein du débat qui permettra de faire une lecture différente de ces controverses. En effet, ce qui est en jeu avant tout, au plan de l’éthique, c’est le type de relation entre l’être humain et la nature que souhaitent promouvoir les intervenants dans le débat. En d’autres mots, comment voulons-nous intégrer des éléments du milieu océanique dans nos milieux humains et comment peut-on prévoir les risques particuliers à ces changements au sein de nos propres milieux. Cette perspective permet de poser l’hypothèse que le grand défi éthique que soulève le débat entourant l’aquaculture est celui de la considération éthique de la technique moderne et de sa mobilisation comme source de transformation des milieux humains. Ce thème sera exploré dans la deuxième partie de l’article.

Développement de l’aquaculture et visions du monde

14En ce qui a trait aux populations autochtones et à leur relation historique à la ressource halieutique, il faut dire que la pêche et les ressources de la mer auront toujours constitué un objet de considération morale et juridique, tant pour les Mikma de la côte Est (Barsh, 2002) que pour les nations de la côte du Pacifique pour qui le saumon, par exemple, participe directement de l’identité culturelle (sinon ontologique!) de certaines populations (Schreiber, 2003). En effet, pour plusieurs autochtones de la côte du Pacifique, dont les nations Ahousat et Nuxalk, la pêche au saumon ne représente pas uniquement une pratique économique opératoire, mais bien une activité hautement structurante qui participe de l’identité culturelle.

15De ce fait, on dénoncera par moment la mise en œuvre de l’aquaculture comme une pratique coloniale dont les conséquences sont interprétées en termes génocidaires par les Premières nations de la côte du Pacifique (Schreiber, 2003, p. 86). Ce point de vue en apparence choquant questionne néanmoins directement la manière dont les Occidentaux se représentent leur relation éthique au reste du vivant et à l’environnement. À savoir, doit-on penser la relation entre la communauté humaine et son environnement selon des principes utilitaristes construits sur une séparation ontologique de la communauté humaine et de son environnement, ou alors, comme le pensent certains autochtones, comme une continuité qui impose un respect analogue au devoir moral, tel que nous nous l’imposons entre nous, les humains? Pensée de cette manière non dualiste, même la technique pré-moderne qui est à la base de l’aquaculture, soit l’action de mettre en cage les saumons pour en tirer un profit toujours plus élevé et en contrôler la reproduction, s’apparente à la mise sous tutelle politique des peuples autochtones par le biais du système des réserves. Pour la Nation Ahousat, entre autres, cette lecture politique de la pratique de l’aquaculture déborde du champ de l’analogie pour décrire, de leur point de vue, une atteinte réelle aux droits des membres de leur communauté vivante.

16Cette problématique particulière qui relève du contexte canadien démontre à quel point certaines positions éthiques sont incommensurables. En effet, chez les industriels de l’aquaculture, dont l’argumentation se décline en termes économiques et scientifiques, le saumon d’élevage comme tous les animaux d’élevage et de laboratoire est d’abord un « produit » économique ou un « artefact » (De Montera, 2007; Schreiber, 2003). La présence de ce saumon émerge uniquement en termes quantitatifs (Lien et Law, 2012). En effet, on constate sa présence en termes de biomasse, de poids et de quantité. On considérera donc le saumon et son traitement dans les termes de l’éthique utilitariste anthropocentrée, c’est-à-dire que les critères d’évaluation éthiques sont d'abord considérés du point de vue de l’être humain : le saumon d’élevage doit d’abord être utile pour nous, les humains. Pour les industriels, on parlera du rendement de la croissance et de la production économiques, toujours en référence aux besoins de l’homme.

17Ceci étant dit, il n’en reste pas moins que l’éthique utilitariste est capable de prendre en compte les besoins du saumon dans une certaine mesure. Les travaux du philosophe australien Peter Singer témoignent de cette possibilité. Singer propose en effet d’accorder une égale considération morale aux intérêts similaires de tous les êtres vivants ayant la capacité de ressentir la douleur (Singer, 1997). Il en résulte une obligation minimale de se soucier de leur bien-être. Sur le plan de la pratique aquacole industrielle, cette voie pourrait toutefois s’avérer impraticable si le bien-être des saumons d’élevage ne peut être garanti.

18Au contraire chez les Ahousat, le saumon possède une existence empreinte de sensibilité et sa présence, au sens qualitatif, porte une double valeur symbolique et économique parce que le saumon est inclus dans la communauté culturelle, tout autant qu’il appartient à la communauté morale. Le saumon n’est pas uniquement une quantité de protéines, mais aussi un symbole, une présence esthétique et culturelle. Dans les termes plus classiques de l’éthique environnementale, on pourrait associer une telle position à une forme d’écocentrisme parce que la valeur morale du saumon ne dépend pas directement de son utilité pour la communauté humaine, mais bien de son inclusion dans un ensemble relationnel plus large. De même, on ne considèrera pas uniquement le bien-être du saumon en soi, mais on se penchera plutôt du côté d’une vision holistique du problème, une vision qui ne sépare pas les besoins des saumons de ceux de l’être humain. Le saumon et l’humain sont considérés comme faisant partie d’une seule et même communauté morale qu’on peut qualifier de « communauté biotique » (Leopold, 2000, p. 259) et qui possède une valeur intrinsèque. Chez certains auteurs comme Naess (1989, p. 55), plutôt que de parler de communauté biotique, on parlera d’une « toile relationnelle » (relational field) afin de décrire ce monde d’interrelations physiques, mais aussi morales, que constitue la réalité perçue. Dans le cas des éthiques écocentrées, cette réalité se synthétise sous l’aspect des écosystèmes dans lesquels nous évoluons.

  • 10 Cité dans Young et Matthews 2010, p. 61. Traduction de l’auteur.

19Chez plusieurs communautés autochtones du Pacifique, le bien-être de la communauté humaine est lié au bien-être du saumon sauvage local et vice-versa. De même, la notion de bien-être est largement comprise en termes écosystémiques, donc relationnels, comme le confirme un discours prononcé par Peter Siwallace, Chef héréditaire de la Nation Nuxalk en Colombie-Britannique : « Nous avons toute la technologie disponible pour détruire ce qui nous maintient ici. Nous, en tant qu’êtres humains, en tant que Premières Nations, dépendons du saumon. Nous ne sommes pas les seuls à en dépendre. Tous les animaux de la forêt, les arbres, les oiseaux, les ours, tout cela dépend du saumon. Lorsque le saumon disparaîtra, où irons-nous? »10. Ainsi, porter atteinte à l’intégrité de l’une des composantes de la communauté biotique, même si l'on tente de compenser les effets par des attentions médicales, porte atteinte à l’intégrité de toute la communauté parce que c’est la communauté vivante qui est l’objet de la morale. Plus concrètement, même si les producteurs de saumon cherchent à prévenir les maladies dans leurs élevages pour éviter aux saumons certaines souffrances, il n’en reste pas moins que leur confinement porte atteinte à une certaine logique écosystémique qui dépasse les frontières de la ferme aquacole elle-même.

  • 11 À titre d’exemple, voir les documents publiés par la Coastal Alliance for Aquaculture Reform, 2006 (...)

20Cette vision du monde tranche avec la vision généralement admise dans la pensée moderne, selon laquelle le monde humain est radicalement séparé du monde de la nature en fonction d’un « grand partage » des domaines ontologiques (Descola, 2005). Cette manière de voir est particulièrement influente au plan de l’éthique parce qu’à travers elle se dessinent aussi les limites de la communauté morale, laquelle est coextensive au domaine de l’être humain et de la culture. Il en découle que, pour les tenants d’une vision écocentrée de l’éthique, toute action de transformation technique de la toile relationnelle du monde, que cette transformation soit tributaire de la technique moderne ou de la technique au sens classique du terme, doit se faire avec une prudence éclairée. Cette position explique aussi dans une large mesure les considérations écologiques de plusieurs groupes environnementaux pour qui les principes de protection du saumon sauvage, ou des espaces dits naturels, sont mobilisés comme arguments contre le développement de l’aquaculture industrielle11.

21Historiquement, l’abondance des stocks de poissons dans les eaux canadiennes a largement contribué à préserver la société de ce type de conflits moraux, les différentes populations ayant eu accès à cette ressource en apparence inépuisable sur un territoire immense et peu exploité. Cependant, la surpêche menaçant les stocks dans les deux océans qui entourent le Canada et l’introduction de l’aquaculture d’élevage industriel viendront bouleverser cette trajectoire historique pour introduire au sein des relations sociales des conflits liés directement aux changements des pratiques socioculturelles et socio-économiques concernant la pêche et l’exploitation des océans. Les visions du monde se confrontent et nous devons désormais trouver des terrains d’entente. Dans ce cas précis, l’opposition entre les arguments utilitaristes des industriels et les arguments écocentrés des nations autochtones révèlent une incommensurabilité nette.

Progrès techniques et évaluation des risques

22Si l’opposition entre les représentants de l’industrie et certains peuples autochtones peut être décrite en fonction de visions du monde diamétralement opposées parce qu’elles sont issues de systèmes de référence éthiques à la base incompatibles, certaines oppositions mettent en scène des acteurs provenant de la culture moderne qui offrent des interprétations différentes du rôle de l’être humain et de son action dans le monde et sur la nature. Sont ainsi mobilisés dans le débat des arguments éthiques qui se rapportent à l’évaluation des risques. Ces arguments ne remettent pas en question la place privilégiée qu’occupe l’être humain dans la nature, mais visent plutôt à en baliser l’action en laissant apparaître les risques que ces actions de transformation peuvent impliquer, notamment au plan environnemental et concernant la santé humaine. Au sein de cette position éthique, le rôle de l’être humain et son degré de liberté quant à son action dans le monde peut faire l’objet d’oppositions importantes. Le débat entourant l’utilisation des technologies de transgénèse en aquaculture ou dans d’autres secteurs de la production alimentaire en est un exemple presque paradigmatique.

  • 12 Le principe de précaution est une notion qui se réfère, philosophiquement, aux travaux de Hans Jona (...)

23Lorsqu’il s’agit d’appuyer ou non la mise en œuvre des technologies de la transgénèse, les positions sont parfois fortement opposées. L’une des sources de désaccord sur ce thème renvoie directement au rôle de l’être humain dans le monde et à sa responsabilité face à la nature. Autrement dit, on questionne jusqu’où l’être humain peut se permettre de prendre des risques et en fonction de quels savoirs il peut en évaluer les conséquences. Par exemple, dans un fascicule d’information, la United Church of Canada, qui ne condamne pas nécessairement les avancées scientifiques et l’utilisation de la technique en général, déclare néanmoins à propos des manipulations génétiques sur les plantes et les animaux que « la manipulation qui est opérée sans une pleine connaissance du caractère relationnel de la réalité matérielle que nous manipulons, qui ignore notre rôle de co-créateur avec Dieu, a plus de chance de produire précisément ces résultats négatifs inattendus, ces « effets de vengeance », qui ont continuellement rendu les bénéfices des avancées technologiques si ambigus » (United Church of Canada, 2000, p. 50). Ici le rôle de co-créateur de l’être humain est au centre d’une éthique de la responsabilité qui commande une prudence que pourrait seule exprimer la prise en compte d’un principe de précaution12. Sur le plan du discours, on évoque en termes plus théologiques que scientifiques les dangers reliés à l’incertitude qui caractérise les effets de nos interventions techniques dans la nature.

  • 13 Ces propos sont ceux de Ken Brooks, consultant indépendant (biologiste) pour l’industrie du saumon (...)

24Inversement, les promoteurs de l’aquaculture et de la manipulation génétique des animaux mobiliseront souvent l’argument de la coévolution de la vie et de la technique pour justifier moralement la mise en œuvre de ces techniques de production intensives. Ainsi minimise-t-on la portée des risques potentiels en associant les conséquences de l’action humaine dans la nature à des répercussions normales. Cette notion de coévolution pose le développement de la technique comme un phénomène relevant de l’évolution naturelle. L’être humain transforme le monde et la nature par l’utilisation de la technique et cela s’inscrit dans l’ordre naturel des choses. Conséquemment, les risques qui y sont associés pourront faire l’objet d’une gestion, mais en évoquer l’existence pour les dénoncer ne relève plus de la même vision éthique. Dans cette perspective, la technique moderne est en continuité de la technique traditionnelle. Pour certains acteurs du débat sur l’aquaculture au Canada, il s’agit d’un processus d’évolution qui ne peut pas être arrêté : « Nous passons de la chasse au bison à un mode d’approvisionnement basé sur la culture intensive… Si vous faites obstruction et pensez que vous pourrez stopper l’industrie, vous allez vous faire renverser parce qu’il s’agit d’un processus d’évolution; nous allons, tous, produire de plus en plus de produits marins dans des systèmes intensifs »13. Ici le paradigme de la naturalisation de la technique est on ne peut plus évident : l’évolution des modes de production qui est tributaire des techniques d’élevage est du même ordre que l’évolution naturelle. Tout aussi naturellement, les conséquences de cette évolution doivent être acceptées. On voit ici que l’argument repose sur un sophisme naturaliste qui associe, sans trop de subtilité, progrès technique et évolution naturelle.

  • 14 La fiche technique du saumon AquaAdvantageâ„¢ est disponible en ligne au : http://www.aquabounty.com/ (...)

25De manière générale, les promoteurs des technologies de l’aquaculture peuvent être qualifiés de techno-optimistes, alors que les opposants seraient en général techno-pessimistes ou du moins techno-sceptiques. Dans le cas des promoteurs, comme la firme AquaBounty Technologies, les arguments soutenant que la mise en œuvre des technologies de transgénèse est bénéfique sont articulés pour démontrer les avantages que procure une production accrue de poissons rendue possible grâce à la technologie. On dira ainsi que cette production permettra de diminuer la pression exercée sur les stocks de poissons sauvages, que la croissance rapide du saumon AquaAdvantage™ permet une maximisation du capital et que la technique permet de prévenir les croisements entre les poissons de l’industrie et les poissons sauvages14. Autrement dit, malgré qu’il existe tout un débat à propos des risques potentiels ou avérés découlant de la mise en œuvre de ce type de biotechnologie, les industriels discutent beaucoup plus des avantages de ces technologies que des risques qui y sont associés.

  • 15 Information tirée du site de la Fondation David Suzuki disponible au : http://www.davidsuzuki.org/f (...)

26Cette position ne fait pas l’unanimité, même parmi la communauté scientifique où le scepticisme face au développement et à la mise en œuvre de ce type de technologie est important. Tous les scientifiques ne s’entendent pas sur les risques considérés importants ou alors sur la bonne manière de les prévenir. Par exemple, chez les militants de la Fondation David Suzuki, même si l'on ne condamne pas le développement de l’aquaculture, l’incertitude scientifique reliée aux effets potentiels de la consommation d’aliments transgéniques par l’homme et les conséquences environnementales de ces pratiques demandent qu’on fasse preuve de prudence15. Face à ces problèmes, on suggère plutôt d’améliorer les techniques d’élevage actuelles pour minimiser les risques et ainsi profiter des avantages déjà avérés. On tente, en conséquence, de faire la promotion d’une technique responsable et prudente, en opposition à une mise en œuvre rapide des technologies de production guidée par des impératifs commerciaux qui ne sont pas en phase avec les processus d’évaluation des risques.

27Cette forme d’opposition au développement des technologies de la transgénèse ne concerne pas le développement de techniques d’aquaculture à proprement parler, ni même l’utilisation d’une technique proprement moderne. On recommande un développement prudent, soutenu par une science qui se soucie des risques potentiels et qui est ancrée dans une vision de l’homme responsable de ses actes de transformation de la nature, que ceux-ci soient expliqués en termes théologiques ou scientifiques.

Développement économique et justice sociale

28Le débat sur l’aquaculture au Canada est virulent parce qu’il met en opposition non seulement des acteurs qui ne partagent pas la même vision du monde et qui ne s’entendent pas sur le rôle de l’être humain et de son action dans la nature, mais aussi des acteurs qui ne s’entendent pas sur le sujet même de la discussion. Alors que certains acteurs sont en faveur de l’aquaculture, mais contre la transgénèse, d’autres s’opposent littéralement à la domestication de l’océan pour des raisons qui dépassent la rationalité scientifique. De plus, le contexte économique néolibéral de la mondialisation actuelle soulève des enjeux de justice sociale et économique qui effraient de nombreuses personnes au sein de la société canadienne.

29Le contexte socioéconomique dans lequel se développe présentement l’industrie de l’aquaculture est largement tributaire d’une conception néolibérale de l’économie de marché. Dans ce système, une pression importante existe au plan de l’innovation et de la compétitivité, dans une perspective de normativité économique qui prime sur les politiques sociales (Young et Matthews, 2010, p. 33). Autrement dit, les industries doivent développer des moyens toujours plus efficaces de produire des biens de consommation, misant sur une diminution des coûts de production et une augmentation croissante de cette production afin de maximiser la rentabilité de l’activité économique. Ce système économique va de pair avec l’idéologie générale qui caractérise les sociétés industrielles actuelles voulant que l’augmentation de la consommation, donc de la production de biens de consommation, soit un signe de progrès, tant au sens technologique qu’au sens moral (Naess, 1989, p. 25). Or, cette augmentation de la production passe nécessairement par le développement d’outils techniques et de techniques de production toujours plus puissants. Mais si cette chaîne causale entre idéologie et développement technique semble se justifier logiquement par elle-même, la réalité sociale démontre que les acteurs concernés, soit les travailleurs, les citoyens, les consommateurs, les scientifiques et les techniciens, sont parfois dépassés par ses implications réelles.

  • 16 Voir le rapport annuel de la firme, disponible au : http://www.aquabounty.com/documents/financial/A (...)

30Il est notoire que le développement des techniques industrielles avancées est coûteux et que le capital nécessaire à se maintenir dans une telle course économique n’est pas disponible à tous. Par exemple, le budget de la recherche et du développement de la firme AquaBounty Technologies s’élevait, en 2010, à 1 950 380 $ US16. Par ailleurs, les coûts reliés à l’implantation et l’opération d’une ferme d’aquaculture sont aussi importants parce que de telles fermes demandent des équipements spéciaux et un personnel qualifié. Cette réalité économique créée un phénomène de concentration en terme de propriété, c’est-à-dire que la production appartient à un nombre restreint de grands investisseurs. Cette problématique participe au débat sur la mise en œuvre des plantes génétiquement modifiées (OGM) au Canada. Plusieurs groupes de pression et d’experts craignent donc un monopole oligarchique de la production alimentaire biotechnologique qui pourrait être néfaste pour les consommateurs et pour les opérateurs de ces installations (BAM, 2000; CIELAP, 1999). De même, on dénoncera souvent la finalité de ces projets de production industrielle, qui visent, non pas à nourrir plus de gens, mais bien à maximiser les profits pour les actionnaires et les propriétaires des entreprises investissant le capital (ETC Group, 2003, p. 7)

31Ces critiques se retrouvent dans la majorité des débats concernant le rôle de la grande entreprise dans l’économie en transformation du XXIe siècle. En ce qui concerne plus précisément le développement de l’aquaculture au Canada, un aspect du débat socioéconomique mérite une attention spéciale. Contrairement au développement de la culture des OGM, l’aquaculture n’émerge pas d’une pratique d’occupation de l’espace déjà instituée, comme l’agriculture conventionnelle, qui serait ainsi modifiée par de nouvelles technologies et un nouveau système économique. L’aquaculture, en tant que culture qui met en relation l’être humain et l’environnement par le biais de médiations techniques, émerge au départ, sauf pour certaines exceptions, directement dans sa forme industrielle. Il n’y a pas eu de passage d’une forme de technique pré-moderne à une technique moderne. En conséquence, il ne peut pas y avoir de résistance culturelle de la part de groupes d’aquaculteurs voulant préserver des pratiques dites artisanales. Aussi ne peut-il pas y avoir de résistance économique importante basée sur la notion de propriété des fermes aquacoles, comme on peut en retrouver dans le débat sur les OGM et l’agriculture de manière générale.

32Cette particularité propre à l’émergence de l’aquaculture comme pratique socioéconomique est importante, car elle laisse ouverte la voie à un développement autre que par la voie de l’industrialisation massive de cette activité.

L’Aquaculture comme relation éthique au sein du milieu humain

33Les considérations éthiques développées précédemment démontrent qu’il existe un certain nombre d’impasses dans le débat concernant, non seulement l’introduction des technologies de transgénèse en aquaculture, mais aussi le développement de cette filière dans sa forme industrielle. S’il peut paraître ardu de trouver un sens à la multiplicité des discours éthiques et d’y déceler des dénominateurs communs, nous avons vu que le problème de la technique moderne y est particulièrement bien ancré. En effet, ce qui est en jeu avant tout, au plan de l’éthique, c’est le type de relation entre l’être humain et la nature que souhaitent promouvoir les intervenants dans le débat. La question posée est donc la suivante : comment voulons-nous intégrer des éléments du milieu océanique dans nos milieux humains? Dès lors, le grand défi éthique que soulève le débat entourant l’aquaculture est celui de la considération éthique de la technique moderne et de sa mobilisation comme source de transformation des milieux humains. Cependant, pour résoudre le problème de l’incommensurabilité de certaines positions, notamment les positions écocentrées opposées aux positions anthropocentrées, il est nécessaire de considérer une grille de lecture qui peut à la fois rendre justice à ces deux positions. La théorie du milieu humain telle que développée par Tetsuro Watsuji et introduite dans le monde francophone par le géographe Augustin Berque permet une telle lecture du problème à l’étude.

34Dans une perspective éthique d’étude des milieux humains, l’aquaculture se situe au carrefour d’une multiplicité de relations. L’élément de base de la réflexion devra conséquemment être la ferme aquacole elle-même plutôt que le saumon, car la ferme est le lieu principal de la relation. La ferme aquacole fait beaucoup plus qu’occuper un espace; elle est un lieu où se déploie une multiplicité de relations, dont les relations éthiques. Ce lieu peut-être conçu et développé en fonction de différentes valeurs. On peut y privilégier le rendement dans une perspective de production industrielle, mais on peut aussi construire ces lieux en fonction d’une esthétique paysagère, par exemple. On peut choisir de construire ces installations sur un certain site, ou non, pour des raisons environnementales ou alors politiques, etc. La ferme aquacole est conséquemment le point de départ de la considération spatiale du problème à l’étude. On portera ainsi un regard mésologique sur les possibilités qu’offre le développement de ces fermes, c’est-à-dire en tentant de leur attribuer des qualités se référant à la médiance, le concept par lequel on peut juger de la qualité des relations instituée dans la logique d’un certain lieu au sein du milieu humain. La médiance implique une diversité des relations au sein des milieux humains et c’est notamment en référence à cette possibilité de diversité et de richesse que notre analyse se déploie.

Milieu et médiance 

Milieu

35Lorsque nous ouvrons les yeux et que nous regardons le monde qui nous entoure, ce que nous contemplons ne se limite pas qu’à la « nature » ou aux produits de la « culture ». Que nous soyons au cœur de la forêt boréale ou au centre-ville d’une métropole techno-industrielle, nous sommes toujours au cœur d’un milieu humain duquel nous participons. Le milieu humain n’est pourtant pas purement objectif et pour en saisir l’essence, qui émerge dans sa présence immédiate, nous devons nous accoutumer à regarder le monde dans une perspective relationnelle. Le milieu humain se définit sommairement comme « la relation d’une société à l’espace et à la nature » (Berque, 1986, p. 127). Cette relation est multiple et se décline sous différents aspects. La posture nécessaire à son observation relève aussi plus de la phénoménologie que de l’observation scientifique. C’est-à-dire que l’observateur fait partie du milieu et qu’ainsi le milieu humain est à la fois subjectif et objectif.

36Les relations qui forment le milieu sont nombreuses et ne peuvent pas faire l’objet d’une classification arbitraire. Cependant, dans le contexte de cette réflexion, nous pouvons considérer que le milieu est constitué des relations suivantes : écologiques (les poissons que nous mangeons, etc.), techniques (l’aménagement des environnements, et ici la transformation des poissons eux-mêmes, etc.), esthétiques (les images et les représentations que nous avons du milieu marin et de la ferme aquacole), axiologiques (les valeurs et les définitions fondamentales que nous associons à l’eau et aux poissons) et politiques (le jeu des pouvoirs qui influence notre relation au milieu marin) (Berque, 1986, p. 127). Toutes ces relations contiennent les autres relations en puissance et forment donc un système holistique et relationnel qu’on nomme le milieu.

37Le milieu n’est donc pas l’environnement ou la nature, parce qu’il comprend l’être humain au plan fondamental de sa structure, avec ses représentations symboliques et son activité de transformation proprement culturelle. Cependant, il ne se réduit pas non plus à la culture, parce que celle-ci ne peut pas émerger indépendamment de certaines déterminations naturelles qui en forment le socle, comme les caractéristiques géographiques, climatiques et en ce qui nous concerne ici, l’accès à des milieux aquatiques. Au minimum, nous sommes tous en tant qu’éléments du milieu des êtres biologiques! Le milieu est donc proprement relationnel, autant dans sa dimension matérielle qu’idéelle.

38Le milieu possède aussi une dimension éthique parce qu’il est de nature à la fois déterminée et contingente. En effet, si la nature apparaît comme la source de certaines déterminations telles que les « lois » de la nature et les limites environnementales auxquelles nous sommes soumis (par exemple, la capacité de soutien d’un écosystème), la culture vient rétablir une balance, car elle est la source des transformations introduites dans cette même nature. La culture, parce qu’elle tire son origine des choix que font les humains, introduit la contingence au sein des milieux humains. Or la dimension éthique de tout milieu humain émerge de cette rencontre entre la détermination et la contingence parce que, comme le souligne Berque (1996, p. 13) : « Être éthique, être humain, c’est pouvoir choisir consciemment; car si nous n’avions pas le choix – si nous étions entièrement déterminés par notre environnement, par exemple -, il n’y aurait ni bien ni mal, mais seulement la vie au sens biologique, les chaînes trophiques des écosystèmes et de la biosphère ».

39Ainsi le milieu humain procède-t-il d’une double boucle dans laquelle la nature et la culture, donc la détermination et la contingence, s’interpénètrent et se définissent mutuellement. Dans ce système, les oppositions nature et culture ainsi que détermination et contingence sont des termes à la fois complémentaires et contradictoires. Sous le rapport du milieu, nous devons considérer ces oppositions comme des sources de médiation possible entre l’humanité et son environnement dans lesquelles s’exprime la dimension éthique des milieux humains. La dimension éthique des milieux humains existe parce que nous pouvons choisir comment nous bâtissons nos milieux. Ces choix se déploient autant au quotidien par nos actions individuelles que dans un temps plus vaste par nos choix collectifs.

40Lorsque nous faisons des choix en matière d’aménagement des espaces qui nous entourent, nous transformons la nature. Il en va de même lorsque nous décidons de domestiquer des espèces animales ou de les transformer par les techniques de transgénèse. Lorsque nous choisissons les manières d’opérer ces transformations dans la nature, nous orientons la culture.

Médiance

  • 17 Le terme médiance est un néologisme employé par Berque pour traduire le terme japonais « Fûdosei », (...)

41L’ensemble des relations qui forme un milieu se déploie dans un horizon spatio-temporel et laisse émerger un sens. Ce sens, c’est ce que nous appelons plus ordinairement la « culture ». Il s’agit d’un ensemble de pratiques, de termes, de lieux et d’idées qui constitue la réalité d’un monde dont la présence ne peut pas se définir uniquement que par des termes objectifs. Ces mondes sont chargés de valeurs partagées, d’histoires et de symboliques particulières. Du point de vue de la mésologie, on référera au terme « médiance » pour décrire l’identité de cette unité relationnelle. Berque (1986, p. 165) définit ainsi la médiance : « dimension ou caractère attributif des milieux; sens d’un milieu »17.

42L’unité relationnelle qu’est le milieu est constituée d’une multiplicité de traits de médiance, qui sont des pratiques qui mettent l’être humain en relation à la nature. La pêche sportive du saumon de rivière, par exemple, est un trait de médiance; de même que les nombreuses pratiques agricoles, les pratiques d’aménagement urbain et les pratiques paysagères que l’on peut répertorier sur un territoire donné. Au Québec, l’acériculture en est un bon exemple parce qu’elle nécessite des déterminations naturelles spéciales et des pratiques culturelles particulières. En effet, l’acériculture ne se limite pas à produire du sirop d’érable, mais inclut aussi les traditions culinaires qui y sont associées et l’activité même « d’aller à la cabane à sucre ». Ces activités sont, du point de vue de la médiance, les occasions d’une mise en relation de l’être humain à la nature. Elles impliquent des relations écologiques, des relations esthétiques, des relations axiologiques, des relations éthiques et des relations politiques. Enfin, toutes les activités humaines participent d’une médiance parce qu’aucune activité humaine ne peut se faire complètement hors du contexte déterminé de la nature, même s’il va sans dire que certaines activités humaines tendent à se déployer sans considération pour cette structure.

43La dimension éthique qui caractérise la médiance est tributaire de la contingence humaine. Nous pouvons orienter le sens de nos milieux en y favorisant ou non la diversité des possibilités d’émergence de la médiance. Par exemple, une action humaine qui dévasterait le potentiel écologique d’une région donnée ne pourrait pas donner lieu à une diversité de traits de médiance car elle aurait pour conséquence de saper les conditions de possibilité d’une mise en relation entre l’être humain et la nature. Cette activité serait, certes, un trait de médiance en soi, mais elle ne constituerait pas la possibilité d’une médiance continue et riche en diversité. Dans la même ligne de pensée, l’homogénéisation des pratiques culturelles ne semble pas mener à une diversification des traits de médiance et ainsi à une diversité des milieux humains, une position sur la diversité des pratiques qui est largement partagée dans la littérature de l’éthique de l’environnement (Naess, 1989; Callicot, 1999; Larrère, 1997). Donc, l’idée de maintenir des possibilités de traits de médiance par une valorisation de la diversité des relations possibles est au centre d’une éthique des milieux humains.

44La médiance représente donc l’ensemble des activités qui mettent en relation l’être humain à la nature et suppose que cette relation puisse être exprimée dans un langage culturel. Ce langage n’est pas nécessairement le langage de l’écologie ou de la science objective. Il ne peut pas non plus être réduit à une expression sentimentale individuelle. Le langage par lequel nous pouvons apprécier le sens d’un milieu, sa médiance, se déploie en mobilisant à la fois l’objectivité de nos observations scientifiques et la vérité de nos inclinations sensibles. Il traduit la double nature du milieu qui est à la fois objectif et subjectif : « La représentation que l’homme se fait de son milieu n’atteint jamais à l’objectivité pure : elle fait elle-même partie du milieu qu’elle représente. En cela elle n’est pas, non plus, seulement subjective : l’expérience propre à ce milieu la vérifie dans une certaine mesure » (Berque, 1986, p. 149). Il faut donc, pour traiter de l’éthique des milieux humains, considérer un ensemble d’expressions possibles de cette médiance, allant de la donnée scientifique aux mythes et récits locaux.

45Le débat sur l’implantation de fermes aquacoles sur la Côte pacifique du Canada donne un bon exemple de ce conflit des expressions. D’un côté, comme nous l’avons vu précédemment, les promoteurs industriels et les groupes scientifiques mobilisent largement des arguments scientifiques ou objectifs pour appuyer ou non le développement de cette industrie. Par exemple, la Coastal Alliance for Aquaculture Reform, qui tient une position critique face à l’élevage industriel dans sa forme actuelle, s’appuie largement sur les risques environnementaux découlant de l’utilisation de produits chimiques (antibiotiques, pesticides), le tout dans une perspective scientifique (CAAR, 2012, p.1). À l’opposé, certaines nations autochtones parlent plutôt des dangers ou des risques potentiels de ces pratiques en termes de pertes culturelles ou identitaires. Au sein de ces discours non scientifiques, la nature joue un rôle actif, tout comme le fait le progrès moderne (Schreiber, 2006, p. 22).

46Ce qui est pourtant en jeu dans ce débat ne relève ni uniquement de l’objectivité des risques, ni uniquement de la nature subjective du sentiment d’injustice que provoque la perte de pratiques culturelles données. D’un côté comme de l’autre, on questionne la qualité de la médiance. On s’interroge particulièrement sur les effets de l’introduction de ces techniques d’élevage dans des milieux humains qui seront transformés, tant au plan environnemental qu’au plan culturel, car modifier la santé des écosystèmes par la chimie ou changer les pratiques culturelles d’occupation des territoires sont des actions qui transforment et qui redéfinissent le sens des milieux humains.

Médiance, technique et aquaculture

47L’aquaculture, comme toutes les activités humaines, met en relation l’être humain et la nature dans un espace donné. Cette pratique est relationnelle et participe conséquemment de la constitution du milieu. Il existe, par exemple, des cultures dans lesquelles l’océan occupe une place plus importante au plan symbolique ou économique. Or, le développement des fermes d’aquaculture nous offre la chance de construire de nouveaux rapports avec le milieu marin. Pour faire de la ferme aquacole l’objet d’une appréciation mésologique, nous devons la considérer en tant que trait de médiance, c’est-à-dire comme le résultat d’une variété de relations qui émergent, portant en elles un sens et laissant paraître une dimension éthique relative à la contingence humaine.

48Dans ce système relationnel, la ferme est le lieu où se rencontrent la nature et la culture. Il est aussi possible de détailler ces deux pôles en précisant certains éléments qui se trouvent unis dans le lieu de l’action humaine qu’est la ferme d’élevage. Une chose doit cependant demeurer claire, la ferme elle-même de par sa nature spatiale et relationnelle n’est pas le résultat de l’addition de ces éléments, elle est la réalisation émergente de leur rencontre.

Médiance et technique moderne

49La relation principale qui caractérise la présence d’une ferme aquacole industrielle est la relation technique. En effet, nous ne construisons pas ces installations pour plaire à une divinité, ou par souci d’esthétisme. Nous construisons ces installations en fonction de certains critères techniques de rendement et de productivité. Sur la ferme aquacole industrielle, la relation technique est la relation principale qui définit le sens du milieu, elle en constitue la médiance.

50Il est possible de trouver des traces anciennes de la présence de l’aquaculture dans différentes régions du monde. Au sens large, l’aquaculture est l’ensemble des techniques d’élevage des espèces aquatiques. L’aquaculture s’étend donc à un ensemble de techniques de domestication qui ont été élaborées sur une très longue période de temps par le biais des savoirs traditionnels, des observations empiriques et des méthodes d’aménagement du territoire préindustrielles. L’émergence de l’aquaculture à l’échelle mondiale tel qu’on la constate à l’heure actuelle ne semble pas correspondre à cette description. L’aquaculture industrielle repose sur des savoirs scientifiques, des techniques avancées de contrôle et d’aménagement des territoires et elle vise à répondre aux besoins d’une économie de production de masse. Ainsi posée, la différence entre l’aquaculture traditionnelle et l’aquaculture moderne permet de constater qu’il y a un clivage entre ces deux activités. Ce clivage peut se comprendre du point de vue d’une philosophie de la technique, à savoir que la différence réelle entre ces deux activités pourtant techniques repose sur le fait que l’aquaculture contemporaine est pensée et développée dans l’esprit de la technique moderne, en opposition à une technicité plus ancienne qui caractérise les premières formes d’aquaculture.

  • 18 On entend ici par « pro-vocation » le fait d’attribuer arbitrairement un rôle, une vocation, à la n (...)

51Par technique moderne, on comprendra que la technique ici discutée n’est pas, en soi, comparable à la technique telle que celle-ci était conçue et mise en œuvre avant l’apparition de la modernité. On doit au philosophe Martin Heidegger la caractérisation philosophique la plus reconnue de la technique moderne dans son essai La question de la technique (1954). La technique moderne serait différente dans son essence de la technique ancienne parce qu’elle a pour finalité une pro-vocation18 de la nature. Autrement dit, elle vise à contraindre la nature à se livrer comme un fonds disponible à la maîtrise et à l’accumulation par l’homme. Si autrefois, par exemple, l’agriculture consistait à « entourer de haies et entourer de soins » (Heidegger, 1958, p. 20) les champs où étaient semés les grains ainsi confiés aux forces de la nature, l’agriculture moderne consiste à pro-voquer la nature à livrer les céréales au sens où l’on requiert d’elle, par des interventions techniques, qu’elles se livrent comme source d’énergie (alimentaire). C’est pourquoi les techniques chimiques et biotechnologiques sont au centre de l’agriculture moderne. Heidegger résume cette séquence en ces termes : « Le dévoilement qui régit la technique moderne est une pro-vocation (Heraus-fordem) par laquelle la nature est mise en demeure de livrer une énergie qui puisse comme telle être extraite (herausgefördet) et accumulée. » (Heidegger, 1958, p. 20).

52La technique moderne est aussi en rupture avec la technique ancienne parce qu’elle repose sur une science exacte de la nature (Heidegger, 1958, p. 20). Or, les sciences exactes de la nature, comme la physique moderne, participent de l’essence de la technique moderne parce qu’elles posent la nature, au plan théorique, comme disponible à cette pro-vocation : « Le mode de représentation propre à cette science suit à la trace la nature considérée comme un complexe calculable de forces. » (Heidegger, 1958, p. 29). C’est pourquoi Heidegger dira que la physique moderne a préparé le chemin de l’émergence de la technique moderne, c’est-à-dire que la science physique moderne a déjà sommé la nature à se livrer à nos yeux, au sens de se dévoiler à notre compréhension, comme un ensemble de forces abstraites et anonymes que l’on peut manipuler, transformer, accumuler et exploiter par des interventions de nature technique. Cette particularité de la science et de la technique moderne s’oppose aux modes d’interprétations non modernes qui personnifient la nature et ses éléments comme le font, par exemple, les traditions « magiques » ou même « analogiques ».

53L’aquaculture industrielle répond à la définition de la technique moderne. En effet, si on prend pour exemple l’élevage du saumon par les techniques d’aquaculture dont il est question dans ce texte, on voit bien comment le saumon est l’objet de manipulations techniques dans le but d’être livré comme énergie (alimentaire) : on le considère au départ comme une source de protéine animale, d’où l’intérêt de le domestiquer afin de pallier à la pénurie de poissons sauvages. Mais aussi, sur le plan de son existence propre en tant qu’animal d’élevage, le savoir scientifique qui le décrit comme être du monde est profondément cohérent avec la logique d’interprétation que décrit Heidegger : en production aquacole, le saumon est considéré en fonction de la biomasse que représente une population précise (Lien et Law, 2012). De même, les lieux de son développement sont des espaces contrôlés, des artefacts techniques dont la finalité est analogue. Les installations aquacoles modernes relèvent en ce sens beaucoup plus de l’usine que de la ferme.

54Enfin, l’élevage industriel du saumon est une activité décentrée. Les œufs sont récoltés à un endroit, leur croissance est contrôlée techniquement par une maîtrise de la température; les alevins sont amenés à croître selon des techniques similaires; et enfin, la maturation des saumons se fait ailleurs, souvent suite à un déplacement sur une grande distance. Dans le cas de l’élevage du saumon, on notera que le saumon élevé est le saumon de l’Atlantique, que les fermes soient situées sur la côte Atlantique ou Pacifique du Canada. On voit ainsi se profiler les caractéristiques de la technique moderne : une série de pro-vocations des forces de la nature dans une logique territoriale décentrée. La nature, ici le saumon, est pro-voqué à la croissance, il est accumulé et commis à des fonctions qui le qualifient en tant que fond, source d’énergie à son tour accumulée et commise à nouveau dans le système alimentaire humain.

55On ne peut donc pas comparer ce système à celui de la ferme au sens traditionnel du terme. En effet, le lieu propre de l’élevage souvent considéré dans le débat, soit la « ferme », n’est que le lieu final du processus de maturation du poisson. Le véritable lieu de l’élevage industriel du saumon de l’Atlantique est un parcours dans lequel plusieurs étapes se succèdent dans le temps et dans l’espace. De même, l’installation aquacole n’est pas une ferme habitée de l’homme; c’est une installation industrielle où l’on travaille, où l’on gagne un salaire.

Médiance et aquaculture

56La médiance caractéristique aux pratiques industrielles d’aquaculture est ancrée dans la conception moderne de la technique. La ferme aquacole industrielle est un appareil technique de production essentiellement moderne et l’analyse phénoménologique des modes de fonctionnement de ces installations le confirme. En termes de gestion : « From the perspective of the head offices and their world of economics, we might say that biomass is what farmed Atlantic salmon is » (Lien et Law, 2011, p. 72). La référence à un concept quantitatif (la biomasse) qui ne se déploie que dans un horizon abstrait, car détaché du monde sensible renvoie à l’identification scientifique du poisson. Il est question ici du poisson en tant qu’objet de science, non pas ici du poisson en tant qu’objet symbolique. Le poisson est défini comme biomasse, premièrement génétiquement par un processus de classification taxonomique, mais par la suite par un processus de calcul de son poids qui le définit quantitativement. Cette réalité conditionne donc la relation qui s’institue entre l’être humain et la nature au sein de ces installations.

57En accord avec la définition de la technique moderne proposée par Heidegger, l’identification du poisson en termes scientifiques ouvre la voie à la technique moderne. La technique moderne a pour particularité de livrer le poisson comme fonds, disponible à la maîtrise par l’être humain. Or, pour ce faire, l’appareil de production technique doit se conformer à la tâche et permettre une telle action en maximisant la production. C’est pourquoi la ferme aquacole industrielle doit souvent être munie d’une panoplie d’instruments techniques (ordinateurs, machines, appareils en tout genre). Ce modèle n’est pas inspiré du lieu, mais bien défini par les impératifs de production qui sont dictés par un système externe au lieu lui-même, soit ici la rentabilité économique (Lien et Law, 2011, p. 71).

58La ferme aquacole se construit d’abord sur le modèle de la technique moderne, dans lequel l’absence de symbolique est symptomatique de l’application d’une forme de technique dont la prétention est de se situer au-dessus des considérations éthiques. La technique contemporaine, soit la technique moderne, serait en quelque sorte « neutre ». Cette caractéristique ne renvoie toutefois pas uniquement au concept de neutralité scientifique, qui tend plutôt à délimiter les paramètres d’une observation impartiale. Il renvoie à un système technique qui, dans son émergence, semble se justifier par lui-même et qui serait donc « autonome » par rapport aux autres modes de relation de l’être humain à la nature. En rapport à la médiance, ce système exclut largement la valorisation des autres types de relations au sein des installations aquacoles. Il mène, par exemple, à minimiser la valeur symbolique des lieux, à exclure les considérations esthétiques et à réduire les problématiques éthiques à des considérations économiques de production.

  • 19 La technique ou l’enjeu du siècle (1954).

59Dans son traité sur la technique, Jacques Ellul19 met en évidence le caractère autonome de la technique. La technique « est devenue une réalité en soi qui se suffit à elle-même, qui a ses lois particulières et ses déterminations propres » (Ellul, 1954, p. 121). Cela signifie que les impératifs techniques priment sur les impératifs politiques, sociaux ou même économiques. Plus spécifiquement selon Ellul : « La technique ne supporte aucun jugement, n’accepte aucune limitation. C’est en vertu de la technique bien plus que de la science que s’établit le grand principe : chacun chez soi. La morale juge les problèmes moraux; quant aux problèmes techniques, elle n’a rien à y faire. Seuls les critères techniques doivent y être mis en jeu. » (Ellul, 1954, pp. 121-122). Or, c’est en considérant cette prétention de la technique moderne que nous pouvons identifier un problème important. Bien que la technique moderne se prétende neutre dans sa logique interne de fonctionnement, sur la ferme aquacole comme dans n’importe quel lieu de production industrielle, l’utilisation de la technique moderne comme mode de relation principal à la nature a pourtant des résonnances morales ou éthiques.

60Les nombreux témoignages des nations autochtones témoignent de l’effet parfois délétère de l’introduction de la technique dans une société. Ici l’introduction de la technique d’élevage moderne est directement mise en cause. De même, beaucoup d’arguments scientifiques qui dénoncent les effets environnementaux de cette technique (pollution par les rejets, perturbation possible des écosystèmes, pollution génétique, etc.) pointent vers une considération morale de la nature, ou du moins, vers un appel à la responsabilité éthique en matière d’utilisation de la technique. Ces arguments sont nombreux et souvent plus convaincants que les appels au biocentrisme et à la valeur intrinsèque de la vie. Mais au fond, ils nous interpellent parce qu’ils s’adressent à nos sentiments moraux. Nous voulons des écosystèmes en santé, des paysages agréables à l’œil, des eaux propres, non seulement parce que cela est scientifiquement correct, mais parce que nous en apprécions la présence et que nous valorisons ces choses, nous avons un rapport sensible avec le milieu.

61La science en elle-même a une prétention d’objectivité. Elle s’occupe des faits, non des valeurs. Son application dans le milieu par le biais de la technique ne peut toutefois pas faire abstraction des valeurs. Ces applications transforment le milieu et cette transformation participe de la relation éthique de l’être humain à la nature. Le problème est donc le suivant : la technique ne peut pas être isolée de la relation éthique de l’homme à la nature et la conception des aménagements aquacoles doit être pensée en fonction de cette réalité. En d’autres mots, comme le dit Berque (1996, p. 81) : « Une construction dont la technique serait purement fondée sur la science (relevant seulement du is, et non du ought), autrement dit purement fonctionnelle, serait totalement inhumaine. En bien ou en mal, l’habiter humain ne peut être qu’éthique ».

62En ce sens, la technique moderne dans son fonctionnement exclut du phénomène de la médiance la dimension proprement éthique de la relation de l’être humain au milieu. Elle tend à minimiser les aspects esthétiques, spirituels, symboliques et éthiques des aménagements, pour favoriser des logiques de valorisation construites elles-mêmes sur des impératifs techniques : production accrue, rentabilité, fonctionnalité, etc. L’opposition forte que l’on constate au Canada contre le développement de l’aquaculture industrielle (et de sa nouvelle phase de développement, le poisson transgénique), témoigne amplement des inquiétudes qui peuvent être attribuées à l’incorporation du milieu aquatique au milieu humain par l’utilisation de la technique moderne.

Incorporer la mer, redéfinir les milieux humains

63La problématique éthique du développement de la filière aquacole au Canada ne peut pas se résumer par l’exposé d’une série de controverses scientifiques. Entre autres, parce que la science est désormais multiple et que les données scientifiques mobilisées dans les débats dépendent des orientations de recherche et des domaines de recherche desquelles elles sont le produit. Ceci est particulièrement vrai des sciences écologiques qui sont au centre du calcul des risques en ce qui concerne l’aquaculture (Young et Matthews, 2010, p. 86). On notera d’ailleurs que les sciences ne sont pas aussi « neutres » que l’on voudrait bien le croire. Elles sont, elles aussi, traversées par des idéologies (Parizeau, 2011). On ne peut pas non plus réduire la problématique éthique du développement de la filière aquacole au Canada à sa composante culturelle telle qu’elle est conçue par certaines nations autochtones. En effet, l’aquaculture dans la pensée moderne n’est pas forcément une menace à l’identité des peuples. De plus, à l’échelle mondiale, il semble que cette pratique puisse répondre à des besoins légitimes. La question doit donc être posée : comment voulons-nous faire de l’aquaculture? Dans quelle optique voulons-nous développer cette activité?

64La revue des positions et des arguments éthiques exposés dans la première partie de ce texte nous révèle un fait important. L’incorporation du milieu marin dans le système du milieu humain relève d’une démarche technique. Or, c’est précisément en regard de cette démarche technique que se posent les problèmes. La mise en œuvre presque instantanée des nouvelles technologies d’élevage semble soulever plusieurs interrogations légitimes. Chez de nombreux autochtones, on craint une transformation culturelle forcée, parce que l’implantation des fermes aquacoles aura pour effet de modifier les écosystèmes locaux et conséquemment il s’en suivra une forme d’acculturation. Pour de nombreux scientifiques, ce sont les effets potentiellement néfastes sur l’environnement ou la santé humaine qui sont pointés du doigt. Finalement, les considérations socioéconomiques transcendent ces considérations, car elles touchent autant ces deux sphères. Cependant, les possibilités de développement de la filière aquacole sont multiples et certaines avancées scientifiques, tout comme certains exemples historiques d’aquaculture non moderne, permettent de croire qu’il serait possible de développer des fermes aquacoles qui pourraient répondre à ces inquiétudes.

65Vouloir incorporer le milieu marin au milieu humain est un projet légitime. Celui-ci peut être mené à bien si sa mise en œuvre valorise également les dimensions éthiques, culturelles et écologiques du milieu humain. Ce débat est tout à fait analogue à ceux qui concernent le développement de l’agriculture industrielle. On s’inquiète des conséquences autant sociales qu’environnementales de ces développements technologiques. Philosophiquement parlant, l’incorporation du milieu marin est une transformation possible du milieu humain, tout comme peut l’être le défrichage de certaines forêts pour en faire des campagnes à vocation agricole. Comme toute transformation du milieu humain, une telle incorporation doit être pensée comme une nouvelle relation entre la société et la nature. Dès lors, il faut admettre la multiplicité des relations que cette incorporation transforme ou alors la qualité des nouvelles relations qu’elle génère. Incorporer signifie « faire entrer dans le corps », inclure ou assimiler; il s’agit donc d’une entreprise qui transforme, pour le mieux ou pour le pire, notre corps social et notre environnement naturel à la fois.

66Peut-être cette incorporation n’est-elle pas souhaitable dans tous les milieux? Peut-être devrions-nous prendre en compte certaines considérations culturelles comme des limites aussi pertinentes que le sont les limites environnementales? Une pensée mésologique tend nécessairement à mieux considérer cet aspect. En effet, le milieu a une valeur pour ceux qui l’habitent et une transformation importante de celui-ci, lorsqu’elle n’émerge pas du milieu lui-même, mais qu’elle est imposée de l’extérieur, brise la relation symbolique et culturelle de la société à la nature. Les inquiétudes des nations autochtones sont donc tout autant légitimes que celles des scientifiques. Elles constituent une limite mésologique à la transformation de leur milieu humain. Toutefois, la présence de limites ne suggère pas l’impossibilité de penser à l’incorporation du milieu marin au milieu humain et, par le fait même, de penser le développement harmonieux de la filière aquacole au Canada.

Quelques pistes de solution

67L’objet de ce texte est de démontrer que certaines positions éthiques sont incommensurables parce que nos outils conceptuels classiques d’analyse ne mettent pas en lumière les relations mésologiques qui sont à la base des conflits concernant le développement de la filière aquacole au Canada. Ceci étant dit, s’il est vrai que les relations au sein du milieu doivent être valorisées, certaines approches, autant politiques que techniques, peuvent nous permettre de penser le développement d’une aquaculture harmonieuse.

68La question de l’opposition de certaines nations autochtones au développement de la filière aquacole sur leurs territoires ou alors dans des lieux où les effets de cette industrie se feront sentir sur leur territoire est d’abord une question politique. Cette question doit donc être traitée de la sorte et la règle éthique que l’on devrait mobiliser pour ce faire, dans le contexte d’une démocratie libérale, est celle du dialogue respectueux et de la bonne entente mutuelle. Bien entendu, la confrontation des visions du monde est au centre du phénomène qui caractérise cet affrontement. Cependant, pour en revenir à la théorie politique spécialisée sur le sujet, on pourra dire en accord avec le philosophe James Tully (1999) que la règle du « audi alteram partem » (écouter la voix de l’autre) semble être l’outil nécessaire à la résolution de ce conflit. Ce ne sont pas tellement les fermes qui posent problème, mais bien un ensemble plus vaste de valeurs et de pratiques qui les accompagnent et qui participent d’une histoire de la colonisation vécue comme un drame humain. Le défi est de pouvoir trouver un langage commun. En effet, un calcul utilitariste serait ici inutile parce que les communautés morales implicites aux deux discours (les promoteurs et les Nations autochtones) ne sont pas équivalentes. D’un côté, certains représentants des Nations autochtones se soucient de la préservation de leurs modes de vie; et de l’autre, les industriels cherchent à vanter les mérites du progrès de l’industrie. La solution reposerait donc dans une forme de compromis, toujours possible si les acteurs du débat arrivent à trouver un langage commun dans lequel ils exprimeront leurs différences, dans une perspective de respect et de collaboration.

69Hormis ce cas important, une grande partie des craintes que suscite le développement de l’aquaculture au Canada, et notamment l’utilisation des saumons transgéniques, relève de préoccupations liées à la santé de l’environnement et à sa qualité. Or, ces considérations révèlent que, si la technique est au centre du problème, elle peut aussi être au centre de la solution. Penser une technique plus en harmonie avec l’environnement est possible, même si son développement peut être plus long.

  • 20 Traduction de l’auteur. Extrait du site internet de la Fondation David Suzuki, disponible au: http: (...)

70Par exemple, un grand nombre d’organisations craignent les effets négatifs de l’échappement des saumons d’élevage dans la nature. Ce problème technique peut, en apparence, être réglé sans sacrifier l’aquaculture elle-même, mais en modifiant la pratique. En effet, le problème des saumons qui s’échappent des cages à filet est dépendant de la forme des installations elles-mêmes. Or, l’élevage du saumon dans des bassins indépendants des écosystèmes naturels peut prévenir ce problème : « Nous savons maintenant que l’aquaculture pratiquée en cages ouvertes menace les saumons sauvages (…). La bonne nouvelle est que nous avons toujours plus de preuves confirmant que l’aquaculture en bassins terrestres est une option viable, tant au plan économique, technique qu’environnemental »20. Ce n’est donc pas l’absence de solutions qui caractérise le débat, mais bien la volonté de les mettre en œuvre au sein d’un système technique complexe et hautement compétitif.

71On pourrait aussi mentionner qu’il existe des recherches intéressantes concernant des méthodes d’aquaculture fonctionnant selon des principes plus « écosystémiques ». On parle ici de l’élaboration de techniques d’élevage qui tendent à multiplier les relations écologiques au sein du processus technique lui-même. Sans nécessairement être un retour à une forme de technique pré-moderne, ces développements ouvrent la possibilité de concevoir l’action technique, non pas en termes d’une rupture avec la nature ou d’une pro-vocation de celle-ci, mais bien comme une forme de pilotage complexe dans lequel la technique s’investit des cycles naturels pour en orienter la productivité. Ces avenues ouvrent la voie à une véritable « domestication » de l’élément aquatique, plutôt qu’à une pro-vocation de celui-ci.

  • 21 Propos de M. Robinson tire de la fiche d’information de Pêches et Océans Canada, disponible au : ht (...)

72Les « modèles multi-trophiques d’aquaculture » (Chopin, 2004) intègrent des principes d’incorporation du milieu tels que déjà connus dans le monde agricole. On pense dès lors à des systèmes de rotation, de récupération, de recyclage et de polyculture : « La polyculture n’est pas nouvelle. Les agriculteurs font la rotation des cultures pour bénéficier de la libération d’éléments nutritifs de différents produits et cultivent certaines plantes parallèlement à d’autres pour cette raison. Il semble naturel de vouloir faire de même dans l’océan, pour rendre plus écologique et économique notre exploitation de la mer. En cela, nous ne faisons que copier les systèmes écologiques qui ont mis des millions d’années à se développer »21. L’idée d’appliquer au milieu marin certaines méthodes propres au monde agricole traditionnel est logique au plan mésologique. L’incorporation des espaces (marins ou terrestres) au milieu humain ne peut pas se faire sans une forme de souci pour les relations écologiques qui s’y déploient. Comme nous en faisons partie intrinsèquement, l’atteinte à l’intégrité ou au bon fonctionnement des écosystèmes pourra toujours nous affecter. Les méthodes multi-trophiques sont simplement plus en harmonie avec la composante écologique du milieu humain. En d’autres mots, de telles méthodes s’arriment à la nature pour y développer des relations produites par notre culture scientifique. Avec la science écologique comme moyen de comprendre les relations écosystémiques dans une perspective de domestication des processus, nous pouvons incorporer le milieu marin à nos pratiques d’élevage et de domestication que nous savons déjà être durables.

73La mise en œuvre des technologies de transgénèse, et particulièrement ici l’introduction du saumon AquaAdvantageTM dans ce système, semble en opposition à la logique interne de cette forme de technique. En effet, les approches écosystémiques tentent de maximiser le potentiel de certains cycles écologiques sans toutefois en perturber la nature. La relation au temps de ces cycles est donc un élément de considération indéniable. Les cycles écologiques se déploient dans le temps de la biologie et ce temps d’action devient nécessaire au bon fonctionnement du cycle. Or, une accélération de la rapidité de la croissance du saumon perturbe le rapport temporel entre les éléments du cycle ainsi domestiqué. Il semble dès lors peu probable qu’une approche multi-trophique, ou plus généralement écosystémique de l’aquaculture, puisse être réalisée sans considération pour le temps global des cycles écologiques.

Conclusion

74Le développement de l’aquaculture au Canada participe d’un mouvement plus global observé à l’échelle de la planète. L’être humain tend en effet à opérer une domestication croissante du milieu marin parce que les pratiques de pêche ne sont plus durables à l’heure actuelle. Cette expansion du milieu humain vers les océans nous confronte à une problématique éthique nouvelle, mais à la fois en continuité avec les interrogations concernant les questions de gestion environnementale. Voulons-nous appliquer la même méthode d’exploitation générale, avec ses mêmes finalités et ses mêmes problèmes? Il semble que les opposants au développement de la filière aquacole au Canada redoutent que l’on répète sur les côtes du pays les mêmes erreurs commises sur les terres. Toutefois, le dynamisme du débat et la grande créativité des chercheurs nous permettent de croire qu’un développement plus sain et plus durable est possible. Le milieu humain est un ensemble de possibilités. Il nous appartient de les imaginer et de les mettre en œuvre en fonction de nos valeurs et de nos principes.

Remerciements

75Ce texte fait suite à une étude sociologique (Acteurs présents dans les débats entourant les animaux clones, les poissons transgéniques, les organismes génétiquement modifiés et l’aquaculture au Canada) effectuée par Louis-Simon Corriveau, étudiant à la maîtrise en sociologie à l’Université Laval, sous la supervision conjointe de Lyne Létourneau, professeure au Département des sciences animales de l’Université Laval et Olga Carolina Cardenas Gomez, étudiante-chercheuse au doctorat en droit à l’Université Laval. Les travaux de Louis-Simon Corriveau de même que la rédaction du présent article ont été rendus possibles grâce au soutien financier du Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) dans le cadre du projet de recherche « BioCage : A novel approach for biological containment of farmed fish » dirigé par Grant Vandenberg, professeur au département des sciences animales de l’Université Laval. Ces travaux font également partie intégrante de la programmation de recherche du Regroupement Aquaculture Québec (RAQ).

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Notes

1 Traduction de l’auteur.

2 Les éléments « non sentants » sont les choses (plantes, certains animaux, choses non biotiques, etc.) qui ne peuvent pas ressentir la douleur ou le plaisir. Il s'agit de la traduction du terme non sentient being normalement utilisé en anglais.

3 Les travaux de Berque sont eux-mêmes largement inspirés de la philosophie de Tetsuro Watsuji (1889-1960) et plus précisément de son ouvrage Fûdo (1935), dans lequel il élabore une théorie non dualiste du milieu humain comme produit des relations entre la nature et la culture.

4 La notion de médiance sera définie plus précisément dans la deuxième section de cet article.

5 Ces chiffres proviennent des statistiques compilées par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) : La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture en 2010 (2010).

6 Idem

7 De nombreux témoignages historiques des explorateurs européens témoignent de cette abondance désormais perdue, voir Barsh 2002.

8 Pêche et océans Canada, statistiques disponibles au: http://www.dfo-mpo.gc.ca/index-fra.htm

9 Idem

10 Cité dans Young et Matthews 2010, p. 61. Traduction de l’auteur.

11 À titre d’exemple, voir les documents publiés par la Coastal Alliance for Aquaculture Reform, 2006 (Think Twice about Eating Farmed Salmon) et Greenpeace, 2008 (Challenging the Aquaculture Industry on Sustainability).

12 Le principe de précaution est une notion qui se réfère, philosophiquement, aux travaux de Hans Jonas sur le « Principe de responsabilité ». Selon Jonas, la civilisation technologique devrait se munir d’outils d’évaluation des risques nouveaux, inspirés d’une éthique nouvelle, prenant en considération les nouvelles possibilités d’action de l’être humain dans la nature. Ces actions ont des conséquences qui sont sans commune mesure avec les conséquences de l’agir humain du passé parce que la puissance technologique de la modernité est radicalement différente de celle du passé. Voir Jonas (2008).

13 Ces propos sont ceux de Ken Brooks, consultant indépendant (biologiste) pour l’industrie du saumon en Colombie-Britannique lors du sommet Fish Farming and Environment Summit, 2002. Cité par Schreiber (2006). Traduction de l’auteur.

14 La fiche technique du saumon AquaAdvantage™ est disponible en ligne au : http://www.aquabounty.com/documents/press/2010/AquaBounty%20Fact%20Sheet.pdf

15 Information tirée du site de la Fondation David Suzuki disponible au : http://www.davidsuzuki.org/fr/. Au plan scientifique, voir également Maclean (2003).

16 Voir le rapport annuel de la firme, disponible au : http://www.aquabounty.com/documents/financial/AquaBounty_Technologies_Inc__Annual_Report_and_Accounts_2010.pdf

17 Le terme médiance est un néologisme employé par Berque pour traduire le terme japonais « Fûdosei », employé par Tetsuro Watsuji dans son ouvrage Fûdo (2011).

18 On entend ici par « pro-vocation » le fait d’attribuer arbitrairement un rôle, une vocation, à la nature et cela, indépendamment des spécificités qui caractérise ses éléments particuliers.

19 La technique ou l’enjeu du siècle (1954).

20 Traduction de l’auteur. Extrait du site internet de la Fondation David Suzuki, disponible au: http://www.davidsuzuki.org/issues/oceans/science/sustainable-fisheries-and-aquaculture/closed-containment-is-affordable/

21 Propos de M. Robinson tire de la fiche d’information de Pêches et Océans Canada, disponible au : http://www.dfo-mpo.gc.ca/aquaculture/sheet_feuillet/polyculture-fra.htm

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References

Electronic reference

Louis-Étienne Pigeon and Lyne Létourneau, « La problématique éthique du développement de l’aquaculture industrielle au Canada : analyse mésologique d’un nouveau rapport possible à l’océan Â», VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Volume 12 numéro 3 | décembre 2012, Online since 15 December 2012, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/13035 ; DOI : 10.4000/vertigo.13035

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About the authors

Louis-Étienne Pigeon

Étudiant-chercheur au doctorat en philosophie et chargé de cours à la Faculté de philosophie de l’Université Laval, Membre du Groupe de travail sur l’éthique et les politiques publiques en matière d’agriculture et d’alimentation, Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation, Département des sciences animales, Université Laval, Pavillon Paul-Comtois, 2425, rue de l’Agriculture, Local 4306. Québec (Québec), G1V 0A6, Courriel : fealsunacht2@yahoo.ca

Lyne Létourneau

Professeure agrégée, Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation, Département des sciences animales, Université Laval, Pavillon Paul-Comtois, 2425, rue de l’Agriculture, Local 4306. Québec (Québec), G1V 0A6, Courriel : lyne.letourneau@fsaa.ulaval.ca

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