1En l’espace de quelques années, la gestion des déchets ménagers est devenue l’une des principales préoccupations des collectivités territoriales françaises en matière de protection de l’environnement. Tout d’abord parce que la production d’ordures ménagères d’un Français a doublé en l’espace de 40 ans, pour atteindre 370 kg par habitant en 2009 (Ademe, 2011). Ensuite parce que la gestion des déchets ménagers représente le deuxième poste de dépenses des collectivités territoriales en matière de protection de l’environnement, en forte progression depuis le début des années 1990 (CGDD, 2011). Enfin parce que des contraintes réglementaires – nationales et européennes – de plus en plus prégnantes s’imposent aux collectivités territoriales afin de réduire les déchets à la source, de faciliter leur réutilisation, leur recyclage et de minimiser les déchets résiduels partant en incinération ou en stockage. Mais la satisfaction de ces objectifs de réduction des déchets passe par une implication croissante des citoyens. Produire moins de déchets ou produire différemment nécessite l’implication de l’ensemble des usagers du service d’élimination des déchets ménagers, qui déterminent, par leurs comportements quotidiens, les quantités de déchets produits, triés, valorisés et éliminés.
2Dans ce contexte, une meilleure compréhension des stratégies développées par les collectivités territoriales pour impliquer les usagers du service d’élimination des déchets ménagers dans la réduction des déchets et le recyclage semble indispensable. Notre approche articule deux démarches complémentaires.
3D’une part, nous développons une analyse économique des décisions des collectivités territoriales. L’hypothèse que nous avançons est que certains contextes locaux sont plus favorables que d’autres à l’implication des usagers du service dans la réduction des déchets et le recyclage. Par contexte local, nous entendons un ensemble de caractéristiques structurelles – géographiques, démographiques, économiques, sociologiques – propres au territoire de la collectivité territoriale et à ses administrés. Selon nous, le contexte local détermine à la fois le coût pour la collectivité de la mise en œuvre d’une stratégie d’implication et son niveau d’acceptabilité auprès des usagers du service.
4D’autre part, nous menons une analyse sociologique de l’acceptabilité des mesures mises en place par les collectivités du point de vue de l’usager. L’hypothèse que nous formulons ici est que ces mesures influencent les comportements de tri. D’une manière générale, les incitations, qu’elles soient financières ou autres, peuvent avoir une influence sur la motivation des individus à effectuer de manière plus efficace une activité pour laquelle ils s’étaient déjà plus ou moins engagés (Gardner et Stern, 1996 ; McKenzie-Mohr et Smith, 2008).
5Pour analyser les choix des collectivités territoriales, il est nécessaire au préalable d’identifier les mesures qu’elles mettent en place pour inciter les usagers du service à adopter des pratiques de gestion des déchets plus respectueuses de l’environnement. Nous qualifions ces mesures de « mesures d’implication », dans le sens où elles traduisent la volonté plus ou moins forte des collectivités territoriales d’impliquer les usagers du service dans le processus d’élimination des déchets. Ces mesures d’implication sont classées en trois catégories d’instruments de politique environnementale susceptibles d’inciter les usagers à des comportements moins polluants : (i) les instruments techniques, (ii) les instruments tarifaires et (iii) les instruments informationnels. La littérature sur les instruments de politiques environnementales à l’échelle locale étant peu développée (comme le rappellent De Beir et al. (2003)), nous proposons ici notre propre grille de lecture. Chaque catégorie d’instruments repose sur un levier d’action différent :
-
Les instruments techniques encouragent les usagers du service à une gestion durable des déchets par la mise à disposition de mesures techniques de collecte des déchets. Ils renvoient aux types de flux collectés dans le cadre du service public (emballages, papiers, verres, etc.), à leurs modes de collecte (porte-à-porte, apport volontaire) et aux fréquences de collecte. Le choix des instruments techniques diffère selon les ressources des collectivités et selon la volonté des collectivités d’inciter plus ou moins fortement les usagers du service à réduire leur production de déchets résiduels par le recyclage ou le compostage. Par exemple, le développement d’une collecte en porte-à-porte des déchets recyclables permet de sensibiliser au tri un nombre plus important d’usagers que la collecte en points d’apport volontaire, et permet ainsi d’augmenter la participation au recyclage et son intensité. Toutefois, ce mode de collecte est plus couteux à mettre en place.
-
Les instruments tarifaires visent à inciter les usagers du service à des changements de pratiques par des « signaux-prix ». Chaque usager paye pour faire collecter ou traiter les déchets qu’il produit, mais selon le système de tarification choisi par la collectivité, le coût de la gestion des déchets est plus ou moins perceptible par l’usager. Trois systèmes de tarification existent en France : la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), les redevances d’enlèvement des ordures ménagères (REOM) et le budget général. Seules les redevances relèvent d’une logique économique selon laquelle le prix payé par l’usager varie en fonction de son utilisation du service. Dans le cadre de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) ou du budget général, l’usager du service paye, en sa qualité de contribuable, un impôt dont le montant vise à couvrir les coûts de fonctionnement du service et n’incite aucunement les usagers à modifier leurs comportements.
-
Les instruments informationnels reposent sur un engagement volontaire des usagers dans la réduction de leurs déchets sur la base d’un « signal informationnel ». Ils renvoient aux mesures développées par les collectivités territoriales dans le but d’informer, de former et de sensibiliser les usagers du service à des comportements moins polluants. Ces instruments interviennent souvent en complément des instruments précédents, comme par exemple dans le cas de la diffusion de guides de tri ou la promotion du compostage domestique. L’information peut aussi intervenir dès l’amont du processus de consommation en cherchant à susciter une prise de conscience des usagers à l’égard des dommages occasionnés par leur production de déchets.
6Chaque collectivité choisit un ensemble de mesures d’implication qu’elle combine entre elles afin de définir une « stratégie d’implication » efficace pour promouvoir la réduction des déchets ménagers sur son territoire. Pour analyser les choix des stratégies d’implication et leurs appropriations par les usagers du service, notre approche articule deux démarches complémentaires : une démarche économique et une démarche sociologique.
7Pour identifier et caractériser les choix des stratégies d’implication des usagers du service d’élimination des déchets ménagers, la démarche économique s’appuie sur une enquête quantitative menée auprès de collectivités territoriales françaises. Cette enquête dresse ainsi un inventaire des mesures mises en place en 2007 par 121 collectivités territoriales françaises afin d’impliquer 4,1 millions d’usagers dans la réduction des déchets. Elle repose sur un questionnaire autoadministré, adressé par correspondance à des structures intercommunales exerçant au moins une compétence de collecte des déchets ménagers. C’est en effet à cette échelle que les collectivités territoriales sont en contact direct avec les usagers du service. Pour saisir la diversité des mesures d’implication développées en France, nous avons pris soin de constituer un échantillon représentatif de la diversité des modalités d’organisation du service d’élimination des déchets ménagers en France. Les collectivités enquêtées se répartissent dans 10 départements (sur une centaine en France) : les Alpes-de-Haute-Provence, le Cantal, le Doubs, le Gers, l’Hérault, l’Ille-et-Vilaine, le Puy-de-Dôme, le Bas-Rhin, la Somme et les Vosges. Ces 10 départements présentent des caractéristiques contrastées, que ce soit au regard des modalités d’organisation du service de collecte des déchets (offre de service, système de tarification, etc.) ou des caractéristiques socio-économiques et géographiques des collectivités.
8Pour identifier les principales stratégies d’implication employées par les 121 collectivités territoriales de notre échantillon, nous avons constitué, à partir d’une classification ascendante hiérarchique, des groupes de collectivités homogènes et différenciés selon les mesures d’implication mises en œuvre. Quatre « types » de stratégies d’implication des usagers ont ainsi été mis en évidence, traduisant des volontés différentes d’impliquer les usagers du service dans une gestion plus durable des déchets.
9Enfin, les choix des collectivités territoriales ont fait l’objet d’une analyse économétrique pour tester notre hypothèse selon laquelle certains contextes locaux sont plus favorables que d’autres à l’implication des usagers du service dans la réduction des déchets et le recyclage. L’analyse s’appuie sur un ensemble de données relatives aux caractéristiques socio-économiques, démographiques et géographiques des collectivités et de leurs administrés, collectés auprès de différents services statistiques nationaux.
10Pour analyser la façon dont les usagers s’approprient les mesures d’implication mises en place par les collectivités, nous avons réalisé un cas d’étude sur la Communauté d’Agglomération du Grand Besançon (CAGB). L’enquête « qualitative » se différencie de sa complémentaire « quantitative » en ce qu’elle ne cherche pas à établir des conclusions présentant une stricte représentativité à l’échelle de la population sur laquelle elle porte (Tripier, 1998 ; Blanchet & Gotman, 2010). Ne s’appuyant pas nécessairement sur un nombre important de personnes enquêtées (de fait, ce nombre n’est pas un critère central pour ce type de méthodologie), mais sur une constitution raisonnée d’un échantillon en fonction des questions qu’elle souhaite explorer, l’enquête qualitative ne cherche pas à mettre en évidence l’étendue de certains phénomènes sociaux mais plutôt à en assurer une bonne compréhension. Bien plus que le « comment » (la description systématique d’un processus ou sa mesure), l’enquête qualitative s’attache à démontrer le « pourquoi » d’un phénomène (sa cohérence, la façon dont il fait sens pour l’enquêté) en en décortiquant les logiques de fonctionnement. Enfin, la validité des résultats d’une enquête qualitative est assurée par le phénomène de saturation des modèles. En effet, il se produit toujours dans l’accumulation des différents entretiens menés un moment où les données recueillies n’apprennent plus rien. Ainsi, les processus identifiés acquièrent progressivement une stabilité à forte validité scientifique. Ce phénomène de saturation de l’information recueillie est traditionnellement gage de solidité pour les conclusions mises en évidence par l’enquête qualitative.
11Nous avons choisi la Communauté d’Agglomération du Grand Besançon (CAGB) comme terrain d’étude pour l’exemplarité de sa politique d’implication envers les usagers :
-
Besançon est la plus grande ville de France appliquant une tarification incitative (au volume du bac) depuis 1999.
-
Vers la fin des années 90, la CAGB s’est également fixé un objectif de réduction des tonnages d’ordures ménagères résiduelles (OMR) très ambitieux (-30 %) et a mis en place pour cela un ensemble de mesures afin d’impliquer les usagers du service dans le processus d’élimination des déchets. Elle favorise par exemple le compostage individuel et le compostage de quartier, communique sur le tri des déchets (conseillers du tri, guichet téléphonique, mailing, etc.) et mène des actions ciblées envers les habitats sociaux. Par ailleurs, la mise en place d’une nouvelle tarification du service, qui se veut encore plus incitative en introduisant dans le système de tarification une part variable liée au poids des déchets produits par chaque usager, est prévue pour le début de l’année 2012.
12Si un certain nombre d’études se sont attachées à étudier l’influence d’une tarification incitative sur les comportements des usagers en matière de déchets (Fullerton et Kinnaman, 1996 ; Choe et Fraser, 1999 ; Glachant, 2004 ; Le Bozec et Pierron, 2006), rares sont celles qui ont analysé la perception de cette mesure par les usagers du service (Le Roy, 2001). D’une manière plus générale, les recherches en sciences humaines et sociales montrent que l’introduction d’une telle mesure, pouvant mettre l’accent sur des conséquences négatives (par exemple, si elle est considérée comme une punition) ou positives (si elle est considérée comme une récompense), est susceptible de modifier les comportements (Geller, 1989 ; Bolderdijk et al., 2012). Cependant, il est admis par la communauté scientifique que l’efficacité de telles mesures est limitée dans le temps, qu’elle dépend de l’attractivité du gain (cf. Schultz et al. 1995 ; Needleman et Geller, 1992) et qu’il existe un risque d’effet rebond.
- 1 Résultats issus d’un rapport sur les communes du Syndicat Mixte de Montaigu-Rocheservière (2001) : (...)
13Par ailleurs, une étude réalisée pour l’ADEME et Eco-Emballages à l’occasion du changement de base tarifaire de la Communauté de Communes des Portes d’Alsace (Haut-Rhin) et du Syndicat Mixte de Montaigu Rocheservière (Vendée)1, a permis de dégager quelques informations intéressantes. Au-delà de la réduction du tonnage d’ordures ménagères résiduelles (qui peut aller jusqu’à 50 %, voire plus en zone rurale), la redevance incitative a entrainé plusieurs niveaux de changement. Alors que certains usagers ont développé des pratiques individuelles supplémentaires de réduction des déchets (compostage individuel, réutilisation de certains déchets…), d’autres ont gardé leurs habitudes de manière stable qu’elles fussent bonnes ou mauvaises. Les auteurs ont également observé des éliminations sauvage ou « maladroite » mais proposent que ce risque d’adoption de comportements inciviques reste limité à la période d’appropriation du nouveau système.
14Dans cette perspective, nous avons conduit une enquête qualitative afin d’une part de comprendre la relation existante entre la collectivité et l’usager tel que celui-ci se la représente, et d’autre part de comprendre les trajectoires des enquêtés en ce qui concerne la gestion de leurs déchets. Cette enquête s’appuie sur la technique de « l’entretien semi-directif ». 14 personnes ont ainsi été interrogées en face à face entre juin et août 2010. Elles étaient réparties selon les régimes de collecte auxquels elles étaient soumises (porte à porte ou en apport volontaire) et le type d’habitat qu’elles occupaient (habitat vertical en hyper-centre-ville, habitat individuel en ville, habitat individuel en commune rurale, grands ensembles). Le guide d’entretien portait notamment sur la relation entre l’usager et le service de gestion des déchets, les pratiques de tri des déchets et les connaissances sur la gestion des déchets, les représentations et opinions face à l’environnement ainsi qu’une projection sur la nouvelle tarification incitative au poids (pesée embarquée).
15Les résultats de l’enquête réalisée auprès des 121 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) français nous ont permis de dresser un état des lieux de la diversité des mesures d’implication et de leurs combinaisons. Quatre types de stratégies d’implication des usagers, traduisant des combinaisons de mesures d’implication particulières, ont été mis en évidence (Tableau 1).
Tableau 1. Typologie des collectivités selon les combinaisons de mesures d’implication choisies
|
Instruments techniques
|
Instruments tarifaires
|
Instruments informationnels
|
Stratégie 1 dite « Stratégie a minima »
(33 EPCI)
|
-
Collectes en apport volontaire
-
Fréquence variable de collecte des OMR, en fonction de la vitesse à laquelle les bacs de collecte sont remplis par les usagers
|
|
|
Stratégie 2 dite « Stratégie facilitante »
(25 EPCI)
|
-
Collectes en Porte-à-porte
-
Fréquence de collecte des OMR élevée
|
|
-
Information très développée
|
Stratégie 3 dite « Stratégie encadrante »
(35 EPCI)
|
-
Collectes en Porte-à-porte majoritaires
-
Fréquence de collecte des OMR faible
|
|
|
Stratégie 4 dite « Stratégie responsabilisante »
(28 EPCI)
|
-
Collectes en Porte-à-porte majoritaires
-
Fréquence de collecte des OMR faible
|
-
REOM classique ou incitative
|
-
Information très développée
|
16La stratégie 1, que nous qualifions de stratégie « a minima », est fondée sur des mesures impliquant un faible nombre d’usagers dans la gestion des déchets ménagers. 27 % des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) enquêtés, représentant 7 % de la population couverte par l’enquête, ont opté pour cette stratégie qui s’appuie sur des instruments peu incitatifs. Les différents flux de déchets sont en effet collectés en apport volontaire, mode de collecte qui est généralement employé que par les usagers les plus motivés par le recyclage en raison des efforts considérables qu’il demande. La fréquence de collecte des ordures ménagères résiduelles (OMR) s’ajuste à la vitesse de remplissage des bacs de collecte par les usagers, n’incitant pas ces derniers à limiter ou recycler leurs déchets. La tarification du service repose principalement sur des taxes (TEOM, budget général) qui responsabilisent peu les usagers à l’égard de leur production de déchets. Enfin, les mesures informationnelles sont peu développées : pour un tiers des intercommunalités, l’information des usagers est inexistante ou s’appuie sur une seule mesure, la promotion du compostage domestique.
17La stratégie 2, que nous qualifions de stratégie « facilitante », combine des instruments dans le but de faciliter l’utilisation du service pour les usagers. 21 % des intercommunalités enquêtées, desservant 47 % de la population de l’échantillon, ont choisi cette stratégie dans le but d’accompagner le plus grand nombre d’usagers dans le changement de leurs pratiques quotidiennes en simplifiant l’utilisation du service de collecte des déchets ménagers. La majorité des flux de déchets ménagers est collectée en porte-à-porte (exception faite du verre), facilitant la participation des usagers dans le processus de collecte et de tri des déchets. La fréquence de collecte des ordures ménagères résiduelles (OMR) reste soutenue, notamment en comparaison de la fréquence de collecte des déchets recyclables (1 collecte des déchets recyclables par semaine pour 3 collectes des OMR en moyenne). L’information à destination des usagers est importante. Elle vise aussi bien à former les usagers et à simplifier les gestes de valorisation – par la diffusion d’un guide de tri, l’information sur le compostage domestique par exemple – qu’à les sensibiliser aux enjeux de la gestion des déchets via des animations pédagogiques, des journées d’actions ou des lettres d’information.
18La stratégie 3, qualifiée de stratégie « encadrante », est basée sur des mesures encadrant la participation des usagers. Cette stratégie est adoptée par 29 % des intercommunalités de l’échantillon et concerne 26 % de la population couverte par le périmètre de l’enquête. Elle consiste à limiter la fréquence de collecte des ordures ménagères résiduelles (1 collecte par semaine), tout en favorisant dans le même temps le tri sélectif et le compostage domestique. La participation des usagers est encadrée par les règles fixées par la collectivité (règles de tri, jours de collecte) et par une information ciblée (guide de tri, promotion du compostage domestique).
19La stratégie 4, dite stratégie « responsabilisante », est basée sur des incitations fortes sur les quantités et les prix. 23 % des structures intercommunales, représentant 20 % de la population de l’échantillon, ont choisi d’encourager la participation des usagers en associant à des mesures techniques incitatives (collectes en porte-à-porte, faible fréquence de collecte des OMR), une redevance d’enlèvement des ordures ménagères (REOM) et des « signaux informationnels » importants. Par exemple, 89 % des collectivités de ce groupe éditent régulièrement des lettres d’information dans le but d’informer les usagers sur leurs performances en termes de gestion des déchets, les améliorations possibles et les gains qu’ils peuvent espérer notamment sur leur facture. De même, 11 % des collectivités ayant adopté la stratégie 4 ont recours à une redevance incitative, principalement assise sur le volume du bac d’ordures ménagères résiduelles (OMR), pour financer le service d’élimination des déchets. La Communauté d’agglomération du Grand Besançon (CAGB), collectivité retenue pour notre étude qualitative, fait partie des structures intercommunales mettant en place la stratégie 4.
20Sans être exhaustive, cette classification permet de bien représenter les différents types de stratégies développées par des collectivités territoriales vis-à-vis des usagers, dans le contexte français. On constate que le choix de la stratégie « facilitante » relève plutôt d’intercommunalités desservant un nombre important d’usagers. À l’inverse, les stratégies « a minima » et « encadrante » sont majoritairement choisies par des intercommunalités de petite taille. Pour autant, leur niveau d’engagement dans le processus de réduction des déchets est très différent. Ces observations nous amènent à nous interroger plus spécifiquement sur les déterminants du choix des collectivités territoriales à s’engager dans des stratégies d’implication plus ou moins incitatives.
21À notre connaissance, seuls quelques travaux ont cherché à identifier les déterminants des choix des collectivités territoriales pour encourager la participation des usagers du service à une réduction de leurs déchets (Callan et Thomas, 1999 ; Kinnaman et Fullerton, 2000). Nous proposons donc dans cet article d’étudier les déterminants qui conduisent les collectivités territoriales françaises à privilégier une stratégie d’implication particulière.
22Le choix d’une stratégie d’implication des usagers dépend en partie du contexte dans lequel la collectivité territoriale effectue son choix. Nous considérons en effet que le contexte local conditionne à la fois le coût de la stratégie d’implication et son efficacité. À partir d’une analyse économétrique, nous mettons en évidence l’influence du contexte local sur le choix des collectivités territoriales de s’engager dans des stratégies d’implication différentes. Les estimations sont réalisées sur 121 structures intercommunales françaises qui desservent 4,1 millions d’habitants, soit 7 % de la population française. À chacune de ces structures intercommunales est associée l’une des quatre stratégies d’implication identifiées précédemment. Le modèle de régression prend la forme suivante :
23avec Sj une variable multinomiale qui prend les valeurs i = {1,2,3,4} selon la stratégie d’implication choisie par la collectivité j.
24La probabilité que la collectivité j choisisse la stratégie i dépend du contexte local dans lequel la collectivité effectue son choix (Xj) et d’un terme d’erreur (µi) lié aux variables inobservées. Le vecteur Xj se compose de variables reflétant les caractéristiques du territoire de la collectivité (population, densité, nombre de communes adhérant à la structure intercommunale, accroissement démographique, etc.) et les caractéristiques socio-économiques des usagers du service (revenu, niveau d’éducation, conscience écologique, civisme, etc.). L’ensemble des variables retenues et leurs statistiques descriptives sont présentées dans le Tableau 2. Les données ont été principalement collectées à l’échelle communale auprès de plusieurs services statistiques nationaux (voir Tableau 2). Ces données ont ensuite été agrégées à l’échelle intercommunale. Nous avons privilégié les données statistiques disponibles pour l’année 2007, année à laquelle les stratégies d’implication étudiées ont été observées.
25Une collectivité choisit sa stratégie d’implication des usagers en fonction du jeu de contraintes auquel elle fait face :
-
des contraintes financières d’une part : le choix de la collectivité est en effet en partie lié aux coûts de mise en œuvre de la stratégie. Ainsi, si les caractéristiques du territoire rendent coûteuse l’organisation du service, la stratégie optimale pour la collectivité se rapprochera probablement de la stratégie « a minima ». À l’inverse, si les caractéristiques du territoire sont favorables à la réalisation des économies d’échelle, il est plus probable que la stratégie optimale pour la collectivité se rapproche de la stratégie « facilitante ». La collecte des déchets ménagers bénéficie en effet d’économies d’échelle, au sens où l’accroissement des quantités de déchets collectés diminue le coût unitaire de production du service (Hanoch 1975) ;
-
des contraintes d’efficacité d’autre part : chaque collectivité adopte en effet la stratégie qui lui semble la plus adaptée aux préférences des usagers du service. Par exemple si les usagers de la collectivité se caractérisent par des préférences sociales pour le recyclage élevé, la stratégie optimale pour la collectivité se rapprochera des stratégies « encadrante » ou « responsabilisante » qui reposent sur des incitations plus grandes au recyclage.
Tableau 2. Statistiques descriptives des variables du modèle
Variables
|
Indicateurs
|
Moyenne
|
Ecart-type
|
Min.
|
Max.
|
Obs.
|
Variable dépendante
|
Sij
|
La stratégie i adoptée
|
|
|
1
|
4
|
121
|
Variables explicatives
|
Population
|
Population principale de l’EPCI (INSEE-RP1 2006)
|
34 036
|
73 677
|
442
|
467 375
|
121
|
THC
|
Nombre de logements dans un immeuble de 2 logements et + sur le nombre total de logements (INSEE-RP 2006)
|
21,89
|
17,23
|
0,75
|
79,58
|
121
|
Adhérents
|
Nombre d’adhérents de l’EPCI (2007)
|
26
|
28
|
2
|
157
|
121
|
Pente
|
Médiane de la pente moyenne des communes adhérentes (IGN-GEOFLA2, 2007)
|
4,95
|
4,13
|
0
|
22
|
121
|
Tourisme
|
Nombre de lits pour 100 habitants permanents3 (INSEE, 2007)
|
68
|
169
|
0
|
1628
|
121
|
AccDemo
|
Accroissement démographique de la population 1999-2006 (INSEE-RP 2006)
|
6.4
|
7.4
|
-10.9
|
36.7
|
121
|
Revenu
|
Revenu net imposable moyen des foyers fiscaux (DGI4, 2007)
|
19 819
|
3 180
|
14 230
|
33 354
|
121
|
Taille men
|
Nombre moyen de personnes par ménage (INSEE-RP 2006)
|
2,34
|
0,18
|
2
|
2,74
|
121
|
Éducation
|
% des personnes âgées de 15 ans et plus détenant un diplôme de niveau bac +2 (INSEE-RP 2006)
|
5,4
|
2,5
|
1,9
|
16,6
|
121
|
Écologie
|
% de votes « écologistes » aux élections présidentielles (Ministère de l’Intérieur, 2002)
|
6,4
|
1,8
|
3,1
|
12
|
121
|
Civisme
|
Taux de participation aux élections présidentielles (Ministère de l’Intérieur, 2002)
|
76
|
3,1
|
67,7
|
83,1
|
121
|
1 Institut national de la statistique et des études économiques – Recensement de la population, 2 Institut national de l’information géographique et forestière, 3 Conventions Direction du tourisme : 2 lits par chambre d’hôtel, 4 lits par emplacement de camping, 5 lits par résidence secondaire, 4 Direction générale des impôts.
26Les paramètres du modèle (βi) sont estimés à partir d’un modèle Logit multinomial. La probabilité que la collectivité j choisisse la stratégie i plutôt que les k autres stratégies est alors définie par la formule suivante (Wooldridge 2002) :
27Elle s’exprime par rapport à une modalité de référence, ici la stratégie « a minima ».
- 2 Différentes méthodes sont utilisées pour calculer les effets marginaux. Celle retenue ici consiste (...)
28Contrairement à un modèle linéaire, les coefficients obtenus ne sont pas interprétables en tant que tels. Les résultats des estimations sont donc présentés dans le Tableau 3 sous forme d’effets marginaux et d’élasticités2.
Tableau 3. Déterminants des stratégies : Effets marginaux et élasticités
|
Variable dépendante : Choix des stratégies d’implication
|
Variables explicatives
|
S1
|
S2
|
S3
|
S4
|
Population
|
-1,01e-04
(-0,276)
|
-1,17e-05
(-0,052)
|
-1,45e-04
(0,207)
|
-3.25e-05
(-0,041)
|
THC
|
-0,682***
(-1,081)
|
0,131
(0,223)
|
0,339
(0,441)
|
0,212
(0,434)
|
Adhérents
|
-0,535*
(-1,214)
|
0,348***
(0,448)
|
-0,174
(-0,309)
|
0,361***
(0,402)
|
Pente
|
2,582**
(0,603)
|
2,826**
(-1,356)
|
1,894
(-0,671)
|
2,138
(0,307)
|
Tourisme
|
0,089**
(0,240)
|
0,106*
(-0,723)
|
0,030
(-0,273)
|
0,048
(0,007)
|
AccDemo
|
-0,225
(-0,062)
|
1,977***
(0,977)
|
0,659
(0,064)
|
2,411***
(-1,011)
|
Revenu
|
-1,17e-03
(1,402)
|
4.97e-04
(0,393)
|
5,19e-03**
(-4,525)
|
3,52e-03**
(3,392)
|
Taille men
|
-55,172
(-10,324)
|
78,097**
(-14,198)
|
65,133*
(8,579)
|
68,135*
(12,351)
|
Éducation
|
3,561
(3,007)
|
5,151
(-4,927)
|
0,040
(0,012)
|
1,550
(1,149)
|
Éducation²
|
-0,032
(-0,513)
|
0,289**
(3,477)
|
0,178
(-1,769)
|
-0,080
(-1,458)
|
Écologie
|
-2,096
(-1,237)
|
10,837***
(-5,281)
|
7,812***
(2,585)
|
5,121**
(2,674)
|
Civisme
|
0,231
(0,160)
|
-3,343**
(-19,658)
|
1,052
(4,722)
|
2,059
(11,030)
|
Observations
|
121
|
|
Pseudo R²
|
0,3662
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Log Vraisemblance
|
-105,66
|
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Test de Wald
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90,02***
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Test de significativité des coefficients : *** p<0,01 ; ** p<0,05 ; * p<0,10
Les élasticités sont entre parenthèses.
29Nos résultats montrent que les contraintes financières des collectivités sont un facteur discriminant du choix des stratégies d’implication, en particulier pour le choix de la stratégie « a minima » S1. Le choix de cette stratégie relève en effet principalement de structures intercommunales dont les caractéristiques du territoire rendent couteuses l’organisation du service. La stratégie « a minima » est principalement choisie par des intercommunalités regroupant un faible nombre de communes et qui se caractérisent par une faible densité de population. La variable « Adhérents » a par exemple une influence négative importante sur le choix de cette stratégie. De même, le taux d’habitat collectif a une influence négative et très significative sur le choix de la stratégie « a minima » : si la densité de population augmente de 1 %, la probabilité que la collectivité j adopte cette stratégie diminue de 1,08 %. La pente du territoire et la capacité touristique ont également un effet significatif et positif sur la probabilité de choisir la stratégie S1. Cette stratégie permet de répondre facilement aux fluctuations saisonnières de la demande de service en augmentant la fréquence de collecte des points d’apport volontaire durant la période estivale. La collecte en points d’apport volontaire s’avère aussi particulièrement adaptée pour les territoires difficiles d’accès.
30Nous constatons également que l’existence d’économies d’échelle augmente la probabilité qu’une collectivité adopte la stratégie « facilitante » S2 qui présente des mesures relativement coûteuses à mettre en œuvre, telles que la collecte en porte-à-porte des différents flux de déchets ou une fréquence de collecte des déchets soutenue. La variable « Adhérents » a par exemple un impact positif et significatif sur les choix de la stratégie « facilitante » S2 : plus le nombre de communes augmente au sein d’un EPCI, plus ce dernier peut bénéficier d’économies d’échelles (mutualisation des coûts fixes de mise en place et de réalisation du service de collecte), et plus il est susceptible d’adopter cette stratégie d’implication.
31Néanmoins, pour cette stratégie d’implication, comme pour les stratégies « encadrante » S3 et « responsabilisante » S4, ce sont plutôt les caractéristiques contrastées des usagers du service qui apparaissent comme les variables les plus discriminantes. Ces résultats sont conformes à ceux de Callan et Thomas (1999) et Kinnaman et Fullerton (2000) qui soulignent également l’influence des caractéristiques socio-économiques des usagers sur les choix des collectivités territoriales.
32Nous constatons par exemple que la stratégie « facilitante » S2 est généralement mise en place dans un contexte où les préférences sociales des usagers pour le recyclage sont faibles. La conscience écologique (variable « Écologie ») et le sens civique des usagers (« Civisme ») ont en effet une influence négative forte et particulièrement significative sur le choix de cette stratégie. Dans ce contexte, pour encourager les usagers au recyclage de leurs déchets, la collectivité doit donc limiter au maximum le temps et les efforts nécessaires pour l’élimination des déchets et en particulier pour le tri.
33À l’inverse, le choix des stratégies « encadrante » S3 et « responsabilisante » S4 semble fait dans un contexte où les usagers du service apparaissent plus réceptifs aux enjeux de la gestion des déchets. La variable « Écologie » a par exemple une influence positive et très significative sur la probabilité qu’une collectivité territoriale adopte l’une de ces deux stratégies. Ce résultat est conforme à nos attentes selon lesquelles la probabilité qu’une collectivité choisisse une stratégie impliquant activement les usagers dans la réduction des déchets et le recyclage est d’autant plus élevée que cette politique bénéficiera d’un bon accueil de la part des usagers. Par ailleurs, puisque la variable « Écologie » est aussi susceptible de traduire une plus grande sensibilité des élus à la protection de l’environnement, le choix des stratégies S3 et S4 semble également résulter d’une réelle volonté politique d’impliquer les usagers du service dans un processus de gestion durable des déchets.
34La taille du ménage apparait également comme un facteur discriminant des choix entre la stratégie « facilitante » S2 d’une part et les stratégies « encadrante » S3 et « responsabilisante » S4 d’autre part. Cette variable constitue principalement un indicateur de la structure de la consommation : plus la taille du ménage augmente, plus les quantités de déchets produits par tête sont faibles (Jenkins, 1993 ; Kinnaman et Fullerton, 1999 ; Bartelings et Sterner, 1999), laissant supposer des économies d’échelle au sein du foyer. Nos résultats mettent en évidence une relation positive entre la taille moyenne des ménages de la collectivité et le choix des stratégies « encadrante » S3 et « responsabilisante » S4. Ces stratégies, qui reposent notamment sur une faible fréquence de collecte des ordures ménagères résiduelles, apparaissent d’autant plus faciles à mettre en œuvre que les volumes de déchets produits par tête ne sont pas trop conséquents.
35L’effet du revenu est ambigu. Plusieurs études empiriques mettent en évidence un effet positif du revenu sur l’effort de recyclage (Callan et Thomas, 1997 ; Hong et Adams, 1999 ; Jenkins et al., 2003) en lien avec un niveau de consommation plus élevé ou un plus fort consentement à payer des usagers pour la protection de l’environnement (Berglund et Söderholm, 2003 ; Abbott et al., 2011). D’autres études soulignent à l’inverse une influence négative du revenu sur le niveau de recyclage. Dans la mesure où le coût d’opportunité du temps augmente avec le revenu, l’usager du service aura un temps plus faible à consacrer à la gestion et au tri de ses déchets (Saltzman et al., 1993). Nos résultats font ressortir une influence significative du revenu sur la probabilité de choisir les stratégies « encadrante » S3 et « responsabilisante » S4. Si l’effet du revenu est négatif sur la probabilité de choisir la stratégie « encadrante », il est en revanche positif sur la probabilité de choisir la stratégie « responsabilisante », qui vise notamment à inciter les usagers du service au recyclage par des « signaux-prix ». Il semble donc que la probabilité de choisir la stratégie « responsabilisante » augmente avec le consentement à payer des usagers pour la protection de l’environnement.
36Face à l’influence importante des caractéristiques socio-économiques des usagers sur les choix des collectivités territoriales, nous avons complété cette analyse économétrique par une étude sociologique de la perception qu’ont les usagers du service des stratégies d’implication qui leurs sont proposées. Les résultats de cette étude sont présentés dans la section suivante.
37D’après le rapport annuel 2009 de la Communauté d’Agglomération de Besançon (CAGB), les habitants de la Communauté d’Agglomération produisent 40kg de déchets par an en moins que la moyenne des Français (source ADEME). D’une manière générale, les instruments techniques (collectes proposées, fréquence de collecte) sont relativement bien connus dans le corpus.
38U9, femme, 33 ans :
« Dans la poubelle jaune, je mets mes emballages cartons, cartonnés, les bouteilles en plastiques comme les bouteilles de lait, ou bouteilles de jus de fruit. Je mets le papier, maintenant on met tout ensemble. Avant c’était séparé, ici on séparait tout ce qui était papier et plastique. Les cartons et les plastiques allaient ensemble et le papier était séparé. »
39Les effets de la tarification au volume du bac telle qu’elle est pratiquée à Besançon sur les comportements de tri des déchets sont toutefois loin d’être évidents. Pour rappel, disposant d’un parc généralisé de conteneurs et d’un contexte politique favorable, la redevance pour l’enlèvement des ordures ménagères (REOM) fut introduite en 1999 pour la ville de Besançon. La facturation au volume du bac fut choisie pour tenir compte des quantités de déchets produites par chaque usager : plus le bac choisi par l’usager est grand, plus le montant payé par l’usager est élevé. Toutefois, cet effet incitatif sur les volumes produits est limité puisque le coût au litre des déchets ménagers baisse avec l’augmentation du volume du bac. Elle encourage donc parfois davantage les usagers à une rationalisation de l’utilisation des bacs de collecte (rassemblement des bacs dans l’habitat collectif par exemple) qu’à une réelle baisse des volumes de déchets produits.
40Toutefois, on constate que le volume total de déchets ménagers collectés par la ville de Besançon a diminué de manière régulière entre 1999 et 2008, notamment la production d’ordures ménagères résiduelles qui a baissé de plus de 100 kg par habitant en 9 ans (Figure 1). Mais l‘instrument tarifaire ayant été mis en place en même temps que des instruments techniques comme le tri sélectif ou des instruments informationnels sur les modalités pratiques de la collecte (synchronisation de la sortie des poubelles avec la collecte, règles de tri…), l’impact à part entière de cette mesure ne peut être vraiment considéré.
Figure 1. Évolution 1999-2008 des tonnages de déchets ménagers collectés selon leur nature (en kg/an/habitant)
Source : CAGB, 2010
41On peut néanmoins noter que certains usagers interrogés mettent en avant l’impact sur leur comportement de l’instrument tarifaire (ce qui n’élimine pas l’éventuel effet conjoint des instruments techniques et informationnels). En effet, les enquêtés ayant demandé un bac plus petit mettent en avant l’argument économique. Par exemple, U8 (femme, 53 ans) déclare qu’il s’agit d’une « économie non négligeable » ; U2 (homme, 66 ans) estime que le bac plus petit est proportionnellement plus cher mais considère tout de même que c’est « toujours ça d’économiser ». L’économie réalisée par les enquêtés est donc correctement ressentie et verbalisée. Cependant on peut se demander si le changement de bac a bien été associé à une réduction de la production de déchets ou s’il s’est agi uniquement d’adapter la taille du bac à la production de déchets existante. Auquel cas on n’observerait simplement un effet d’opportunité et non un changement de comportement de production de déchets. Plus précisément, pour ces deux enquêtés par exemple, U2 relate « qu’il ne pourra plus remplir de gravas sa poubelle d’ordures ménagères », et U8 pense que « cela l’incitera à aller plus souvent à la déchetterie pour les déchets verts ». Par conséquent, pour ces deux enquêtés, il semblerait que le volume perdu soit finalement celui des encombrants lorsqu’ils en avaient. De plus, ces enquêtés possèdent également un composteur, ce qui leur a permis de diminuer leur volume de déchets par ailleurs. Il est ainsi possible en toute logique d’envisager que le volume de bac perdu était déjà un volume non utilisé avant le changement de bac. En d’autres termes, on ne se pose pas le défi de réduire sa production de déchets en achetant un bac plus petit que ses besoins actuels, on adapte sa facture à sa consommation réelle du service. La redevance en cours à Besançon apparaît davantage adaptative à des comportements déjà existants, venant récompenser ce que nous qualifierons de micromesures déjà adoptées, que comme une mesure incitant les usagers du service à adopter de nouveaux comportements de réduction de déchets.
42Ainsi, nous pouvons émettre l’hypothèse que les bons résultats de la ville en matière de gestion des ordures ménagères résiduelles seraient davantage dus à l’ensemble des mesures d’implication mises en place (telles que développées dans la stratégie S4) qu’au seul mode de tarification.
- 3 Pour rappel, la Communauté d’Agglomération du Grand Besançon va bientôt mettre en place un système (...)
43Mais il est important de noter que la projection dans le futur système de tarification – redevance incitative à la pesée embarquée3 – est assez positive. On note une forte réaction des usagers interrogés à cette nouvelle mesure, qui anticipent des modifications comportementales non négligeables.
44U11, homme, 38ans
« C’est pas mal […] mais on ne va pas s’en rendre compte car ce ne sera pas individuel (dans l’habitat collectif) »
45U8, femme, 53 ans
« Quand j’ai vu que ça allait changer comme ça en 2012 je me pose des questions : comment ça va être comptabilisé etc., quel risque je vais avoir ? Est-ce qu’il va falloir que je me lève à 6h du matin pour mettre mes poubelles pour être sûre qu’elle soit vidée ? Ça peut être préoccupant »
46Sept enquêtés pensent que ce futur système de tarification pourra permettre de réduire les déchets soit en augmentant le tri réalisé, soit en diminuant à la source leur quantité. Toutefois, huit enquêtés évoquent la crainte d’effets négatifs suite à la mise en place de la redevance incitative à la pesée embarquée, tels que par exemple des comportements inciviques (rejet des déchets dans la nature ou dans la poubelle d’autrui) ou des problèmes techniques (par exemple, U2 parle des problèmes liés à « la lourdeur d’infrastructure imposée par un tel système » vis-à-vis des camions et des bacs).
47D’une manière générale, la majorité du corpus associe le futur système de tarification à une baisse du coût du service et de leur facture. Cette attente représente un risque quant à l’acceptabilité de cette mesure. En effet, la mise en place d’une redevance incitative selon la quantité de déchets effectivement produite ne garantit pas forcément une diminution du coût du service pour l’usager. Bénard (2008) signale ainsi qu’il est difficile d’encourager des efforts auprès des usagers sans pouvoir promettre de diminuer les coûts, puisqu’il s’agit souvent davantage d’une limitation de l’augmentation qui aurait lieu si une mesure incitative n’était pas mise en place que d’une réelle diminution du coût. Ayant perçu ce risque la CAGB a décidé de renforcer l’ensemble de ses mesures d’implication à l’attention de ses usagers (mesures techniques, informationnelles et tarifaires).
48Même si la plupart des personnes interrogées ont conscience qu’elles ont un rôle à jouer au sein de l’ensemble de la filière de gestion de déchets ménagers et que la qualité de leurs pratiques impacte l’environnement dans un certain sens, elles ont tout de même tendance à se déresponsabiliser vis-à-vis des conséquences de comportements de tri moins « soucieux ». Elles perçoivent en effet leurs actions de tri comme inefficaces face aux choix industriels et à la société de consommation (par exemple, en pointant du doigt le suremballage des produits en vente). Par ailleurs, nous avons observé que leurs pratiques de tri sont effectivement bien réalisées, mais pas toujours optimisées, dans le sens où pour beaucoup des usagers il n’y a pas de lieu de pré-tri dans la cuisine.
49En définitive, dans notre cas d’étude, la tarification au volume du bac apparaît bien appropriée par les usagers, même si les usagers rencontrés ne la perçoivent pas toujours comme une incitation forte à modifier leurs pratiques. On peut en effet se demander si, au-delà de la réduction de la taille de leur bac, les usagers perçoivent bien la réduction de déchets qui leur est demandée. Ce lien semble en revanche plus évident avec la redevance incitative à la pesée embarquée.
50Si la littérature sur les instruments de politiques environnementales est principalement développée à l’échelle globale ou à l’échelle des pays, leur déclinaison à l’échelle locale reste peu étudiée. Dans cet article, nous avons cherché à caractériser les mesures d’implication mises en place par les collectivités territoriales pour inciter les usagers du service de collecte des déchets à tendre vers une gestion durable de leurs déchets.
51À partir d’une enquête quantitative conduite en France, nous avons tout d’abord mis en évidence quatre grands types de stratégies que développent les collectivités vis-à-vis des usagers. Sans être exhaustive, cette typologie traduit bien la diversité des situations en France.
52Puis, nous avons conduit une étude économétrique visant à expliquer la diversité des choix des collectivités territoriales, qui sont encore peu étudiés dans la littérature (Tavares et Feiock, 2001). Nous avons ainsi mis en évidence l’importance dans les choix des collectivités territoriales de la prise en compte des caractéristiques des usagers du service. Nos résultats suggèrent qu’une stratégie d’implication sera d’autant plus pertinente que les mesures qu’elle définit sont adaptées aux attentes des usagers du service. Les considérations de coûts de mise en œuvre de la stratégie apparaissent aussi comme un facteur discriminant des décisions des collectivités territoriales lors du choix des stratégies : la possibilité ou non d’économies d’échelle détermine particulièrement le choix de la stratégie par la collectivité territoriale.
53Ensuite, pour analyser la façon dont les usagers s’approprient les mesures d’implication mises en place par les collectivités, nous avons réalisé un cas d’étude sur la Communauté d’Agglomération du Grand Besançon (CAGB). Nous avons conduit une étude qualitative portant sur l’appropriation par les usagers de la tarification incitative mise en place par cette collectivité. Si la littérature sur la tarification incitative du service d’élimination des déchets ménagers est en plein développement (Kinnaman et Fullerton, 2000 ; Jenkins et al., 2003 ; Callan et Thomas, 2006), son efficacité ne fait pas l’unanimité. Dans notre cas d’étude, la tarification au volume du bac paraît être appropriée par les usagers, bien que les usagers rencontrés ne la perçoivent pas toujours comme une incitation forte à modifier leurs pratiques.
54Enfin, soulignons que les études sur l’efficacité des stratégies d’implication (combinant instruments techniques, tarifaires et informationnels) mises en place par les collectivités pour la gestion des déchets ménagers sont assez rares. La bibliographie ne permet pas de répondre de manière satisfaisante à cette problématique. Le cas d’étude de la Communauté d’Agglomération du Grand Besançon apporte une première piste de réponse, à savoir que l’efficacité d’un instrument ne peut être dissociée de l’ensemble des mesures d’implication mises en place. Autrement dit, c’est davantage la complémentarité entre les différentes mesures d’implication qui conduirait à l’efficacité de la politique, qu’une mesure prise isolément. Ainsi, coupler plusieurs types de mesures (techniques, tarifaires et informationnelles) semble constituer un levier d’action puissant dans l’adoption et le changement de comportements pro-environnementaux des individus (Abrahamse et al., 2007 ; Labbouz et Marchand, 2011). Cela pose alors la question de la cohérence des mesures d’implication et du nombre de mesures qu’il faut utiliser pour que la politique conduise à une efficacité environnementale et à une efficience économique. De même, sur quels critères les collectivités décident-elles des outils à mettre en œuvre ? Une piste à explorer pour de futures recherches.
55Nous tenons à remercier l’Agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie (ADEME) qui a financé cette étude dans le cadre du programme de recherche « Déchets et société ». Nous remercions également les 121 structures intercommunales qui ont pris part à notre enquête. Sont également remerciés la Communauté d’Agglomération de Besançon et les 14 usagers qui nous ont fait part de leur retour d’expérience.