Tests de dépistage du VIH à domicile: avantages et pièges potentiels
Aucun test de dépistage du VIH à domicile n'a encore été approuvé pour la vente au Canada. Quels sont les avantages et les risques potentiels de ces tests, et quelles questions doivent être abordées au Canada avant qu'ils ne deviennent disponibles?
«Dépistage du VIH à domicile»
Le terme «dépistage du VIH à domicile» est souvent source de confusion, parce qu'il est utilisé pour désigner deux formes de tests différentes:
le dépistage par autoprélèvement à domicile ("home-collection" ou "home-access testing"); et
le dépistage par autoanalyse à domicile ("home-self" ou "home-validated testing").
Il est important de distinguer ces deux formes, lorsque l'on examine leurs conséquences respectives. Dans le présent article, le terme général «dépistage à domicile» sera utilisé uniquement lorsqu'il sera question simultanément des deux formes de dépistage suivantes.
Dépistage par autoprélèvement à domicile
Le système de dépistage par autoprélèvement à domicile permet de faire soi-même son prélèvement à la maison. Le spécimen prélevé, identifié par un numéro de code, est ensuite envoyé par la poste à un laboratoire d'analyse; environ sept jours plus tard on peut téléphoner pour obtenir son résultat. Selon le résultat du test, le counselling est prodigué soit par boîte vocale (résultat négatif), soit par une personne au téléphone (résultat positif).
Les trousses de prélèvement à domicile ne permettent donc pas d'obtenir un résultat «sur-le-champ», en quelques minutes, comme c'est le cas pour les tests de grossesse et pour l'autre type de test de dépistage du VIH à domicile: l'autoanalyse à domicile.
Dépistage par autoanalyse à domicile
Ce test, basé sur la salive, peut être effectué entièrement à domicile, sans le concours d'une autre personne. Si l'indicateur de VIH est négatif, la personne est encouragée par le texte du feuillet de directives à répéter le test dans un délai de trois à six mois. Si l'indicateur de VIH est positif (ce qui se traduit, par exemple, par un changement de couleur), le feuillet encourage la personne à consulter un médecin ou une clinique de dépistage du VIH pour un test supplémentaire. Pour des raisons évidentes, le counselling ne fait pas partie intégrante de ce système. Bien que le feuillet puisse inciter l'utilisateur à prendre contact avec un établissement de santé en cas de résultat positif, la personne est laissée à sa seule initiative de le faire ou non.
Ce test n'est qu'un test de dépistage préliminaire ("screening test"), non approuvé pour le diagnostic. On l'appelle également «indicateur de VIH» parce que, plutôt que d'établir un diagnostic à l'égard du VIH, il indique que des tests supplémentaires sont nécessaires.[1]
Historique
L'évolution dans le domaine du dépistage du VIH
L'évolution ou la révolution dans le domaine du dépistage du VIH est le résultat d'un développement technologique grâce auquel des liquides corporels autres que le sérum ou le plasma peuvent être utilisés pour la détection des anticorps au VIH (anti-VIH). Comme le soulignent Schopper et Vercauteren, les tests traditionnels de dépistage du VIH sont basés sur la détection de l'anti-VIH dans le sérum/plasma dérivé de sang entier prélevé par ponction veineuse, ce qui nécessite des professionnels de la santé expérimentés dans le prélèvement et des équipements de laboratoire pour l'analyse. L'utilisation de liquides corporels comme la salive ou l'urine pour la détection de l'anti-VIH est une option attrayante pour plusieurs raisons:
un spécimen de salive peut être prélevé ou autoprélevé pratiquement n'importe où, à la maison, dans la rue, dans un bar;
les méthodes de prélèvement non intrusives présentent moins de risque pour le sujet et pour le travailleur de la santé: il n'y a pas de risque de contamination par seringue non stérilisée, ni de risque de blessure d'aiguille;
l'utilisation de spécimens d'urine présente des avantages similaires, et l'infectivité des deux liquides corporels semble très faible.[2]
Une autre méthode de prélèvement consiste à recueillir des gouttes de sang sur du papier filtre. Le sang est généralement obtenu par une piqûre faite au doigt à l'aide d'une lancette à ressort. On fait tomber quelques gouttes, suffisamment pour saturer au moins deux endroits sur un papier filtre absorbant que l'on fait ensuite sécher à l'air et que l'on place dans un sac de plastique hermétique.
Jusqu'à tout récemment, les tests de dépistage du VIH même réalisés à partir de liquides corporels autres que le sérum ou le plasma étaient confinés aux laboratoires. Aujourd'hui, des tests de dépistage du VIH peuvent être réalisés à la maison: les tests de dépistage par autoprélèvement ou autoanalyse à domicile sont devenus réalité.
Première trousse de dépistage à domicile approuvée par la FDA
Quand le premier test de dépistage du VIH à domicile a été mis au point aux États-Unis, plusieurs militants dans la lutte contre le sida, de même que l'American Medical Association, s'opposaient à sa mise en marché; en 1987 la Food and Drug Administration (FDA) refusait même d'en considérer l'approbation. La controverse a refait surface en 1993, quand Johnson & Johnson acheta de son inventeur les droits relatifs à la technologie de dépistage à domicile. Johnson & Johnson a alors entrepris une campagne vigoureuse pour obtenir l'approbation de la FDA.[3] Le 14 mai 1996, sa trousse de dépistage par prélèvement à domicile, le Confide HIV Testing Service (Direct Access Diagnostics), était approuvée.[4]
Le Confide Testing Service
La trousse se compose de trois éléments:
un nécessaire de prélèvement du sang à domicile, vendu sans ordonnance;
un test de dépistage de l'anticorps au VIH-1, effectué dans un laboratoire agréé; et
un centre téléphonique qui donne les résultats des tests, et des services anonymes de counselling et d'orientation.
La trousse Confide peut être achetée en pharmacie ou en composant un numéro sans frais pour livraison à domicile. La trousse contient un dépliant de conseils préalables, un mode d'emploi, le matériel de prélèvement et une enveloppe protectrice. À l'aide de la lancette contenue dans la trousse, l'utilisateur se pique au doigt et applique trois gouttes de sang sur un carton spécial de prélèvement, qui est codé d'un numéro unique à chaque trousse. Le carton est ensuite envoyé par la poste à un laboratoire dans une enveloppe de retour pré-adressée, port payé. Au laboratoire, des analyses immuno-enzymatiques et des tests de confirmation sont effectués. Après sept jours environ, l'utilisateur peut composer un autre numéro sans frais pour en obtenir le résultat, en donnant son numéro de code. La personne dont le résultat est négatif entend un message enregistré qui l'informe de la signification du résultat et lui offre la possibilité de parler avec un conseiller. Les résultats positifs sont donnés de vive voix par une personne qui conseille et oriente l'utilisateur vers des services d'examens cliniques et des agences de services sociaux.[5] Tous les éléments qui composent le service d'analyse sont soumis à de nombreux règlements dont la FDA surveille l'application de près. Les services d'analyse et de counselling doivent être agréés chaque année, et les procédures d'analyse doivent rencontrer les normes de la FDA.
Concurrence
Un compétiteur, Home Access Health Corporation, a reçu l'autorisation de la FDA le 22 juillet 1996 pour sa trousse appelée Home Access Test.[6] En octobre 1996, les deux sociétés acceptaient déjà des commandes postales en provenance de toutes les régions des États-Unis, augmentaient l'offre au détail à l'échelle nationale, et avaient lancé des campagnes de publicité nationales.[7] Seuls l'État de New York et la Californie ont des lois qui en interdisent la vente sur leur territoire, mais New York envisage l'adoption d'une nouvelle réglementation qui la permettra.[8]
D'autres sociétés américaines ont présenté à la FDA des demandes d'approbation de leurs trousses de prélèvement à domicile.[9] Diverses trousses de dépistage par autoanalyse à domicile, bien qu'elles n'aient pas encore été approuvées par la FDA, font déjà l'objet de publicité aux États-Unis,[10] et au moins une société, SmithKline Beecham, a annoncé son intention de demander l'autorisation de commercialiser auprès des consommateurs son test de salive, qui bénéficie actuellement d'une approbation pour l'usage des médecins seulement.
Tests de salive
Jusqu'à présent, les États-Unis sont le seul pays où un test de ce genre a été approuvé pour le dépistage préliminaire de l'infection à VIH; dans d'autres pays, ce type de test n'a été utilisé qu'à des fins de surveillance. Comme le soulignent Schopper et Vercauteren, «la majorité des pays européens entretiennent des réserves à l'égard des tests de salive pour fin de diagnostic, parce que leur efficacité est encore inférieure à celle des spécimens traditionnels et que leur sensibilité aux spécimens de séroconversion est encore inconnue».[11]
Développements internationaux
Plusieurs gouvernements, incluant ceux de l'Australie, de l'Autriche, de la France, de l'Allemagne, du Japon, des Pays-Bas, de la Suisse et du Royaume-Uni, ont déclaré que l'utilisation par le public des tests de dépistage pour la détermination individuelle du sérodiagnostic du VIH ne devrait pas avoir lieu sans être précédée et suivie de counselling.[12] Au Royaume-Uni et en Autriche, des lois interdisent actuellement la vente ou la fourniture aux membres du public de trousses de dépistage du VIH ou de tout élément qui en fait partie. Cependant, les temps changent, et d'autres pays pourraient dans un avenir proche ou lointain emboîter le pas aux États-Unis et approuver la vente sans ordonnance de trousses de prélèvement à domicile.
Développements canadiens
Atelier de 1993
Le 16 juillet 1993, Santé Canada organisait un atelier sur les trousses de dépistage par autoanalyse à domicile. Son objectif était de recueillir les opinions de divers représentants fédéraux, provinciaux et communautaires, avant qu'une demande d'approbation ne soit présentée par un manufacturier. Deux points étaient considérés comme déclencheurs de ce besoin de discussion:
le progrès des technologies de détection de l'anti-VIH; et
les pressions des sociétés d'assurance pour utiliser ces tests.
On a rapporté que des sociétés d'assurance canadiennes utilisaient des tests de salive pour dépister ("screening") le VIH chez leurs candidats à l'assurance, et qu'elles conseillaient aux candidats dont les résultats indiquaient une possibilité d'infection à VIH de subir un test sanguin de confirmation. Selon les participants à la rencontre, ceci outrepasse la simple procédure d'examen de dossier, et contrevient à la législation provinciale sur la santé: il est interdit au Canada d'utiliser un test de salive comme instrument de diagnostic.
Commercialisation des tests de dépistage à domicile au Canada
Le 13 mai 1996, une société américaine appelée 1-888-444-TEST Inc. tenait une conférence de presse à Toronto pour faire la promotion auprès des Canadiens de son service de vente par commande postale d'une trousse de dépistage du VIH par autoanalyse à domicile par la salive. Les trousses, vendues au prix de 90$ la paire, étaient offertes pour «utilisation personnelle». La société violait des règlements fédéraux en offrant des trousses avant qu'elles aient même été soumises pour évaluation. La Direction de la protection de la santé (DPS) de Santé Canada a demandé à la société de cesser toutes ses activités et de présenter une demande d'évaluation pré-commercialisation afin d'obtenir un avis de conformité.
Selon ce qui a été rapporté dans les médias, un représentant de la société a annoncé que la société soumettrait le test à Santé Canada pour évaluation.[13]
Procédure d'approbation
Au Canada, la vente d'instruments de diagnostic in vitro pour la détection de l'infection à VIH est régie par la Loi sur les aliments et drogues et le Règlement sur les instruments médicaux. Tous les instruments médicaux offerts pour la vente au Canada doivent rencontrer les critères des articles 3 et 19 à 21, de la Loi sur les aliments et drogues, et les parties I à IV du Règlement sur les instruments médicaux. De plus, les instruments de diagnostic in vitro pour la détection de l'infection à VIH doivent se conformer aussi à la partie V de ce Règlement.
La partie V du Règlement stipule que tout fabricant doit obtenir une autorisation avant d'offrir pour vente au Canada un instrument de diagnostic in vitro pour la détection de l'infection à VIH. L'autorisation de vente, sous la forme d'un avis de conformité, peut être obtenue en présentant au directeur:
une preuve d'assurance de qualité
une preuve de sécurité et d'efficacité; et
des copies de toute étiquette et tout matériel qui sera inséré dans l'empaquetage de l'instrument.
En vertu du Règlement, le Bureau des instuments médicaux recevra, examinera et évaluera les demandes de vente sans ordonnance de trousses de dépistage de l'infection à VIH à domicile, sur la base de leurs qualités scientifiques.
Des études pré-cliniques et des analyses cliniques appropriées devront vérifier tout aspect technique des trousses sensibilité, spécificité, reproductibilité, stabilité, etc. en comparaison avec un système adéquatement validé pour utilisation professionnelle, de prélèvement et d'analyse de sang ou de tout autre spécimen. D'autres aspects de sécurité et d'efficacité directement reliés à l'utilisation du test, comme la compréhensibilité du mode d'emploi pour les consommateurs, la sécurité de la manutention, etc., devront également être validés dans un essai clinique réalisé auprès de la clientèle cible.
Une fois la sécurité et l'efficacité d'une trousse démontrées, en conformité avec les articles 35 et 36 du Règlement, la DPS émettra un avis de conformité.
La vente et la publicité annonçant la vente par la poste (du Canada ou de l'étranger) de trousses de dépistage du VIH à domicile qui n'ont pas reçu d'avis de conformité (comme l'a fait 1-888-444-TEST Inc.) sont considérées comme contrevenant aux articles 34 et 35 du Règlement. Dans de tels cas, la DPS intervient «et continuera d'intervenir pour faire cesser cette pratique».[14] Cependant, lorsque des particuliers achètent des trousses de dépistage du VIH hors du Canada et les importent pour leur usage personnel, ceci n'est pas considéré comme enfreignant la Loi sur les aliments et drogues ni le Règlement sur les instruments médicaux, pourvu que ces personnes ne tentent pas de distribuer les trousses.
En date de novembre 1996, aucune trousse de dépistage du VIH à domicile n'avait été approuvée pour la vente au Canada. Dans une entrevue, le 30 août 1996, le Dr Choquet du Bureau des instruments médicaux de la Direction de la protection de la Santé a dit que, pour des motifs de confidentialité, Santé Canada ne pouvait révéler si des sociétés avaient demandé un examen de leurs tests pour fins d'approbation. Selon M. Choquet, le processus d'approbation de tests pour le VIH prendrait généralement environ un an.[15]
Comme l'ont dit Schopper et Vercauteren, «les gouvernements de plusieurs pays industrialisés entretiennent peut-être des réticences concernant l'approbation de la vente libre de trousses d'autoprélèvement et d'autoanalyse à domicile, parce qu'ils craignent que les conséquences négatives potentielles de cette nouvelle technologie puissent être plus importantes que ses effets positifs».[16] Dans les sections qui suivent, nous nous penchons donc sur les principaux arguments soulevés par ceux qui sont en faveur du dépistage à domicile et par ceux qui s'y opposent.
Avantages présumés du dépistage à domicile
Dépistage plus répandu
Selon les partisans du dépistage à domicile, il y a besoin urgent d'une nouvelle méthode de dépistage. Ils soulignent que, malgré l'existence de sites pour le dépistage anonyme, bien des gens sont réticents à se présenter pour subir un test:
près de la moitié des Américains séropositifs ont subi un test un an seulement avant de recevoir un diagnostic de maladie liée au sida; et
environ un tiers n'étaient qu'à deux mois d'un diagnostic de sida quand ils ont reçu leur résultat positif au test de dépistage.[17]
Selon les tenants du dépistage à domicile, le caractère anonyme et pratique de ce type de tests encouragera plus de gens à se décider à subir un test:
Maintenant, pour la première fois, le dépistage du VIH peut être fait de manière anonyme dans le confort de son propre foyer. Pas besoin de rendez-vous, et pas besoin de s'absenter du travail. Vous pouvez subir le test au moment qui vous convient.[18]
Cependant, alors qu'il existe certaines données très limitées sur les attitudes des gens face aux trousses d'autoprélèvement à domicile, il n'existe aucune donnée similaire pour appuyer l'affirmation souvent répétée que «le public veut» des trousses d'autoanalyse à domicile. Selon un sondage effectué en 1992,[19]
29% de l'ensemble des répondants, et 42% des répondants considérés «à risque» relativement au VIH, disaient être très susceptibles ou plutôt susceptibles d'utiliser un test par prélèvement à domicile, et
22% de tous les répondants, et 31% de ceux considérés «à risque» relativement au VIH, disaient qu'ils choisiraient un test par prélèvement à domicile de préférence à toutes les autres options.
Les personnes les plus susceptibles de répondre qu'elles utiliseraient un test de dépistage par prélèvement à domicile étaient de sexe masculin, jeunes, non blanches, sans diplôme universitaire, avaient un revenu peu élevé, et présentaient également des facteurs de risque par rapport au VIH/sida, ou croyaient qu'elles avaient des chances d'avoir le sida.
Ces résultats doivent être lus avec prudence: les répondants n'avaient pas été informés du prix du test, et on ne leur a pas demandé pourquoi ils préféreraient le dépistage par autoprélèvement.
En 1996, The Advocate, un magazine américain visant un lectorat gai, a fait un sondage informel auprès de ses lecteurs. Cinquante-deux pour cent des répondants (dont le nombre total est inconnu) disaient qu'ils subiraient un test plus volontiers s'ils pouvaient utiliser une trousse de prélèvement à domicile, tandis que 42% répondaient que la disponibilité des trousses ne ferait aucune différence pour eux, et 6% se disaient indécis.[20]
Accès accru au dépistage anonyme
Actuellement, le dépistage anonyme n'est pas facilement accessible à tous les Canadiens. En fait, comme on le mentionne dans Dépistage du VIH et confidentialité: un document de travail,[21] il n'existe que dans quelques cliniques désignées, dans certaines provinces. Pour plusieurs personnes, surtout dans des régions éloignées ou dans des provinces où le dépistage anonyme n'est toujours pas offert, il est tout simplement impossible de se rendre à ces centres. Un test à domicile pourrait leur donner la possibilité de subir un test dans l'anonymat.
Tests moins intrusifs que les tests traditionnels
Les nouvelles trousses sont moins intrusives que les méthodes traditionnelles de dépistage: elles ne requièrent pas le prélèvement de beaucoup de sang, mais seulement de quelques gouttes à l'aide d'une légère piqûre, ou un prélèvement de salive. On laisse entendre que les gens seraient ainsi plus disposés à subir un test. Par exemple,
un centre multidisciplinaire européen d'étude sur les prostituées a démontré que plusieurs personnes qui refusaient qu'on prélève de leur sang pour le dépistage du VIH consentiraient au prélèvement d'un spécimen de salive;[22]
une étude canadienne a établi qu'en offrant la possibilité d'un test de dépistage au moyen de trousses de prélèvement de salive, plutôt que par prise de sang, on augmentait de 69% à 83% le consentement des utilisateurs de drogue par injection à soumettre des spécimens.[23]
Les nouvelles trousses de dépistage pourraient également être la seule option pour les personnes qui, pour des raisons religieuses, s'opposent aux prélèvements de sang.
Il faut noter que les tests d'autoanalyse ne sont souvent toutefois que des tests de dépistage préliminaire ("screening test"): si une personne obtient un résultat positif, elle devrait subir un test de confirmation par prélèvement sanguin, qui ne sera pas anonyme à moins d'être effectué dans une clinique de dépistage anonyme du VIH.
Effet positif sur la santé publique
Les partisans du dépistage à domicile sont d'avis que les principaux avantages de l'augmentation de la disponibilité et de l'utilisation des tests de dépistage du VIH seraient le traitement précoce, la réduction des coûts, et la diminution de la transmission du VIH par contact sexuel; comme l'exprime Donna E. Shalala, du ministère des Services de santé des États-Unis:
[t]rop de gens ignorent qu'ils sont séropositifs. La connaissance c'est le pouvoir, et le pouvoir conduit à la prévention. La disponibilité des tests de dépistage à domicile devrait donner à plus de gens la possibilité de connaître leur séropositivité, de se protéger et de protéger les personnes qu'ils aiment.[24]
Traitement précoce
L'accès à un traitement précoce basé sur une connaissance plus rapide de la séropositivité procurera des avantages à l'individu si ces services sont disponibles, et là où ils le sont.[25]
Toutefois, dans la vaste majorité des pays, les personnes séropositives asymptomatiques disposent de peu de possibilités de traitement; même au Canada, l'accès aux nouveaux traitements demeure un problème important. Il ne peut y avoir aucun doute qu'une connaissance précoce de la séropositivité puisse être bénéfique, là où les traitements sont accessibles.
Diminution des coûts
Il a été suggéré que la disponibilité de tests de dépistage à domicile pourrait réduire la demande et les coûts associés au dépistage au sein des établissements financés par l'État:
[l]e principal argument est que les personnes séronégatives n'auraient besoin que d'un seul test, administré à la maison, et de peu ou pas de counselling, ce qui réduirait les coûts en ressources humaines et les frais généraux. De plus, les gens paieraient eux-mêmes au moins le premier test, ce qui réduirait les coûts pour le secteur public, particulièrement dans les cas de gouvernements offrent le test sans frais.[26]
Comme le note Frerichs,
[s]eulement environ 2% des personnes qui se présentent dans les centres de dépistage et de counselling sont séropositives. L'argent qui est dépensé pour les nombreuses personnes séronégatives ne peut pas être dépensé pour le traitement et les soins prolongés des personnes séropositives. En supportant un système dans lequel seulement deux pour cent des personnes qui se présentent sont séropositives, nous dépensons pour des personnes séronégatives des sommes d'argent énormes qui pourraient être réparties de façon plus efficace pour ralentir la propagation de l'épidémie.[27]
Dans un autre texte il conclut:
Il est trop coûteux et inefficace pour la plupart des pays d'offrir un test de dépistage en clinique aux personnes chez qui des marqueurs du VIH n'ont pas été décelés auparavant. [...] Les économies réalisées par l'absence de dépistage et de counselling auprès d'un grand nombre de personnes séronégatives permettraient de consacrer plus de ressources aux soins de celles qui sont infectées, incluant le suivi à long terme, l'éducation et le soutien.[28]
Cependant, cette façon de voir néglige de prendre en considération les avantages du counselling et du dépistage volontaire pour les personnes séronégatives: le counselling peut être particulièrement important pour les personnes séronégatives qui s'adonnent à des comportements à risque.
Diminution de la transmission par relations sexuelles
On a suggéré que la disponibilité de tests de dépistage à domicile entraînerait une diminution de la transmission du VIH par les relations sexuelles. Cette opinion prend pour acquis que:
plus de gens subiront un test sans attendre et, s'ils découvrent qu'ils sont séropositifs, ils éviteront d'avoir des comportements à risque;
les couples pourraient établir la présence ou l'absence d'anticorps au VIH chez l'un ou l'autre partenaire et agir en conséquence; et
un partenaire pourrait «discrètement» faire subir un test de dépistage à son conjoint.[29]
Craintes soulevées par le dépistage à domicile
En général, on peut supposer que les risques et les conséquences potentiellement négatives du dépistage à domicile seront beaucoup plus élevés dans les cas où les personnes les plus démunies sont mal protégées par les lois et les règlements, où le statut des femmes est inférieur à celui des hommes, où le contrôle de la qualité des instruments et procédures médicaux est difficile à assurer, où les règlements ne sont pas appliqués, où le degré d'instruction est faible, et où les services de santé sont insuffisants ou difficiles d'accès.[30]
Bien que le dépistage à domicile semble avoir gagné de plus en plus d'appui au cours des récentes années, un certain nombre de questions restent à aborder:
l'ampleur des effets bénéfiques du dépistage à domicile sur la santé publique;
l'exactitude des tests;
l'absence de counselling adéquat;
les risques d'abus;
l'effet sur les services de dépistage existants; et
dans quelle mesure les personnes qui vivent en région éloignée, apprenant leur séropositivité par un test de dépistage à domicile, auraient tout de même de la difficulté à avoir accès aux traitements médicaux.
Effet discutable sur la santé publique
[L'efficacité du] dépistage comme stratégie de prévention ou de modification du comportement demeure incertaine. Ceci est particulièrement vrai de toute forme de dépistage des anticorps au VIH administrée en l'absence de counselling avant et après le test.[31]
La disponibilité du dépistage à domicile aurait-elle réellement un effet bénéfique sur la santé publique? Comme l'affirment Schopper et Vercauteren:
[b]ien que personne n'irait jusqu'à nier les avantages potentiels du dépistage du VIH pour l'individu, son effet sur la santé publique demeure un objet de controverse. En général, la preuve que le dépistage du VIH est susceptible d'entraîner une modification du comportement est mitigée. Il a été démontré que le recours volontaire au dépistage et au counselling peut favoriser l'adoption d'un comportement sexuel plus sécuritaire chez les couples de statut sérologique disparate si les deux partenaires reçoivent un dépistage et du counselling. Cependant, sur le plan de la santé publique, peu de changements de comportement ont été démontrés chez les hétérosexuels s'ils subissent un test seuls... De plus, certaines études ont démontré une augmentation des comportements à risque chez les personnes qui ont établi leur séronégativité au moyen d'un test. Le problème principal est qu'il n'y a que peu de données fiables provenant d'études épidémiologiques solides, et que plusieurs variables sont susceptibles de semer la confusion, par exemple la qualité du counselling offert parallèlement au test de dépistage, la perception initiale du risque par l'individu, l'attitude des membres de la famille ou l'environnement social. Donc après dix années d'expérience en ce qui a trait au dépistage du VIH... nous sommes incapables de tirer des conclusions définitives sur le rôle du dépistage du VIH dans la lutte contre la propagation ultérieure. Le principal argument en faveur d'une plus grande disponibilité des tests de dépistage du VIH est que chacun devrait avoir accès à de l'information sur son propre état de santé pour être en mesure de faire des choix personnels éclairés sur la prévention du VIH et les soins nécessaires. [références omises][32]
En outre, comme tout dépistage anonyme, le dépistage à domicile rendrait impossible la déclaration des noms des personnes séropositives. Certains croient qu'une augmentation de l'accessibilité au dépistage anonyme nuirait aux efforts visant à contrôler l'épidémie du VIH en remontant aux partenaires ou en utilisant d'autres mesures traditionnelles de santé publique.
Exactitude
L'exactitude des nouvelles méthodes de dépistage demeure controversée. Comme l'ont indiqué Schopper et Vercauteren:
un certain nombre de questions concernant l'exactitude des tests demeurent sans réponse, notamment leur sensibilité et leur valeur prédictive; la qualité du test au moment de l'utilisation, dépendant non seulement du fabricant, mais également du transport et de l'entreposage aux points de vente et à la maison; la qualité du spécimen prélevé; la compréhension de l'utilisateur concernant la période d'incubation; et, de façon plus générale, le degré d'éducation nécessaire pour comprendre adéquatement la procédure à suivre. Les tests d'autoanalyse à domicile posent des problèmes supplémentaires, comme les possibilités d'erreurs de manipulation par les profanes, l'interprétation des résultats et les mesures à prendre pour passer un test de confirmation.[33]
Certains des nouveaux tests semblent exacts et fiables: par exemple, la FDA a basé son approbation du test Confide sur des études démontrant que
99,95% des spécimens séronégatifs et 100% des spécimens séropositifs furent identifiés correctement;[34]
des personnes de milieux divers ont été capables de suivre le mode d'emploi de la trousse assez bien pour obtenir un spécimen adéquat pour l'analyse.[35]
Par contraste, selon Schopper et Vercauteren, «l'exactitude de la nouvelle génération de tests à partir de sang de capillaires, d'urine et de salive, qui pourraient éventuellement être utilisés à domicile, n'a pas encore été évaluée à fond, et il n'a pas été démontré qu'ils pouvaient être fiables s'ils étaient réalisés par des profanes.»
On se préoccupe particulièrement du fait que les données sur l'exactitude des tests sont généralement obtenues dans des conditions optimales par des techniciens expérimentés: cela ne reflète pas toujours la situation réelle:
[l]'exactitude des tests simples et rapides qui requièrent une interprétation subjective est étroitement liée à l'expérience. Des opérateurs sans expérience, comme les profanes, peuvent facilement errer dans l'interprétation des résultats. Les dépliants insérés dans les trousses de tests d'autoanalyse à domicile ... prétendent à une très grande fiabilité, alors que pratiquement aucune donnée externe n'est disponible. Il est clair que ces affirmations devraient être validées par des études indépendantes.[36]
De plus, la confirmation d'un résultat positif comporte certaines difficultés.[37] Ceci amenait Schopper et Vercauteren à conclure que:
[l]a sensibilité légèrement inférieure et la difficulté de confirmer un résultat positif demeurent les principaux inconvénients des spécimens autres que le sérum/plasma. Le degré de sensibilité actuellement observé dans les spécimens autres que le sérum/plasma constitue un problème dans l'utilisation pour diagnostic, mais il est acceptable pour des programmes de surveillance.
Manque de counselling
Pour assurer chacun des avantages d'un test de dépistage du VIH, pour réduire la crainte et les effets négatifs du dépistage, et pour augmenter les avantages possibles pour la santé publique, le counselling est devenu un élément essentiel du dépistage volontaire. Idéalement, le processus de counselling devrait commencer avant l'administration du test de dépistage, pour discuter de sa nécessité pour le patient, fournir des informations exactes sur le VIH, clarifier certains aspects techniques du dépistage, discuter des comportements à risque passés et des stratégies de réduction des risques, et pour aider à réfléchir aux implications du résultat du test, particulièrement s'il est positif. Après le test, le counselling devrait pouvoir fournir un soutien émotif et aider la personne à trouver les soins médicaux et sociaux les plus adéquats.[38]
Le counselling, avant et après le test, est généralement considéré comme un ingrédient essentiel du dépistage du VIH, et on redoute sérieusement les éventuelles conséquences négatives de l'absence de counselling préalable et, dans le cas du test de dépistage par autoanalyse, de counselling postérieur. Le counselling préalable au test est important parce qu'il donne une occasion de s'informer du réseau d'entraide d'un candidat au test. Les conseillers saisissent en général cette occasion pour suggérer au candidat de chercher du support moral auprès de sa famille ou de ses amis pendant cette période éprouvante, et surtout au moment d'obtenir le résultat du test.
Le counselling postérieur au test est peut-être encore plus important:
Les personnes dont le résultat est négatif ont besoin de recevoir des conseils sur les mesures à prendre pour demeurer séronégatives;
les utilisateurs ont également besoin d'être informés sur la période d'incubation (ou «période fenêtre») entre le moment de l'infection et le moment où un test de dépistage du VIH peut la détecter. Autrement, ils pourraient être faussement rassurés par un résultat négatif;
les gens comprennent généralement très peu des choses qu'on leur dit immédiatement après leur avoir annoncé un résultat positif; c'est pourquoi des rencontres de suivi sont essentielles pour les aider à supporter cette nouvelle.[39]
D'importance, on a exprimé l'avis que, postérieurement au test, le counselling par téléphone ne pouvait pas être aussi efficace que le counselling de personne à personne: dans le counselling postérieures au test, on doit porter attention aux réactions émotionnelles du candidat face au résultat de son test. Ceci est particulièrement important quand le résultat est positif, car cela peut causer un grand bouleversement émotif, une panique ou des pensées suicidaires. Sous le coup du choc, le client pourrait simplement raccrocher le téléphone et mettre fin à toute possibilité de l'aider à surmonter ses réactions. En outre, les conseillers tiennent fortement compte des indices visuels, comme le langage corporel, pour orienter leur intervention.[40] Ces nuances ne peuvent être perçues au cours d'une conversation téléphonique.
Par opposition, les partisans du dépistage du VIH à domicile sont d'avis que:
le counselling préalable au test n'est pas essentiel; et que
le counselling après le dépistage à domicile «pourrait être donné plus efficacement par téléphone, ce qui coûterait moins cher et assurerait l'anonymat. Les personnes dont les résultats sont positifs seraient orientées vers les services de santé appropriés, ou prendraient elles-mêmes contact avec eux.»[41]
En réponse à l'argument selon lequel le counselling de personne à personne est essentiel à cause du risque de suicide provoqué par la nouvelle d'un résultat positif, certains disent que les pensées suicidaires sont liées de plus près à la manifestation des symptômes, qu'à la nouvelle du résultat positif lui-même.[42]
Enfin, il a été allégué que le counselling par téléphone peut en fait être de qualité supérieure au counselling en personne que bien des gens reçoivent. Selon un commentateur:
Les commerçants de produits de dépistage à domicile peuvent former des conseillers spécifiquement pour faire du counselling sur le VIH à temps plein. La supériorité potentielle des conseillers au téléphone découlerait de leur formation spécifique sur le VIH et de l'expérience qu'ils acquerraient à accomplir cette fonction à temps plein. Grâce à leur formation et à leur expérience, ces professionnels pourraient atteindre un degré d'expertise difficile à égaler par les médecins, dont les activités sont plus diversifiées.[43]
Les partisans du dépistage à domicile insistent pour que le counselling téléphonique soit évalué par rapport à la pratique réelle, et non par rapport à des standards idéalisés.[44] Tout en admettant que le counselling face à face offert dans les cliniques de dépistage spécialisées peut être de fait plus efficace que le counselling téléphonique, ils rappellent que la plupart des Canadiens se font administrer le test par leurs médecins, dont plusieurs n'ont pas beaucoup d'expérience de counselling et ont souvent peu de temps à y consacrer: le counselling téléphonique peut constituer une amélioration par rapport soutien que reçoivent bien des gens dans la réalité . Certains évoquent le succès des services téléphoniques d'urgence suicide pour démontrer que le counselling téléphonique peut être efficace dans des situations de crise.[45]
Cependant, Schopper et Vercauteren formulent des mises en garde contre ce type d'arguments, en indiquant qu'un certain contrôle de la qualité du processus de counselling téléphonique serait nécessaire, et que
on ne sait pas clairement qui offrirait ce service et qui en paierait les coûts. Si c'est la responsabilité du fabricant du test, comme cela a été suggéré, les incitations à la formation, à la supervision et au maintien de conseillers qualifiés seraient limitées, si aucun système de certification périodique n'est mis en place.[46]
Risques d'abus
L'une des principales inquiétudes formulées par les adversaires du dépistage à domicile est la possibilité que des abus soient commis par les institutions employeurs, sociétés d'assurance, police, douaniers et par les partenaires sexuels, en particulier par des hommes contre des femmes.[47]
Les partisans du dépistage à domicile prétendent que les possibilités d'abus ne seraient pas très différentes de celles qui existent déjà, et qu'une technologie potentiellement bénéfique ne devrait pas être écartée en raison du fait qu'elle pourrait entraîner des abus.[48] Il serait préférable, selon eux, de minimiser les abus potentiels des tests de dépistage à domicile en adoptant ou en renforçant des lois pour punir les personnes qui feraient subir des tests à d'autres contre leur gré ou à leur insu.
Cependant, certaines inquiétudes subsistent: la facilité avec laquelle un test de dépistage à domicile peut être imposé à une personne, et l'accès rapide et facile au résultat, que ce soit à la maison ou par téléphone, rend l'option séduisante et pratique pour ceux qui voudraient faire subir un test à d'autres sans leur consentement. Selon Schopper et Vercauteren, il y a au moins deux raisons pour lesquelles le dépistage à domicile serait plus propice aux abus que le dépistage en laboratoire:
le test est plus facile à administrer sous la menace; et
il y a moins d'assurance de confidentialité, parce que le résultat est directement disponible à la maison ou par un appel téléphonique.
De plus, les tests de dépistage par autoanalyse, qui permettent d'obtenir un résultat immédiat,
pourraient être utilisés directement aux frontières, ou par de futurs employeurs ou des partenaires sexuels, avec peu ou pas de consentement par la personne testée. Étant donné le degré de persistance de la discrimination et de la stigmatisation dans plusieurs pays, ces risques d'abus sont inquiétants.[49]
Effets sur les procédures actuelles de dépistage
Une autre inquiétude réside dans les effets possibles de la disponibilité des tests de dépistage à domicile sur les options existantes. Il a été affirmé qu'en augmentant la fiabilité du dépistage à domicile on allégerait le fardeau imposé aux laboratoires de dépistage actuels, et qu'on pourrait consacrer des ressources à d'autres secteurs, tels les campagnes de prévention et la recherche. Cependant, les autorités pourraient être tentées de couper tout simplement les fonds publics alloués au dépistage, par souci d'économie. Par ailleurs, une étude australienne sur le dépistage du VIH a démontré que, dans un État australien où on a commencé à percevoir un certain montant par utilisateur pour le test de dépistage du VIH, le nombre de candidats a diminué, même si le dépistage est encore offert sans frais dans certaines cliniques.[50]
Leçons à tirer des tests de grossesse à domicile
Comme l'indiquent Schopper et Vercauteren, le seul autre test à domicile concernant la détection d'un état de santé par opposition aux procédés de surveillance de l'évolution d'une maladie déjà diagnostiquée, comme l'hypertension ou le diabète qui est utilisé de façon très répandue est le test de grossesse à domicile. Évidemment, les conséquences d'un test positif de dépistage du VIH sont passablement différentes de celles d'un test de grossesse positif:
La nouvelle qu'une personne est enceinte peut être vue de plusieurs manières. Ce type de nouvelle peut être considéré comme positif ou négatif selon une grande quantité de facteurs, tels le statut économique, le statut social, le logement, l'emploi, l'état de santé, etc. De plus, quand une femme considère qu'être enceinte est une mauvaise nouvelle, elle peut prendre plusieurs mesures pour modifier cette réalité, comme envisager l'adoption, se faire avorter ou tenter de changer par divers moyens les circonstances dans lesquelles elle se trouve.[51]
Néanmoins, certaines leçons tirées des tests de grossesse pourraient être utiles en ce qui a trait aux tests de dépistage du VIH à domicile. En particulier, des études ont démontré que:
le résultat d'un test est en moyenne moins précis quand le test est effectué par un profane;
l'utilisateur doit être suffisamment informé pour comprendre les procédures de fonctionnement et connaître l'existence de la période fenêtre; et
l'utilisateur doit avoir accès sans délai à des services de santé pour obtenir une confirmation du résultat du test ou recevoir les soins nécessaires.[52]
Réactions possibles face au dépistage à domicile
La réglementation et ses limites
Ceux qui considèrent que les méfaits potentiels de la disponibilité des tests de dépistage par prélèvement ou par autoanalyse excèdent considérablement les avantages possibles peuvent soutenir que leur introduction sur le marché canadien devrait être empêchée. Toutefois, bien que la loi soit rédigée en termes suffisamment larges pour empêcher la plupart des tentatives visant la promotion de ces produits à l'intention des Canadiens, il serait difficile d'empêcher les gens de les acheter à l'extérieur du Canada et de les rapporter pour leur usage personnel:
Il semble que les États-Unis adopteront bientôt une politique favorisant le dépistage du VIH à domicile. Pour le Canada, la question peut donc devenir théorique, parce qu'il est à peu près impossible d'empêcher complètement l'utilisation de ce type de test. La publicité et la vente du test au Canada auraient beau être interdites, les Canadiens pourront probablement avoir facilement accès au test soit aux États-Unis, soit par la poste en provenance des États-Unis.[53]
Établissement de conditions préalables à l'approbation: l'approche de Bayer
Une autre solution possible serait l'adoption d'une politique qui permettrait la vente des trousses de dépistage à domicile qui rencontreraient un certain nombre de critères établis pour minimiser les effets néfastes potentiels. Les fabricants devraient démontrer que leurs trousses offrent une exactitude et des normes de counselling comparables à celles qu'on attend des tests traditionnels. Si les trousses de dépistage à domicile étaient d'abord offertes à titre d'essai limité, nous serions peut-être mieux en mesure d'évaluer les risques et les avantages qu'elles comportent. Bayer suggère, comme condition à l'approbation gouvernementale, que des études ultérieures à la mise en marché soient entreprises, incluant:
une comparaison du dépistage à domicile par rapport aux pratiques actuelles, et non par rapport à des standards idéalisés;
une étude démographique des utilisateurs du test, des renseignements sur la qualité du counselling téléphonique, et des données sur le degré de satisfaction des consommateurs;
une comparaison avec le counselling en personne; et
les effets sur le système public existant de dépistage et de counselling.[54]
L'approche de Schopper et Vercauteren
Selon Schopper et Vercauteren, on devrait aborder avec beaucoup de prudence l'évaluation des trousses de dépistage du VIH à domicile. Tout en reconnaissant que les nouvelles technologies peuvent avoir des mérites considérables et peuvent modifier de plusieurs façons notre approche de l'épidémie du VIH, ils ajoutent:
nous devons reconnaître que plusieurs questions techniques, psychologiques et sociales demeurent sans réponse. Étant donné la nature de l'infection à vie, incurable et fatale et la stigmatisation qui s'y rattache, il paraîtrait irresponsable de laisser ces nouveaux tests entre les mains de profanes avant d'avoir répondu au moins à quelques-unes des questions les plus essentielles.[55]
Ces questions concernent les deux formes de dépistage à domicile, mais doivent dans certains cas les aborder distinctement:
Quelle est l'exactitude intrinsèque des tests par autoprélèvement à domicile et des tests par autoanalyse à domicile qui sont actuellement disponibles?
Quelle est leur fiabilité dans le contexte d'utilisation par des profanes, en tenant compte de la période fenêtre suivant un comportement à risque?
Quelle est la probabilité que les personnes qui obtiennent un résultat positif au moyen d'un test de dépistage à domicile négligent de subir un test de confirmation, et quelles pourraient être les conséquences d'un tel comportement?
Quel est le rapport coût/efficacité des tests par autoprélèvement ou des tests par autoanalyse à domicile, par comparaison au dépistage en clinique?
Quelle est la demande pour ces tests et comment sont-ils acceptés dans divers environnements socio-économiques?
Quels besoins et quelles craintes les utilisateurs potentiels expriment-ils?
Quelle est l'importance du counselling avant et après le test? Cette importance est-elle liée au fait que le résultat soit négatif ou positif?
Comment le counselling postérieur au test peut-il être assuré dans des milieux aux ressources limitées, et comment en assurer la qualité?
Que feront les individus après avoir reçu un résultat de test à la maison?
Quels sont les risques d'abus dans diverses circonstances, et comment les abus peuvent-ils être prévenus?
Schopper et Vercauteren croient que des recherches qualitatives et quantitatives relativement restreintes pourraient nous permettre de trouver certaines réponses, et que l'expérience vécue aux États-Unis en rapport avec les tests par autoprélèvement qui y ont été approuvés devrait être étudiée de près. De plus, à leur avis, certaines exigences minimales à remplir pour tous les tests devraient être définies, notamment:
tout test vendu comme test d'autoanalyse devrait avoir un mécanisme de contrôle interne qui valide le résultat du test;
aucun test ne devrait être vendu dans un autre pays avant d'avoir été approuvé par l'organisme de réglementation du pays de fabrication, car il y a un danger que des tests de qualité inférieure soient mis en marché dans des pays en voie de développement qui n'ont pas d'organisme de réglementation, ou qui ont un dépourvu de pouvoirs; et
le test doit comporter des directives claires sur la façon de confirmer un résultat positif.
Finalement, Schopper et Vercauteren suggèrent que les nouvelles technologies de dépistage pourraient être utilisées dans des centres existants de dépistage volontaire et de counselling, pour permettre aux clients d'obtenir immédiatement une indication du résultat d'un test:
En cas de résultat positif initial, un spécimen de sang peut immédiatement être prélevé pour qu'un test de confirmation soit réalisé, ce qui rend tout le système plus humain pour le client et probablement moins coûteux. En outre, cette approche pourrait réduire le taux élevé d'abandon par les clients, qu'observent actuellement certains établissements après le counselling initial et le prélèvement de sang.
Conclusion
La disponibilité de trousses de dépistage du VIH à domicile peut avoir de grands avantages potentiels, mais elle comporte également des risques importants. Contrairement à ce qu'a déclaré l'ancien ministre de la Santé américain, C. Everett Koop,[56] les trousses de dépistage à domicile ne sont certainement pas «l'arme la plus importante que nous puissions employer dans la lutte contre le sida». En fait, cette déclaration reflète l'échec de la politique de lutte contre le sida aux États-Unis un pays où les programmes d'échange de seringues n'ont toujours pas été autorisés, bien qu'on ait démontré qu'ils réduisent considérablement le taux d'infection parmi les utilisateurs de drogue par injection davantage que l'efficacité des tests de dépistage à domicile. Elle reflète également la croyance répandue, mais non démontrée, que le dépistage équivaut à la prévention, une approche d'autant plus dangereuse qu'elle peut conduire à la réduction du financement des efforts de prévention qui ont connu du succès, comme le counselling, l'éducation, l'accès généralisé à des moyens de prévention comme les condoms et les seringues stériles, et, de façon plus générale, les efforts communautaires pour prévenir la propagation du VIH.
Actuellement, nous n'avons pas assez de données sur les tests par autoprélèvement à domicile, ni, en particulier, sur les tests par autoanalyse. En même temps, les gens peuvent déjà importer des trousses de dépistage au Canada pour leur usage personnel. Comment le Canada devrait-il aborder les nombreuses questions soulevées? Les principaux sujets de préoccupation seront l'absence de counselling face à face, les risques d'abus et l'effet sur les services de dépistage existants, plutôt que l'exactitude et la fiabilité des tests: de fait, on peut facilement présumer que, dans le cas d'au moins certains tests en particulier les tests par autoprélèvement , on ne pourra pas justifier l'opposition en invoquant l'inexactitude ou un manque de fiabilité. Les personnes qui prodiguent du counselling, les personnes séropositives, et celles qui les soignent et travaillent avec elles devront être consultées, pour qu'il soit possible de mieux évaluer l'effet potentiel de la disponibilité du dépistage à domicile au Canada. Elles seront mieux en mesure de répondre à certaines questions soulevées par Schopper et Vercauteren, et elles pourront contribuer à la conception et à la réalisation d'études qui permettront d'obtenir des réponses à ces questions. Il est particulièrement important d'étudier l'effet potentiel de l'approbation du dépistage du VIH comportant uniquement un counselling téléphonique (dépistage par prélèvement à domicile) ou aucun counselling (dépistage par autoanalyse).
Les tests de dépistage à domicile sont des instruments comprenant des avantages potentiels pour les individus, des bénéfices non démontrés pour la société, et représentant des intérêts commerciaux énormes. Leur introduction comporte plusieurs risques qui doivent être mieux évalués avant qu'ils ne soient répandus au Canada.
En général, les trousses de dépistage par autoprélèvement à domicile sont sans doute plus susceptibles d'être approuvées que les trousses d'autoanalyse à domicile. Elles assurent une plus grande exactitude et de meilleures chances d'intégrer une composante de counselling que les tests d'autoanalyse. Ces derniers pourraient trouver leur utilité dans les établissements existants de dépistage et de counselling.
Michael Palles et Ralf Jürgens
«En tant qu'homme qui vit avec le VIH depuis quatorze ans, je ne peux imaginer de me tester moi-même. Je ne peux tout simplement pas. ... C'est le counselling qui m'a gardé en vie, l'attitude positive, l'aide et le soutien. Rejeter tout cela et dire faites-le vous-même, je crois que c'est vraiment s'attirer des problèmes.»
Personne vivant avec le VIH, propos rapportés dans A. Picard, «Home HIV Test Sparks Hot Debate», Globe and Mail, 10 juillet 1996, p. A5.
L'introduction sur le marché de tests de dépistage du VIH à domicile est une révolution dans l'histoire de la santé et de la médecine. Ce serait la première fois qu'une personne aurait la possibilité de diagnostiquer elle-même une maladie chronique, incurable et fort probablement fatale.
Doris Schopper
Bien que les connaissances techniques sur cette nouvelle technologie de dépistage soient relativement avancées, il n'existe pratiquement aucune information sur les effets potentiels que la disponibilité à grande échelle des tests de dépistage à domicile aurait sur les individus, sur les groupes de population plus à risque ou vulnérables au VIH, et sur la société en général. Il est donc actuellement impossible pour les décideurs et les planificateurs de faire des choix éclairés sur l'utilisation de ces tests. Si nous voulons respecter le principe d'Hippocrate: primum non nocere (avant tout ne pas faire de mal), il est essentiel que des recherches sérieuses soient entreprises sans délai dans divers établissements, sur les questions soulevées... et que les décisions sur l'utilisation de tests de dépistage par prélèvement à domicile ou par autoanalyse à domicile par des profanes soient basées sur les résultats.
Doris Schopper
Ne basons pas nos décisions de politiques sur l'existence de la technologie, mais sur des données scientifiques solides et sur les résultats d'une consultation avec les consommateurs, notamment avec des personnes vivant avec le VIH et le sida. Par-dessus tout, c'est la science, et non la technologie, qui devrait nous guider .
Michael Merson
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NOTES
[1] Commentaire formulé par R. Frerichs lors de l'atelier sur le dépistage du VIH à domicile, dans le cadre de la XIe Conférence internationale sur le sida, Vancouver, 8 juillet 1996.
[2]D. Schopper, G. Vercauteren, «Testing for HIV at Home. What Are the Issues?», AIDS 1996 (à paraître), et autres références.
[3] N. Freundlich, «The Trials of a Home HIV Test», Business Week, 18 mars 1996, p. 56.
[4] «Health Notes. Home Testing for HIV Infection», United Press International, 15 mai 1996.
[5]Direct Access Diagnostics. The Confide HIV Home Testing and Counselling Service, publicité distribuée à l'occasion du HIV & Telemedicine Symposium, Vancouver, 9 juillet 1996.
[6] «New Home HIV Test Goes on Sale Nationwide», Bangor Daily News, 25 juillet 1996.
[7]M. Wilke, «J&J'S Confide Faces Legal Battle, New Rival», Advertising Age, 1996, 67(32): 3; C. Hutchcraft, «AIDS Tests Join At-Home Diagnostics», Chicago Tribune, 7 octobre 1996, p. 4-1.
[8] «Home Tests for HIV Available by Fall», The Times Union (Albany, NY), 26 juillet 1996, p. B2.
[9] R. Bayer, «Testing for HIV Infection at Home», New England Journal of Medicine, 1995, 332: 1296. Voir aussi une version revue de cet article, infra.
[10] Schopper et Vercauteren, supra, note 2.
[11] Ibid.
[12] Ibid., avec les références.
[13] W. Immen, «Mail-Order HIV Saliva Test Raises Concerns», The Globe & Mail, 13 mai 1996.
[14]Comminucation reçue de C. Choquet, Direction de la protection de la santé, Santé Canada, 14 novembre 1996.
[15] Communication avec C. Choquet, Direction de la protection de la santé, Santé Canada, 30 août 1996.
[16] Schopper et Vercauteren, supra, note 2.
[17]Témoignage devant le Comité consultatif sur les produits du sang de la FDA, Washington DC: Centers for Disease Control and Prevention, 1994, cité dans Bayer, infra.
[18] Direct Access Diagnostics, supra, note 5.
[19] K. Phillips et al., «Potential Use of Home HIV Testing», New England Journal of Medicine, 1995, 332: 1308.
[20] «Advocate Poll Results», The Advocate, 23 juillet 1996, p. 8.
[21] M. Palles, R. Jürgens, Montréal, Réseau juridique canadien VIH/sida et Société canadienne du sida, 1996.
[22] European Working Group on HIV Infection in Female Prostitutes, «HIV Infection in European Female Sex Workers: Epidemiological Link with the Use of Petroleum-Based Lubricants», AIDS, 1993, 7: 401.
[23] C.J. Major et al., «Comparison of Saliva and Blood for Human Immunodeficiency Virus Prevalence Testing», dans British Columbia Centre for Excellence in HIV/AIDS, HIV/AIDS Reserach in British Columbia. A Ten Year Retrospective, Vancouver, Le Centre, 1996, 200, à 203.
[24]«HIV Home Test Could Aid Prevention, Awareness», The Nation's Health, juillet 1996, p. 6.
[25] Schopper et Vercauteren, supra, note 2.
[26] Ibid., et référence à S.R. Salbu, «HIV Home Testing and the FDA: The Case for Regulatory Restraint», Hastings Law Journal, 1995, 46(2): 403-457. Voir aussi Bayer, infra.
[27] Supra, note 1.
[28]R. Frerichs, HIV Testing - A Reply, de owner-sea-aids@bizet.inet.co.th, 2 octobre 1996.
[29] Schopper et Vercauteren, supra, note 2, avec référence à R. Frerichs, «Personal Screening for HIV in Developing Countries», Lancet, 1994, 343: 960-962.
[30] Schopper et Vercauteren, supra, note 2.
[31] Graydon, supra, note 13.
[32] Schopper et Vercauteren, supra, note 2, et les nombreuses références.
[33] Ibid.
[34]«HIV Home Test Could Aid Prevention, Awareness», supra, note 25.
[35] «Home HIV Test Is Found to Be Reliable and Effective», AIDS Weekly Plus, 2 octobre 1995, p. 29.
[36]Schopper et Vercauteren, supra, note 2, et les références.
[37]Ibid., avec de nombreuses références.
[38] Ibid.
[39] Ibid.
[40] Communication avec Margaret Shore, Hassle-Free Clinic, Toronto, le 26 août 1996.
[41]Schopper et Vercauteren, supra, note 2, avec références.
[42] B.M. Branson, H.D. Gayle, «Home Testing for HIV It's Coming. Are You Ready?», International AIDS Society Newsletter, Mars 1996, 4.
[43] S. Salbu, supra, note 27, à la p. 424.
[44]Voir Bayer, infra.
[45] Ibid.
[46] Schopper et Vercauteren, supra, note 2.
[47] Ibid.
[48] Salbu, supra, note 27, à la p. 427.
[49]Schopper et Vercauteren, supra, note 2.
[50] E.M. Stevenson, S.C. THompson, N. Crofts, «HIV Testing and Policy Change, an Analysis Based on Statewide HIV Testing Data», Abrégé Mo.C.212, XI Conférence internationale sur le sida, 7-12 juillet 1996.
[51] Graydon, supra, note 13.
[52] Schopper et Vercauteren, supra, note 2.
[53] William Flanagan, Commentaires sur le Document de travail sur le dépistage du VIH et la confidentialité, Toronto, 10 octobre 1996.
[54] Voir infra.
[55]Schopper et Vercauteren, supra, note 2.
[56] Cité dans Bayer, infra.