SAVOIR FAIRE
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Canadian Illustrated News.
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En l'honneur du Mois de l'histoire des femmes, la séance d'octobre de SAVOIR FAIRE a porté sur un groupe de femmes dont la vie n'a suscité en général que peu d'intérêt - celui des domestiques d'ascendance irlandaise. Même si l'immigration irlandaise fut un élément essentiel de la colonisation de l'Ontario au 19e siècle, les Irlandaises, dont plusieurs travaillaient comme domestiques, ont peu retenu l'attention des historiens. Madame Marilyn Barber, qui enseigne au département d'histoire de l'Université Carleton, a examiné en détail la vie des domestiques immigrantes. 1 Dans sa présentation intitulée « Un examen de l’expérience des immigrants : les domestiques d’ascendance irlandaise dans l’Ontario du 19e siècle », elle a exploré quelques-uns des documents offrant un aperçu de la vie des domestiques d'ascendance irlandaise dans l'Ontario du 19e siècle.
Mme Barber a d'abord raconté comment elle et sa collègue Lorna McLean, de la faculté d'éducation de l'Université d'Ottawa, en sont venues à collaborer dans leur étude des domestiques d'ascendance irlandaise. Mme McLean, à la suite de recherches sur le système de droit criminel au 19e siècle, avait découvert que plusieurs domestiques avaient été incarcérées en Ontario au cours de cette période, la plupart d'entre elles étant d'ascendance irlandaise. Mme McLean demanda donc à Mme Barber, experte reconnue sur les domestiques immigrantes, de collaborer avec elle. Les deux femmes ont préparé ensemble un article qui paraîtra dans le livre Sisters or Strangers. 2 Ce sera la suite de Looking into My Sister’s Eyes, l'un des premiers examens de l'histoire des immigrantes canadiennes, publié en 1986. 3
Marilyn Barber a expliqué qu'au 19e siècle, les domestiques féminines étaient en forte demande. Les immigrantes sans formation pouvaient donc facilement obtenir un emploi dans les foyers ontariens. La majorité des domestiques du 19e siècle étaient arrivées d'Irlande par migration familiale ou régionale ou envoyées par les hospices irlandais. Mme Barber a fait remarquer que malgré leur rôle important dans les foyers ontariens au 19e siècle, on ne sait que très peu de choses sur ces femmes, car elles ont laissé très peu de lettres, journaux intimes ou mémoires nous relatant leurs réflexions, sentiments, espoirs ou craintes. Les meilleures sources d'information sur les domestiques d'origine irlandaise du 19e siècle sont les dossiers des gouvernements, des tribunaux, des asiles et des agences de secours ou de réforme.
Marilyn Barber a décrit la vie monotone qui était souvent le lot de ces femmes. Elles effectuaient des travaux essentiels au foyer en plus d'être un symbole de statut social pour leur employeur. Même si les conditions variaient selon les employeurs et l'environnement, rural ou urbain, les domestiques d'ascendance irlandaise travaillaient souvent dans l'isolement, et le traitement reçu dans les foyers où elles vivaient ne faisait que confirmer leur statut social inférieur.
Immanquablement, des domestiques d'ascendance irlandaise éprouvaient des difficultés à s'adapter à la vie au Canada et à satisfaire aux exigences des employeurs canadiens. Même si quelques-unes avaient travaillé comme domestiques en Irlande, elles n'étaient pas habituées aux coutumes canadiennes et étaient mal préparées au fréquent isolement de leur nouvelle existence. Plusieurs Irlandaises venaient de régions rurales pauvres et étaient habituées à une alimentation peu variée, à préparer la nourriture sur un feu de tourbe et à vivre dans une petite cabane, presque sans meubles. Elles ne savaient pas faire la cuisine dans des foyers canadiens de la classe moyenne ni entretenir des maisons meublées d'ornements et de meubles victoriens minutieusement sculptés. Marilyn Barber a montré comment cette différence de classe entre les domestiques pauvres d'ascendance irlandaise et leurs employeurs était souvent décrite dans la littérature de l'époque comme une particularité ethnique de personnalité ou d'intelligence. Le Canadian Illustrated News des années 1870 et 1880 caricaturait les domestiques d'ascendance irlandaise, les présentant comme généreuses et enthousiastes, mais bornées et stupides.
Publications tirées de la collection de la Bibliothèque nationale et traitant des domestiques travaillant en Ontario.
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Mme Barber a ensuite expliqué comment les domestiques irlandaises travaillant en Ontario ont été assujetties aux interrogations, à la surveillance et aux enquêtes gouvernementales quand des problèmes les ont amenées en cour, en prison ou dans des refuges. Elle a fait remarquer que c'est la raison pour laquelle plus de dossiers ont été ouverts au 19e siècle sur la minorité de femmes irlandaises ayant vécu des difficultés assez sérieuses pour attirer l'attention de l'État que sur la majorité vivant dans des circonstances plus heureuses ou ayant trouvé de meilleures solutions aux problèmes communs aux immigrants. Elle a noté que les dossiers légaux et médicaux de l'État ont révélé des cas individuels de comportement illégal ou socialement inacceptable, tout en offrant un aperçu des modes de vie déviants et des défis rencontrés par beaucoup de domestiques immigrantes d'ascendance irlandaise.
L'étude d'un échantillonnage de registres de prisons des comtés de quatre collectivités ontariennes, couvrant des comtés ruraux et urbains de la deuxième moitié du 19e siècle, a permis à Marilyn Barber et à sa collègue Lorna McLean de découvrir que la moitié des femmes en prison déclarant une occupation étaient domestiques ou gouvernantes; de celles-là, le plus grand groupe ethnique venait d'Irlande. Elles ont aussi trouvé des modèles dans les types de crimes ayant amené ces femmes en contact avec le système judiciaire. Les quatre principaux motifs d'incarcération des domestiques d'ascendance irlandaise étaient dans l'ordre : ivresse, vagabondage, vol simple et démence. Durant cette présentation, Mesdames Barber et McLean ont choisi de se concentrer sur les incarcérations pour ivresse et démence. Les registres des prisons ne mentionnent que les femmes trouvées en état d'ivresse dans des endroits publics et gardées à vue; cependant, près de la moitié des Irlandaises en prison ont été incarcérées pour ivresse. Mme Barber a discuté des raisons possibles de cette fréquence si élevée, ainsi que l'impact d'une arrestation pour ivresse sur les perspectives d'emploi d'une domestique.
Marilyn Barber a ensuite commencé à parler des domestiques emprisonnées pour démence. Dans la deuxième moitié du 19e siècle, de nombreuses domestiques en prison de comté ont été transférées pour de plus longs termes dans des asiles d'aliénés provinciaux. Le premier asile permanent de l'Ontario ouvrit ses portes à Toronto en 1850 dans le cadre d'un effort global de création d'institutions spécialisées où l'aliéné pouvait recevoir un « traitement moral » plutôt qu'être simplement interné. Les registres et dossiers d'asiles du 19e siècle mentionnaient le lieu de naissance, l'occupation, l'âge, la religion et l'état civil; ils représentent donc une source précieuse d'information pour les historiens intéressés aux immigrants ontariens. L'occupation la plus commune des femmes admises dans les asiles du 19e siècle étant celle de domestique, les registres des asiles sont particulièrement utiles dans l'examen de certaines des contraintes reliées à une vie de servitude. 4
Dans l’ordre habituel : Marilyn Barber et Nina Milner, coordonnatrice, SAVOIR FAIRE.
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Mme Barber a ensuite parlé de quelques-unes des découvertes qu'elle et Mme McLean ont fait durant leur examen des dossiers du Rockwood Asylum de Kingston. Elle y ont remarqué que les domestiques d'ascendance irlandaise formaient le groupe de domestiques le plus nombreux après celles nées au Canada, et que la plupart de ces domestiques d'ascendance irlandaise étaient des célibataires dans la trentaine ou la quarantaine au moment de leur admission. Mme Barber suppose que ce serait une indication que les femmes ayant passé l'âge où l'adaptation est plus facile étaient moins résistantes ou moins dociles en tant que domestiques. Les femmes dans la trentaine avaient aussi passé l'âge normal de se marier et pouvaient être considérées au 19e siècle comme ayant manqué l'objectif le plus socialement acceptable dans la vie d'une femme.
Même si les registres des asiles ne contenaient pas de données suffisantes pour permettre à Mme Barber de tirer des conclusions générales, les dossiers individuels contenaient des indices fascinants sur les tensions sociales, émotionnelles et physiques auxquelles ces domestiques irlandaises faisaient face. Ces dossiers contiennent en effet des allusions à l'isolement, à la pauvreté, au surmenage et aux conditions difficiles qui pouvaient amener une immigrante irlandaise à se comporter de manière inacceptable. Mme Barber a présenté des exemples bouleversants de femmes souffrant des conséquences d'une mauvaise santé physique, de l'isolement et de l'absence de réseaux de soutien familiaux ou amicaux, de femmes succombant à la peur de la pauvreté et à la nostalgie de leur patrie irlandaise.
Marilyn Barber a conclu en expliquant que même si le service domestique offrait la chance aux femmes irlandaises d'économiser pour une vie meilleure, il pouvait aussi entraîner une perte de statut pour celles qui ne pouvaient s'adapter. Si les registres des prisons et asiles ne révèlent pas toute la portée de l'expérience vécue par l'immigrante irlandaise servant comme domestique au Canada, ils ajoutent une autre dimension à notre compréhension de l'apport et de l’héritage laissés par ces femmes immigrantes à la vie canadienne. Elle a fait remarquer que si la majorité des domestiques immigrantes irlandaises se sont mariées, il est ironique que parmi les femmes qu'elle a étudiées -- et qui contribuèrent à la construction des foyers coloniaux -- peu eurent à quelque moment que ce soit l'occasion d'avoir leur propre foyer.
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1 Les publications de Marilyn Barber incluent de nombreux articles sur les domestiques immigrantes, en particulier Immigrant Domestic Servants in Canada. Canadian Historical Association, 1991 et « The Women Ontario Welcomed: Immigrant Domestics for Ontario Homes, 1870-1930 », Ontario History, LXXII, no 3, septembre 1980, p. 148-172.
2 Sisters or Strangers, édité par Marlene Epp, Franca Iacovetta et Frances Swyripa, sera publié par University of Toronto Press.
3 Jean Burnet, éd. Looking into My Sister’s Eyes: an Exploration in Women’s History, Toronto, Multicultural History Society of Ontario, 1986. Ce livre contient un article sur les domestiques immigrantes écrit par Marilyn Barber, intitulé « Sunny Ontario for British Girls, 1900-1930 », p. 55-73.
4 Wendy Mitchinson, « Gender and Insanity as Characteristics of the Insane: a Nineteenth-Century Case », CBMH\BCHM, vol. 4, 1987, p. 99-117.