Sauter les liens de navigation (touche d'accès : Z)
Bibliothèque nationale du Canada
Page d'accueil BNC EnglishContactez-nousAideRecherche BNCGouvernement du Canada

Bulletin SommaireArticle suivant


Juillet / Août
2001
Vol. 33, no 4

Les étendards de Lord Grey : dévoilement d'indices au 395 Wellington

Tapestry
Avec la permission de James Topley / Archives nationales du Canada PA-197758.

Maria Belanger
Services de recherche et d'information

Lors de la présentation Savoir Faire d'avril 2001, la Bibliothèque nationale du Canada a eu le privilège de recevoir madame Jennifer Salahub, qui a présenté un exposé illustré sur les étendards de Lord Grey. Madame Salahub, historienne du textile et titulaire d'une maîtrise dans l'histoire canadienne de l'art de l'Université Concordia et d'un doctorat en histoire de la conception du Royal College of Art à Londres, Angleterre (1998), se considère comme une détective, « à la recherche d'indices, de pistes emmêlées et de problèmes épineux ». Au moyen d'une série de diapositives, madame Salahub a décrit avec enthousiasme sa découverte d'information sur les étendards et en particulier, celle d'un étendard mystérieux dans la collection des Archives nationales du Canada.

Alors qu'il était le gouverneur général du Canada, de 1904 à 1911, Lord Grey écrivit à quelques-unes de ses amies en Angleterre, leur demandant de concevoir et broder une série d'étendards qu'il voulait présenter à des institutions éducatives du Canada. Le thème central des étendards devait être Saint-Georges, le saint patron de l'Angleterre, détruisant les dragons de l'enfer, où qu'ils soient. Ces étendards devaient être suspendus là où on pourrait les voir chaque jour, inspirant ainsi les jeunes hommes canadiens à servir loyalement l'Empire. Aujourd'hui, ces étendards sont accrochés dans des institutions éducatives telles que l'Université McGill, l'Université de Toronto, l'Université Queen's et l'Université de Guelph, ainsi qu'à Rideau Hall.

Ces étendards, considérés comme des cadeaux du vice-roi, ont été conçus par des femmes de la famille royale ou des épouses d'hommes éminents. Malheureusement, même s'ils étaient exposés depuis plusieurs années, on ne savait pas grand-chose de leur provenance. Selon madame Salahub, il y avait à cela plusieurs raisons : « une horreur moderniste de l'esthétique victorienne; la nature très didactique des étendards; et même leur exposition à l'intérieur des institutions éducatives (les bibliothèques) plutôt que dans une galerie ou un musée. »

En 1996, alors qu'elle travaillait fort à sa thèse de doctorat, madame Salahub a été informée des recherches de Robert Common sur les étendards de Lord Grey. Alors que monsieur Common étudiait à l'Université Queen's, un souvenir d'enfance lui revint : un étendard représentant Saint-Georges debout devant le dragon. L'étendard était accroché dans la bibliothèque Douglas de l'Université Queen's. Cela lui rappela l'étendard de Saint-Georges sur son cheval et du dragon qu'il avait vu suspendu dans la bibliothèque du collège Macdonald à Montréal lorsqu'il était enfant. Cela piqua sa curiosité. Existait-il d'autres étendards ? Quelle était leur histoire ? Après une longue recherche, qui mena à la consultation des lettres de Lord Grey, la cueillette par écrit de renseignements auprès de diverses institutions éducatives et la rencontre de divers membres de la famille (y compris la fille de Lady Meynell), il en vint à la conclusion qu'il existait en tout neuf étendards. En 1982, il en avait retrouvé sept, dont un à l'Université King's College de Nouvelle-Écosse, signé « E.D. Pinner 1907 ». Mais où étaient les deux autres ?

Un article de revue trouvé dans le dossier Grey et intitulé « Pour orner nos salles de collèges » (Canadian Life and Resources, vers 1910) contenait des photos de quelques étendards ainsi que la liste de plusieurs femmes reliées au projet : la reine Alexandra, la princesse de Galles (la reine Marie), madame George Frederick Watts et Lady Meynell.

Soutenue par Robert Common, madame Salahub a entamé sa propre enquête sur les étendards. Le sujet de sa recherche était l'influence des traditions et des dessins de la broderie britannique sur les goûts de la classe moyenne et la broderie au Canada. Madame Salahub chercha dans les bibliothèques et les archives de tout le Canada et de l'Angleterre, s'assurant dans sa quête de réponses le support d'amis et de collègues. Elle « était fascinée de constater que Grey ait choisi un support associé de si près à l'inculcation de la féminité (la broderie). Au minimum, cela semblait contradictoire. Toutefois, j'ai vite compris que l'idée de Grey était basée sur la conception que les Canadiens avaient de la colonie, celle d'une fille obéissante de la Grande-Bretagne  -  l'usage de la broderie, qui faisait référence aux traditions historiques de la broderie, imprégna au Canada du début du vingtième siècle le sens de la hiérarchie », explique-t-elle.

Feuilletant les revues d'art et de dessin, elle eut la chance de trouver un article sur l'étendard de E.D. Pinner, accompagné d'une illustration. L'article identifiait madame Davis comme la créatrice de l'étendard. Après s'être rendue à Pinner (Middlesex), madame Salahub apprit que E.D. signifiait Edith (Webster) Davis. C'était une brodeuse d'étendards bien connue qui travaillait aussi avec son époux, Louis Davis.

Madame Salahub a décrit quatre styles distincts d'étendards : le premier groupe fut créé par le brodeur de la cour; le second, le plus grand groupe stylistique, était associé à la tante de Lord Grey, Lady Wantage, sa cousine, Lady Meynell, et sa maisonnée; le troisième groupe était représenté par le seul étendard signé E.D. Pinner 1907; le quatrième groupe stylistique représentait les qualités subtiles, spirituelles et féminines associées à Mary Watt.

Dans le dossier de Robert Common, madame Salahub a trouvé une lettre datée des années 1980, venant de Patricia Kennedy des Archives nationales du Canada. La lettre l'informait de l'existence d'une tapisserie similaire à un étendard dans la collection des Archives. Robert Common ne pensait pas que cela avait un rapport avec sa recherche et n'alla pas plus loin. Après avoir déménagé à Ottawa, madame Salahub voulut satisfaire sa curiosité et contacta Patricia Kennedy pour prendre des dispositions afin de voir la tapisserie. À sa grande joie, c'était une broderie et non une tapisserie, comme on le lui avait laissé croire. Elle était signée et datée « brodé par Agnes Sephton 1907 ». L'étendard comprenait l'image de Saint-Georges et du dragon, et un poème sur les étendards était brodé sur sa circonférence. La date correspondait. « C'était la personnification de la Grande-Bretagne et du Canada. La Grande-Bretagne est face au puissant chêne, son bras entoure le Canada d'un geste protecteur (la fille obéissante), la robe blasonnée de voiliers, et pour couronner le tout, elle porte un bouclier représentant Saint-Georges et le dragon ! La femme représentant le Canada (sur la gauche) est plus jeune et plus jolie, vêtue d'un manteau blanc (la neige), ceinte des colombes de la paix. Sa robe est ornée de sapins et de vagues (d'un océan à l'autre) et elle porte dans ses bras une faucille et une gerbe de blé. Elle se tient en face d'un érable. »

Qui était Agnes Sephton ? Comment fut-elle reliée à la création de cet étendard ? Une autre piste à suivre et à éclaircir !