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Juillet / Août
2002
Vol. 34, no 4

La Bibliothèque nationale dans les ligues majeures

Doug Fischer

Cet article a d’abord paru dans l'édition du 10 juin 2002 du Ottawa Citizen. Il a été reproduit avec l’autorisation du journal.

Au début d'avril 1876, un groupe de sept ou huit hommes d'affaires ontariens se réunirent autour d'un rôti de bœuf, puis de cigares et de whisky, au Walker House Hotel de Toronto, pour trouver un moyen d'endiguer l'illégalité croissante dans leur sport préféré, le baseball.

Quelques semaines plus tôt, la Ligue nationale, l'ancêtre des ligues majeures d'aujourd'hui, avait été créée aux États-Unis, et les Canadiens en réunion ce jour-là, tous propriétaires d'équipes de baseball, voulaient créer une organisation qui rivaliserait avec la nouvelle ligue américaine.

L'inflation salariale, la contraction des équipes et les stéroïdes ne menaceraient le baseball que plus d'un siècle plus tard, mais les années 1870 faisaient face à leurs propres problèmes, évoluant d'une compétition hétéroclite jouée pour l'amour du jeu par des amateurs locaux en une activité organisée recourant à des joueurs professionnels et impliquant d'impitoyables rivalités commerciales.

Ces hommes réunis à Toronto savaient que s'ils voulaient que leur sport prospère, ils auraient besoin d'y mettre bon ordre. Par conséquent, vers la fin de la journée, les représentants des Tecumsehs de London, des Standards de Hamilton, des Maple Leafs de Guelph, des St. Lawrence de Kingston et des Clippers de Toronto avaient chacun payé les 10 $ de droit d'entrée dans la ligue et avaient accepté de jouer quatre parties les uns contre les autres cet été-là. Le vainqueur serait couronné champion du baseball canadien.

Ils ont élu le brasseur de Guelph George Sleeman  -  arrière-grand-père du propriétaire actuel de la brasserie  -  comme premier président de la ligue et ont appelé leur nouvelle création, même si elle était confinée à l'Ontario, la Canadian Association of Base Ball.

Prenant soigneusement des notes dans la salle ce jour-là se trouvait William Bryce, un libraire écossais apprécié, marchand de journaux et vendeur d'articles de sport de London. Il accordait un certain intérêt aux Tecumsehs, la meilleure équipe de baseball du pays, mais son attention pour la rencontre était différente de celle des autres assistants.

Maintenant que le Canada détenait sa première ligue professionnelle, Bryce croyait que les participants au jeu et les spectateurs avaient besoin d'un guide officiel. Au bout de quelques semaines, il avait publié Bryce’s Base Ball Guide of 1876, une brochure bien faite de 75 pages qu'il vendait dix cents, et qui est maintenant considérée comme la première publication importante sur le baseball au Canada.

Seuls deux exemplaires du guide semblent nous être parvenus. L'un d'entre eux vient juste d'être acheté par la Bibliothèque nationale du Canada accompagné du seul exemplaire connu du guide de Bryce pour 1877, la seconde et dernière édition du livre qu'il espérait voir devenir une publication annuelle.

L'acquisition des guides fut un peu un coup de chance pour la Bibliothèque, les ayant payés 10 000 $ à un libraire d'Ottawa, qui les avait achetés d'un collectionneur américain privé anonyme.

« Quand on vous fait ce genre d'offre, vous agissez rapidement », dit Michel Brisebois, le conservateur des livres rares de la Bibliothèque. « Vous savez que vous n'aurez pas de si tôt une autre occasion comme ça, advenant qu'elle se représente. »

Et, fait-il remarquer, lorsque des livres sur des sujets ayant des partisans aussi passionnés sont vendus aux enchères publiques, le prix peut souvent grimper en flèche, bien au-delà de la portée d'institutions comme la Bibliothèque nationale.

« Je n’ose pas penser au prix que ces livres auraient pu atteindre », ajoute-t-il. « Nous avons été chanceux de recevoir une offre privée d'un marchand avec qui nous faisons souvent affaire. »

Ces guides constituent un ajout important à la collection d'autres ouvrages historiques sur les sports de la Bibliothèque  -  en particulier le curling, la crosse, le criquet et le hockey  -  mais M. Brisebois est particulièrement intéressé par leur apparence et leur parfait état.

Chacun des guides de dix centimètres par dix-huit contient quatre pages d'annonces coloriées à la main et représentant des casquettes, des bas, des chandails et des ceintures. Comme on a imprimé probablement 500 exemplaires de chaque livre, M. Brisebois suppose que Bryce avait engagé des adolescents et les avait équipés de stencils et de peinture pour colorer chaque page séparément.

Le premier guide contient un compte rendu de la réunion des fondateurs à Toronto, la constitution et les règlements du jeu adoptés ce jour-là, des suggestions sur l'entraînement pour les joueurs, des conseils pour les gérants, les résultats obtenus par les équipes en 1875, et un compte rendu détaillé du « meilleur match canadien » à ce moment-là, une partie palpitante de 12 manches jouée le 15 juillet 1875 à Kingston et gagnée 3-2 par l'équipe locale contre Guelph.

Dans un sens, le livre de 1876 est autant un code moral qu'un manuel d'instructions. Songez à cette description dans la section des règlements : « La position d'un arbitre… est la plus honorée de toute la fraternité; elle requiert, par-dessus tout, un homme droit, sans peur, et déterminé à décider des points contestés avec une totale impartialité. De tels hommes ne se trouvent pas sur commande en toute occasion… »

Le second guide diffère quelque peu dans son contenu  -  même si les annonces et les prix, 15 $ pour une douzaine de bâtons importés, par exemple, sont largement identiques  - , mais il est probablement le plus important des deux livres.

Bryce y fournit le premier compte rendu canadien de la constitution, des propriétaires d'équipe et des alignements de l'Association internationale, une ligue de 16 équipes  -  constituée des équipes de London, de Guelph et de 14 équipes des États-Unis  -  formée durant l'hiver de 1876-1877 pour rivaliser avec la Ligue nationale.

London a remporté le premier championnat de la nouvelle ligue en 1877, et a engagé plusieurs professionnels américains dont le lanceur Fred Goldsmith, l’inventeur auto-proclamé de la balle courbe; les Tecumsehs étaient considérés comme l'une des trois meilleures équipes de tout le baseball.

En fait, les Tecumsehs ont vaincu l'équipe de Chicago de la Ligue nationale, les White Stockings, lors d’une partie de milieu de saison considérée par certains comme la première Série mondiale. Les Tecumsehs ont donc été invités à se joindre aux six équipes de la Ligue nationale, mais ont décliné l'invitation quand la ligue leur a refusé le droit de jouer des parties hors-concours contre leurs rivaux de longue date, à Guelph.

Quand à la raison de l'arrêt de la publication de ses guides par Bryce après deux ans, on ne la connaît pas vraiment. L'historien du baseball William Humber présume que ce pourrait être dû au découragement de Bryce, suite aux critiques journalistiques sur l'utilisation grandissante de joueurs professionnels.

Il est plus probable que la décision a été prise pour des raisons économiques  -  les Tecumsehs se sont sérieusement effondrés après avoir décliné l'offre de joindre la Ligue nationale, et l'intérêt pour le baseball a diminué pendant plusieurs années à London.