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Bibliothèque nationale du Canada
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Juillet / Août
2002
Vol. 34, no 4

« Patriotic Songs » d’Agnes Strickland et Susanna Strickland

Michael Peterman, Université Trent

L'acquisition de Patriotic Songs par la Bibliothèque nationale du Canada ajoute une pièce importante au casse-tête constitué par les premiers écrits de Susanna Moodie, née Strickland (1803-1885). Alors qu'une équipe de recherche se documentait sur la vie et les lettres de Moodie, Elizabeth Hopkins, Carl Ballstadt et moi-même avons cherché cet ouvrage pendant des années dans diverses bibliothèques canadiennes, américaines et britanniques. Nous considérions Patriotic Songs comme un chaînon manquant mais important de l'histoire précédant sa carrière d'écrivaine canadienne, mais il était introuvable. Nous étions sûrs de son existence et avions une idée de son contenu grâce à plusieurs critiques dénichées dans des périodiques et journaux anglais. Toutefois, nous ne savions pas à quoi ressemblait le livre, ni ne connaissions l'ensemble de son contenu, encore moins sa longueur ou sa date de publication.

Quelle surprise et quelle joie ce fut donc d'apprendre l'acquisition du livre en question ! Il a été acquis par le conservateur des livres rares de la Bibliothèque nationale auprès d'un marchand de livres anciens de la région d'Ottawa, grâce au soutien généreux des Amis de la Bibliothèque nationale du Canada. Le libraire canadien l'avait acheté d'un collègue britannique.

Je n'ai pas fait très attention quand j'ai entendu parler de cette acquisition pour la première fois. Une amie m'avait informé que la Bibliothèque nationale avait acquis ce qu'elle décrivit simplement comme « un livre de chansons » de Susanna Moodie. J'étais bien sûr curieux, mais pas emballé. Je pensais que c'était sans doute un autre de ses albums de coupures, dont j'avais examiné plusieurs exemplaires au fil des ans. Mais quand j'ai vu le volume dans la salle de lecture des collections spéciales, toute ma suffisance a disparu. Il était là  -  le livre perdu depuis si longtemps, tout à fait conforme à sa description dans le numéro du Chronicle de Suffolk du 22 octobre 1831 (Ipswich, Angleterre), avec « sa veste or et vert 1. »

Son titre complet est Patriotic Songs Written by Agnes and Susanna Strickland; and Composed by J. Green. Il proclame fièrement être dédicacé avec l'autorisation de « the King’s Most Excellent Majesty, William IV ». Green, éditeur de musique au 33 Soho Square à Londres, entre 1820 et 1848, a composé toutes les chansons. Comptant 64 pages, le volume n'est ni paginé ni daté. Toutefois, les dates des diverses critiques suggèrent qu'il fut publié au début de 1831, ou peut-être en 1830.

Susanna Strickland aspirait à devenir une écrivaine à la fin des années 1820 en Angleterre. Elle était toutefois parfaitement consciente des talents et de l'expérience littéraire de ses deux sœurs aînées, auxquels elle comparait les siens. Eliza, son aînée de neuf ans, avait entrepris un travail de rédactrice à Londres pendant qu'Agnes, son aînée de sept ans, comptait en 1829 deux recueils de poèmes à succès et jouissait d'une célébrité publique considérable. Pour sa part, l'ambitieuse Susanna écrivait de la poésie et des histoires pour des livres-cadeaux annuels et divers magazines et, comme plusieurs de ses sœurs, incluant Catharine Parr (plus tard Traill), publiait des livres pour le marché bourgeonnant de la jeunesse à Londres. Elle avait à l'esprit la publication d'une collection de sa propre poésie, mais ce n'était encore qu'un rêve à ce moment-là 2.

La collaboration avec Agnes était un objectif très important pour Susanna. Dans une lettre datée du 14 janvier 1829, elle décrit un projet amorcé par un ami, Robert Childs de Bungay, Suffolk, qui permettrait aux deux sœurs  -  Susanna et Agnes  -  d'écrire une série de psaumes et d'hymnes qui seraient mis en musique pour un « Horae Religiones ». La vulnérabilité et l'incertitude de Susanna transparaissent dans son commentaire, « Je n'ai pas voulu entreprendre ce projet important par moi-même; Agnes et moi allons devenir partenaires et j'en suis flattée et heureuse, car son opinion sur mes capacités doit s'être améliorée considérablement ces derniers temps pour en arriver à désirer que nos noms soient accolés. » (Susanna Moodie: Letters of a Lifetime, 29). Rien ne semble être issu de ce projet, mais l'espoir de Susanna de collaborer avec sa sœur ne s’est pas éternisé.

Si la poésie religieuse et pieuse attirait Susanna et Agnes en tant que poètes, il en allait de même de la poésie patriotique. Après les heures sombres des Georges, l'Angleterre vibrait d'un nouvel élan d'espoir et d'énergie patriotiques à la fin des années 1820. Les poètes rivalisaient entre eux dans les journaux et les magazines pour capter et exprimer cet esprit. Susanna rapporte dans une lettre datée du 15 avril 1830 qu'une de ses chansons (qu'elle ne nomme pas) avait été lancée par Edward Taylor et « très acclamée » (Letters of a Lifetime, 47). Une autre de ses chansons, « God Preserve the King », a été publiée séparément par J. Green de Soho. Green a peut-être aussi été l'éditeur de la chanson de Taylor.

Patriotic Songs comprend huit poèmes mis en musique. Trois sont de Susanna et quatre d'Agnes; le huitième est un second arrangement de l'une des chansons d'Agnes. Chacune des sept premières chansons est mise en musique pour piano et une voix. Chacune est reliée séparément sur huit pages non numérotées dont une page titre travaillée, le texte du poème, l'arrangement musical de Green, et plusieurs (généralement trois) pages blanches. Les volumes distincts démontrent que chaque chanson pouvait être vendue séparément.

Les contributions de Susanna furent : « Britannia’s Wreath », « The Land of Our Birth » et « The Banner of England »; Agnes écrivit « Queen of the Sea », « Old England », « The Life Boat » et « To All English Ladies ». Cette dernière fut choisie par Green pour deux arrangements musicaux, le premier pour une voix et le second pour trois. Consìdérant la publication séparée par Green de « God Preserve the King », il semblerait qu'il disposait de nombreux poèmes patriotiques des sœurs, qu'il n'a pas tous inclus dans Patriotic Songs. De plus, la British Library Music Division détient un exemplaire d'une autre « Patriotic Song » d'Agnes Strickland, également publiée par Green. Son titre est « The Merry Queen of England », dont le sujet est la jeune Reine Victoria. Elle est donc postérieure aux Patriotic Songs, mais démontre que Green a continué d'entretenir des rapports avec Agnes les années après 1832, alors que Susanna émigrait au Canada.

Cette passion pour la poésie patriotique a servi Susanna Moodie bien après son arrivée avec son mari au Haut-Canada. Des nombreuses chansons nationalistes qu'elle publia dans des magazines avant d'émigrer (dont « London: A National Song », « God Preserve the King » et « England’s Glory »), un seul des trois poèmes des Patriotic Songs, « Britannia’s Wreath », fut publié dans un périodique, du moins en autant que j'aie pu les retrouver 3. Au Canada, toutefois, Moodie était, comme plusieurs fiers résidents de naissance britannique, très stimulée par la rhétorique anti-britannique et républicaine déclamée avant et durant la Rébellion de 1837. Isolée sur sa ferme dans les bois au nord de Peterborough, elle choisit la poésie nationaliste pour se défouler, exprimant à la fois son amour pour son pays natal et son hostilité envers la pensée républicaine radicale. Dans cet esprit, elle envoya une variante de « The Banner of England », maintenant sous-titrée à dessein « A Loyal Song », au nouveau journal torontois de Charles Fothergill, The Palladium of British America. Elle a paru dans le numéro du 24 janvier 1838 sous la légende quelque peu erronée : « Written expressly for the Palladium 4 ».

La troisième de ses Patriotic Songs, « The Land of Our Birth », parut aussi dans le Palladium à l'automne 1838 sous un nouveau titre « There’s Not a Spot in This Wide-Peopled Earth », qui était la première ligne du poème. Les deux poèmes parus dans le Palladium ont été réimprimés plusieurs fois par divers journaux du Haut et du Bas-Canada dont les éditeurs étaient aussi impatients que Charles Fothergill de partager les sentiments patriotiques éloquents et passionnés de Moodie avec leurs lecteurs. Même si elle composa de nombreux autres poèmes au fond de ses bois pour faire appel à l’empathie pro-britannique durant ces années agitées, elle n'hésita pas à utiliser des vers nationalistes écrits en Angleterre, des mois avant que la pensée d'émigrer au Canada ne lui vienne. Les opinions de 1830 étaient toujours fortes en elle, même si leur raison d'être dans son esprit était beaucoup plus sérieuse et immédiate.

L'effet de ces poèmes eut une grande portée. Les vers patriotiques de Moodie, d'abord publiés au Haut-Canada par le journal de Fothergill, la firent connaître d'un plus grand public et lui valurent la reconnaissance politique. Ses poèmes publiés dans le Palladium ont capté l'attention d'un public, y compris l'éditeur de Montréal John Lovell et le lieutenant-gouverneur du Haut-Canada, sir George Arthur. Alors que Lovell a réimprimé plusieurs poèmes de Moodie dans son journal, le Montréal Transcript, et lui a ensuite demandé de contribuer à son nouveau magazine, le Literary Garland, Arthur fut si ému de son talent et de sa loyauté qu'il intervint personnellement dans l'approbation d'une affectation pour son mari, d'abord à une unité de milice en 1838, puis comme shérif du Comté de Hastings en 1839.

__________
Notes

1 Nous connaissons l'existence de trois critiques des Patriotic Songs. En plus de celle du Chronicle de Suffolk, il y a eu des mentions dans Lady’s Magazine, New Series IV (septembre 1831), p. 155, et La Belle Assemblée, Vol. XIV (août 1831), p. 82. Il est à noter qu'Eliza Strickland occupait à ce moment-là un poste de rédactrice pour le Lady’s Magazine et que Susanna écrivait souvent pour La Belle Assemblée de Thomas Harral.

2 Enthusiasm, and Other Poems a été publié (par abonnement) par Smith, Elder à Londres, en 1831.

3 « London » a paru dans Fraser’s Magazine for Town and Country, 5 (mars 1832), « God Preserve the King » dans Athenaeum, 134 (22 mai 1830), et « England’s Glory » dans Lady’s Magazine, Improved Series 3 (janvier 1831). « Britannia’s Wreath » a paru dans Lady’s Magazine, IS 4 (août 1831).

4 Fothergill, un homme âgé (1782-1840), était, comme Susanna, un Anglais profondément patriote. Il a publié au moins dix poèmes de Susanna Moodie (et plusieurs de son mari) durant l'année et demie d'existence du Palladium (décembre 1837-1839). Seulement environ un tiers des numéros du Palladium nous sont parvenus. La Bibliothèque nationale possède trois de ces numéros rares.