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Septembre / Octobre
2002
Vol. 34, no 5

Son Excellence John Ralston Saul
Discours à l'occasion du lancement de Lire me sourit; Forum international sur la littérature canadienne pour la jeunesse
Bibliothèque nationale du Canada, Ottawa,

le mardi 2 avril 2002

Excellences, Sénatrice Pearson, Sénateurs, membres du Parlement et Roch Carrier, écrivain en plus de bien d’autres choses.

Je suis très content, premièrement, d'être membre de ce comité qui aide à l'organisation de ce festival de littérature pour enfants.

C'est excitant et c’est très important! Et j'espère que ce sera amusant, parce que si la lecture n'est pas, soit triste, soit amusante, elle est ennuyeuse.

Il faut quand même commencer avec deux ou trois faits déprimants. Ça dépend comment vous faites la comptabilité, et avec qui vous parlez, mais à peu près 25 à 37,5 % des Canadiens sont, d'une manière ou d'une autre, analphabètes. Chaque fois qu’on entend ces chiffres, ils sont différents et décrits différemment. Être analphabète n’est pas une condition claire et nette. Néanmoins, on peut dire qu’entre 25 et 35 % des Canadiens ont des problèmes de lecture.

Ç’est plus qu'un problème. C'est une crise pour ce pays, qui est un des grands pays de classe moyenne. En principe, classe moyenne veut dire éduqué. C'est donc une grande crise pour nous et il faut faire face à cette crise.

Ce forum est une initiative positive et intéressante pour faire face à une telle situation.

Il y beaucoup de choses extraordinaires qui se passent dans nos systèmes d’éducation. Il y a toutes sortes de formes d'éducation multilingue. Il y a le bilinguisme par l’immersion et par d’autres genres d’éducation. Et ce bilinguisme est en train de créer une sorte de jeunesse qui est beaucoup plus flexible, intellectuellement parlant, parce qu'elle pense et elle pense en deux langues, trois langues, et de plus en plus, en quatre langues.

Donc, il y a une division entre cette éducation remarquable, cette capacité de lire et d'écrire d’un côté et puis de l'autre, ça ne va pas. Il faut faire attention à notre succès d'un côté et à ce qui ne va pas de l'autre côté.

[la suite est un traduction]

Je pense que l'un de nos problèmes en tant que société  --  et le Forum international considère ce problème  --  est qu'il semble que nous ayons un système d'éducation publique extraordinaire, et pourtant nous ne nous sommes pas montrés à la hauteur quant à notre capacité à encourager ou à donner libre cours à la curiosité parmi les jeunes. Comme vous pouvez le voir, nous avons aujourd'hui parmi nous une classe d'étudiants.

Ils ne veulent pas s'ennuyer à l'école.

Vous ne voulez pas vous ennuyer, à l'école, n'est-ce pas? Non. Non. Vous voyez?

Nous devons considérer l'éducation et la lecture dans un contexte de plaisir et de curiosité. Nous entendons toujours parler de la science complexe comme étant motivée par la curiosité, mais c'est encore plus vrai de l'éducation la plus fondamentale. Libérons-nous, faisons-nous s'exprimer la curiosité des enfants et des élèves de notre pays? Sinon, nous sommes en train de créer le problème des 25 à 35 pour cent de Canadiens qui, d'une façon ou d'une autre, sont illettrés, fonctionnellement illettrés, ou ont de la difficulté avec l'alphabétisation.

Pourquoi vous dis-je cela? Parce que l'alphabétisation est une bataille qui est largement gagnée ou perdue avant l'âge de dix ans. Ce n'est pas au niveau du doctorat que la bataille a lieu.

Toutes sortes de choses très pratiques doivent être faites. Nous savons tous cela. Nous avons besoin de classes plus petites pour que l'école soit plus agréable et plus personnelle  --  de telle sorte qu'elles puissent être des pépinières d'individualisme responsable. Et nous avons aussi besoin de plus en plus d’enseignants, pour que ces classes puissent être de plus en plus petites.

Nous devons nous concentrer de plus en plus sur la lecture. Il faudrait étudier de moins en moins de chapitres extraits de romans, ce qui est peut-être la façon la plus lugubre d'enseigner la littérature. De plus en plus, nous devons accepter que nos enfants sont réellement intelligents et qu'ils peuvent lire des romans entiers, très jeunes, avant de savoir conjuguer au subjonctif. C'est un point étrange mais important. De plus en plus, j'entends des gens dire : « Mais ils n'arriveront pas à lire cela, ils ne connaissent pas encore le subjonctif », ou quelque autre détail grammatical. Comme s'il fallait apprendre la grammaire pour lire des romans! C'est en lisant des romans qu'il devient possible de comprendre le rôle de la grammaire. Nous lisons d'abord , nous apprenons les détails ensuite.

Il existe un grand besoin d'infuser notre système d'éducation de plus de livres et de plus de lecture d'une plus grande qualité. Roch [Carrier], vous et moi avons parlé de cela. De plus en plus, dans les écoles, on offre aux enfants des listes de lecture pour y choisir ce qu'ils voudraient lire. En haut de, cette liste il y a de merveilleuse littérature. Ensuite, la qualité dégringole. Cette liste est distribuée et on laisse le choix aux familles et aux enfants. Vous savez quelles familles cela avantage et lesquelles cela désavantage. C'est un système très, très problématique.

Protagoras a dit, probablement à Périclès: « Le type d'éducation dont on a besoin c'est une éducation centrée sur les vertus civiques et centrale à la démocratie. » Ça c’est vrai. Et ce n’est pas en contradiction avec l’autre ‘besoin’.1

Éducation et lecture sont supposés être amusantes. C'est censé être un plaisir. Quand Roch [Carrier] parle de l'énorme succès de la littérature canadienne pour la jeunesse au Canada et dans le monde, la plupart des Canadiens ne le réalisent pas vraiment. Notre littérature, écrite pour les enfants dans les deux langues, est l'une des plus populaires dans le monde actuel.

Je pense que l'une des raisons pour cela est notre célèbre diversité, nos deux langues, nos régions. Cette diversité se voit dans la littérature. Cela la rend moins propagandesque. Parce qu'elle ne reflète pas une culture monolithique, elle ne vend rien, contrairement à beaucoup d'autres littératures pour la jeunesse. De cette façon, elle trouve un public à l'étranger, peut-être à cause de ce que vous pourriez appeler sa pensée indépendante. Elle vise plus les enfants et moins une quelconque mission sociale.

Peut-être ce succès vient-il aussi de notre prise de conscience de notre place dans le monde et de notre différence en tant que force sociale.

En tout cas, j'espère que ce projet, mené par Roch [Carrier] et la Sénatrice [Pearson]  --  et auquel je suis heureux de prendre part  --  nous aidera à comprendre que la littérature peut être très amusante, mais qu'il faut s'y atteler de façon très intense Nous devons encourager, encourager et encore encourager.

Les ordinateurs sont extraordinaires. Mais si vous ne savez pas lire, vous redécouvrez rapidement que les ordinateurs ne sont que de stupides machines. Ce projet traite donc de lire, lire, lire, avoir du plaisir, pleurer,rire, lire et lire et lire… et plus encore. Si nous faisons tout cela, nous créerons une société intéressante, civilisée et éduquée.

Merci.

Son Excellence John Ralston Saul