Agence de santé publique du Canada / Public Health Agency of Canada
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Volume 16, No 2- 1995

 

  Agence de santé publique du Canada

Portrait des enfants montréalais ayant une plombémie élevée, retracés au moyen d'un examen des registres des laboratoires de la communauté
Louise Valiquette et Tom Kosatsky

Résumé

La présente étude avait pour objet de décrire les caractéristiques démographiques et cliniques ainsi que la prise en charge médicale des enfants montréalais dont les analyses de laboratoire indiquaient une plombémie élevée et de faire état de l'enquête environnementale réalisée à cet égard. Nous avons procédé à une enquête, à l'échelle de la communauté, sur une série de cas recensés dans l'île de Montréal. Pour ce faire, nous avons fait appel aux laboratoires qui effectuaient le dosage de la plombémie chez les enfants ayant subi un prélèvement dans les cliniques hospitalières, ainsi qu'aux services des archives médicales des hôpitaux montréalais qui traitent des enfants. La population à l'étude était composée d'enfants âgés de 15 ans et moins, qui avaient eu une plombémie égale ou supérieure à 25 mg/dL entre 1981 et 1989. Nous avons pris en compte l'âge, le sexe et la plombémie des enfants et relevé les motifs de la demande d'analyse, les facteurs prédisposants éventuels, la source de l'exposition, le traitement et le suivi médical et environnemental. Neuf des douze enfants retracés avaient moins de 3 ans (2 mois à 10,75 ans). Les valeurs de la première plombémie s'établissaient entre 27 et 94 mg/dL. Le pica et la carence martiale étaient les facteurs prédisposants les plus souvent cités. La peinture constituait la principale source d'exposition. Chez trois enfants, l'intoxication par le plomb était la cause directe de l'hospitalisation; deux enfants ont reçu un traitement chélateur. Le suivi clinique apparaissait souvent insuffisant. Seulement deux cas ont été signalés aux autorités sanitaires. Nous n'avons retracé que peu d'enfants montréalais ayant une plombémie élevée entre 1981 et 1989. Il serait possible d'améliorer la prise en charge de ce problème si les laboratoires, les médecins traitants et les autorités de santé publique collaboraient plus étroitement.

Mots clés
: Child; environmental exposure; lead poisoning; medical audit; Quebec


Introduction

Les autorités américaines de santé publique ont lancé en 1991 un programme de prévention dans l'ensemble de la population ayant pour objet d'éliminer l'intoxication par le plomb chez les enfants d'ici l'an 2000 1,2 . L'ampleur de ce programme a suscité diverses réactions au Canada, où les autorités n'estimaient pas que l'intoxication par le plomb constituait un problème de santé publique prioritaire chez les enfants canadiens 3,4 . Godolphin, Schmidt et Anderson, qui ont étudié la question, proposent que le Canada adopte une approche plus modeste et axe les interventions préventives sur le dépistage et le suivi des enfants à risque élevé de surexposition 3 .

À l'exception de quelques rares cas cités dans la littérature 5-7 , nos connaissances sont limitées en ce qui concerne l'ampleur de ce problème, les causes de l'intoxication et la qualité du suivi chez les enfants canadiens. Afin de préciser l'ampleur et la nature de l'intoxication par le plomb dépistée par le médecin chez les enfants montréalais, nous avons réalisé, dans l'ensemble de l'île de Montréal, une étude de cas portant sur une période de neuf ans. Les cas ont été retracés dans les registres des laboratoires qui procèdent au dosage de la plombémie pour les hôpitaux montréalais. Les données relatives à ces cas ont été extraites des archives hospitalières ou fournies par les parents et les responsables de la santé publique associés à la prise en charge des cas. À la lumière d'un examen général des données recueillies sur chaque cas, nous brossons un portrait des enfants montréalais ayant souffert d'une intoxication par le plomb au cours des années 1980, et nous décrivons la prise en charge de ces cas par les médecins et les responsables de la santé publique.

Enfin, nous discutons de l'utilisation des dossiers de laboratoire et les dossiers hospitaliers des patients en tant que sources de données pour brosser un portrait de la prise en charge des cas d'exposition aux toxines environnementales, dans une perspective communautaire.

Méthodes

La population cible était composée des enfants âgés de 15 ans et moins, habitant l'île de Montréal, et ayant présenté une plombémie considérée comme élevée selon les normes de santé publique en vigueur au cours de la période à l'étude (1981-1989). Le seuil d'intervention pédiatrique pour l'intoxication par le plomb établi par les Centers for Disease Control des États-Unis a été abaissé de 30 mg/dL à 25 mg/dL en 1985 et est demeuré à ce niveau jusqu'en 1991, année où il a été abaissé à >=10 mg/dL 2,8,9 . Nous avons fixé à 25 mg/dL notre seuil de définition des cas, afin qu'il soit conforme aux normes de santé publique en vigueur au cours de la période à l'étude. La recherche des cas s'est faite en deux temps; la première phase a été effectuée en 1986, la deuxième en 1990.

Des appels téléphoniques effectués dans tous les hôpitaux de soins actifs de l'île de Montréal ont révélé que des échantillons de sang pouvaient être prélevés chez les enfants dans les deux hôpitaux pédiatriques de la ville ainsi que dans onze hôpitaux généraux. L'un des deux hôpitaux pédiatriques (l'hôpital 1) effectuait le dosage de la plombémie tant pour ses propres patients que pour les patients d'autres hôpitaux de la région montréalaise. L'autre hôpital pédiatrique (l'hôpital 2) acheminait ses échantillons de sang pour analyse à un troisième établissement montréalais (l'hôpital 3), qui analysait également les échantillons de sang d'autres hôpitaux généraux locaux. Enfin, le Centre de toxicologie du Québec, situé à Québec, recevait à l'occasion des échantillons de sang prélevés chez des enfants dans des hôpitaux de la région montréalaise.

Des modalités distinctes d'examen des registres ont été mises en oeuvre en 1986 (phase 1) et en 1990 (phase 2). Les laboratoires des hôpitaux 1 et 3 ont eux-mêmes examiné leurs registres pour les années 1981-1985 et nous ont fourni une liste des enfants (leur âge a été établi au moyen des dossiers médicaux) ayant une plombémie égale ou supérieure à 25 mg/dL (phase 1). Nous avons passé en revue les registres de ces laboratoires pour les années 1986-1989. Le Centre de toxicologie du Québec nous a fourni des listes informatisées de toutes les personnes qui avaient une plombémie >= 25 mg/dL, selon les dosages effectués entre 1987 et 1989, les résultats des années antérieures n'étant pas disponibles (phase 2). Pour chaque cas retracé, nous n'avons retenu que la première inscription au dossier.

Les registres des laboratoires ne renfermaient pas d'information sur l'âge du sujet ayant fait l'objet du prélèvement. Grâce à la collaboration des archivistes des hôpitaux d'où provenaient les demandes d'analyse, nous avons pu identifier les dossiers relatifs à des enfants de 15 ans et moins. Nous avons alors consulté les dossiers médicaux de ces enfants.

L'American Academy of Pediatrics 10 et les Centers for Disease Control 9 des États-Unis ont émis des directives cliniques concernant l'évaluation médicale et environnementale des enfants ayant une plombémie élevée. Ces directives incluent les éléments suivants : les antécédents médicaux, l'examen physique (neurologique), l'investigation médicale et le suivi individuel, l'enquête environnementale, la recherche de cas additionnels et la déclaration des cas aux autorités de santé publique. C'est en nous fondant sur ces directives que nous avons élaboré des critères de vérification (tableau 1) pour décrire la prise en charge des patients.


Tableau 1

Nous avons communiqué avec les départements de santé communautaire (départements hospitaliers chargés de la protection de la santé publique dans un territoire donné) de la région de Montréal afin de déterminer si les cas retracés leur avaient été signalés, comme l'exige la loi québécoise 11 . Nous avons également vérifié si les responsables de la santé publique avaient ou non participé à l'enquête sur les cas.

Enfin, lorsque l'examen du dossier médical et la consultation du département de santé communautaire ne permettaient pas de recueillir toutes les informations désirées, une lettre était adressée aux parents de l'enfant, par courrier recommandé, à la dernière adresse inscrite au dossier de l'hôpital. Dans cette lettre, nous demandions aux parents de nous aider à compléter et à valider les informations extraites des archives médicales. Nous n'avons pas tenté de communiquer avec le médecin de l'enfant.

Résultats

Description des sources de données (registres des laboratoires)
Les registres des trois laboratoires ne permettaient d'obtenir que les renseignements suivants : la date du prélèvement, le nom du patient et celui de l'hôpital où le prélèvement avait été effectué, le numéro d'identification de l'échantillon de l'hôpital et le résultat de l'analyse. Le numéro de dossier hospitalier n'apparaissait que si l'échantillon avait été prélevé dans l'hôpital abritant le laboratoire d'analyse; il n'était pas consigné lorsque le prélèvement avait été acheminé par d'autres hôpitaux.

Le nombre d'échantillons de sang reçus par les laboratoires pour dosage de la plombémie variait d'une année à l'autre. Ainsi, l'hôpital 1 a reçu 56 échantillons en 1988, alors qu'il n'en avait reçu que 9 en 1989. L'hôpital 3 a reçu 8 échantillons de l'hôpital pédiatrique 2 en 1987, 5 en 1988 et 99 en 1989. Cette hausse pourrait être attribuable à l'introduction, en 1987, à l'hôpital pédiatrique 2, d'un programme de dépistage systématique de la plombémie chez certains enfants examinés à la clinique d'orthophonie de l'hôpital.

L'examen des registres a révélé que 125 patients présentaient une plombémie égale ou supérieure à 25 mg/dL. Nous avons pu retracer le dossier médical correspondant à 100 (80 %) des 125 inscriptions au registre. Vingt-quatre de ces dossiers appartenaient à des enfants; 12 d'entre eux correspondaient à notre définition de cas et ont fait l'objet d'une vérification. Ces 12 cas provenaient de trois hôpitaux : les hôpitaux pédiatriques 1 (8 cas) et 2 (3 cas) et un hôpital général de soins actifs. Les 12 autres dossiers pédiatriques portaient sur des enfants habitant à l'extérieur de l'île de Montréal.

Nous avons examiné les dossiers médicaux relatifs aux 12 cas retenus. Deux départements de santé communautaire nous ont fourni des informations supplémentaires. Un cas avait été exposé dans le Rapport hebdomadaire des maladies au Canada 7 . Nous nous sommes adressés aux parents de neuf enfants (dont deux soeurs) afin d'obtenir de plus amples renseignements, et nous avons réussi à joindre les parents de trois enfants (deux familles). L'un des parents a refusé de participer, et cinq autres lettres nous ont été retournées, non livrées.

Âge, sexe et plombémie
Le groupe à l'étude était composé de sept filles et cinq garçons, dont neuf étaient Âgés de 36 mois ou moins au moment du premier dosage de la plombémie (figure 1). Les valeurs de la première plombémie consignée au dossier variaient de 27 à 94 mg/dL. étant donné qu'aucun des cas n'avait été transféré d'un autre hôpital ou référé par un autre hôpital, nous pouvions considérer ce résultat comme étant le premier résultat d'analyse pertinent. Le taux de plomb le plus élevé (94 mg/dL) a été retrouvé chez un garçon de 8 ans examiné pour un problème de convulsions.


Figure 1


Motif du prélèvement
Nous avons consulté les archives hospitalières et les parents afin de déterminer les motifs qui avaient incité le médecin à demander un dosage de la plombémie des enfants. Chez six des douze cas, le dosage avait été demandé parce que l'enfant avait ingéré des substances non comestibles («pica»), en particulier des fragments de peinture (figure 2). Trois de ces six sujets présentaient également une anémie au moment du dosage de la plombémie. Deux cas avaient été examinés en tant que membres de la famille d'un cas diagnostiqué antérieurement. Chez les quatre autres cas, divers motifs étaient à l'origine de l'analyse.


Tableau 2


Facteurs personnels prédisposant à l'intoxication par le plomb
Nous avons évalué les facteurs qui pouvaient avoir favorisé une intoxication par le plomb chez les 12 enfants. Ces facteurs n'ont vraisemblablement pas incité le médecin traitant à demander un dosage de la plombémie, puisqu'ils n'ont généralement été découverts qu'après l'obtention du résultat de l'analyse. Les facteurs qui revenaient le plus souvent étaient le pica (10 enfants sur 12) et la carence martiale (6).

Tableau clinique
Parmi les signes et les symptômes cliniques présents au moment du premier dosage de la plombémie et qui auraient pu être associés à une intoxication par le plomb, citons : l'anémie (10 enfants), les problèmes neurologiques ou comportementaux (3), les douleurs abdominales (3) et les vomissements (3). Les convulsions présentées par l'enfant ayant la plombémie la plus élevée n'ont pas été attribuées à une intoxication par les médecins traitants.

Suivi médical et environnemental
Six enfants ont été admis à l'hôpital. Chez trois de ces enfants, l'hospitalisation était directement liée à l'intoxication par le plomb; deux d'entre eux, qui avaient fait l'objet de prélèvements en 1988 et 1989, ont été hospitalisés à plusieurs reprises pour un traitement chélateur. Dans trois cas, le dosage de la plombémie a été effectué au cours d'une hospitalisation liée à un problème de santé autre que l'intoxication par le plomb.

Sept (58 %) des douze enfants ont subi des analyses de contrôle de la plombémie; on a pratiqué jusqu'à 16 analyses de contrôle par enfant. Nous n'avons retracé aucune analyse de contrôle concernant l'enfant qui présentait une plombémie de 94 mg/dL, bien que cet enfant ait été examiné à plusieurs reprises au service des consultations externes au cours des deux années suivant le premier prélèvement (en fait, on ne retrouve aucune note au dossier concernant le résultat du dosage de la plombémie).

Nous avons tenté de déterminer si l'on avait recherché et trouvé la source de l'exposition au plomb et pris les mesures nécessaires pour corriger la situation, et si l'on avait, au besoin, examiné les personnes potentiellement exposées à la même source. Selon les données disponibles, la source de l'exposition au plomb a été recherchée dans huit cas : la peinture à base de plomb a été le principal facteur incriminé dans sept de ces cas (on a noté que la peinture s'écaillait ou qu'il y avait de la poussière de peinture liée à des travaux de rénovation). Un échantillonnage environnemental, réalisé dans trois cas, a confirmé la présence de plomb dans les fragments de peinture. Nous savons que la situation a été corrigée dans l'un des cas (en 1989) à la suite d'une intervention du département de santé communautaire. Le huitième cas a été intoxiqué in utero, après ingestion, par la mère, d'un remède traditionnel asiatique renfermant 85 ppm de plomb 7 .

Les informations extraites des archives hospitalières et obtenues des parents ou des départements de santé communautaire ont confirmé que des prélèvements avaient été effectués pour dosage de la plombémie chez les membres de la famille ou les compagnons de jeu de trois enfants. Ces analyses ont mis en évidence une plombémie élevée chez la soeur d'un cas (nous avions également retracé ce cas lors de l'examen des registres de laboratoires). Le dossier médical indique qu'on avait envisagé d'effectuer des prélèvements chez les membres de la famille d'un cinquième enfant, mais il ne précise pas si on l'a fait. Les membres de la famille de l'enfant exposé in utero ont également fait l'objet d'analyses. En ce qui concerne six autres enfants, il a été impossible de déterminer si la recherche d'autres cas était indiquée ou avait bien eu lieu.

Seulement deux cas, retracés en 1988 et 1989, ont été déclarés aux départements de santé communautaire locaux. Dans les deux cas, les départements de santé communautaire ont procédé à l'évaluation de l'environnement de l'enfant et effectué des prélèvements chez les personnes potentiellement en contact avec la source reconnue de l'exposition. Les dossiers médicaux laissent croire que deux autres cas, dépistés en 1982 et 1983, ont également été déclarés aux départements de santé communautaire locaux. Toutefois, il n'est nulle part fait mention de ces déclarations dans les dossiers des départements de santé communautaire en question.

Discussion

La présente étude avait pour objet de retracer tous les enfants montréalais qui, selon les analyses de laboratoire, présentaient une plombémie >=25 mg/dL entre 1981 et 1989. Nous présentons un portrait démographique et clinique des enfants ainsi retracés et évaluons la prise en charge de l'intoxication par le plomb chez les enfants, par le système de soins de santé local et les responsables de la santé publique.

Utilisation des dossiers de laboratoire pour évaluer la fréquence de l'intoxication par le plomb dans une communauté
Il est possible que des cas d'enfants ayant fait l'objet d'un dépistage de l'intoxication par le plomb aient pu nous échapper. Des dosages de la plombémie ont pu être effectués dans des laboratoires publics ou privés que nous n'avions pas relevés ou dans des laboratoires situés à l'extérieur de l'île de Montréal. En outre, nous n'avons pu obtenir du Centre de toxicologie du Québec les résultats de laboratoire antérieurs à 1987. Au cours de la première phase de la collecte des données (1986), nous n'avons pu obtenir du laboratoire de l'hôpital 3 que les dossiers des enfants dont l'échantillon avait été expédié par l'hôpital pédiatrique 2. Au cours de la deuxième phase de la collecte des données (1990), les dossiers médicaux d'un nombre non négligeable de patients qui avaient subi des prélèvements dans les hôpitaux généraux n'ont pu être retracés par les archivistes de ces hôpitaux. Comme les registres de laboratoires ne renferment pas d'informations sur l'Âge des patients, il s'avère impossible de déterminer combien de ces patients sont des enfants. En dépit de ces lacunes, nous estimons que le dénombrement des cas a été aussi exhaustif que possible dans les circonstances, vu que nous avons obtenu les dossiers relatifs à presque tous les prélèvements provenant des deux hôpitaux pédiatriques montréalais.

Aucune étude épidémiologique portant sur la plombémie des enfants n'a été réalisée à Montréal au cours des années 1980. Le tableau 2 résume les résultats de trois études de la plombémie chez les enfants de Toronto et Windsor (Ontario), Vancouver et Québec au cours de la période à l'étude 12-14 . Ces études reposaient sur des échantillons représentatifs sélectionnés dans une ville entière ou dans des quartiers considérés comme à haut risque d'exposition excessive au plomb. Les résultats illustrent la distribution de la plombémie dans les communautés échantillonnées. À l'instar de notre étude rétrospective d'une série de cas recensés dans l'Île de Montréal, ces études épidémiologiques donnent à penser que peu d'enfants canadiens vivant en milieu urbain présentaient une plombémie >= 25 mg/dL au cours des années 1980.

Néanmoins, les 12 cas retracés ici ne représentent qu'une petite fraction des enfants montréalais qui ont été exposés au plomb entre 1981 et 1989, à des taux jugés excessifs selon les normes en vigueur à l'époque. étant donné que les symptômes et les signes liés à une plombémie d'environ 25 mg/dL sont subtils et non spécifiques (16)15 , la présomption clinique seule se serait vraisemblablement soldée par un recours limité au dosage de la plombémie par les cliniciens.

Vérification des dossiers des patients pour rechercher les facteurs prédisposants et évaluer la qualité de la prise en charge des cas
L'examen des dossiers médicaux au moyen d'une grille d'analyse est largement utilisé pour évaluer la prise en charge de certaines maladies ou certains problèmes dans les établissements 16-18 . La recherche des cas dans plusieurs hôpitaux permet d'évaluer la prise en charge des cas à l'échelle d'une communauté plutôt que d'un établissement donné.

Malgré notre tentative d'intégrer trois sources de données (dossiers médicaux, parents et départements de santé communautaire), le dossier médical constituait souvent la seule source d'information disponible. Il est par conséquent difficile d'évaluer la validité et l'exhaustivité des informations figurant dans le dossier médical, particulièrement en ce qui concerne les prélèvements effectués chez les membres de la famille, l'enquête relative aux sources potentielles d'exposition et l'échantillonnage environnemental. Il est possible que certaines des informations recherchées n'aient pas été consignées dans le dossier médical ou que certains enfants aient été suivis au cabinet du médecin ou dans d'autres hôpitaux. En communiquant directement avec le médecin traitant, ce que nous n'avons pas tenté de faire, on pourrait évaluer le suivi de façon plus rigoureuse et plus exhaustive.

La peinture était la source d'exposition la plus fréquente, en particulier chez les enfants Âgés de 3 ans et moins et chez ceux qui présentaient un comportement appelé «pica». Si ce profil d'exposition correspond à ce qui est décrit dans la littérature 19-20 , il risque d'être biaisé par le fait que les médecins évaluent plus volontiers la plombémie d'un enfant qui a des antécédents de pica. Si d'autres sources d'exposition n'entraÎnent pas le même réflexe diagnostique, le portrait que nous avons brossé sous-estime peut-être l'ampleur des sources de plomb autres que la peinture.

En dépit de ses failles, la présente étude de cas met en évidence les lacunes du suivi individuel et communautaire des enfants souffrant d'intoxication par le plomb, et propose des solutions potentielles.

La découverte d'une plombémie élevée devrait alerter le système de santé et déclencher une série d'interventions tant à l'échelle individuelle qu'à l'échelle communautaire. En ce qui concerne le patient lui-même, on devrait procéder à des dosages sériés de la plombémie, qu'un traitement chélateur soit instauré ou non. Il faudrait en outre découvrir la source d'exposition et, si possible, l'éliminer de l'environnement de l'enfant. Cinq des douze dossiers médicaux examinés, notamment celui de l'enfant ayant une plombémie de 94 mg/dL, ne faisaient pas état de contrôles ultérieurs de la plombémie. Dans quatre cas, nous n'avons trouvé aucun renseignement concernant l'évaluation de la source d'exposition; dans les cas où la source d'exposition était indiquée, on ne précisait pas si elle avait été éliminée.

La prise en charge des cas d'intoxication par le plomb chez les enfants devrait également comporter une évaluation du risque chez les frères et soeurs et les compagnons de jeu. Si ces personnes ont elles aussi été exposées, on devrait procéder au dosage de leur plombémie.

Les cas retracés dans la présente étude constituent la partie émergée de l'iceberg; de tels cas peuvent cependant permettre d'identifier et de corriger les situations menaçant la santé de la communauté. Nous avons observé que si les cas étaient rarement déclarés aux responsables de la santé publique, lorsqu'ils l'étaient, l'enquête mettait en évidence des sources d'exposition importantes, qui ne constituaient pas seulement une menace pour le cas recensé. Une recherche active de cas, reposant sur le seuil actuel de plombémie >= 10 mg/dL, associée à un taux élevé de déclaration des cas aux départements de santé publique, permettrait sans doute de reconnaître d'autres sources d'exposition.

Nous jugeons important d'encourager la reconnaissance des cas par les cliniciens et de veiller à ce que les cas de surexposition au plomb ainsi dépistés soient déclarés aux responsables de la santé publique. Conformément au règlement d'application de la Loi sur la protection de la santé publique du Québec 11 , il incombe aux laboratoires hospitaliers de déclarer les concentrations toxiques de plomb. Trois facteurs rendent difficile l'application de cette loi : on ne précise à partir de quel seuil le taux de plomb est jugé toxique; ce seuil est beaucoup moins élevé chez les enfants que chez les adultes; et l'âge du patient figure rarement dans les demandes d'analyses de laboratoire. Afin d'accroître la déclaration, des données démographiques devraient être inscrites sur la demande d'analyse, et le médecin traitant ainsi que les laboratoires hospitaliers devraient être tenus de déclarer les cas.

La collaboration des cliniciens est primordiale en ce qui concerne la déclaration et le suivi de chaque cas. Les échanges entre tous les groupes intéressés (laboratoires, cliniciens et responsables de la santé publique) permettraient d'améliorer la prise en charge des cas sur le plan médical et environnemental.

Remerciements

Nous tenons à remercier Brigitte Côté (Direction de la santé publique de la Régie régionale de la santé et des services sociaux de Laval), qui nous a aimablement autorisés à utiliser les données recueillies au cours de la phase 1, et Maureen C-Laperrière, du soutien rédactionnel qu'elle nous a apporté.

Références

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20. Needleman HL. Childhood lead poisoning: a disease for the history texts. Am J Public Health 1991;81(6):685-7.

Références des auteurs

Louise Valiquette, Direction de Santé publique, Régie régionale de la santé et des services sociaux de Montréal-Centre, 1616, boulevard René-Lévesque ouest, 3e étage, Montréal (Québec) H3H 1P8
Tom Kosatsky, Direction de Santé publique, Montréal-Centre et Department of Occupational Health, McGill University, Montréal

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Dernière mise à jour : 2002-10-29 début