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Volume 21, No 2- 2000

[Table des matières]
  Agence de santé publique du Canada

Prévention du tabagisme en milieu scolaire : les coûts économiques par rapport aux avantages

Thomas Stephens, Murray J. Kaiserman, Douglas J. McCall et Carol Sutherland-Brown


Volume 21, No 2 - 2000  


Résumé

La présente étude visait à effectuer une analyse coûts-avantages afin de comparer le coût associé à l'élaboration et à la mise en oeuvre d'un programme efficace de prévention du tabagisme en milieu scolaire en prenant en compte les économies prévisibles liées à la réduction au fil des ans de la prévalence du tabagisme dans la population canadienne. Un programme anti-tabac répondant aux critères publiés d'efficacité et mis en oeuvre à l'échelle nationale au Canada coûterait 67 $ par élève (en dollars de 1996). À supposer qu'un tel programme réduirait l'usage du tabac de 6 % au départ et de 4 % pour une période indéfinie, les économies réalisées pendant toute une vie au chapitre des soins de santé s'élèveraient à 3 400 $ par personne et, sur le plan de la productivité, à près de 14 000 $. Le ratio avantages-coûts serait de 15,4 et les économies nettes s'établiraient à 619 millions de dollars par année. Des analyses de la sensibilité révèlent qu'un programme efficace de prévention du tabagisme apporterait des avantages économiques considérables dans des conditions variées.

Mots clés : analyse économique; Canada; école; prévention; tabagisme



Introduction

Rappel des faits

La prévalence du tabagisme a considérablement diminué depuis les années 60; il n'en demeure pas moins que plus de 6 millions de Canadiens fument toujours1. En outre, la proportion d'adolescents qui fument au Canada a augmenté après 19902 et n'a pas reculé depuis comme dans la population en général1. Parmi les personnes de 15 à 17 ans qui fument actuellement, 35 % ont fumé leur première cigarette dès l'âge de 12 ans, et près de 80 % se sont initiées au tabac dès l'âge de 14 ans3.

Malheureusement, rares ont été les programmes efficaces de prévention du tabagisme dans les écoles canadiennes4. Des compressions récentes des budgets en éducation ont mis en péril de nombreux programmes scolaires, y compris ceux de prévention du tabagisme, alors que, parallèlement, la réduction des budgets de santé ont accru la nécessité d'identifier les causes, en particulier les causes évitables, des coûts excédentaires des soins de santé. De toute évidence, le tabagisme est l'une de ces causes et il serait donc utile de savoir combien d'argent, le cas échéant, pourrait être économisé s'il existait des programmes efficaces de prévention du tabagisme dans les écoles.

Objectif de l'étude

La présente étude visait à effectuer une analyse coûts-avantages des programmes de prévention du tabagisme en milieu scolaire afin d'examiner les économies qui pourraient être réalisées si les programmes étaient efficaces. Bien que la raison d'être ultime de la prévention du tabagisme n'est pas économique mais humaine, une analyse économique pourrait donner du poids aux arguments en faveur de la prévention et contribuer à améliorer la santé et la qualité de vie des Canadiens.


Méthodes

Approche générale

La stratégie générale adoptée consistait à calculer un ratio avantages-coûts pour les programmes de prévention du tabagisme. Cette forme d'analyse adopte une perspective sociale et quantifie les effets potentiels sur toutes les parties concernées5. Comme le rapport exprime à la fois les coûts et les avantages en dollars, il faut disposer de données sur les aspects suivants :

  • Le coût de l'élaboration et de la mise en oeuvre d'un programme de prévention
  • L'effet du programme sur la prévalence du tabagisme
  • Les avantages directs et indirects associés à la réduction du nombre de fumeurs dans la population

Notre approche est similaire à celle utilisée dans une étude récente effectuée par les US Centers for Disease Control and Prevention (CDC)/Battelle Institute6. Dans les cas où des variables telles que les coûts et les effets peuvent prêter à contestation, nous présentons nos hypothèses et utilisons des chiffres prudents pour le «scénario de base» afin d'obtenir un ratio qui est justifiable. Des analyses de sensibilité montrent l'éventail des ratios avantages-coûts obtenus à partir d'hypothèses différentes de celles utilisées dans le scénario de base. Tous les chiffres sont exprimés en dollars de 1996, mais comme le résultat qui nous intéresse est le rapport entre les avantages et les coûts, l'année choisie est finalement peu pertinente.

Coût de la prévention du tabagisme

Les éléments de coût d'un programme, à l'échelle individuelle, sont les suivants :

  • L'élaboration du programme, y compris son évaluation, sa révision et sa diffusion dans les écoles
  • La mise en oeuvre du programme dans les écoles, en particulier le temps consacré par les enseignants et les dépenses connexes


Coûts de l'élaboration de programme

Pour obtenir le coût d'élaboration d'un programme, nous avons recherché des programmes de prévention conçus à l'usage des enseignants (par opposition à des programmes gérés par des bénévoles ou des pairs) qui répondraient aux critères d'efficacité décrits par Glynn7. Nous avons choisi la combinaison de deux programmes canadiens, Programme d'enseignement par les pairs (PEP)8 et Maximiser l'impact9. Nous avons consulté les dossiers du ministère fédéral de la Santé pour recueillir des données sur le coût des salaires des employés et des honoraires des consultants pour l'élaboration initiale du programme et son évaluation ultérieure10. Le coût total arrondi était de un million de dollars. Pour calculer le coût pour chaque élève, nous avons présumé que le programme aurait une durée de vie de trois ans et serait mis en oeuvre à l'échelle du pays. Le programme serait donc présenté à une cohorte d'environ 1 167 000 enfants partout le Canada (selon les estimations de recensement de trois cohortes de jeunes de 12 ans) avant de devenir désuet, soit un coût d'élaboration par élève de 0,86 $.


Coûts de la mise en oeuvre du programme

Une enquête nationale sur les programmes de prévention du tabagisme4 a révélé que seule une minorité d'enfants canadiens d'âge scolaire est «exposée» à des programmes qui répondent aux critères d'efficacité7. Parmi les autres lacunes relevées, citons le fait que les programmes existants prévoyaient un trop petit nombre de séances.

Glynn considère qu'un minimum de 10 séances doivent être offertes sur une période de quatre ans (de la 6e à la 9e année)7. Pour calculer le coût d'un tel programme, nous avons présumé que les 10 séances seraient également réparties sur les quatre années; les séances à l'école primaire (6e à 8e année) dureraient 30 minutes et les séances à l'école secondaire (9e année), 45 minutes. Nous avons également utilisé un programme qui dépasse nettement ce minimum, soit le programme d'étude de la Nouvelle-Écosse, qui comporte en tout 18 séances offertes de la 4e à la 7e année11. Pour ce qui est des activités en classe, le temps consacré par l'enseignant pour chaque cours de prévention du tabagisme a été établi à 5,6 heures pour le minimum de 10 séances et à 9,0 heures pour le programme cité en exemple.

Il faut également tenir compte du temps consacré à la formation initiale des enseignants. Nous avons présumé que les enseignants recevraient une formation par vidéo ou matériel imprimé, le temps des enseignants constituant ainsi le principal coût. Glynn7 a proposé comme minimum une demi-journée et, de préférence, une journée entière. Nous avons donc ajouté 3,5 heures et 7,0 heures au temps en classe mentionné ci-dessus, et avons obtenu les totaux suivants :

  • Temps minimum consacré par l'enseignant : 9,1 heures (demi-jour de formation + 10 séances en classe)
  • Temps consacré de préférence par l'enseignant : 16,0 heures (formation d'une journée + 18 séances en classe)

En 1995-1996, le coût total de l'éducation primaire et secondaire était de 7,29 $ par élève par heure d'enseignement12. C'est un chiffre global qui inclut les coûts de fonctionnement à l'extérieur de la classe, le service de la dette et les dépenses d'immobilisation des écoles. Si l'on utilise les chiffres de 9,1 heures et 16,0 heures, le coût de la mise en oeuvre d'un programme par élève serait donc de 66,34 $ pour un minimum de 10 séances et de 116,64 $ pour le nombre idéal de 18 séances.

Le coût total du programme, y compris l'élaboration et l'évaluation, la formation des enseignants et la mise en oeuvre en classe, s'établirait donc comme suit :

  • Programme minimal : 67,20 $
  • Programme idéal : 117,50 $

Dans notre analyse coûts-avantages, nous avons utilisé dans le scénario de base un coût par élève de 67,00 $.

Les coûts annuels doivent être calculés pour obtenir une estimation de l'économie nette. À cette fin, nous avons amorti les coûts d'élaboration du programme sur trois ans et avons ajouté ce coût à celui de la mise en oeuvre annuelle du programme. Ce dernier montant est basé sur le coût horaire par élève de 7,29 $ pour 1 167 000 élèves, recevant chacun 2,275 heures d'enseignement par année, incluant le temps de formation de l'enseignant (9,1 heures en tout sur quatre ans), dans le scénario de base. Les coûts totaux annuels pour un programme national de prévention du tabagisme au Canada s'élèverait donc à 19,7 millions de dollars.

Effet du programme

Pour calculer le ratio avantages-coûts, il faut déterminer la différence dans la prévalence du tabagisme chez les groupes qui suivent des programmes de prévention et dans les groupes qui n'en suivent pas. On peut déterminer l'importance de l'effet sans connaître la prévalence réelle du tabagisme avant l'introduction du programme de prévention; ce qui permet alors d'appliquer les résultats à n'importe quelle population. L'étude des CDC/Battelle Institute6 a adopté comme scénario de base un effet initial de 6 %, après avoir effectué une analyse approfondie de la littérature, effet qui diminue de 20 % sur quatre ans, l'effet persistant étant de 4,8 %. Nous avons présumé pour notre scénario de base une diminution de 33 %, ce qui donne un effet persistant de 4 % après quatre ans.

Économies potentielles

La réduction du tabagisme dans une population entraîne des économies directes et indirectes. Des économies directes sont associées à la réduction du nombre de soins dispensés aux fumeurs, alors que les économies indirectes proviennent de l'augmentation de la productivité des non-fumeurs du fait que le nombre de congés de maladie est réduit et que leur vie active est prolongée. Dans la présente étude, les chiffres utilisés pour décrire ces économies ont été calculés à l'aide d'une approche basée sur le coût de la maladie.


Avantages directs (réduction du coût des soins de santé)

Le coût des soins médicaux, des soins hospitaliers et des médicaments associés au tabagisme ont déjà été calculés, selon le sexe, pour 199113; nous avons ajusté ces chiffres pour tenir compte de l'inflation et les avons exprimés en dollars de 1996. Les coûts annuels par fumeur ont été obtenus en divisant le coût total par le nombre de «personnes qui avaient déjà fumé» (fumeurs actuels et ex-fumeurs). Les coûts à vie par fumeur ont été estimés en utilisant les valeurs actualisées des coûts annuels en fonction de quatre taux d'inflation pour une espérance de vie de 78 ans chez les hommes et de 82 ans chez les femmes14.


Avantages indirects (baisse de l'absentéisme)

De même, nous avons calculé le coût de l'absentéisme attribuable au tabagisme, selon le sexe, au moyen d'une analyse des valeurs actualisées. Les coûts ont été calculés pour une carrière professionnelle se terminant à l'âge de la retraite de 65 ans pour les deux sexes. Le coût annuel par fumeur de l'absentéisme associé au tabagisme a été calculé en divisant le coût annuel total des journées de travail perdues par le nombre de personnes qui avaient déjà fumé dans la population active. Les données selon le sexe étaient disponibles pour l'année 199113 et l'année 199415. Comme toutes les autres données concernaient l'année 1991, nous avons employé les données sur l'absentéisme pour cette année-là dans notre analyse.


Avantages indirects (réduction du nombre de décès prématurés)

La perte de revenu associée aux décès prématurés imputables au tabagisme a également été calculée au moyen d'une analyse des valeurs actualisées. Nous avons présumé qu'aucun décès attribuable au tabagisme ne survenait avant l'âge de 45 ans et que les personnes prenaient habituellement leur retraite à l'âge de 65 ans. En conséquence, le coût indirect d'un décès prématuré attribuable au tabagisme reflétait la perte totale de revenu entre l'âge de 45 et 65 ans. Les coûts indirects par année sont basés sur le salaire industriel moyen ajusté en dollars de 1996.


Analyses de la sensibilité

Plusieurs des paramètres utilisés dans le calcul du ratio avantages-coûts se fondent sur des hypothèses, comme nous l'avons déjà mentionné, et une analyse de la sensibilité a été effectuée pour vérifier dans quelle mesure le ratio avantages-coûts changeait lorsque ces hypothèses étaient modifiées. Les paramètres suivants ont été testés dans le cadre des analyses de la sensibilité : taux d'inflation de 3 %, 5 % et 8 % en plus du scénario de base de 4 %; effet du programme passant de 4 % à 2 % et de 6 % à 1 % en plus du scénario de base où l'effet baisse de 6 % à 4 %; et coûts d'élaboration plus élevés (117 $) par élève pour le programme idéal de 18 séances et de 67 $ par élève dans le scénario de base prévoyant 10 séances.

La perte de revenu est habituellement considérée comme un coût qui doit être assumé indéfiniment par la famille du travailleur mort prématurément. Certains soutiennent que ce n'est pas un coût réaliste et que le coût réel pour la société se limite aux trois mois qu'il faut environ pour remplacer un travailleur décédé. Nous avons testé le résultat de l'utilisation de cette méthode du coût réduit associé à cette «période de friction» dans les analyses de sensibilité.


Résultats

Le tableau 1 résume les coûts annuels en dollars de 1996 des maladies et du décès prématuré liés au tabagisme chez tous les fumeurs (première colonne double). Le coût total des soins de santé (coûts directs) s'élevait à 2,4 milliards de dollars, résultant en majorité des soins hospitaliers excédentaires requis par les fumeurs. Des coûts additionnels de 13,6 milliards de dollars (coûts indirects) étaient imputables à la perte de productivité associée aux congés de maladie et au décès prématuré, cette dernière variable étant de loin la plus importante. Les décès avant l'âge de 65 ans liés au tabagisme représentaient environ 88 % des coûts indirects chez les hommes et 66 % de ces coûts chez les femmes. Le coût total du tabagisme s'établissait à 16 milliards de dollars par année pour les deux sexes.

Le fardeau imposé à l'économie canadienne s'élevait à près de 20 000 $ à vie pour chaque homme et à quelque 15 000 $ à vie pour chaque femme qui avait déjà fumé (tableau 1, deuxième colonne double). En moyenne pour les deux sexes, chaque adulte qui avait déjà fumé générait des dépenses de santé de 3 400 $ et des coûts indirects de près de 14 000 $. Les coûts totaux annuels étaient importants (première colonne double) à cause du nombre de fumeurs actuels et d'ex-fumeurs : 7,4 millions d'hommes et 6,4 millions de femmes en 1996-19972.

Le tableau 1 montre également les économies qui pourraient être réalisées si l'on prévenait le tabagisme à l'aide d'un programme national en milieu scolaire qui connaîtrait un succès modeste : notre scénario de base de 6 % baissant à 4 % (troisième colonne double). La réduction du tabagisme pourrait entraîner des économies annuelles de plus d'un demi-milliard chez les hommes et de plus d'un quart de milliard de dollars chez les femmes. Les économies potentielles pourraient totaliser 639 millions de dollars par année, dont près de 100 millions au seul chapitre des soins de santé. Les économies nettes (valeur actualisée nette) liées à la prévention du tabagisme une fois soustrait le coût de la mise en oeuvre d'un programme seraient de taille : 619 millions de dollars pour le scénario de base.


TABLEAU 1
Coûts attribuables aux maladies liées au tabagisme (dollars de 1996), Canada

Type de coûts

1. Coût annuel,
tous les fumeurs
(millions de $)

2. Coût à vie
par fumeur
($)

3. Économies
annuelles potentielles
(millions de $)

Hommes

Femmes

Hommes

Femmes

Hommes

Femmes

DIRECTS
  - soins médicaux
  - visites à l'hôpital
  - médicaments

 1 570
59
 1 495
16

  843
   48
  775
   20

 4 161
   161
 3 952
48

 2 629
   147
 2 416
65

 63
  2
 60
  1

 34
  2
 31
  1

INDIRECTS
  - congés de maladie
  - décès prématuré

11 194
 1 345
 9 849

2 368
  868
1 500

15 548
 5 177
10 371

12 009
 5 110
 6 899

448
 54
394

 95
 35
 60

TOTAL

12 764

3 211

19 710

14 638

511

128

Remarque : À cause de l'arrondissement, la somme des chiffres dans les colonnes peut ne pas correspondre aux totaux.


 

Nous avons obtenu le ratio avantages-coûts de la prévention du tabagisme en divisant les économies par personne (tableau 1) par le coût de 67 $ par élève et en apportant des ajustements pour tenir compte de l'effet du programme. Le ratio avantages-coûts résultant était de 17,7 pour les hommes et de 13,1 pour les femmes dans le scénario de base (tableau 2). Autrement dit, un programme scolaire de prévention du tabagisme modérément efficace pourrait générer des économies globales de 15,40 $ pour chaque dollar dépensé.

Le ratio global avantages-coûts de 15,4 est abaissé lorsque l'inflation est plus élevée, que l'effet du programme est plus faible ou que les coûts du programme de prévention sont plus élevés (tableau 2). Toutefois, dans chacun de ces cas, le ratio avantages-coûts demeure bien au-delà de 1,0; c'est dire que tous ces scénarios comportent des avantages économiques.


TABLEAU 2
Ratios avantages-coûts de la prévention du tabagisme
suivant différentes hypothèses

Hypothèses

Hommes

Femmes

TOTAL

Scénario de base : effet du programme de 6 % baissant à 4 % après 4 ans, inflation de 4 %, coût par élève de 67 $

17,7

13,1

15,4

Comme dans le scénario de base, mais le coût par élève est de 117 $

10,1

 7,5

 8,8

Comme dans le scénario de base, mais l'inflation est de 3 %

23,4

17,6

20,5

Comme dans le scénario de base, mais l'inflation est de 5 %

13,4

10,0

11,7

Comme dans le scénario de base, mais l'inflation est de 8 %

 6,8

 5,3

 6,0

Comme dans le scénario de base, mais l'effet du programme tombe à 1 %

 9,0

 6,7

 7,8

Comme dans le scénario de base, mais l'effet du programme passe de 4 % à 2 %

 4,1

 3,1

 3,6

Comme dans le scénario de base, mais la perte de revenu se limite à 3 mois

 8,5

 7,0

 7,7

Comme dans le scénario de base, mais les coûts (directs) de santé sont seuls pris en compte

 3,5

 2,3

 2,9

Pire scénario : 18 séances pour obtenir un effet de 1 %

 2,3

 1,8

 2,0


   

En effet, la prévention est rentable même lorsqu'on ne tient compte que des coûts de santé parmi les avantages ou lorsqu'on présume que la perte de productivité associée au décès prématuré n'est que de trois mois. Même dans le cas extrême d'un programme relativement coûteux comportant 18 séances qui n'entraîne qu'une baisse minimale de 1 % dans la prévalence du tabagisme, on reçoit 2 $ en retour pour chaque dollar investi dans la prévention.


Discussion

Ces résultats montrent que dans un large éventail de conditions et sur la base de différentes hypothèses, les programmes de prévention du tabagisme à l'école peuvent apporter d'importants avantages économiques. De fait, les chiffres utilisés pour décrire les économies réalisées sont très prudents, vu qu'on ne tient pas compte de plusieurs coûts difficiles à estimer : coûts des maladies associées à la fumée du tabac dans l'air ambiant, des dommages à la propriété associés à cette fumée, coût lié à l'aménagement d'aires publiques réservées aux fumeurs et disposant d'une ventilation séparée, augmentation du coût de l'assurance-vie pour les fumeurs, coût des décès avant l'âge de 45 ans et des heures de travail perdues durant les pauses pour fumer à l'extérieur du lieu de travail. Certains de ces coûts ont été estimés dans une étude sur la population active15. En dollars de 1995, le coût annuel par employé qui fume a été estimé à 75 $ pour l'assurance-vie, à 85 $ pour une aire réservée aux fumeurs, et à 2 175 $ pour la baisse de productivité associée aux pauses-tabac. Ces coûts n'ont pas été inclus dans la présente étude, car les méthodes employées pour estimer ces coûts ne sont pas unanimement acceptées, mais ils montrent bien que les estimations actuelles du fardeau économique du tabagisme sont prudentes.

Qui plus est, la méthode que nous avons utilisée pour estimer les économies directes et indirectes est également prudente. Pour les fumeurs de tous âges, nous nous sommes servis des coûts moyens des soins de santé qui leur sont dispensés, de leur absence au travail et de leur décès prématuré et avons appliqué ces moyennes au nombre approprié d'années-fumeurs. Lorsque nous calculons ces coûts par âge, comme certains le préfèrent, le total (c.-à-d. l'économie potentielle) est beaucoup plus élevé : supérieur d'environ 60 % chez les femmes et d'environ 80 % chez les hommes. Cela tient au fait que la perte de revenus associée à un décès prématuré survient durant les années où la rémunération des travailleurs est la plus élevée. Nous avons utilisé une approche plus prudente, celle du calcul de moyennes, sinon un trop fort accent aurait été mis sur les coûts indirects.

En outre, les chiffres utilisés pour les coûts du programme dans cette étude englobent beaucoup de choses : tous les frais de fonctionnement à l'intérieur et à l'extérieur de la classe, le service de la dette et même les coûts d'immobilisation. Le coût par élève de 67 $ employé dans notre scénario de base est donc beaucoup plus élevé que le chiffre américain de 48 $6. Comme le montrent les analyses de la sensibilité, le ratio avantages-coûts est très sensible aux chiffres de coûts utilisés.

Les avantages de la prévention sont sous-estimés dans cette étude pour une autre raison : l'approche axée sur le coût de la maladie met l'accent sur le potentiel productif de l'individu et ne tient pas compte de la douleur, de la souffrance ou de la diminution de la qualité de vie. L'estimation des avantages de la prévention est ainsi plus faible 5. Malgré ces écueils, l'approche axée sur le coût de la maladie est pour le moment la plus satisfaisante pour ce type d'analyse, parce que nous disposons de données fiables pour estimer les coûts évités.

Certains économistes pourraient répliquer que nos calculs ne tiennent pas compte des économies au titre des pensions découlant du décès prématuré, mais ces «économies» sont illusoires, car les pensions sont habituellement versées aux survivants même si le travailleur meurt jeune. Nous n'avons pas non plus pris en considération ce que rapportent la fabrication et la vente au détail des cigarettes sous la forme de taxes d'accises et d'impôts sur le revenu. D'autres analyses révèlent cependant que les coûts sociaux du tabagisme éclipsent de loin ces recettes publiques16,17.

Les tableaux 1 et 2 illustrent les différences importantes entre les hommes et les femmes au niveau des coûts directs et indirects associés au tabagisme. Plusieurs facteurs expliquent ces différences : les fumeurs de sexe masculin passent plus de temps à l'hôpital (car ils sont en général plus malades que les fumeuses); les hommes de 45 ans et plus constituent une plus grande part de la population active; ces hommes ont des revenus plus élevés et meurent en général plus jeunes à cause du tabac que les femmes. Cet écart selon le sexe risque de changer avec le temps à mesure que les taux de prévalence du tabagisme chez les hommes et les femmes et le niveau de revenu convergeront. Selon les présentes indications, cette convergence des coûts résultera davantage d'une augmentation des maladies associées au tabagisme chez les femmes qu'à la diminution de la morbidité chez les hommes2.

Ces tableaux indiquent également que les coûts indirects liés à la perte de productivité sont beaucoup plus élevés que les coûts directs déjà considérables associés aux soins de santé. La perte de productivité découlant des congés de maladie et des décès prématurés constitue une perte réelle pour l'économie et doit être incluse si l'on veut brosser un tableau complet des coûts liés au tabagisme. L'approche fondée sur le coût de la maladie dans cette étude est similaire à celle adoptée par divers autres chercheurs comme le Conference Board du Canada15, les US Centers for Disease Control and Prevention6 et le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies16, qui ont obtenu des résultats similaires. Bien que l'analyse coûts-avantages adopte une perspective sociale et tente d'inclure les issues les plus pertinentes5, le calcul des coûts indirects est parfois controversé. Pour cette raison, nous avons vérifié l'effet que pouvait avoir sur le ratio avantages-coûts le fait de limiter le coût d'un décès prématuré à trois mois plutôt que de prendre en compte tout le reste de la vie professionnelle prévisible du fumeur. On obtient quand même un résultat impressionnant de 7,70 $ économisés pour chaque dollar consacré à la prévention.

Les études publiées comparables à la nôtre sont rares. L'analyse des CDC/Battelle Institute6 qui sert de modèle à la présente étude s'y apparente le plus, mais ses résultats sont fondés sur des paramètres légèrement différents des nôtres. Utilisant un taux d'inflation de 5 % et un effet à long terme du programme de 4,8 %, ces chercheurs ont calculé un ratio avantages-coûts de 18,5. Notre résultat de 15,4 se compare assez bien, compte tenu de la sensibilité du ratio à l'inflation, du moins grand nombre d'éléments inclus dans les coûts de mise en oeuvre du programme américain et du coût par ailleurs plus élevé de leur système de santé. La rentabilité des programmes de prévention dans ces deux analyses est beaucoup plus grande que ce qui a été signalé pour un programme d'abandon du tabac destiné aux femmes enceintes, qui permettait de réaliser des économies variant entre 3,31 $ et plus de 6,00 $ pour chaque dollar investi18.

Il est intéressant de noter que, selon l'étude des CDC/Battelle Institute6, les programmes de prévention du tabagisme sont également beaucoup plus rentables que les programmes d'éducation sur les drogues ou d'éducation sexuelle. Une autre analyse coûts-avantages en est venue à la même conclusion, à savoir que la prévention du tabagisme permettrait de sauver plus efficacement des vies que la plupart des autres interventions visant le mode de vie, comme la perte de poids ou l'abaissement du taux de cholestérol19. Seule l'immunisation contre la rougeole, les oreillons et la rubéole semble offrir un ratio avantages-coûts (14,0) comparable à celui de la prévention du tabagisme20.

Les résultats des analyses de sensibilité présentés au tableau 2 montrent que la prévention du tabagisme peut procurer des avantages économiques dans un vaste éventail de conditions. Même lorsqu'un programme plus vaste (et plus coûteux) n'a qu'un effet modeste de 1 %, les économies futures sont considérables. Mais il reste qu'il n'existe pas un assez grand nombre de programmes efficaces au Canada pour qu'on puisse même s'attendre à des économies aussi modestes. Ainsi les économies indiquées ici ne doivent être considérées que comme des avantages potentiels tant que des programmes efficaces de prévention du tabagisme n'auront pas été mis en oeuvre à l'échelle nationale. C'est un défi qu'il est certainement possible de relever.

L'intervention en milieu scolaire semble être le plus efficace lorsqu'elle est accompagnée d'une action communautaire concertée21. Citons entre autres mesures une campagne complémentaire dans les médias22, des écoles sans fumée23, des services accessibles d'abandon du tabac24, et des programmes parascolaires dirigés par des pairs25 de même que la généralisation des règlements municipaux interdisant le tabagisme et l'augmentation du prix des cigarettes26. Ces approches multiformes coûteront plus cher mais auront un plus grand impact que le modeste effet de 4 % prévu dans notre scénario de base. Parallèlement, on peut accroître l'efficience des efforts de prévention en ciblant les écoles à haut risque27. Les programmes actuels sont offerts à tous les élèves peu importe leur niveau de risque et ne sont pas très efficaces4.

En conclusion, cette étude révèle que la mise en oeuvre d'un programme efficace de prévention du tabagisme dans les écoles canadiennes pourrait être très rentable. D'autres avantages comme l'amélioration de la qualité de vie n'ont pas été pris en compte ici, mais ils sont aussi importants et le gain réalisé à cet égard serait probablement tout aussi impressionnant. De tels programmes de prévention ne sont pas cependant assez largement répandus aujourd'hui pour qu'on puisse s'attendre à de tels avantages. Cette analyse fournit des arguments en faveur d'une application à plus grande échelle.


Remerciements

Cette étude a été financée grâce à une subvention accordée à l'Association canadienne pour la santé en milieu scolaire par la Stratégie de réduction de la demande de tabac de Santé Canada.


Références

1. Santé Canada. Enquête de surveillance de l'usage du tabac. I. Sommaire des résultats au Canada. Ottawa, 2000 janv.

2. Comité consultatif fédéral, provincial et territorial sur la santé de la population. Rapport statistique sur la santé de la population canadienne. Ottawa: Santé Canada, Statistique Canada et Institut canadien d'information sur la santé; 1999 sept.

3. Santé Canada. Enquête de surveillance de l'usage du tabac au Canada. 5. Adolescents et jeunes adultes. Ottawa, 2000 janv.

4. Santé Canada. Programmes de prévention de l'usage du tabac dans les écoles : enquête nationale. Ottawa, 1994.

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Références des auteurs

Thomas Stephens, Thomas Stephens & Associates, Manotick (Ontario)

Murray J. Kaiserman, Bureau de la lutte contre le tabagisme, Santé Canada, Ottawa (Ontario)

Douglas J. McCall, Canadian Association for School Health, Surrey (Colombie-Britannique)

Carol Sutherland-Brown, Division de la réduction du tabagisme, Santé Canada, Ottawa (Ontario)

Correspondance : Thomas Stephens, Thomas Stephens & Associates, 1118, rue John, C.P. 837, Manotick (Ontario)  K4M 1A7; Téléc : (613) 692-1027; Courriel : tstephens@cyberus.ca

 

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Dernière mise à jour : 2002-10-02 début