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Maladies chroniques au Canada


Volume 24
Numéro 2/3
2003

[Table des matières]

Agence de santé publique du Canada

Le panier à provisions nutritif permet-il d'évaluer la sécurité alimentaire?

Tasnim Nathoo et Jean Shoveller


Résumé

Le choix d'indicateurs en vue de mesurer les différentes facettes de la sécurité alimentaire pose de nombreux problèmes conceptuels et méthodologiques. Nous tenterons ici d'engager une réflexion sur ces enjeux en examinant un outil, le panier à provisions nutritif (PPN) (Healthy Food Basket - HFB), dans une perspective écologique. Le PPN sert à mesurer les conditions d'accès à la sécurité alimentaire en déterminant le coût et la disponibilité d'un groupe d'aliments dans un panier à provisions, dans une variété de magasins, de quartiers et de régions. Nous tenterons de déterminer ici si l'instrument permet de décrire les influences exercées à petite, à moyenne et à grande échelle sur la sécurité alimentaire et nous discuterons du recours au modèle écologique dans le cadre de l'élaboration de stratégies complémentaires et différentes d'analyse et de surveillance de la sécurité alimentaire.

Mots clés :   évaluation; indicateurs de la nutrition; modèle écologique; sécurité alimentaire



Introduction

La diversité des acceptions données à la notion de «sécurité alimentaire» peut nuire considérablement à l'adoption de démarches plurisectorielles en réponse aux questions liées à la sécurité alimentaire. Power et coll.1 ont observé, lors d'une enquête récente, des écarts marqués entre les interprétations données à ce concept par les diététiciens professionnels du Canada. Il ressort en effet des réponses données à l'enquête que ces termes sont assimilés à des notions très diverses, entre autres : l'innocuité des aliments, l'alimentation comme droit fondamental de la personne, l'accès à un approvisionnement alimentaire suffisant pour le maintien d'une bonne santé, les systèmes agricoles durables, l'accessibilité financière, la distribution d'aliments par l'intermédiaire d'organismes caritatifs et les choix alimentaires jugés acceptables par l'individu. Le Plan d'action du Canada pour la sécurité alimentaire2 souscrit à la définition donnée à la sécurité alimentaire lors du Sommet mondial de l'alimentation : «La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active».

Le Plan d'action du Canada pour la sécurité alimentaire a intégré à sa liste de priorités l'élaboration d'un système de surveillance de l'insécurité alimentaire. Il met en évidence «la nécessité de posséder un ensemble complet d'indicateurs convenus pour déterminer la nature, l'étendue et l'évolution de l'insécurité alimentaire, à la fois pour trouver des solutions convenables et pour contrôler leur efficacité». La mise au point d'indicateurs devant permettre de mesurer les différents aspects de la sécurité alimentaire pose de nombreux problèmes conceptuels et méthodologiques.

Nous engagerons ici une réflexion sur les dfférentes dimensions de la sécurité alimentaire et sur les façons complémentaires et différentes de comprendre et de surveiller la sécurité alimentaire, à la lumière d'une grille d'analyse écologique. Nous nous pencherons sur un outil couramment utilisé pour mesurer les conditions d'accès à la sécurité alimentaire, le panier à provisions nutritif (PPN) (Healthy Food Basket, également appelé Nutritious Food Basket), qui existe au Canada depuis près d'un demi-siècle. Bien que cet instrument serve à décrire les conditions d'accès à la sécurité alimentaire, on ne peut déterminer avec précision quels sont les aspects de la sécurité alimentaire que les données qu'on en tire permettent le mieux de saisir.

Le PPN determine le coût et la disponibilité d'un groupe d'aliments dans un panier à provisions, dans une variété de magasins, de quartiers et de régions (voir le tableau 1). Si les résultats d'enquêtes liées au PPN ont été abondamment utilisés dans le cadre de nombreux programmes et politiques, y compris ceux qui ont trait à l'aide sociale et à la nutrition, on n'a pas encore déterminé si l'instrument permet de dresser un tableau exact et complet des conditions d'accès à la sécurité alimentaire à une petite échelle (individus), à une moyenne échelle (collectivités) et à une grande échelle (population).

Application d'un cadre écologique au PPN

L'écologie a pour assises théoriques l'existence d'une interrelation dynamique entre l'individu et les sous-systèmes de l'environnement3 - 5. L'adoption d'un modèle écologique théorique et pratique n'est pas un phénomème nouveau. Il s'agit d'une pratique courante dans l'étude des déterminants de la santé de la population6,7. L'application d'un cadre écologique à l'examen du PPN permet d'étudier les influences exercées à petite, à moyenne et à grande échelle sur la sécurité alimentaire. Au niveau le plus élémentaire, soit à une petite échelle, l'analyse porte sur les activités menées et les rôles assumés par les individus et sur les rapports entretenus entre les individus dans un cadre donné4; à une moyenne échelle, l'analyse concerne les relations entre des groupes dans différents cadres, et à une grande échelle, elle porte sur les influences socioculturelles et politiques qui peuvent découler des institutions.

Les différents aspects de la sécurité alimentaire, comme la disponibilité des aliments dans une collectivité, les choix alimentaires individuels et la production agricole durable, sont tributaires d'un ensemble d'influences exercées à petite, à moyenne et à grande échelle. On a eu recours au PPN pour répondre à des questions posées à une petite échelle, par exemple : Combien en coûte-t-il pour nourrir une famille avec des aliments nutritifs, de qualité acceptable et en quantité suffisante? On s'en est également servi pour tenter d'obtenir des réponses à des questions à une moyenne échelle, comme : Les membres de différentes collectivités ou les habitants de diverses régions ont-ils facilement accès à des aliments plus sains?, ou à une grande échelle, par exemple : Comment devrait-on structurer le système de sécurité sociale pour accroître la capacité des démunis à se procurer des aliments sains?

Les éléments d'information tirés d'enquêtes sur les paniers à provisions ont été abondamment utilisés dans le cadre de programmes et de politiques, notamment pour la préparation de matériel d'information sur la nutrition et de lignes directrices en matière d'alimentation, pour promouvoir l'accès à des aliments sains dans des régions rurales et éloignées, et pour déterminer si les allocations alimentaires sont suffisantes. De nombreux groupes de défense d'intérêts, organismes professionnels et organismes publics se servent aussi de ce genre d'éléments d'information comme indicateurs de l'insécurité alimentaire dans les collectivités partout au Canada et pour promouvoir et favoriser l'adoption de politiques destinées à accroître l'accès à des aliments sains.


TABLEAU 1
Élaboration et utilisation du PPN

Le PPN est un instrument conçu et utilisé de bien des façons. Voici un aperçu général du processus.

Conception du panier

Les aliments sont choisis à la lumière de plusieurs critères :

  • Les quantités doivent être conformes aux besoins nutritionnels (autrement dit, les aliments ayant une faible valeur nutritionnelle ne sont pas inclus dans le panier). 
  • Les aliments choisis doivent correspondre aux tendances actuelles en matière d'achat et de consommation alimentaires. 
  • Les articles qui composent le panier doivent être disponibles dans les divers magasins de la région qui fera l'objet de l'enquête et pendant toutes les saisons. 

Tenue de l'enquête

L'enquête porte sur un échantillon de magasins. Selon les objectifs de l'enquête, les magasins peuvent être stratifiés en fonction de diverses caractéristiques, comme la taille ou l'emplacement. En règle générale, c'est le prix le plus bas qui est retenu pour chaque article. Dans la mesure du possible, on veille à ce que les marques de produits et la grosseur des emballages soient comparables.

Calcul du coût du PPN

Le coût total du PPN est calculé de la manière suivante :

  • Le prix moyen de chaque article est calculé à partir des prix pratiqués par les divers magasins. 
  • La quantité de chaque article est calculée en fonction d'une unité d'achat courante (par exemple, il arrive que certains magasins offrent le yogourt dans des contenants de 500 g, alors que d'autres l'offrent dans des contenants de 750 g). 
  • Une pondération est faite en fonction de l'importance relative de l'aliment à l'intérieur de chaque groupe alimentaire. 
  • On calcule les besoins nutritionnels en rajustant les quantités applicables à chaque groupe alimentaire. Ainsi, le coût moyen pondéré pour chaque groupe alimentaire est multiplié par la quantité requise pour les différents groupes d'âge-sexe. Les quantités d'aliments sont multipliées par le nombre d'individus qui composent un ménage (en général, une famille de quatre personnes). 

Comparaison des coûts du PPN

Le coût du PPN est utilisé à de nombreuses fins :

  • Le coût total du PPN peut être comparé au montant des prestations d'aide sociale. 
  • Les coûts peuvent être comparés d'un quartier à l'autre. 
  • Ils peuvent aussi être comparés d'une période à l'autre dans certains milieux. 

   

Réflexion sur le PPN dans une perspective écologique

À une petite échelle

Les revenus des individus et des ménages constituent d'importants déterminants des choix alimentaires. À une petite échelle, on a surtout fait appel au PPN pour établir si les individus ont les moyens de se procurer des aliments sains. Ainsi, l'instrument permet d'évaluer le coût d'une alimentation qui répond aux besoins nutritionnels et énergétiques de base, et l'information peut servir à montrer si les sommes accordées à titre de soutien du revenu sont suffisamment élevées pour permettre aux individus et aux familles de s'alimenter sainement. Les nutritionnistes travaillant en milieu communautaire en Colombie-Britannique ont eu recours au PPN pour produire un rapport annuel, The Cost of Eating in B.C., qui illustre à quel point les familles de quatre personnes bénéficiaires du programme d'aide sociale et les familles monoparentales (où le parent travaille à plein temps au salaire minimum) ont beaucoup de difficulté à combler leurs besoins en logement et en nourriture et leurs autres besoins fondamentaux avec leur maigre revenu8.

Il faut faire preuve de beaucoup de prudence lorsqu'on interprète les estimations faites à partir des données du PPN à une petite échelle. En effet, lorsqu'il est ainsi utilisé, le PPN, tout comme l'échelle d'évaluation de la sécurité alimentaire des ménages appliquée par le Department of Agriculture des États-Unis9, met l'accent sur les facteurs économiques qui nuisent à la sécurité alimentaire des individus et des ménages. De plus, il a tendance à assimiler l'insécurité alimentaire à la faim. Il ne mesure pas les autres concepts importants englobés dans les définitions de la sécurité alimentaire (comme l'innocuité des aliments, l'agriculture durable), pas plus qu'il ne détermine quels sont les individus ou les groupes qui pourraient être exposés à l'insécurité alimentaire pour d'autres raisons (c'est le cas de nombreuses personnes âgées ou handicapées qui n'ont pas physiquement accès aux aliments). Le PPN repose sur le postulat que les personnes ayant des revenus plus élevés ne connaissent pas l'insécurité alimentaire, et il ne réussit pas à rendre compte des différences entre les niveaux de sécurité alimentaire qui peuvent exister entre les individus et les ménages ayant un revenu limité (p. ex., les personnes qui bénéficient de l'aide sociale et vivant en milieu urbain pourraient devoir assumer des coûts plus élevés pour se loger et disposer de moins d'argent pour se nourrir). De plus, le PPN n'est pas assez souple pour rendre compte de la diversité des interprétations données à la sécurité alimentaire, qui peut tenir à l'appartenance culturelle, un élément important à prendre en considération étant donné le caractère hautement pluriculturel de la société canadienne.

On fait parfois appel au PPN pour calculer ce qu'il peut en coûter à une personne de s'alimenter sainement (p. ex., pour estimer ces coûts par rapport à un prêt aux étudiants), ou ce qu'il peut en coûter de nourrir des gens dans un foyer de groupe, un établissement de soins prolongés ou un foyer pour sans-abris. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que le contenu du PPN est généralement établi en fonction des habitudes de consommation alimentaire de la population8,10 - 12. Si l'on peut modifier le coût du PPN pour tenir compte de la diversité des besoins nutritionnels selon l'âge et le sexe, il faut se rappeler que ces valeurs, de même que les habitudes de consommation alimentaire à la lumière desquelles est conçu le PPN, sont fondées sur des moyennes (p. ex., elles ne tiennent pas compte de la variabilité, d'un individu à l'autre, du niveau d'activité et du métabolisme, ni des besoins nutritionnels particuliers). En appliquant à des individus un instrument qui fait appel à des données recueillies auprès d'une population, les chercheurs et les responsables de la planification de la sécurité alimentaire risquent de commettre une erreur écologique. En effet, comme les habitudes de consommation alimentaire varient considérablement d'une personne à l'autre, les hypothèses statistiques et théoriques qui sous-tendent les analyses faites à l'échelle d'une population ne sont pas nécessairement directement transposables à l'échelle individuelle (petite échelle). Autrement dit, si le PPN peut être efficace lorsqu'il s'agit de déterminer quelles sont les populations qui, pour des raisons économiques, pourraient être exposées au risque de l'insécurité alimentaire, il ne s'agit, au mieux, que d'une source de données indirectes sur la sécurité alimentaire à l'échelle individuelle.

À une moyenne échelle

À une petite échelle, la question qui nous intéresse est de savoir si les individus ont les moyens de s'alimenter sainement. À une moyenne échelle, notre analyse vise davantage à déterminer si l'individu a accès à des aliments à un coût abordable dans sa collectivité. Par exemple, au nombre des facteurs d'influence possibles à une moyenne échelle, peuvent figurer la façon dont la collectivité réagit à la faim (la présence ou l'absence de banques alimentaires ou de soupes populaires dans la collectivité), la diversité et l'éventail de magasins d'alimentation au détail et l'existence de règlements municipaux qui favorisent des événements tels que les marchés de producteurs.

L'accès physique aux aliments à l'échelle locale est un problème qui prend de l'ampleur, et plusieurs chercheurs ont appliqué le PPN dans un contexte urbain pour tenter de répondre à des questions à une moyenne échelle, comme : Le coût d'un panier à provisions nutritif est-il plus élevé dans des quartiers plus défavorisés? Plusieurs études ont montré qu'un panier à provisions nutritif est plus coûteux et que les articles qui le composent sont moins disponibles dans les milieux urbains plus pauvres13 - 18. C'est dire que certains groupes d'individus ou certaines familles à faible revenu se heurtent à des facteurs économiques et physiques qui font obstacle à l'adoption d'une saine alimentation.

De nombreux usagers ont fait des mises en garde concernant la comparaison, d'une collectivité et d'une région à l'autre, des évaluations du PPN faites à une moyenne échelle. Bien que les chercheurs aient observé des écarts entre des quartiers urbains extrêmement différents, certaines données probantes indiquent que le PPN ne parvient peut-être pas à bien rendre compte de l'influence exercée par le contexte local sur les choix alimentaires des individus11,16. Par exemple, cet instrument ne peut expliquer l'influence de la variabilité des parts du marché détenues par les magasins dans différentes collectivités, ou encore la variabilité des habitudes d'achat dans différentes régions. De plus, les frontières des collectivités ne sont pas définies avec précision et, en fait, il arrive que des sous-collectivités se recoupent (c'est le cas par exemple de nombreuses collectivités composées de quartiers aux profils économiques divers, qui peuvent être adjacents). Dans pareils cas, les résidents de quartiers différents peuvent «franchir la frontière» et fréquenter les mêmes magasins. L'enjeu peut être important lorsqu'on compare différents quartiers d'une région urbaine où l'accessibilité des aliments est plus fortement tributaire de facteurs tels que le transport et l'emplacement du magasin que de frontières géographiques.

Dans ce cas, le danger qui guette les chercheurs et les responsables de la planification de la sécurité alimentaire est celui de commettre une erreur atomistique. Il peut exister un lien à une petite échelle (par exemple, les individus ayant un faible revenu pourraient ne pas avoir un accès égal aux aliments qui font partie d'un panier à provisions nutritif); toutefois, la remarque n'est pas nécessairement vraie à une moyenne échelle (par exemple, le coût moyen et la disponibilité de denrées composant un panier à provisions nutritif pourraient être les mêmes d'un quartier à l'autre). Cette erreur de logique inhérente au PPN, légère mais néanmoins importante, pourrait induire en erreur les chercheurs et les responsables de la planification dans les efforts qu'ils mènent pour promouvoir la sécurité alimentaire à l'intérieur d'une même collectivité, et d'une collectivité à l'autre.

À une grande échelle

Les influences socioculturelles et politiques font partie des déterminants de la sécurité alimentaire à une grande échelle. C'est dans ce contexte complexe qu'est appliquée la formule des PPN. Cet instrument ne mesure pas directement les répercussions d'influences socioculturelles ou politiques précises; il décrit plutôt le coût d'une liste préétablie d'aliments dans un certain nombre de magasins, ce qui représente une facette de la sécurité alimentaire qui est tributaire d'influences exercées à une grande échelle. Ainsi, le PPN représente un indicateur des effets possibles de changements qui surviennent à une grande échelle. Toutefois, en soi, le PPN ne suffit pas à rendre compte du jeu complexe de facteurs qui influent sur la sécurité alimentaire.

Bien que le PPN permette d'obtenir des renseignements limités sur les raisons pour lesquelles les conditions d'accès à la sécurité alimentaire changent, ces données, combinées avec d'autres indicateurs (par exemple, la prévalence des maladies liées à la nutrition, l'inégalité du revenu, les taux de chômage), peuvent donner un aperçu des changements qui touchent le système social, le réseau de la santé et le système agricole. Ainsi, le PPN a apporté des éléments de réponse à la question de savoir comment on devrait structurer le système de sécurité sociale pour accroître la capacité des démunis à se procurer des aliments sains. Il a aussi servi à mettre en évidence l'insuffisance des prestations d'aide sociale.

Analyse

Le PPN semble un instrument efficace lorsqu'il s'agit de surveiller l'un des principaux déterminants de la sécurité alimentaire individuelle, soit la capacité financière de se procurer des aliments. Il met en lumière la variabilité, à l'échelle locale, du coût des aliments sains et de l'accès aux aliments sains. Il ne semble toutefois pas suffire à la surveillance de la santé nutritionnelle de la population.

À l'heure actuelle, nous disposons de plusieurs indicateurs qui mesurent indirectement la sécurité alimentaire. Ces mesures s'articulent autour de la question de la faim (par exemple, l'augmentation du nombre de banques alimentaires et le recours accru aux programmes de ravitaillement d'urgence). Bien que la faim devienne un enjeu de plus en plus important au Canada, la surnutrition et la malnutrition continuent de poser problème pour un pourcentage élevé de la population. Il y a longtemps que l'on fait appel aux techniques d'évaluation du coût des aliments afin de déterminer si le coût d'une alimentation appropriée, de nature à prévenir la faim et la malnutrition, est abordable. Le cancer, les cardiopathies et les accidents vasculaires cérébraux, les trois principales causes de mortalité au Canada, sont tous des phénomènes associés à la nutrition, et l'obésité touche près de la moitié de la population canadienne.

Bien que l'épidémiologie ait réussi à établir un rapport entre la nutrition et la santé individuelle (par exemple, les carences vitaminiques), à une grande échelle, les liens de cause à effet entre la nutrition et la santé de la population sont moins perceptibles, plus difficiles à saisir. Le PPN est un instrument de calcul des coûts qui présente certes de l'intérêt, mais il n'est pas assez perfectionné pour rendre compte de l'influence de phénomènes d'ordre institutionnel et sociologique sur l'accessibilité et le coût des aliments et sur les habitudes de consommation à l'échelle d'une population.

La capacité financière de se procurer des aliments et la disponibilité des aliments, deux facteurs mesurés par le PPN, ne représentent qu'un morceau de ce casse-tête qu'est la sécurité alimentaire. Si l'on veut comprendre le contexte dans lequel s'insèrent les habitudes individuelles de consommation alimentaire, on doit s'intéresser davantage aux effets des influences exercées à une grande échelle, par exemple, des changements dans la gestion des affaires publiques en général, les méthodes de production alimentaire et la composition de l'industrie de la distribution au détail des produits alimentaires, ainsi que le rôle des changements d'ordre culturel et de l'évolution technologique.

L'adoption d'un cadre écologique pour comprendre les influences exercées sur la sécurité alimentaire et la nutrition à l'échelle d'une population suppose une analyse de ces influences d'ordre structurel et contextuel. Bien qu'on ait généralement eu recours à des grilles d'analyse écologiques pour repérer les facteurs associés à chaque niveau d'influence, et y réagir, la capacité d'étudier simultanément les interactions des déterminants à l'œuvre à une petite échelle, à une moyenne échelle et à une grande échelle, a été sousexploitée. Ainsi, le jeu complexe de ces interactions a engendré une dégradation de l'environnement, une diminution de la biodiversité et une expansion de la monoculture. C'est pourquoi l'adoption et l'application plus généralisées de démarches écologiques pourraient apporter des éclairages nouveaux sur les différentes facettes et dimensions de la sécurité alimentaire.

Conclusions

Cette analyse décrit les paramètres à la lumière desquels on devrait continuer de se servir du PPN, instrument qui donne un idée approximative de la capacité financière de se procurer des aliments et de l'accessibilité des aliments, à l'échelle individuelle. Selon nous, il faudrait continuer de se servir de cet instrument pour étudier ces aspects de la sécurité alimentaire à une petite échelle. L'instrument présente un intérêt pratique puisqu'il peut être utilisé facilement et rapidement, et à un faible coût. Selon nous, il serait possible d'améliorer l'interprétation des données fournies par l'instrument en comparant le coût du PPN à la proportion du revenu individuel consacrée à l'alimentation. Une telle approche rendrait compte de la variabilité des coûts du panier à provisions et des niveaux de revenu. Elle offrirait un autre moyen de suivre l'évolution de la sécurité alimentaire au fil du temps.

Comme la capacité financière de se procurer des aliments et l'accessibilité des aliments ne représentent qu'un aspect de toute la question de la sécurité alimentaire, nous avons voulu nous servir de cette étude du PPN comme point de départ d'une réflexion sur des façons différentes et complémentaires d'aborder la question de la sécurité alimentaire. Une démarche écologique peut aider à determiner s'il convient d'utiliser des instruments précis à chaque niveau de l'analyse (petite, moyenne, grande échelle). Elle fait aussi ressortir l'importance des interactions entre les différents niveaux. La mise au point de nouveaux instruments permettant d'évaluer les influences exercées sur la sécurité alimentaire à une moyenne échelle et à une grande échelle pourrait être très profitable pour le domaine d'étude. Si les méthodes de recherche traditionnelles ne réussissent pas à démêler le jeu complexe des interactions entre les différents niveaux (petite, moyenne et grande échelle), il devrait être possible d'appliquer à l'étude du problème de la sécurité alimentaire de nouveaux outils statistiques et méthodologiques élaborés dans d'autres disciplines.

Sur le plan pratique, un cadre écologique pourrait aussi contribuer à renforcer l'idée que les interventions en matière de sécurité alimentaire doivent transcender un strict cadre individuel (petite échelle). Il y a lieu de trouver de nouvelles façons de faire pour améliorer la situation à l'échelle de la population. Les politiques et les programmes fondés sur des recherches qui rendent compte des interactions entre les individus et des influences sociales, culturelles et institutionnelles qui s'exercent «en amont» laissent entrevoir la possibilité d'une amélioration de la nutrition à l'échelle de la population19 - 21. Si l'on veut mieux saisir la réciprocité et le dynamisme des relations entre les individus et les divers sous-systèmes qui composent leur environnement, il faudra aborder la recherche et la planification de programmes et de politiques dans une perspective plus écologique.

De nouvelles pistes de recherche qui font appel à des méthodes mixtes6,22 et des techniques de modélisation multi-niveaux23 laissent entrevoir la possibilité que l'on aborde la sécurité alimentaire et la santé nutritionnelle à l'échelle de la population, dans une perspective plus écologique, parce qu'elles permettent d'examiner les interactions entre les divers niveaux d'influence tout en tenant compte des erreurs de raisonnement atomistique et écologique. Il y aurait lieu d'inciter les organismes de recherche et d'autres intervenants soucieux de promouvoir la santé de la population à emprunter ce genre de démarche novatrice lorsqu'ils se penchent sur ces enjeux importants, en souscrivant à une approche écologique. Les éléments d'information apportés par de telles recherches pourraient alors servir à l'élaboration de politiques et de programmes plus progressistes, globaux et axés sur la population, de nature à promouvoir l'accès équitable de tous les groupes de la population à des aliments sains.

Remerciements

La production de ce manuscrit a été rendue possible grâce à une bourse d'études octroyée par la British Columbia Medical Services Foundation à Mme Nathoo et grâce à une bourse de carrière accordée par la B.C. Health Research Foundation au Dr Shoveller. Les auteurs tiennent à souligner la pertinence des observations et des suggestions faites par le Dr Aleck Ostry à propos d'une version antérieure de ce manuscrit.

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Coordonnées des auteurs

Tasnim Nathoo, Department of Health Care and Epidemiology, University of British Columbia, Vancouver (Colombie-Britannique) Canada

Jean Shoveller, Department of Health Care and Epidemiology, et le Centre for Community Health and Health Evaluation Research, University of British Columbia, Vancouver (Colombie-Britannique) Canada

Correspondance : Tasnim Nathoo, Department of Health Care and Epidemiology, James Mather Building, 5804 Fairview Avenue, University of British Columbia, Vancouver, (Colombie-Britannique) Canada  V6T 1Z3; télécopieur : (604) 822-3724; courriel : tasnim@interchange.ubc.ca

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