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février 2004
IntroductionLa violence faite aux femmes durant la grossesse est un problème de santé qui retient de plus en plus l'attention des chercheurs et des cliniciens. Le Système canadien de surveillance périnatale (SCSP) considère le pourcentage de femmes enceintes qui signalent des sévices physiques comme un indicateur important de la santé périnatale1. Les sévices physiques durant la grossesse ont été associés à des issues défavorables pour la mère et le fotus. Une meilleure compréhension de l'épidémiologie des mauvais traitements durant la grossesse, notamment de leur fréquence, des facteurs de risque, des pathologies maternelles et des complications obstétricales, pourrait avoir des répercussions importantes sur la pratique clinique et la santé publique2. Une identification précoce des mauvais traitements subis par les femmes enceintes et la prise de mesures visant à les prévenir pourraient réduire la survenue de ces effets indésirables. Ce feuillet d'information présente des renseignements sur la fréquence, les facteurs de risque et les conséquences cliniques des sévices physiques durant la grossesse. Bien que les femmes enceintes soient victimes d'autres formes de mauvais traitements, on dispose de moins de données sur celles-ci que sur les sévices physiques. Définition des termes clésViolence - Dans l'enquête de 1993 intitulée Enquête sur la violence envers les femmes, les actes violents se limitaient aux voies de fait et à l'agression sexuelle, tels que définis par le Code criminel, afin de bien caractériser la « violence » dans son acceptation légale3. Les actes de violence commis par des conjoints ont été mesurés par rapport à une série d'actes violents similaires à ceux contenus dans la Conflict Tactics Scale (CTS)4. Sévices physiques - Les sévices physiques comprennent entre autres les actes suivants : frapper du pied, pousser, renverser, jeter à terre, agripper, mordre, étrangler, gifler, donner des coups de poing et frapper. Ils englobent également l'utilisation d'une arme ou d'un autre objet pour menacer ou blesser une autre personne, et ils peuvent entraîner le décès3,5-8. Prématurité - Naissance d'un bébé dont l'âge gestationnel est inférieur à 37 semaines révolues (< 259 jours). Insuffisance pondérale à la naissance - Poids à la naissance inférieur à 2 500 grammes. Issues défavorables de la grossesse - Problèmes de santé chez le fotus ou problèmes de santé physique ou mentale chez la mère par suite de mauvais traitements subis durant la grossesse. Épidémiologie des sévices physiques durant la grossesseLa fréquence des mauvais traitements durant la grossesse est égale ou supérieure à celle d'autres complications de la grossesse qui constituent les préoccupations maîtresses des soins prénatals9. Dans l'Enquête sur la violence envers les femmes, 12 300 Canadiennes de plus de 18 ans ont été choisies au hasard et interrogées par téléphone au sujet de la violence dont elles auraient pu être victimes. Le principal objectif de cette enquête nationale était d'obtenir des estimations fiables de la nature et de l'ampleur de la violence des hommes à l'endroit des femmes au Canada. L'enquête a montré en général que, parmi les femmes qui avaient été mariées ou avaient vécu avec un homme en union libre, 29 % déclaraient avoir été victimes de mauvais traitements ou d'abus sexuels commis par le partenaire à un certain moment durant leur vie de couple. Vingt et un pour cent de ces femmes avaient été agressées par leur partenaire durant la grossesse3; 40 % de celles qui avaient été maltraitées pendant qu'elles étaient enceintes ont déclaré que les mauvais traitements avaient débuté durant la grossesse10. Les femmes enceintes maltraitées étaient quatre fois plus nombreuses que d'autres femmes maltraitées à avoir été victimes d'actes violents très graves, notamment à avoir été battues, étranglées, menacées avec un fusil ou un couteau ou agressées sexuellement11. Environ 18 % des femmes maltraitées durant la grossesse ont indiqué qu'elles avaient fait une fausse couche ou avaient subi d'autres traumatismes internes par suite de ces actes de violence11. Deux études canadiennes ont estimé la prévalence des sévices physiques durant la grossesse à 5,7 % et à 6,6 %7,8. L'échantillon dans la première étude comprenait des femmes enceintes qui participaient à un programme public de santé communautaire à Saskatoon7; dans la seconde, effectuée par Stewart et Cecutti, les femmes interrogées recevaient des soins prénatals de médecins de famille et d'obstétriciens travaillant dans des centres communautaires ou dans des hôpitaux d'enseignement universitaire à Toronto8. Les taux mentionnés dans ces deux études sont similaires aux taux signalés par d'autres pays, dont les États-Unis12, l'Afrique du Sud13et la Suède14. Les résultats de Stewart et Cecutti montrent que 14 % des femmes enceintes qui ont été maltraitées ont connu leur premier épisode de violence physique durant leur grossesse, 86 % ayant rapporté avoir été maltraitées auparavant. En outre, 64 % des femmes maltraitées signalaient une augmentation de la violence durant la grossesse8. Stewart a ensuite constaté que 95 % des femmes qui étaient maltraitées durant le premier trimestre de leur grossesse avaient également été victimes de sévices physiques dans les trois premiers mois suivant l'accouchement15. Les régions du corps les plus souvent blessées durant la grossesse semblent être la tête, le visage et la région abdominale16,17. Stewart et Cecutti ont découvert que la zone la plus fréquemment frappée durant la grossesse était l'abdomen (63,9 %), suivie des fesses (13,9 %), de la tête et du cou (11,1 %) et des membres (11,1 %). Soixante-six pour cent des femmes avaient reçu des coups sur plus d'une partie du corps8. Facteurs de risque et issuesLes facteurs de risque de sévices physiques durant la grossesse et les effets sur la santé de la mère et du fotus ont très peu été étudiés. Stewart et Cecutti8 ainsi que d'autres16,18 ont constaté que des antécédents de mauvais traitements étaient l'un des prédicteurs les plus puissants de violence physique durant la grossesse. Ils ont identifié d'autres facteurs de risque, notamment l'instabilité sociale (femme jeune, non mariée, qui n'a pas terminé l'école secondaire, au chômage et dont la grossesse n'avait pas été planifiée) et un mode de vie malsain (p. ex., mauvaise alimentation, usage d'alcool, de drogues illicites et problèmes affectifs), ainsi que des problèmes de santé physique et psychologique (p. ex., usage de médicaments de prescription). De même, des études américaines font ressortir que la survenue de sévices physiques durant la grossesse est associée à un retard dans l'utilisation des services de soins prénatals ou à des soins prénatals inadéquats19-22. Au Canada, l'Enquête sociale générale (ESG) de 1999 a révélé que le risque de violence à l'égard de la conjointe est généralement plus élevé chez les femmes qui sont plus jeunes, qui vivent en union libre, dont le revenu du ménage est plus faible, dont le partenaire consomme beaucoup d'alcool et dont le partenaire a été témoin d'actes de violence contre sa mère durant son enfance23. Une meilleure compréhension des facteurs de risque de sévices physiques et des facteurs de protection durant la grossesse peut permettre de cibler les interventions et les stratégies de prévention24. Une analyse documentaire effectuée par Peterson et ses collaborateurs a révélé que, dans le cas du fotus, une contusion grave à l'abdomen de la mère peut mener à un avortement spontané, à la mort du fotus, à un décollement du placenta, à un travail et à un accouchement prématurés et à des lésions chez le fotus, telles qu'une fracture du crâne, des hémorragies intracrâniennes et des fractures des os24. Dans le cas de la femme, les effets potentiels indésirables peuvent inclure une rupture de l'utérus, de la rate, du foie et du diaphragme24. Dans certaines études sur l'insuffisance pondérale à la naissance et les sévices physiques durant la grossesse, la prématurité et l'insuffisance pondérale à la naissance n'ont pas été décrits comme des effets distincts. On a laissé entendre qu'il existait des mécanismes directs, comme les traumatismes de l'abdomen gravide, qui pouvaient entraîner le travail prématuré25. En outre, des mécanismes indirects peuvent être présents dans l'environnement violent de la mère et ceux-ci pourraient être associés au faible poids de l'enfant même s'il est né à terme. Citons par exemple l'usage de la nicotine et de l'alcool, le faible niveau socio-économique, le faible gain pondéral chez la mère, le stress et l'absence de soutien social8. Méthodes et outils de dépistageIl est important que les professionnels de la santé soient bien renseignés sur les mauvais traitements durant la grossesse et effectuent un dépistage chez toutes les patientes enceintes. La Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, l'American College of Obstetricians and Gynecologists et l'American Medical Association recommandent que le dépistage des mauvais traitements durant la grossesse fasse systématiquement partie des soins prénatals26-28. Le fait de connaître la fréquence et les facteurs de risque des mauvais traitements peut aider les soignants et les professionnels de la santé à adapter l'interrogatoire et l'examen physique des femmes enceintes dont ils ont soin. Pour ceux qui aimeraient explorer plus à fond la question, il existe de nombreux outils de dépistage des mauvais traitements auxquels les professionnels de la santé peuvent avoir accès. On ne s'entend pas cependant sur la méthode optimale de dépistage des mauvais traitements durant la grossesse. Voici quelques exemples d'outils possibles :
Limites des donnéesLes données sur les sévices physiques durant la grossesse au Canada sont limitées. De plus, il n'existe aucune définition standard des sévices physiques, d'où la difficulté de comparer les résultats d'études internationales et régionales. L'Enquête sur la violence envers les femmes est une source utile de données nationales sur la fréquence de la violence durant la grossesse, mais elle ne fournit pas d'information sur les effets cliniques. En outre, les erreurs de rappel sont un sujet de préoccupation, car les questions touchant la grossesse peuvent se rapporter à des événements survenus plusieurs années ou mois avant l'entrevue. Il semble que les femmes peuvent également hésiter à déclarer des expériences de violence aux enquêteurs par gêne ou sentiment de honte34. Le Système canadien de surveillance périnatale (SCSP) de Santé Canada, est en train d'élaborer et de mettre en ouvre une Enquête sur l'expérience de la maternité qui permettra de recueillir des données sur les connaissances, l'expérience et les pratiques des femmes canadiennes durant la grossesse, l'accouchement et les premiers mois du post- partum ainsi que sur leur perception des soins périnatals. Cette enquête fera partie intégrante de la surveillance nationale de la santé périnatale et fournira des données pour la surveillance d'importants indicateurs de la santé périnatale tels que les mauvais traitements durant la grossesse. RésuméLes données actuelles indiquent que, dans certains cas, les sévices physiques peuvent débuter lorsqu'une femme tombe enceinte, mais que dans la plupart des cas, ils perpétuent un cycle commencé avant la grossesse. Dans l'ensemble, les données montrent que les sévices physiques graves durant la grossesse peuvent causer directement et indirectement des effets indésirables chez la mère et le fotus. Il importe d'accroître la surveillance et les recherches afin de mieux comprendre le phénomène des sévices physiques durant la grossesse et les mécanismes à l'origine des issues défavorables de la grossesse. Pour plus d'informationOn encourage les femmes qui vivent des situations de violence à chercher de l'aide et un soutien auprès des professionnels de la santé dans les hôpitaux, les organismes communautaires/de santé publique, les centres de santé des femmes, les organismes dans le domaine de la santé mentale et des services sociaux. Pour des guides de pratique sur le dépistage de la violence durant la grossesse, veuillez vous reporter à : Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, Partir du bon pied : directives sur les soins pendant la grossesse et l'accouchement, Directives cliniques, Déclaration de principe no 71, 1998. http://sogc.org/SOGCnet/sogc_docs/common/guide/pdfs/healthybegeng.pdf Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, La violence faite aux femmes, Directives cliniques, Déclaration de principe no 46, 1996. http://sogc.org/SOGCnet/sogc_docs/common/guide/pdfs/ps46.pdf American College of Obstetricians & Gynecologists. Domestic Violence. Educational Bulletin, No.257, 1999. Le Collège des médecins de famille du Canada, document de travail, 28 janvier 2000, Les effets de la violence conjugale sur la grossesse, le travail et l'accouchement, commandé par le Comité des soins de maternité et de périnatalité du CMFC et rédigé par Lent, B., Morris, P. et Rechner, S. http://www.cfpc.ca/programs/patcare/maternity/matviolence.asp Pour consulter d'autres feuillets de renseignements, pour obtenir de l'information sur le SCSP ou pour ajouter son nom à la liste d'envoi du SCSP, veuillez communiquer avec : Section de la santé maternelle et infantile Pour obtenir plus d'information sur la violence et la grossesse, prière de communiquer avec : Centre national d'information sur la violence dans la famille Bureau pour la santé des femmes Références
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Mise à jour : 2004-03-17 |