Observations du
Dr David Butler-Jones
22 avril 2009
Monsieur le président,
Tout d'abord, je tiens à remercier le Comité de me donner l'occasion de m'adresser à ses membres et à saluer cette importante initiative visant à examiner l'éclosion de listériose de l'été 2008.
Le Dr Frank Plummer, conseiller scientifique principal de l'Agence de la santé publique et directeur général scientifique du Laboratoire national de microbiologie, ainsi que le Dr. Mark Raizenne, directeur général du Centre des maladies infectieuses d'origine alimentaire, environnementale et zoonotique, sont à mes côtés aujourd'hui.
Les travaux du Sous-comité constituent une étape importante pour améliorer notre capacité à protéger l'approvisionnement alimentaire et la santé de notre population. Nous avons été efficace sur de nombreux plans, mais nous devons tirer des leçons au fur et à mesure que nous améliorons nos façons d'intervenir à de tels événements touchant la santé humaine.
L'éclosion de listériose a été, sans aucun doute, un événement tragique. Vingt-deux personnes sont mortes et cinquante-sept autres ont été malades. Pour l'Agence de la santé publique, chaque maladie évitable ou décès prématuré constitue un sujet de préoccupation.
À titre d'Administrateur en chef de la santé publique du Canada, je peux dire qu'il n'est jamais facile de faire face à ce type d'événements, autant d'un point de vue personnel que professionnel.
À titre de médecin, j'ai passé de nombreuses heures avec des patients et leur famille. Je comprends donc très bien les sentiments de douleur et de peur ainsi que les préoccupations qui accompagnent les maladies et les blessures qu'un organisme peut subir.
Je sais aussi que les personnes qui ont été touchées par cette éclosion et les responsables qui ont géré la crise veulent tous mieux comprendre les circonstances entourant celle-ci.
Ce que nous pouvons faire, c'est de nous assurer que nous tirons des leçons de ces événements et que nous les appliquons en utilisant des données pertinentes que nous communiquons en temps opportun aux bonnes personnes.
Laissez-moi expliquer brièvement, Monsieur le président, comment l'Agence de la santé publique procède pour intervenir lors d'une éclosion.
Essentiellement, l'Agence de la santé publique du Canada a comme mandat de promouvoir et de protéger la santé des Canadiens et de renforcer les capacités en matière de santé publique à l'échelle du pays.
Ce mandat comprend, bien sûr, la préparation et l'intervention en cas d'éclosions posant un risque pour la santé humaine.
La santé publique est en soi une activité locale.
Les événements se produisent dans les communautés, et en général, ils sont pris en charge par les autorités locales.
Comme vous le savez, l'éclosion de listériose a d'abord été détectée en Ontario et a donc d'abord été prise en charge par les autorités de santé publique de la province – comme il se doit.
Lorsqu'une éclosion s'étend au-delà du territoire d'une administration ou excède la capacité d'intervention de celle-ci, l'Agence de la santé publique dirigera le volet « santé humaine » de l'éclosion.
Donc, lorsque le Laboratoire national de microbiologie a établi des liens entre des cas survenus dans d'autres provinces et l'éclosion qui sévissait en Ontario, l'Agence s'est chargée de coordonner l'enquête nationale et l'intervention.
J'aimerais maintenant vous parler un peu du rôle de l'Administrateur en chef de la santé publique lors d'une éclosion.
Dès le tout début, j'ai activement mené l'intervention de l'Agence. Mon rôle durant une éclosion est à double volet puisque j'occupe les fonctions d'Administrateur général de l'Agence de la santé publique et celui d'Administrateur en chef de la santé publique du Canada.
Par conséquent, j'ai dirigé le personnel de l'Agence de la santé publique, notamment les professionnels de la santé ainsi que les scientifiques et les épidémiologistes de l'Agence, pendant les activités liées aux mesures d'urgence.
J'ai également conseillé le ministre de la Santé sur l'éclosion même, et je me suis adressé directement aux Canadiens, aux intervenants et aux partenaires en santé publique sur les questions liées à la santé.
Nous avons communiqué fréquemment, et de nombreuses façons, avec le grand public et les groupes les plus vulnérables. Mais on ne communique jamais trop.
Toute crise en santé publique présente des difficultés inhérentes aux mesures et à la préparation.
Nous tentons de prévoir et de surmonter ces difficultés du mieux que nous le pouvons.
Monsieur le président, je vais maintenant traiter des difficultés auxquelles nous sommes confrontés lorsque nous menons une enquête et intervenons durant une éclosion.
La détermination de la source d'une infection d'origine alimentaire, dans le cadre du système de santé publique, est un processus éminemment complexe :
Il se peut que nous ayons à examiner des éléments de preuve dans des villes ou des villages qui se trouvent à des milliers de kilomètres les uns des autres.
Nous tentons de trouver des personnes qui présentent les mêmes symptômes afin de procéder à l'identification génétique des bactéries pour vérifier s'il s'agit ou non des mêmes.
Ensuite, nous demandons aux personnes d'énumérer tous les aliments consommés au cours des semaines précédentes afin d'arriver, avec un peu de chance, à trouver la source commune.
Il faut alors étudier ces sources et relier tous ces renseignements à la maladie.
Dans le cas de l'éclosion de listériose, nous y sommes parvenus grâce aux récentes améliorations apportées à nos systèmes de suivi et de surveillance et aussi grâce à la collaboration avec nos partenaires fédéraux et provinciaux.
Si ces événements s'étaient produits il y a cinq ans, même si nous étions parvenus à établir des liens, nous aurions eu beaucoup de difficulté à le faire aussi rapidement que nous l'avons fait cette fois‑ci.
Mais les avancées technologiques que nous avons réalisées, les systèmes que nous avons mis en place et la collaboration que nous avons établie depuis la création de l'Agence ont entraîné d'énormes différences dans notre capacité à échanger et à comparer des données et à planifier nos interventions.
Une des difficultés permanentes associées aux éclosions de maladies d'origine alimentaire est le fait que les autorités ne sont averties qu'une fois que les personnes sont malades. Nous constatons la présence d'une éclosion grave uniquement lorsque les personnes qui déclarent des maladies sont plus nombreuses que d'habitude à le faire. Et à ce moment‑là, il y a peut‑être même déjà des décès.
L'éclosion de listériose présentait une difficulté encore plus sérieuse que d'habitude parce que les aliments contaminés avaient été consommés en grande partie par des personnes à risque très élevé de contracter l'infection, particulièrement les aînés dans des établissements de longue durée et les hôpitaux.
En outre, contrairement à ce qui se produit dans la plupart des éclosions de maladies d'origine alimentaire, une infime proportion des personnes qui avaient consommé les aliments ont été malades.
Ce n'est que grâce à notre capacité de lier les faits entre bon nombre d'établissements et de provinces que nous avons pu établir le profil suggérant l'existence d'un problème commun.
La chaîne d'approvisionnement alimentaire est une toile complexe reliant les différents maillons qui la composent.
Entre le moment où un aliment est récolté et celui où il est consommé – il a donc traversé les étapes du traitement, de la production, de la livraison, de l'achat, de l'entreposage et de la préparation –, il est passé sous la responsabilité d'un grand nombre d'organismes et de personnes chargés de la sécurité et de la santé, par exemple des ministères et des organismes des différents ordres de gouvernement, l'industrie, les consommateurs. Nous sommes tous des partenaires en matière de salubrité des aliments.
Et même si nous avons trouvé la source, et assez rapidement, la plus grande partie de la critique était axée sur la nécessité d'informer le public plus tôt et plus rapidement.
Nous avons manifestement des leçons à tirer à cet égard.
Je tiens toutefois à souligner qu'il est important de trouver le juste milieu. Le fait de spéculer sur des causes possibles pendant une enquête pourrait être plus nuisible qu'avantageux.
Prenez, par exemple, l'éclosion de salmonellose aux États-Unis au cours de laquelle des centaines de personnes dans la plupart des États, et même certaines au Canada, ont été malades.
Aux États‑Unis, on a déclaré publiquement que les tomates étaient probablement à l'origine de l'éclosion. Celles‑ci ont donc été retirées du marché, et les gens ont cessé d'en consommer, pensant que le problème était réglé, tout cela pour découvrir plus tard que l'éclosion avait en fait été causée par les piments jalapeno.
Monsieur le président, en définitive, il importe de faire le bilan après chaque événement, quel qu'il soit, particulièrement dans un cas comme celui qui nous intéresse.
Quand nous examinons les éléments négatifs, les éléments positifs, les choses à améliorer et les mesures à prendre à l'avenir, il y a toujours des leçons à tirer des événements.
C'est pourquoi, après l'éclosion, j'ai demandé à l'Agence de rédiger un rapport sur les leçons apprises, un processus qu'ont également entrepris Santé Canada et l'Agence canadienne d'inspection des aliments.
Les auteurs du rapport ont souligné plusieurs aspects positifs de notre intervention. Le personnel de l'Agence chargé de la gestion des éclosions et des situations d'urgence a bien géré le volet « santé humaine » de l'éclosion, les partenariats entre les ministères, les organismes et les différents ordres de gouvernement étaient solides et nos communications publiques ont été efficaces.
Mais il apparait très clairement que de nombreux aspects doivent être améliorés.
Les auteurs du rapport ont établi que l'Agence devrait améliorer sa planification et officialiser ses politiques et ses pratiques en cas d'éclosions, ainsi que ses protocoles de communication.
Nous devrons aussi préciser nos rôles et nos responsabilités lors des éclosions, pour le public ainsi que pour nos partenaires.
De plus, nous devons renforcer nos capacités en ce qui a trait aux activités quotidiennes, mais également en ce qui a trait à notre capacité de pointe lors des éclosions.
Maintenant, il faut aller de l'avant… Je prends chacune de ces recommandations très au sérieux.
J'ai chargé l'Agence de mettre en œuvre un plan d'action pour donner suite au rapport.
Nous examinons nos systèmes de surveillance des maladies.
Nous mettons à jour nos protocoles d'intervention.
Nous renforçons notre capacité en matière d'analyse épidémiologique et de tests de laboratoire.
Nous mettons à jour nos protocoles de communication.
Nous consolidons la capacité du Laboratoire national de microbiologie.
Nous continuons aussi à travailler avec le Conseil des médecins hygiénistes en chef à l'établissement d'un groupe de travail sur la listériose pour poursuivre la diffusion de messages de santé publique sur cette infection et la salubrité des aliments.
Une approche coordonnée est essentielle.
Afin de rallier tous les organismes et les ordres de gouvernement, une stratégie de mobilisation fédérale, provinciale et territoriale est en cours de planification.
Celle-ci assurera la participation de chacun dans la conception d'un système renforcé plus efficace.
En conclusion, Monsieur le président, j'aimerais souligner que j'attends avec intérêt les recommandations du Sous-comité et celles de l'enquêteure.
Il est très important pour nous qu'une enquête et une analyse indépendantes soient réalisées, car celles-ci compléteront nos examens et nos travaux.
Les Canadiens s'attendent à ce que, de façon constante, nous améliorions nos capacités, apprenions du passé, prévoyions l'avenir et fassions face aux imprévus.
C'est notre travail.
Merci.
Pour partager cette page, veuillez cliquez sur le réseau sociale de votre choix.