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SEUL LE TEXTE PRONONCÉ FAIT FOI

Allocution du
Dr David Butler-Jones, administrateur en chef de la santé publique

à l’occasion de l’événement

Renforcer les collectivités canadiennes : Une exposition nationale sur la sécurité, la santé et le bien-être des collectivités

« Les fondements d’une collectivité sûre et en santé »

19 h, le 5 mars 2007
Le Fairmont
Winnipeg (Manitoba)

C’est incroyable comme le temps file et comme les choses changent. Je crois que notre époque est la période de l’histoire humaine où les transformations se font le plus rapidement. Chaque génération est confrontée à des défis nouveaux et complexes qui peuvent sembler énormes et dont les conséquences ne sont pas toujours prévisibles.

Nous nous souvenons tous de Christophe Colomb. Il s’est aventuré dans l’inconnu, à la recherche des lndes… qu’il n’a pas trouvées.

Il a plutôt abouti au mauvais endroit – dans les Amériques – mais se croyant ailleurs, il a donné le nom d’Indiens aux autochtones de l’endroit, c’est-à-dire aux mauvaises personnes.

Il a également apporté avec lui des problèmes inattendus plutôt graves. Dans les Amériques, à cette époque, il y avait des villes beaucoup plus grandioses et mieux administrées qu’en Europe. Cependant, environ 90 % de la population a été anéantie dans les deux siècles qui ont suivi son arrivée. La plupart de ces gens ont été victimes de maladies infectieuses.

Donc, après s’être mis en route, Christophe Colomb a découvert le mauvais endroit, baptisé le mauvais peuple et engendré des répercussions terribles, et tout cela ne l’a pas empêché de devenir célèbre. C’est à n’y rien comprendre.

Y a-t-il une leçon à tirer de cet exemple?

Je crois que cet exemple traduit quelques-uns des paradoxes et des défis auxquels nous sommes encore confrontés aujourd’hui.

Lorsque je prononce des discours, je suis souvent appelé à m’adresser à des personnes qui appartiennent au domaine médical ou au secteur de la santé publique… sur des questions de santé publique. Les gens s’intéressent généralement à la planification en cas de pandémie ou à la prochaine maladie émergente, ou encore, aux défis inhérents à la prévention des maladies chroniques ou aux interventions en cas de catastrophes naturelles ou d’actes de bioterrorisme.

Alors, pourquoi moi – quelqu’un qui est associé le plus souvent à des virus effrayants ou à des menaces de maladie et de peste – en tant qu’orateur invité? Bonne question. Et, en passant, je ne crois pas qu’il s’agisse simplement d’un effort masqué de contrôle du poids.

C’est peut-être parce que la santé publique, telle qu’elle a été conçue à ses débuts, représentait les efforts organisés d’une société afin d’améliorer la santé et le bien-être et de diminuer les inégalités en matière de santé.

Quant à l’aspect sanitaire de l’équation, c’est la première affaire à l’ordre du jour du gouvernement, soit d’assurer le « bien public », c’est-à-dire protéger la population et améliorer son bien-être. Le travail de base à ce chapitre est effectué, en bonne partie, par d’autres, qu’il s’agisse d’assurer des logements, des politiques sociales et des emplois adéquats, une éducation accessible, de l’eau saine, des aliments salubres et des mesures d’hygiène publique – mais ces aspects relèvent encore de la santé publique.

La violence et le crime sont des problèmes qui préoccupent particulièrement les personnes qui évoluent dans le secteur de la santé publique. Ce n’est pas tellement sur le plan de la lutte contre le crime et la violence, une expertise que je ne possède absolument pas, même si je sais qu’elle est foisonnante dans cette salle. Ce sont plutôt les racines ou les germes qui sont à la base des dysfonctions dans la société. Et les mesures sociétales que nous pouvons prendre pour diminuer ces risques.

Même s’il est souvent question de « faire les choix les plus sains, les choix les plus faciles » dans les initiatives de promotion de la santé, nous pouvons également nous questionner sur les gestes à poser afin de diminuer les risques ou la fréquence de la criminalité ou de la dysfonction sociétale, pour rendre les collectivités plus sûres et alléger le fardeau de la police et des tribunaux.

De la même manière, nous voyons la prévention de la maladie non seulement comme une façon d’améliorer la santé des particuliers et des collectivités, mais également comme un moyen d’alléger le fardeau des hôpitaux et de diminuer les traitements.

Toutes ces préoccupations s’inscrivent dans un contexte dramatique.

Les changements technologies, économiques et sociaux se produisent aujourd’hui à un rythme sans précédent. Nous formons la génération la plus en santé de tous les temps, dans notre partie du monde. Et pourtant, dans plusieurs régions du globe, la situation est loin d’être la même. 

En Afghanistan, les chances de survie des enfants sont à peine meilleures qu’elles ne l’étaient au XVIIIe siècle.

Lorsque j’étais au Kosovo, après la guerre, nous dénombrions autant de cas de méningite en une semaine que de cas recensés ici en l’espace de cinq ans.

Dans plusieurs pays d’Afrique, la combinaison du VIH/sida et d’autres maladies fait maintenant en sorte que l’espérance de vie est à peine supérieure à ce qu’elle était à l’âge de bronze. 

Et quelque 35 000 enfants meurent chaque jour dans le monde d’une combinaison très simple et évitable d’infection et de malnutrition.

Du côté des pays plus développés, l’espérance de vie des hommes russes se situe maintenant dans la cinquantaine, tandis que celle des femmes n’a pas diminué. C’est un commentaire intéressant sur l’importance d’avoir un but et un rôle à jouer; de nombreux hommes qui ont perdu leur emploi se tournent vers l’alcool et d’autres échappatoires, alors que les femmes continuent de donner un sens à leur vie en prenant soin de leur famille.

Chez nous, plusieurs personnes ont affirmé qu’en raison de l’augmentation rapide de l’obésité chez les jeunes, les enfants d’aujourd’hui seront la toute première génération à être en moins bonne santé que la génération précédente.

Nous avions l’habitude de compter sur notre famille et nos voisins. Mais dans quelle mesure est-ce encore le cas? Les connaissons-nous? Les familles et les liens sociaux sont éparpillés sur de grandes distances.

Ce peut être une bonne chose en ce que cela étend notre propre sentiment d’appartenance à la collectivité et au monde extérieur. Mais s’il y a une crise ou une urgence, à quoi bon servent les tuteurs de nos enfants s’ils habitent à 2 000 milles de distance et s’il n’y a pas de vols d’avion entre les deux régions?

Comme je l’ai mentionné, il y a beaucoup de choses qui changent rapidement. Par exemple, avec le développement de la technologie et des économies et avec les écarts grandissants entre les « nantis » et les « démunis », n’importe quelle maladie peut maintenant faire le tour du monde en moins de temps qu’il n’en faut pour qu’une personne contracte la maladie après y avoir été exposée. Une nouvelle maladie ou éclosion pourrait déjà s’est répandue à plusieurs pays dans le temps de la reconnaître.

Des gens du monde entier emménagent dans les villes et délaissent la campagne – et pas seulement ici, dans les Prairies. Les différences culturelles du monde entier enrichissent et compromettent à la fois ce que plusieurs ont tenu pour acquis. Et pourtant, malgré toutes les connaissances que nous avons acquises et tous les merveilleux progrès que nous avons réalisés, les fondements ont encore de l’importance. Tout est relié et nous oublierions les leçons essentielles à nos risques et périls.

Il y a un vieux dicton qui dit que « lorsque les Israélites se souvenaient de Dieu, ils ont prospéré. Et lorsqu’ils ont prospéré, ils ont oublié Dieu ». Ce n’est pas uniquement une question de religion; c’est une observation selon laquelle lorsque, en tant que peuple, que société, nous trouvons ce qui fonctionne, nous réussissons bien. Malheureusement, lorsque nous réussissons bien, nous semblons oublier ce qui nous a permis de réussir.

Je crois que nous recherchons tous des choses semblables, peu importe nos tendances politiques, notre culture ou notre religion.

Nous voulons que les enfants soient aimés et grandissent dans des milieux bienveillants, et qu’ils deviennent avertis et autonomes.

Nous voulons être en mesure de diriger notre destinée et d’apporter une contribution.

Nous voulons une assise solide pour de saines collectivités où tous les membres ont la possibilité d’être heureux et en santé. 

Benjamin Disraeli, qui a été premier ministre de la Grande-Bretagne dans les débuts de la santé publique au XIXe siècle, a dit de bien belles choses. Vous vous souviendrez peut-être de l’une d’entre elles : « Il y a des mensonges, des maudits mensonges et des statistiques. » D’où l’importance de comprendre non seulement les chiffres, mais aussi leur contexte.

Mais la citation sur laquelle je désire m’attarder est : « La santé du public est le fondement sur lequel reposent le bonheur du peuple et le bien-être de l’État. »

Il a prononcé ces mots, il y a environ un siècle et demi, à l’époque des grandes épidémies de choléra et de variole, et il est aussi juste aujourd’hui qu’il l’était à ce moment-là. La clé ne se trouve pas simplement dans la maladie et le traitement, ni même dans la prévention à elle seule – la clé réside dans la reconnaissance de l’interdépendance entre notre manière d’agir, notre manière de nous organiser, notre manière d’aborder les problèmes, la santé de la population et la vigueur de l’économie. Ce sont les liens entre la santé, la pauvreté dans toutes ses dimensions, l’inégalité, le milieu et la violence ou la criminalité. Nous devons nous assurer que nos fondements sociaux soient assez solides pour soutenir le reste du système. Il y a un lien entre tous ces éléments, et nous sommes tous unis.

Je crois qu’un changement long et profond s’opère au fur et à mesure que les gens reconnaissent de mieux en mieux les enjeux et les liens qui font en sorte que nous pouvons être prospères et en santé. Si nous parcourons les journaux des dernières semaines, nous pouvons voir des articles où il est question de moyens pour mieux intégrer les écoles dans nos collectivités, de l’importance d’une bonne aération pour faciliter l’apprentissage, et d’écoles de la région d’Ottawa où les administrateurs songent à couper dans les programmes destinés aux élèves qui ont des besoins spéciaux.

Ces questions peuvent sembler mineures et attirer peu d’attention, mais elles font toutes partie des mêmes éléments fondamentaux qui contribuent à déterminer notre état de santé, et peut-être même nos taux de criminalité et de violence. 

Dans les premiers temps du VIH/sida, les gens me demandaient : « quand devrions-nous commencer à enseigner la prévention du sida à nos enfants? » Et je leur répondais de commencer lorsqu’ils sont bébés. Les gens prenaient généralement un air ahuri, car ils croyaient, à tort, que leur suggérais de montrer aux tout-petits comment mettre un condom. Ce qui n’était évidemment pas le cas.

Je voulais simplement leur dire que les leçons importantes et durables que nous voulons enseigner sur quoi que ce soit doivent commencer tôt dans la vie, ne serait-ce que pour donner le bon exemple. Lorsque nous rions et que nous disons que c’est mignon lorsqu’un tout-petit s’empare du jouet d’un autre enfant, nous lui enseignons une leçon percutante. Et si nous continuons ainsi, comment ce petit réagira-t-il lorsqu’il sera adolescent et que quelqu’un lui dira : « J’aimerais mieux ne pas avoir de relations sexuelles »?

Sur un plan, ce sont de petites choses, de petites choses qui aident nos enfants à mieux apprendre et à rester à l’école. De petites choses qui montrent que nous formons une société humaine où nous nous tenons les coudes et où nous faisons de notre mieux pour réduire au minimum le nombre de laissés-pour-compte. De petites choses qui disent aux jeunes qui grandissent qu’ils sont appréciés et qu’ils devraient apprécier et respecter les autres à leur tour.

Nous savons que les enfants apprennent mieux lorsqu’ils ont le ventre plein.

Nous savons que, même si elles empiètent sur les heures de classe, les activités physiques quotidiennes à l’école permettent aux élèves d’obtenir de meilleurs résultats scolaires.

Nous savons, et plusieurs d’entre nous s’en souviennent, à quel point les activités parascolaires nous motivaient à rester à l’école. Combien d’enfants sont demeurés aux études à cause d’une chorale, d’un orchestre, d’un atelier de théâtre, d’un sport ou d’un club? Et à cause des enseignants qui semblaient s’intéresser véritablement à nous et à notre réussite?

Et pourtant, quelles sont quelques-unes des premières choses que nous abandonnons lorsque les budgets des écoles sont serrés?

Je me souviens, lorsque j’habitais à Regina, il y a quelques années, du jour où notre fourgonnette a été volée, et du jour où des malfaiteurs se sont introduits par effraction dans notre maison. Toute personne qui a déjà été victime de vol et de vandalisme est à même de comprendre les sentiments et la frustration que l’on éprouve. Ce n’est pas tant les choses matérielles qui comptent alors, mais le sentiment d’intrusion, la perte de bijoux de famille et d’objets qui ont une histoire et dont la valeur est moins économique que sentimentale. En plus de la disparition de souvenirs d’êtres chers, il y a tout le trouble d’avoir à documenter, à nettoyer les lieux et à recenser les pertes.

Il y a pourtant une partie de mon esprit qui comprend ceci :  si je venais d’une famille où personne ne s’occupait de moi, si je n’avais pas beaucoup d’espoir en un avenir meilleur, si les études n’avaient rien d’intéressant à m’offrir et si j’étais uniquement épaulé par des membres d’un gang, qu’est-ce qui m’empêcherait de voler des autos? 

Il n’est pas question ici d’excuser le vol ou de trouver des excuses aux personnes qui font ce genre de choses. C’est mal – et la plupart des gens qui sont dans des circonstances difficiles similaires choisissent, chaque jour, de ne pas voler et de ne pas commettre d’actes de violence. Je désire uniquement faire remarquer que, pour modifier la trajectoire des événements, nous devons comprendre les influences rencontrées le long du chemin et trouver des moyens de s’y attaquer dès le début.

Alors, est-ce que les programmes parascolaires encadrés par des modèles adultes positifs, les classes adaptées aux différences culturelles ou la participation des aînés de la collectivité à l’enseignement des traditions font partie de la solution à la criminalité chez les jeunes?

Tout est interdépendant et les notions élémentaires ont réellement leur place.

Selon nos connaissances, quels facteurs généraux déterminent l’état de santé d’une population? Eh bien, si nous y pensons, la plupart de ces facteurs sont assez évidents. Des choses comme : la paix (ne pas vivre au milieu d’une guerre ou d’une collectivité où règne la violence); un écosystème stable; des aliments convenables et salubres; un toit au-dessus de notre tête; l’alphabétisation et l’accès à l’éducation qui nous permettent de participer à l’économie et de grandir; des ressources durables; le développement des jeunes enfants qui grandissent sainement dans un milieu où ils sont aimés et profitent de stimulations pour favoriser le développement du corps et de l’esprit; des conditions de travail qui ne minent pas notre santé; la possibilité de faire des choix, et les bienfaits de ces choix pour la santé; la capacité de composer avec des situations stressantes; des revenus adéquats pour se procurer le nécessaire et pour participer à la société; un statut social qui nous valorise au sein de la collectivité; l’accès aux services de santé essentiels; une confiance en l’avenir et le sentiment d’orienter son avenir; ainsi qu’un solide réseau de soutien familial ou social.

Et quels sont les déterminants qui surgissent dans notre esprit lorsque nous pensons aux taux de criminalité?

C’est drôle à dire, mais ils ne sont pas si différents. Des choses comme la pauvreté, les problèmes de parentage, la violence familiale, l’abus d’alcool et d’autres drogues, la faible scolarisation, le chômage, l’exclusion sociale, les mauvaises fréquentations, les mauvais résultats scolaires, l’emploi, l’alphabétisation, le faible estime de soi, le logement, etc.

Les similitudes paraissent évidentes. Elles ne sont pas présentées dans un ordre d’importance particulier et, bien que je pourrais donner plusieurs exemples pour chacune d’entre elles, je suis sûr que vous en trouverez tous par vous-mêmes.

Je tiens, toutefois, à insister sur les deux derniers déterminants de la santé que j’ai énumérés. Outre le fait qu’ils comblent des besoins essentiels, ce sont les deux déterminants qui, selon moi, constituent des dénominateurs communs qui en lient tellement d’autres : avoir confiance en l’avenir et le sentiment d’orienter son avenir ainsi qu’un solide réseau de soutien familial ou social.

Bien qu’il n’y ait aucun doute dans mon esprit quant à l’importance de l’accès à l’éducation, à l’emploi, à un abri et à tous les autres déterminants, les facteurs qui transforment véritablement, qui font que les gens corrects deviennent des gens formidables, que les personnes qui ne sont pas malades deviennent des personnes en santé, que les êtres qui se la coulent douce deviennent des êtres exceptionnels, c’est-à-dire l’entraide et la conviction d’être aimé et pris en charge, le sentiment d’exercer un certain contrôle et une certaine influence sur sa vie et son avenir… voilà des déterminants qui sont d’une importance capitale.

Par exemple, lorsque nous comparons les gens qui ont le moins de liens avec les autres à des gens qui en ont beaucoup, nous constatons que les premiers sont deux fois plus susceptibles de mourir à n’importe quel âge. Un écart qui n’est pas mineur. 

Mais que fait-on alors?

Il y a des gestes simples, d’autres qui le sont moins. Il s’agit de miser sur les petites réussites, de penser globalement, de faire les liens et, malgré les difficultés, de ne pas céder au découragement.

Il n’y a pas un ordre de gouvernement, pas un groupe ou un secteur qui puisse, à lui seul, s’attaquer à tous ces facteurs et déterminants de façon isolée. Pour aborder les déterminants de la santé et prévenir le crime grâce au développement social, il faut une approche globale et multisectorielle qui met à contribution l’ensemble de la société.

Et nous devons, effectivement, tous unir nos efforts. Comme Henry van Dyke l’a dit : « Mettez tous vos talents à profit, car les bois seraient très silencieux, si seuls les oiseaux qui chantent le mieux se faisaient entendre. »

J’ai toujours dit que la santé publique est un sport d’équipe. La prévention du crime par le développement social ne fait pas exception. Il s’agit de rassembler des groupes différents qui partagent les mêmes objectifs à long terme et d’éliminer les cloisonnements afin que nous suivions tous le même système de jeu.

J’ai grandi en Ontario. Là, pour désigner le cloisonnement, on parlait de « silos ». Puis, j’ai déménagé en Saskatchewan et il était question de « tuyaux de poêle ». À ma connaissance, ces derniers servent à évacuer les gaz nocifs, tandis que les premiers sont formidables pour entreposer des choses – mais si vous les laissez là trop longtemps, les choses entreposées finiront par pourrir.

Nous ne devrions pas, en fait, aspirer à ni l’un ni l’autre.

Nous avons tous, par le passé, éprouvé des difficultés avec les cloisonnements, qui peuvent créer des obstacles artificiels aux interventions coopératives et concertées. Je crois que nous faisons enfin des progrès en vue de nous défaire de ces traditions au fur et à mesure que nous apprenons qu’ensemble, nous sommes réellement plus efficaces.

D’après mon expérience, particulièrement dans le domaine des préparatifs et des interventions d’urgence, nous avons réalisé de grands progrès ces dernières années en matière de décloisonnement. Mais il y a eu un prix à payer pour tirer un certain nombre des leçons apprises.

L’éclosion du SRAS a été un gros point tournant pour nous. Certaines choses ont très bien fonctionné. Les professionnels de la santé et les autres intervenants ont été héroïques dans des situations terriblement stressantes – un certain nombre d’entre eux en ont grandement souffert sur le plan personnel. À l’échelle nationale et internationale, nous avons travaillé de manière efficace et concertée afin d’identifier le virus, de concevoir un test de dépistage et de communiquer l’information avec grande transparence – nous étions incroyablement conscients de l’importance de servir l’intérêt collectif, sans égard aux frontières.

Mais il y a des choses qui se sont moins bien passées. L’éclosion a fait ressortir certaines des faiblesses de notre système de soins de santé. Les capacités et les interventions en matière de santé publique variaient d’un bout à l’autre du pays… nos capacités en période de pointe étaient limitées… le leadership était absent et les processus décisionnels n’étaient pas toujours clairs dans le domaine de la santé publique.

Le gouvernement fédéral a donc fondé l’Agence de la santé publique du Canada, qui est chargée, entre autres choses, d’orienter les questions de santé publique au palier fédéral et d’œuvrer à réunir et à soutenir le milieu de la santé publique au Canada afin d’unir nos efforts et de relever tous les défis qui se présentent à nous. L’Agence se veut, plus particulièrement, une valeur ajoutée au sein du système qui doit apporter les meilleures connaissances ou ressources possibles afin de s’attaquer aux problèmes où qu’il surgissent.

Et les ministres de la Santé du Canada ont créé le Réseau pancanadien de santé publique – un mécanisme qui est, en réalité, un nouveau moyen pour les différents ordres de gouvernement et pour les experts de collaborer afin d’améliorer la santé publique au pays. En plus de faciliter le partage des connaissances et la mise au point des pratiques exemplaires, le Réseau aide également à l’élaboration des politiques.

Son efficacité découle, en grande partie, de son interdépendance. Le Conseil du Réseau rend des comptes à la conférence des sous-ministres de la Santé, à laquelle je siège, puis au Conseil des ministres. C’est un forum qui permet aux gens de se réunir, de soulever des problèmes, d’élaborer des plans et de créer des liens. 

Et le réseau n’est pas uniquement composé de représentants du gouvernement, mais également d’experts en la matière qui sont en mesure de nous conseiller et de nous guider sur le travail concret à accomplir. Les problèmes de santé publique qui, autrefois, retenaient difficilement l’attention à la table des ministres sont, aujourd’hui, régulièrement inscrits à l’ordre du jour. Et pour la première fois de l’histoire, les ministres de la Santé du G8 et d’autres pays se sont rencontrés, il y a un an, afin de trouver de meilleures façons de collaborer entre eux et d’aborder les problèmes de santé publique, allant des pandémies au fardeau grandissant des maladies chroniques, en passant par les inégalités sur le plan de la santé. Nous avons donc trouvé des moyens de réunir des groupes différents et des paliers de gouvernement différents.

Ce genre d’approche axé sur la population en matière de santé et de criminalité est effectivement un grand défi pour nous tous, mais un défi important. La réussite, des deux côtés, peut se mesurer en termes de vies améliorées et de vies sauvées. 

Ou bien, nous pouvons examiner les facteurs économiques de la situation, qui sont tout aussi convaincants :

Le fardeau économique de la criminalité au Canada est évalué à environ 60 milliards $ par année.

Le fardeau économique des maladies chroniques au Canada se chiffre à environ 70 milliards $ annuellement.

Il coûterait environ sept fois plus cher d’incarcérer l’auteur d’un crime que de prévenir ce crime en misant sur le développement social.

Les frais médicaux d’une personne qui souffre du diabète sont de deux à trois fois supérieurs aux frais médicaux d’une personne qui n’en souffre pas.

Ces répercussions sont, en majeure partie, évitables. Les investissements en amont peuvent s’avérer très rentables lorsque nous privilégions les approches proactives.

Il ne s’agit pas simplement de réagir aux infractions à la loi, tout comme il ne suffit pas de traiter la maladie.

Nous avons besoin d’un plus grand nombre de policiers dans les rues et de médecins dans les cabinets et les hôpitaux, mais ce n’est pas la seule solution ou nécessairement la meilleure solution.

Il faut viser un juste équilibre entre le proactif et le réactif et reconnaître l’importance des politiques et des programmes sociaux, des services qui touchent aux besoins fondamentaux comme le logement, les prestations familiales et l’éducation. C’est ce qui forme le noyau de la santé publique et de la prévention de la criminalité. Mieux vaut prévenir le crime ou la maladie en premier lieu que d’avoir à composer avec après le fait.

De petites choses? Peut-être pas.

Avant de vous quitter, j’aimerais simplement vous donner d’autres exemples pratiques. Je suis sûr que vous en trouverez plusieurs vous-mêmes au fur et à mesure que nous établirons des liens.

Retournons au déterminant qui se rapporte au contrôle sur son avenir. Nous savons, malheureusement, que dans plusieurs régions du Canada, le taux de suicide chez les jeunes qui habitent dans les réserves est de plusieurs fois supérieur à la moyenne provinciale. Chandler et Lalonde ont comparé différentes réserves de la Colombie-Britannique afin de comprendre les raisons qui font que les écarts entre les taux de suicide soient si importants.

Cette étude a révélé qu’en présence d’une certaine combinaison de facteurs, le suicide avait pratiquement disparu. 

Parmi les éléments responsables de la différence quantifiable : la mesure dans laquelle les personnes et les communautés s’investissaient dans leur milieu et exerçaient un contrôle sur leur avenir. C’était, essentiellement, une question de possibilités. Des choses comme l’autonomie gouvernementale et la participation aux revendications territoriales. Et, un facteur tout aussi important, l’investissement de la collectivité même dans ses installations culturelles, ses services de police et d’incendie et la prestation des services d’éducation et de santé.

Les taux de suicide dans les communautés où tous ces facteurs étaient réunis étaient nuls, tandis que les taux de suicide dans les communautés où aucun de ces facteurs n’était présent dépassaient plusieurs fois la moyenne provinciale. Cette différence ne s’expliquait pas par la présence de conseillers en prévention du suicide, malgré toute leur importance. Elle provenait du fait que les collectivités étaient fonctionnelles et que les gens exerçaient une influence et un contrôle sur leur vie et leur avenir. La recherche se penchera désormais sur d’autres problèmes et facteurs de santé. Un sujet intéressant.

Quelques exemples de la Saskatchewan :

Nous savons que les familles qui vivent de l’aide sociale peuvent avoir un téléphone. Si quelqu’un a le malheur de gonfler une facture d’interurbains et que la famille n’a pas les moyens de payer, le téléphone est débranché. Il existe un dispositif qui permet de laisser passer uniquement les appels entrants et les appels locaux sortants. Ce dispositif nécessitait malheureusement un dépôt de 200 $ que la plupart des familles ne pouvaient pas se permettre. Alors, toujours pas de téléphone. Sasktel s’est laissée convaincre de renoncer au dépôt et il y a eu, tout à coup, des centaines de téléphones dans des foyers qui ne pouvaient pas se le permettre auparavant. Imaginez la différence qu’un téléphone peut faire pour rompre l’isolement, pour participer plus activement à la société et pour faciliter les contacts avec les travailleurs de la santé, les travailleurs sociaux et les autres, sans parler de la valeur d’un téléphone dans les cas d’urgence.

Je constate que la plupart des gens, s’ils avaient le choix, préféreraient travailler et participer. Mais où est l’avantage de travailler si nous n’augmentons à peu près pas notre revenu et si nous perdons les prestations pharmaceutiques et dentaires pour nos enfants?

Un choix qui n’est pas très rationnel.

La Saskatchewan a donc décidé d’offrir des prestations santé et des prestations sociales aux familles à faible revenu afin de contrer cet obstacle au travail. Et nous nous apercevons qu’en plus de faire grimper le nombre de personnes qui travaillent et qui en retirent tous les bienfaits en termes de valorisation et d’avantages économiques, cette mesure a un effet positif sur la façon dont ces familles ont recours au système de santé. C’est probablement la politique la plus importante instaurée au cours de la dernière décennie dans le but d’améliorer la santé en Saskatchewan.

De petites choses – peut-être – mais elles sont toutes indispensables à la santé de la population et elles forment également, selon moi, une partie importante de notre approche à l’égard de la prévention du crime et de la sécurité des collectivités.  

Tout est relié et les petites choses, lorsqu’elles sont accomplies de manière efficace et cohérente, peuvent donner de grandes choses.

Alors, j’espère vous avoir donné, ce soir, quelques pistes de réflexion ainsi qu’un aperçu des nombreux exemples de la différence que nous pouvons faire individuellement et collectivement.

Le dramaturge Henrik Ibsen a déjà dit : « Une collectivité est comme un navire; tout le monde doit être prêt à tenir la barre. » C’est ce qu’il nous faut. Aucun d’entre nous ne peut y parvenir seul.  Des rencontres comme celle-ci sont des étapes importantes de ce processus.

Pour terminer, j’aimerais vous laisser sur les paroles de quelqu’un qui a grandi dans la province voisine – je crois qu’elles sonnent juste quelle que soit notre profession, notre culture, notre religion ou notre politique.

Je suis certain que Tommy Douglas l’a dit plus d’une fois :

« Courage, mes amis, il n’est pas trop tard pour rendre le monde meilleur. »

Merci.