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L'allocution définitive fait foi

Notes d’allocution du Dr David Butler-Jones, administrateur en chef de la santé publique du Canada à l’Université de Toronto

Introduction

Merci beaucoup.

Chacune de mes visites dans la région de Toronto me procure un sentiment de « retour au bercail ». Je suis né ici, j’ai grandi ici et j’ai fait la majeure partie de mes études ici, à l’Université de Toronto, y compris mon programme de résidence en médecine communautaire; en outre, j’ai travaillé ici.

Ainsi, j’apprécie grandement la possibilité de revenir discuter avec la prochaine génération de médecins de famille, de médecins hygiénistes ou d’administrateurs en chef de la santé publique.

Je veux prévoir suffisamment de temps pour répondre à vos questions; cependant, j’aimerais tout d’abord vous exposer brièvement mes points de vue en matière de santé publique – le milieu actuel, le milieu de demain et quelques-uns des défis auxquels nous faisons face.

Et j’aimerais parler un peu de ma place dans ce milieu, de mon expérience en tant que Dr Dave Butler-Jones, et à titre de premier administrateur en chef de la santé publique du pays. Je vous aiderai peut-être à mieux connaître les expériences qui vous attendent, en tant que professionnels de la santé et à découvrir des perspectives intéressantes – et parfois inattendues – qui s’offrent à vous.

Tout est relié

Il m’arrive souvent de penser que la déclaration suivante du premier ministre britannique Benjamin Disraeli constitue un bon moyen d’ouvrir une discussion comme celle d’aujourd’hui : « La santé du public est le fondement sur lequel reposent le bonheur du peuple et le bien-être de l’État ».

Cette déclaration réussit bien – aussi bien aujourd’hui qu’il y a plus d’un siècle, lorsque Disraeli l’a initialement formulée – à nous faire comprendre que la santé publique a trait à l’élaboration d’une base solide sur laquelle reposent tous les éléments que nous valorisons réellement en tant que société – la santé physique, mentale et sociale, le bonheur, la réussite et la prospérité.

Sous cet angle, nous constatons que tous ces éléments sont interreliés. Les fondements sont importants, et tout est relié.

Supposons que je suis un jeune des quartiers les plus démunis et que je n’ai guère d’avenir; les études ne semblent pas pertinentes et les programmes parascolaires sont inexistants. Seuls les membres de gans de rue semblent me respecter. Les rites d’initiation exigent que je vole une voiture. Tout le monde ne le fera pas nécessairement... mais, en fait, pourquoi ne le ferais-je pas?

Pourquoi les personnes les plus démunies sont-elles frappées le plus durement par un ouragan? Pourquoi les personnes âgées et isolées souffrent-elles le plus de la canicule?

Pourquoi certaines réserves autochtones affichent-elles un taux de suicide beaucoup plus élevé que le reste de la population, tandis que d’autres présentent un taux plus faible?

Le bonheur, la situation financière, la réussite, l’environnement... la manière dont nous assurons nos besoins essentiels... la manière dont nous nous entraidons. Tous ces éléments sont étroitement liés aux résultats pour notre santé, et à notre réussite collective, nationale et planétaire.

Abordons cette relation d’un point de vue différent : en tant que pays, nous nous préoccupons des temps d’attente pour les cas de chirurgie orthopédique de la hanche et des genoux.

Cependant, si le vaccin antipoliomyélitique n’existait pas, nous ne serions pas préoccupés par ces délais d’attente. Tous les chirurgiens orthopédiques que nous pourrions espérer former serait accaparé par la polio. Les hanches et les genoux ne seraient jamais prioritaires.

Et si les problèmes d’obésité n’existaient pas, il n’y aurait pas de listes d’attente relatives aux chirurgies des hanches et des genoux – la plupart de ces interventions sont liées à l’excédent de poids que nous portons.

Enfin, n’eût été de la guerre et de la pauvreté qui affligent certaines régions, nous aurions déjà enrayé la polio de la planète.

Tout est relié. On affirme même que chaque fois que nous respirons, nous aspirons des particules qui ont été expirées par tous les êtres vivants – de partout dans le monde – qui nous ont précédés. Vous venez d’expirer une particule qui a jadis appartenu à notre ami, l’honorable Benjamin Disraeli.

Ma motivation

Or, le simple fait d’être conscients de ces relations ne nous facilite pas nécessairement la tâche. Nul ne saurait nier qu’il importe de veiller à ce que chacun puisse se vêtir, se loger, se nourrir et s’instruire.

Il fait facile de faire valoir ce point, mais il est parfois difficile d’avancer. La lutte n’est pas encore gagnée, pour ce qui est d’amener chacun à constater et à reconnaître la valeur de la prévention, de la promotion et de la manière d’aborder les problèmes du point de la santé publique.

À cet égard, un exemple valable a trait au débat déclenché l’an dernier relativement au vaccin contre le VPH. Il était certes quelque peu déroutant de constater que nombre de personnes affirmaient : « nous avons le dépistage cervical; il n’est pas nécessaire d’immuniser, nous devons simplement mieux faire notre travail sur le plan du dépistage de cette forme de cancer ».

Tout d’abord, je ne connais pas une femme qui serait impatiente de connaître le privilège de faire face au cancer et à une hystérectomie.

Et pour nombre de jeunes femmes, lorsqu’elles sont à risque ou qu’elles ont déjà développé un cancer, elles sont exclues du système – peu importe la raison, qu’elles soient travailleuses du sexe, toxicomanies, etc. – elles ne subissent pas de test de dépistage.

Les vaccins font partie des mesures de santé publique les plus efficaces et les plus rentables.

Cependant, ces mesures préventives continuent de susciter une opposition à laquelle les diagnostics et les traitements n’ont jamais fait face. Ces mesures entraînent un fardeau probatoire et des exigences scientifiques qui, en fait, sont irréalisables.

Prenons un exemple « extrême » : il y a un siècle, à Montréal, non loin d’ici, des hordes d’émeutiers ont incendié les demeures des responsables de la santé publique et de l’immunisation, et leur ont lancé des pierres, lorsque la vaccination antivariolique est devenue obligatoire. Heureusement, je ne me suis pas heurté à ce type particulier de résistance…

Cependant, le défenseur des intérêts de la santé publique doit être prêt à faire face à une réticence parfois surprenante à reconnaître la valeur et le potentiel immenses du fait d’éviter carrément la maladie et de poser les questions fondamentales suivantes : « quelles sont les causes de la mauvaise santé, quels sont les obstacles à la bonne santé et comment pouvons-nous surmonter ces obstacles?

Alors qu’est-ce qui m’a attiré vers ce milieu?

Travailler dans le domaine de la santé constitue un immense privilège. Nous oeuvrons auprès de l’être humain à ses moments les plus nobles et les plus faibles, et nous l’aidons à vivre les événements les plus marquants.

Cependant, pour être parfaitement honnête, j’avoue que le secteur de la santé publique est le dernier dans lequel j’aurais envisagé faire carrière. Je me passionnais plutôt pour la médecine clinique; le mystère du diagnostic me fascinait. J’aimais l’idée de pouvoir dispenser des soins et du soutien aux autres.

Toutefois, on n’aboutit pas toujours à l’endroit prévu.

Je ne peux pas dégager un facteur en particulier, mais en fin de compte, des constatations et des enjeux importants ont largement motivé ma volonté de me consacrer à la santé publique.

Du moins en ce qui me concerne, je crois qu’on ne peut pas travailler trop longtemps dans une salle d’urgence sans se demander si – outre le fait d’offrir des soins et des traitements aux malades – on ne pourrait pas en faire un peu plus pour éviter tout simplement que les gens se retrouvent à l’urgence.

J’ai déjà soigné une personne qui éprouvait des problèmes de santé mentale. En tant que mère seule, elle faisait face à un avenir incertain; elle ne recevait guère de soutien communautaire et avait peu de contacts sociaux; elle était sans emploi et peu instruite. Après lui avoir dispensé les meilleurs soins possibles, j’ai dû me poser la question suivante : Allons-nous la renvoyer dans le contexte, le milieu même qui a largement contribué à son incapacité d’être en santé?

Jusqu’à quel point pouvions-nous l’aider davantage en allant au-delà du problème, et en examinant les causes... et – pour emprunter l’expression de sir Michael Marmot – les « causes des causes »?

Il s’agit donc d’une vocation qui touche chacun de nous différemment.

Reste à espérer que peu importe le lieu où nous oeuvrons, nous collaborons d’une manière quelconque au renforcement des collectivités. Et nous devons tous reconnaître que nous avons une contribution à offrir, et déterminer la nature de cette contribution.

J’ai un ami, Nasim, qui est médecin, tout comme sa femme.

Nasim pourrait vivre n’importe où dans le monde; or il a choisi de rester au Bangladesh, afin d’aider le peuple de son pays et de voir ses enfant grandir en connaissant leur culture. Il est heureux de savoir qu’il peut contribuer – largement ou de façon plus modeste – au bien-être de ses compatriotes.

J’ai eu la chance de séjourner dans de nombreux pays et d’observer diverses approches et contributions.

J’ai participé à un projet au Kosovo, après la guerre. Ce projet prévoyait notamment la reconstruction d’une maternité à Pristina, un immeuble sans pratiquement aucune fenêtre intacte, dont les murs suintaient des eaux usées qui s’écoulaient de tuyaux brisés, et dans lequel les bébés – mis à part les mieux-portants – affichaient un taux de mortalité supérieur à 25 %. En une semaine – une semaine! – on signalerait au Kosovo un nombre de cas de méningite équivalent à celui que le Canada connaîtrait – selon une population semblable – sur une période de cinq ans. Au Canada, une poignée de cas entraînerait une frénésie médiatique et une campagne de vaccination massive.

Et selon la tradition préalable à la guerre, l'approche bureaucratique communiste et les mesures d'efficacité, les cas étaient nettement signalés à la capitale; on se souciait d'obtenir les bons chiffres, et non pas tant de prévenir d'autres cas. Intéressant.

Il y a deux semaines, j’étais au Chili. Les Chiliens sont très conscients de l’interrelation des divers facteurs – ou déterminants – qui influent sur la santé, et du fait que les solutions débordent les limites d’un secteur ou d’un ordre de gouvernement particulier. Dans ce pays à revenu intermédiaire, le revenu moyen correspond à peu près à la moitié du nôtre, au Canada. Ils abordent la santé infantile avec les ressources dont ils disposent, selon divers programmes ciblés qui visent à appuyer les plus démunis et des programmes généraux qui englobent l’ensemble des premières grossesses, jusqu’à l’âge de deux ans. Par conséquent, ils ont nettement amélioré la situation sur le plan de la mortalité infantile.

Cuba est également un pays intéressant dans lequel j’ai séjourné; il est intéressant pour de nombreuses raisons, dont l’une – qui n’est certes pas à négliger – a trait au fait que compte tenu d’une richesse par habitant équivalant à 5 % de celle des États-Unis, il présente un taux de mortalité infantile et une espérance de vie pratiquement identiques. Je ne vante pas les mérites du système cubain dans son ensemble; toutefois, les Cubains ont bien établi les fondements du système. Chaque habitant est relié à un médecin local, à une infirmière et, grâce à des protocoles de soins normalisés, rares sont ceux qui passent entre les mailles du filet. Les problèmes plus complexes sont dirigés vers des polycliniques, où des spécialistes se rendent dans des centres régionaux et, au besoin, aux hôpitaux régionaux et spécialisés. En fait, en mettant fortement l’accent sur la prévention et sur les soins primaires, on réduit le nombre de personnes qui exigent des soins spécialisés et complexes, et l’on est ainsi en mesure d’assurer ces soins.

Plus près de chez nous, lorsque je travaillais en Saskatchewan, nous faisions face à des taux très élevés d’hépatite A dans les régions nordiques et rurales, notamment dans les réserves du nord.

Quelle était la cause réelle? En général, des problèmes de logement, d’hygiène et d’encombrement. Il était cependant difficile de réaliser des progrès importants dans le règlement de ces problèmes. Il fallait donc immuniser tous les enfants contre l’hépatite A.

Ce n’était pas la solution idéale, mais au moins, les enfants n’étaient plus maladies et ne succombaient plus à l’hépatite.

Je crois qu’une de nos réalisations les plus importantes dans cette province – c’était dans les années 1990 – a été d’assurer le maintien des prestations à l’égard des familles à faible revenu. Ainsi, lorsqu’un parent parvenait à ne plus dépendre de l’aide sociale, et obtenait un emploi, il ne perdait pas automatiquement l’assurance dentaire et l’assurance médicaments pour ses enfants. En effet, auparavant, les personnes qui trouvaient du travail perdaient ces prestations... ce qui ne les incitait pas à travailler.

J’ai donc eu le privilège de pouvoir observer des solutions différentes dans diverses régions du monde. J’ai eu la chance inestimable de constater dans quelle mesure nous pouvons changer les choses.

Certains d’entre vous interviennent déjà de cette façon, et d’autres sont en voie de le faire; votre contribution à tous nous est précieuse.

On me demande souvent « de quoi avons-nous besoin en matière de santé publique au Canada? Quel type de personnes devons-nous former et embaucher? Quelle expertise devons-nous obtenir?”

Je crois qu’il est plus simple de nous demander « de quelle expertise n’avons-nous pas besoin? » Les défis ne manquent sûrement pas.

Défis liés à la santé publique – aujourd’hui et demain

- Obésité, diabète et maladies chroniques -

La plupart des défis auxquels nous faisons face ne constituent que la pointe émergée de l’iceberg.

Grâce à la hausse des taux d’obésité – que certains qualifient de nouveau « tabagisme » -- nous nous heurtons à la possibilité très réelle que les enfants d’aujourd’hui soient les premiers dont l’espérance de vie soit plus faible que celle de leurs parents. Imaginez la régression que cela représenterait!

Non seulement le taux de prévalence augmente, mais en outre il s'étend. Le problème n'est plus restreint aux pays industrialisés. L'épidémie d'obésité commence à affecter les pays en développement, où elle cohabite parfois avec la malnutrition.

Un « indice » récent, tirée de la revue Harper's, nous fournit une statistique fort intéressante : depuis 1980, le rapport sur le plan des dépenses entre les épiceries et les restaurants, aux États-Unis, est passé de 2 : 1 à 1 : 1, ce qui signifie que pour chaque dollar affecté à l’épicerie, les Américains dépensent un dollar pour manger à l’extérieur.

Il ne faut pas tirer trop de conclusions; toutefois, je me demande quelle part de ces dépenses les aliments prêts à manger représentent, et dans quelle mesure les repas familiaux ont diminué. Nous ne pouvons qu’espérer que ces chiffres ne s’appliquent pas au Canada...

Ainsi, les taux d’obésité augmentent... tout comme les taux de diabète de type II... la population vieillit... En outre, les maladies chroniques représentent un fardeau économique croissant.

Selon les derniers chiffres, les coûts indirects et directs liés aux maladies chroniques totalisaient plus de 100 milliards de dollars.

Selon Disraeli – et Mark Twain -, il existe trois types de mensonges : « les mensonges..., les maudits mensonges et les statistiques ».

Sans égard à leur aversion pour les statistiques, il s’agit de chiffres incroyables qui soulignent l’ampleur des défis qui nous attendent.

Au-delà des maladies chroniques, lorsque nous examinons l’environnement, nous constatons que les défis sont tout aussi déconcertants.

- Changement climatique -

Le comité international de l’ONU sur le changement climatique a déclaré que si la situation ne change pas, la température pourrait se réchauffer encore davantage d’un ou de deux degrés à l’échelle mondiale, d’ici les années 2020.

Par suite de cette hausse de température – aussi modeste soit-elle -, une proportion plus importante de l’humanité ferait face à des vagues de chaleur, à des inondations, à la sécheresse, et de 20 % à 30 % des espèces connues seraient menacées de disparition.

Dans l’ensemble, la liste des effets prévus du réchauffement climatique au XXIe siècle, selon le comité, brosse un tableau apocalyptique : d’impacts considérables sur les écosystèmes à l’échelle de la planète à des conséquences graves sur les populations les plus vulnérables et sur les industries sur lesquelles elles s’appuient, celles situées dans les plaines côtières et inondables et qui dépendent davantage de ressources vulnérables au climat et aux conditions météorologiques …

Les conditions climatiques particulièrement mauvaises entraîneront davantage de risques pour la santé personnelle... nous observerons un accroissement de la malnutrition... des maladies diarrhéiques... de la fréquence des maladies cardiorespiratoires, compte tenu de la concentration plus forte d’ozone troposphérique dans les régions urbaines... ainsi que la modification de la distribution spatiale de certaines maladies infectieuses.

La perspective n’est même pas sombre sur tous les plans – dans certaines régions, la production alimentaire pourrait, de fait, s’améliorer... à court terme... tandis qu’ailleurs, elle diminuera. En fait, le changement climatique pourrait favoriser la lutte contre le paludisme dans certaines régions de l’Afrique. Cependant, il est clair que les inconvénients l’emporteront sur les bienfaits, particulièrement dans les pays en développement.

Dans notre propre région nordique, le risque de fonte du pergélisol pourrait entraîner une instabilité des routes, des immeubles, des pipelines et des aéroports.

Le réchauffement modifiera les habitudes et les modes de vie conventionnels... la migration du gibier se transformera... Nous pourrions voir apparaître des parasites et des virus auparavant étrangers.

Les orages électriques surviennent rarement dans le nord; cependant, le changement climatique les rend plus fréquents. Les chasseurs ont plus de difficulté à construire des igloos, parce que la neige est plus tassée.

Et il s’agit d’une région seulement. Dans le monde entier, nous constatons déjà une augmentation des inondations, un accroissement de la sécheresse, une transformation de la migration humaine et des virus humains et zoophiles. Un fardeau accru est imposé aux viandes des pays, par exemple, compte tenu du fait que les espèces autochtones font face à des parasites pendant plus de cycles au cours d'une saison.

Et ce sont presque toujours – presque toujours – les populations ou les pays les plus démunis, dont le niveau d’organisation et de soutien sociaux est le plus faible, qui sont les plus vulnérables.

Qu’advient-il des personnes qui ne peuvent échapper aux conséquences de la hausse des températures ou du niveau d’eau?

Mais la question ne tient pas qu'à la richesse ou à la pauvreté. Nous devons comprendre les changements qui nous entourent. Nous devons nous engager à intervenir à l'égard des éléments fondamentaux liés à la santé, afin d'élaborer des collectivités saines et résistantes, au pays et ailleurs.

Ces éléments fondamentaux ont de l'importance, et ils sont interreliés.

- Inégalités en matière de santé et rapport de l’ACSP -

Une exigence particulière du poste d’administrateur en chef de la santé publique m’oblige à présenter annuellement un rapport au Parlement sur l’état de la santé publique au Canada.

Le premier rapport de ce type sera publié plus tard au cours de l’année.

Dans ce rapport initial, j’ai choisi de cibler les inégalités en matière de santé, notre perception de ces inégalités et la manière dont nous pouvons les surmonter. Cela tient aux éléments fondamentaux que j’ai abordés, et à leur interrelation. Il s’agit d’un défi majeur en matière de santé auquel nous faisons face, et auquel nous continuerons de faire face.

Jusqu’à un certain point, ce thème s’est, en quelque sorte, imposé de lui-même. Au Canada, nous aimons souvent nous rappeler que nous formons le peuple le plus sain du monde – et à bien des égards, nous arrivons en tête de liste.

Toutefois, je crois que la santé d’une société se mesure à l’état de son membre le moins bien portant.

Nous ne pouvons pas évaluer notre santé en tenant compte uniquement d’une poignée de personnes parmi les plus riches ou les plus instruites. Nous ne pouvons pas non plus cibler seulement les moyennes – celles-ci masquent les écarts importants entre les personnes les mieux portantes et celles qui sont le moins en santé.

Nous ne devons pas oublier les personnes « laissées pour compte » par le progrès.

Dans l’ensemble, les Canadiens jouissent généralement d’une bonne santé mentale et physique. Nous vivons plus longtemps. En outre, nous avons réalisé des progrès importants afin d’améliorer la santé de la population, passé le cap des 100 ans.

Cependant, toutes les tendances liées à la santé ne sont pas nécessairement à la hausse, et les avantages ne sont pas répartis équitablement parmi tous les membres de la population.

Certains groupes, au Canada, affichent des taux plus élevés de mortalité infantile, de blessures, de maladies et de toxicomanie que d’autres. Certains sont plus enclins à l’obésité et à la surcharge pondérale que d’autres.

Bref, certains groupes de Canadiens ne vivent pas aussi longtemps, ni aussi bien que d’autres.

Vous n’êtes sans doute pas étonnés que les personnes les personnes les plus démunies, ou les moins instruites présentent des résultats moins favorables sur le plan de la santé.

Je crois toutefois que des personnes extérieures à la collectivité de la santé seraient très étonnées d’apprendre que – encore une fois – la question ne se résume pas à une opposition entre les « riches » et les « pauvres ». L’espérance de vie diminue proportionnellement au niveau d’instruction ou au revenu.

Les familles de classe moyenne supérieure seraient sans doute surprises d’apprendre que collectivement, à l’échelle de la société, elles obtiennent des résultats inférieurs à ceux de familles dont le revenu est un peu plus élevé que le leur.

J’ai mentionné sir Michael Marmot plus tôt. Il offre un exemple qui illustre très bien ce point. Lorsque vous prenez le métro dans les quartiers à population noire et démunie du centre-ville de Washington, et que vous vous dirigez vers les banlieues riches et peuplées de Blancs, 12 milles plus loin, l’espérance de vie augmente à chaque mille que vous parcourez.

La santé est graduelle, et chaque progression – parmi la population – est fondée sur un certain nombre de facteurs sociaux.

Il s’agit d’une situation très difficile à comprendre dans un pays comme le nôtre. Il ne doit pas nécessairement en être ainsi, et nous pouvons intervenir. Il existe des moyens de réduire les écarts sociaux sur le plan de la santé, d’aider les gens à vivre dans des conditions et dans des milieux qui facilitent les choix santé, et dans lesquels nous avons tous la chance, la possibilité d’être en santé.

Certains d’entre vous connaissent peut-être les travaux de Chandler et de Lalonde touchant les réserves des Premières nations de la Colombie-Britannique.

Ils ont constaté que dans de nombreuses réserves qui n’avaient guère de contrôle sur leur situation – politique, sociale et culturelle – le suicide chez les adolescents atteignait parfois un taux nettement supérieur à celui du reste de la population.

Cependant, dans les réserves où les bandes exerçaient un certain contrôle sur leur situation, où la collectivité assurait une partie de ses programmes sociaux, où la population participait aux services d’incendie, de police et d’enseignement et où les revendications territoriales avaient été réglées, le suicide chez les adolescents était pratiquement nul.

Cet exemple illustre que, au-delà des éléments essentiels – au-delà de la hiérarchie des besoins de Maslow – lorsque vous avez un toit, un emploi, un revenu suffisant pour vous nourrir et vous vêtir... au-delà de ces besoins, l’un des déterminants les plus importants de la santé a trait au sentiment d’être maître de votre destin, au sentiment d’influer sur votre milieu et sur la manière dont votre avenir se dessine.

Nos contacts sociaux sont, à mon avis, tout aussi importants. Il a été démontré que les personnes qui entretiennent le plus de relations sociales sont les mieux portantes. L’entraide, l’amour réciproque constituent des déterminants fondamentaux – et souvent négligés – de la santé.

Perspective future

Un mouvement s'organise - au Canada et ailleurs dans le monde - afin de comprendre d'aborder les déterminants sociaux de la santé.

L'Agence de la santé publique du Canada a été très heureuse d'appuyer les travaux de la Commission de l'Organisation mondiale de la santé sur les déterminants sociaux de la santé, qui présentera son rapport plus tard cette année.

Nous avons également un sous-comité sénatorial qui produira un rapport, cette année, sur un sujet semblable, mais à l'échelle du Canada, et qui mettra l'accent sur la santé de la mère et de l'enfant.

Nous avons également une nouvelle Commission de la santé mentale qui, à mon avis, contribue d'une manière cruciale à faire valoir que la santé mentale fait partie de la santé globale et que les conditions et les milieux véritablement propices à la santé sont ceux qui favorisent la santé mentale.

De nouveaux organismes de la santé publique sont établis au pays, non seulement à l’échelle nationale – je pense à l’Agence de la santé publique du Canada – mais aussi à l’échelon provincial, y compris en Ontario.

En fait, une bonne part des initiatives valables dans ce secteur est mise en oeuvre au niveau des collectivités. En matière de problèmes sociaux, les interventions les plus efficaces proviennent souvent des intervenants les plus proches des problèmes.

Les projets et les programmes vont de campagnes visant à assurer les enfants d’un petit déjeuner nutritif à des cliniques mobiles qui permettent de soigner des femmes immigrantes qui n’ont pas nécessairement accès à des soins.

Du point de vue national de l’Agence de la santé publique du Canada, bien que nous assumions divers rôles, de la promotion de la santé à la prévention des maladies chroniques, en passant par la lutte contre les maladies infectieuses, l’intervention en cas de catastrophes, etc., je crois qu’une de nos fonctions les plus importantes consiste à appuyer ces programmes communautaires et à défendre leurs intérêts.

Globalement, les questions que j’ai abordées constituent un défi immense, qui prend parfois des proportions accablantes : changement climatique, vieillissement de la population, fardeau croissant des maladies chroniques, nouvelles maladies infectieuses, possibilité d’épidémie, conséquences des conditions sociales,...

Comme le dit un vieux proverbe arabe : « ce n’est pas la route qui vous épuise... c’est le grain de sable dans votre chaussure ». En matière de santé publique, nous tentons de maintenir l’équilibre fragile entre la situation dans son ensemble, en ne perdant pas de vue la route qui nous attend, et le grain de sable dans notre soulier.

Afin de ne pas perdre mon objectif de vue, non seulement d’un point de vue personnel mais aussi d’un point de vue organisationnel, j’ai constaté l’utilité d’un acronyme, en l’occurrence PACEM qui – ce n’est pas un hasard – signifie « paix » en latin – et qui désigne, en anglais « partner, advocate, cheerlead, enable and mitigate », c’est-à-dire « partenariat, défense d’intérêts, motivation, habilitation et atténuation ».

Le partenariat s’entend de collaborer avec d’autres intervenants, de franchir les limites artificielles individuelles, d’élaborer et d’entretenir une entente à l’égard des enjeux, d’atteindre une plus grande efficacité collectivement qu’individuellement.

La défense d’intérêts s’entend d’offrir notre expertise, nos données probantes et notre vision dans le cadre de l’élaboration de politiques sociales.

Nous motivons en offrant notre appui et en nous retirant lorsque les résultats sont favorables.

L’habilitation s’entend des mesures que nous pouvons prendre, au sein de nos organisations, ou d’un point de vue individuel, afin de créer des conditions propices à la santé.

L’atténuation désigne les éléments que le système de santé aborde généralement d'une manière efficace, notamment le rétablissement et la reconstruction en cas de problème.

Ce sont quelques manières d’aborder notre rôle. Il est primordial de comprendre et de réaliser notre rôle, et de reconnaître l’interrelation de nos fonctions.

Je crois que le secteur de la santé publique a largement progressé au cours des dernières années.

J’espère que nous poursuivrons dans cette voie, et que nous miserons de plus en plus non pas uniquement sur les soins et les traitements, mais aussi sur la manière de prévenir les maladies et les blessures, en ciblant toujours davantage « les causes des causes ». Nous ne pourrons jamais éviter toutes les formes de maladie... mais il vaudra toujours mieux essayer.

Conclusion

Lorsque l’on y réfléchit, permettre à chaque enfant de partir du bon pied et de terminer ses études secondaires, réduire le nombre de personnes qui ont du mal à se nourrir et à se vêtir ou rétablir un niveau d’alphabétisme de sorte que chaque adulte puisse lire et comprendre les étiquettes sur ses bouteilles d’ordonnance, ce type de gestes profite largement à la société, et de multiples façons. Une fois que nous aurons réglé ces éléments fondamentaux, imaginer les progrès que notre pays pourra réaliser!

Je terminerai par deux citations de John F. Kennedy qui, je crois, résument bien la situation : « Les problèmes du monde ne peuvent être résolus par des sceptiques ou des cyniques dont les horizons se limitent aux réalités évidentes. Nous avons besoin d’hommes et de femmes capables d’imaginer ce qui n’a jamais existé ».

Et il a ajouté : « Peu de gens marqueront l’histoire, mais chacun d’entre nous peut faire sa petite part et, ultimement, ces gestes s’inscriront dans l’histoire de notre génération. »

En tant que professionnels de la santé, spécialistes de la santé publique, éducateurs – et, au-delà de notre assemblée et de notre profession, chacun d’entre nous – nous avons tous un rôle à jouer, et nous déterminons notre état de santé selon le type de société que nous bâtissons.

Je vous remercie infiniment de votre accueil. Je vous offre mes meilleurs vœux de succès dans vos études et dans votre carrière, quelle qu’elle soit.