A. D. Foebel, M. Sc. (1); J. P. Hirdes, Ph. D. (1,2); G. A. Heckman, M.D., M. Sc. (1,3); S. L. Tyas, Ph. D. (1,4); E. Y. Tjam, Ph. D. (1,5)
Rattachement :
Correspondance : Andrea Foebel, Department of Health Studies and Gerontology, University of Waterloo, 200 University Ave. West, Waterloo (Ontario) Canada N2L 3G1; tél. : 519-888-4567 poste 37859; téléc. : 519-746-4657; courriel : adfoebel@mailservices.uwaterloo.ca
Introduction : Le vieillissement de la population canadienne s’accompagne d’un accroissement du fardeau que représente l’insuffisance cardiaque (IC), affection associée à un taux de morbidité et de mortalité important ainsi qu’à un recours fréquent aux services de santé.
Méthodologie : Nous avons extrait les données de la base de données du Resident Assessment Instrument-Home Care (RAI-HC) de l’Ontario pour tous les clients bénéficiant de soins à domicile de longue durée et âgés de 65 ans et plus, afin 1) de décrire les caractéristiques démographiques et cliniques des clients de soins à domicile souffrant d’insuffisance cardiaque et 2) d’examiner le recours aux services de santé par les clients de soins à domicile souffrant d’insuffisance cardiaque.
Résultats : Par rapport aux autres clients de soins à domicile, ceux qui souffrent d’insuffisance cardiaque présentent un état de santé plus instable, consomment davantage de médicaments, affichent un taux plus élevé de comorbidité et ont besoin d’un volume significativement plus élevé de soins infirmiers, ainsi que de services ménagers et culinaires. Ils sont hospitalisés plus fréquemment et font un usage significativement plus élevé des services d’urgence et des soins de première urgence.
Analyse : Les clients souffrant d’insuffisance cardiaque constituent un groupe plus complexe que les clients des soins à domicile en général. La manière dont les patients prennent en main leur santé doit être adaptée à leurs caractéristiques cliniques, à leurs schémas habituels d’utilisation des services et aux obstacles auxquels ils doivent faire face. Ce constat est particulièrement vrai chez les patients plus âgés, frêles et au profil médical complexe qui souffrent d’insuffisance cardiaque, et ils sont nombreux parmi ceux qui requièrent des services à domicile. Cette étude peut servir d’assise à des initiatives de base permettant d’aider ces clients aux besoins particulièrement grands à gérer leur insuffisance cardiaque à domicile grâce à de l’aide et à des services adaptés.
Mots-clés : insuffisance cardiaque, maladie chronique, soins à domicile, interRAI, prise en charge de la maladie, autogestion de la santé, Ontario Resident Assessment Instrument-Home Care, clientèle âgée.
L’insuffisance cardiaque (IC) est [traduction] « un syndrome complexe caractérisé par une fonction cardiaque anormale entraînant l’apparition de symptômes et de signes cliniques de faible débit cardiaque et/ou de congestion pulmonaire ou systémique ou en augmentant le risque »1a. On estime que 500 000 Canadiens souffrent d’IC 2, affection dont la prévalence augmente avec l’âge. À 80 ans, le risque à vie de faire de l’IC est d’environ 20 % tant chez les hommes que chez les femmes3. Le vieillissement de la population et une meilleure probabilité de survie des patients souffrant d’hypertension et victimes d’infarctus du myocarde, deux affections contribuant de façon majeure à l’IC, ont une incidence sur l’augmentation des cas d’IC4,5.
Alors que l’IC constitue déjà un fardeau pour le système de santé du Canada, les projections concernant l’impact futur de cette affection sont alarmantes : d’ici 2025, on prévoit que l’incidence de l’IC doublera du fait du vieillissement de la population, la croissance la plus accentuée étant prévue chez les plus de 85 ans6,7a.
En dépit des progrès d’ensemble réalisés dans le traitement et la prise en charge de l’IC, le taux de survie et la qualité de vie restent faibles : au Canada, 4 430 décès étaient attribuables à l’IC en 20048a. Des taux de mortalité pouvant atteindre 50 % sont reliés à l’IC, et de 25 % à 40 % des patients meurent dans l’année qui suit le diagnostic1b,9. Les patients qui souffrent d’IC appartiennent principalement au groupe des 85 ans et plus, et ils souffrent également de maladies concomitantes comme le diabète, l’arthrite, les troubles cognitifs et la dépression10,11a.
La prévalence de l’IC se traduit par des coûts élevés pour le système de santé canadien. Les hospitalisations à répétition, des schémas thérapeutiques complexes et une pharmacothérapie onéreuse entraînent une pression accrue sur bon nombre de composantes des soins de santé, comme les soins primaires et les soins spécialisés, les services d’urgence et les hôpitaux12. Chez les Canadiens de plus de 85 ans, l’IC est responsable de davantage d’hospitalisation que la cardiopathie ischémique ou la crise cardiaque8b. Le taux de réadmission pour complications peut atteindre 33 % sur un horizon de trois à six mois13, les patients souffrant d’IC étant réadmis du fait de leur état clinique compromis, lequel peut continuer à s’aggraver durant leur séjour à l’hôpital. En fait, l’hospitalisation elle-même semble mener à un déclin fonctionnel progressif et à un éventuel placement dans un établissement de soins de longue durée14-16. Plus de 10 % des hospitalisations de personnes âgées s’accompagnant d’un changement de désignation du niveau de soins sont associées à des maladies cardiovasculaires, en particulier l’IC, et c’est aussi le cas pour une proportion atteignant 20 % des hospitalisations de pensionnaires d’établissements de soins de longue durée17,18a. Les pensionnaires d’établissements de soins de longue durée admis à l’hôpital pour cause d’IC peuvent devoir subir de longs délais au niveau des services d’urgence, et la durée moyenne de leur séjour à l’hôpital est de six jours18b. De plus, 7,4 % d’entre eux restent hospitalisés comme patients relevant d’un autre niveau de soins, en attente d’un retour à leur établissement de soins de longue durée18c. De telles hospitalisations sont souvent inadéquates et pourraient être évitées si l’IC était prise en charge dans le cadre des soins primaires19-23. C’est pour cela que le système de santé doit adopter de nouvelles manières de gérer l’IC, afin de réduire les risques d’hospitalisation et la durée des séjours à l’hôpital7b.
La gestion efficace de l’IC présente des difficultés particulières dans la mesure où cette affection est associée à des schémas pharmacothérapeutiques complexes, à des ajustements périodiques de la dose des médicaments, à une complexité sur le plan des régimes diététiques et de l’apport liquidien, à une gymnastique rééducative et à une démarche d’apprentissage continu de la part du patient pour lui permettre de gérer sa santé de manière adéquate. La Stratégie canadienne de santé cardiovasculaire et le plan d’action correspondant recommandent l’adoption préférentielle du modèle GMC (gestion des maladies chroniques) pour le traitement des maladies cardiovasculaires24. L’une des caractéristiques de ce modèle est l’insistance sur la prise en main par le patient de sa propre santé, ce qui implique à la fois un aspect d’« auto-maintenance » et un aspect d’autogestion. L’auto-maintenance exige une adhésion aux pratiques sanitaires et aux traitements prescrits25a, tandis que l’autogestion s’appuie sur l’auto-maintenance mais inclut également d’autres éléments, tels que la reconnaissance des signes et symptômes, l’évaluation de leur importance, la mise en œuvre d’une option de traitement et l’évaluation du traitement choisi25b,26. L’autogestion nécessite certaines aptitudes d’apprentissage, de l’intuition, du jugement, une capacité en résolution de problèmes et en prise de décisions : elle est plus exigeante sur le plan cognitif que l’auto-maintenance. Les programmes de type GMC qui portent sur l’IC visent à promouvoir la prise en main, par le patient, de sa propre santé; ils améliorent la qualité de vie et l’état fonctionnel, réduisent le nombre d’hospitalisations non planifiées et d’hospitalisations à répétition et, potentiellement, de cas de mortalité27,28a. L’IC chez les sujets âgés s’accompagne toutefois souvent de multiples affections médicales concomitantes et de polypharmacothérapie, de dépression et de troubles cognitifs, et ces problèmes affectent tous la capacité d’autosoins et empêchent donc les patients concernés de bénéficier pleinement des programmes de GMC29,30a. Qui plus est, il n’existe pas de consensus clair sur la durée idéale de tels programmes ni sur le mode de suivi le plus efficace28b,31.
Étant donnée la proportion élevée des plus de 65 ans souffrant d’IC, le système de soins actifs a besoin de programmes de gestion des maladies chroniques adaptés à cette affection afin de soulager la charge imposée au système de santé. En collaboration avec les médecins œuvrant en soins primaires et les cliniques spécialisées en IC, on pourrait mettre en place des soins à domicile qui constitueraient un volet important de la gestion des maladies chroniques dans le cas de l’IC et pourraient également offrir un mode de suivi au-delà du programme initial32. La mise au point de méthodologies permettant d’évaluer le niveau de risque, d’identifier les obstacles à l’autogestion de la santé et de fournir des interventions communautaires adaptées aux clients des soins à domicile souffrant d’IC contribuerait grandement à une stratégie globale en matière d’IC.
Bien que l’IC soit une affection courante, ses caractéristiques démographiques et cliniques, le niveau d’utilisation des services disponibles et les besoins des clients soignés à domicile ont fait l’objet de peu de travaux de recherche. Cette étude vise 1) à décrire les caractéristiques démographiques et cliniques des clients des soins de longue durée à domicile souffrant d’IC et 2) à examiner le niveau d’utilisation des services par cette même clientèle, le tout afin de promouvoir la prise en charge à domicile de ces clients avec des services appropriés.
édes données d’ordres démographique et clinique ainsi que des données portant sur l’utilisation des services en nous servant de la base de données du Resident Assessment Instrument-Home Care (RAI-HC) de l’Ontario, où sont archivées toutes les évaluations effectuées à l’aide du RAI-HC en Ontario, province qui compte environ 13,2 millions d’habitants. Le RAI-HC est un outil qui permet d’évaluer les besoins en matière de soins de santé de tous les clients en soins de longue durée à domicile de la province, c.-à-d. de ceux devant recevoir des services pendant plus de 60 jours. L’évaluation comprend plus de 300 questions conçues pour établir des protocoles d’évaluation de clients (Client Assessment Protocols, CAP) qui faciliteront les futures évaluations et la planification des soins tout en fournissant des éléments de mesure des résultats sur le plan des facultés cognitives, de la dépression et de la forme physique. Des cliniciens spécialement formés mènent les évaluations au moyen du RAI-HC et utilisent leur jugement clinique pour consigner des diagnostics. Ils vérifient l’exactitude des renseignements notés en consultant les médecins concernés, la famille et les aidants et rectifient, le cas échéant, les données médicales consignées. La base de données du RAI-HC est considérée comme fiable et valide, et les éléments qui la composent ont un excellent coefficient d’objectivité et de reproductibilité33-36a. Elle contient des renseignements d’ordre démographique et clinique englobant les 7 jours précédant l’évaluation et incluent l’état cognitif du patient, son humeur et son comportement, les services d’aide non structurés auxquels il a recours, ses fonctions physiques, ses diagnostics cliniques, l’usage qu’il fait de médicaments prescrits ou en vente libre, et son utilisation de services de soins actifs au cours des 90 jours précédents, y compris ses hospitalisations et ses consultations aux urgences. Cet éventail de données offre une description globale de tous les clients des soins de longue durée à domicile en Ontario.
Tous les clients soignés à domicile et âgés de 65 ans et plus dont l’évaluation RAI-HC la plus récente avait eu lieu entre janvier 2004 et décembre 2007 étaient admissibles à cette analyse, indépendamment de leur état fonctionnel ou cognitif ou de la présence de comorbidité (N = 264 030). En n’utilisant que les données de l’évaluation la plus récente, on a pu obtenir un échantillon de prévalence, qui offrait un profil détaillé des clients souffrant d’IC dans les soins à domicile. Les évaluations ont été menées en milieu communautaire et hospitalier, mais cette étude se limite aux clients évalués en milieu communautaire.
Notre analyse de données anonymisées a été jugée conforme aux règles d’éthique par le Bureau de la recherche de l’Université de Waterloo.
La base de données du RAI-HC comporte des éléments valides et fiables permettant d’évaluer l’IC (et d’autres affections)37a. Un client était considéré comme souffrant d’IC si son évaluation en faisait mention. Des évaluateurs d’expérience vérifient régulièrement cette information à partir, entre autres, des rapports d’auto-divulgation, de discussions avec les aidants et les fournisseurs de soins et de l’examen des dossiers médicaux. L’exactitude des données recueillies sur les diagnostics et les médicaments à l’aide des instruments interRAI a également été établie37b. Chez les sujets atteints d’IC résidant dans des foyers pour personnes âgées et des établissements de soins de longue durée, la valeur prédictive positive et la sensibilité du diagnostic interRAI d’IC dépassaient 0,8 par rapport à celles que l’on peut détecter avec les bases de données administratives37c,38. Les mesures cliniques comme la fraction d’éjection et la classification fonctionnelle NYHA (New York Heart Association) n’étaient pas disponibles dans la source de données utilisée.
À la lumière des études antérieures et après consultation d’un gériatre*, nous avons décidé de nous servir de variables démographiques clés et de variables liées à la santé pour définir l’échantillon IC1c,11b,39,40, en incluant l’âge, le sexe, les conditions de logement, l’état matrimonial, la présence d’un soignant et le niveau de stress de ce soignant, la région sanitaire ontarienne concernée (définie par les limites géographiques des 14 centres d’accès aux soins communautaires [CASC], correspondant aux Réseaux locaux d’intégration des services de santé [RLISS] de l’Ontario), la douleur quotidienne, l’œdème, les chutes, le nombre de médicaments pris, l’essoufflement, l’incontinence et la présence de comorbidité. Nous avons utilisé les affections concomitantes suivantes pour décrire cet échantillon : coronaropathie, arthrite, diabète, affections respiratoires réactionnelles (dont l’asthme, la maladie pulmonaire obstructive chronique [MPOC] et l’emphysème) et hypertension artérielle. L’analyse a également fait appel à cinq échelles pour mesurer la capacité fonctionnelle, la cognition, la dépression et l’instabilité de l’état de santé : l’échelle hiérarchique d’autoévaluation des activités de la vie quotidienne (ADL, de 0 à 6), l’échelle des activités instrumentales de la vie quotidienne (IADL, de 0 à 6), l’échelle de performance cognitive (CPS, de 0 à 6), l’échelle de dépression (DRS, de 0 à 14) et l’échelle de mesure des changements de l’état de santé, des maladies en phase terminale, des signes et des symptômes (CHESS, de 0 à 5)35b,41a-44a. Chacune de ces échelles a été adaptée et validée pour pouvoir être utilisée avec les données du RAI-HC; plus le score est élevé, plus le trouble concerné est aigu36b,41b-44b. En nous servant de la base de données du RAI-HC, nous avons pu saisir et analyser l’utilisation de soins infirmiers, de services d’aide domestique, de physiothérapie et de services de repas durant les 7 jours précédant l’évaluation, les hospitalisations, les consultations aux urgences et le recours à des soins de première urgence (définis comme « toute consultation non planifiée à un fournisseur de soins ne travaillant pas dans un service d’urgence ») durant les 90 jours précédant l’évaluation.
Nous avons regroupé les scores de chacune des 5 échelles utilisées (ADL, IADL, CPS, DRS et CHESS) en trois niveaux représentant le degré d’incapacité; nous avons également réparti les variables d’âge, de nombre de chutes, d’hospitalisations, de consultations aux urgences et de recours à des soins de première urgence en trois niveaux et analysé le recours à des soins infirmiers, à la physiothérapie, à des services domestiques et à des services de repas à domicile, en comparant les cas ayant eu recours à au moins un de ces services avec les cas n’ayant eu recours à aucun service. Nous avons exclu trois classes de médicaments courants dans les cas d’IC du décompte des médicaments (les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, les bloquants des récepteurs de l’angiotensine et les bloquants des récepteurs béta-adrénergiques). Le décompte des affections concomitantes a été distribué en trois catégories, celui des médicaments en quatre catégories. Nous avons vérifié les différences de caractéristiques entre les groupes à l’aide du test t de Student en utilisant des comparaisons bilatérales de mesures non appariées, et nous avons également vérifié la variance des variables continues à l’aide de l’approximation de Satterthwaite sur l’égalité des variances, et celle des variables nominales à l’aide du test du chi-carré (niveau de signification p < 0,05). La stratification des données par groupes d’âge a permis de tenir compte, dans les écarts observés entre les groupes, de l’influence confusionnelle des variables cliniques et du recours aux services.
Toutes les analyses ont été effectuées à l’aide du logiciel SAS (version 9.0, SAS Institute Inc., Cary, NC).
Entre janvier 2004 et décembre 2007, l’outil d’évaluation RAI-HC a été appliqué à 264 030 clients distincts et a permis de repérer un total de 39 247 clients des soins à domicile souffrant d’IC (14,9 %). La proportion de clients souffrant d’IC dans chaque CASC variait de manière significative (p < 0,0001) (figure 1), le maximum étant observé dans le CASC du Nord-Est (19,5 %, 2 899/14 907) et le minimum, dans le CASC du Centre-Ouest (11,3 %, 996/8 824).
Figure 1
Variation du taux de prévalence de l’insuffisance cardiaque en fonction du centre d’accès aux soins communautaires chez les clients recevant des soins à domicile, âgés de 65 ans et plus, Ontario, 2004-2007 (N = 264 030)
Abréviations : N, taille de l’échantillon; CCAC, Community Care Access Centre [Centre d’accès aux soins communautaires, CSAC]; C, Centre; CE, Centre-Est; Ch, Champlain; CW, Centre-Ouest; ESC, Érié St-Clair; HNHB, Hamilton Niagara Haldimand Brant; MH, Mississauga Halton; NE, Nord-Est; NW, Nord-Ouest; NSM, Simcoe Nord Muskoka; SE, Sud-Est; SW, Sud-Ouest; TC, Centre-Toronto; WW, Waterloo Wellington.
Le tableau 1 présente les caractéristiques démographiques des clients selon la présence ou non d’IC. Étant donné la grande taille de l’échantillon, la plupart des différences observées sont statistiquement significatives. Si l’on prend pour référence le groupe des clients ne souffrant pas d’IC, ceux qui en souffrent sont plus âgés (moyenne d’âge de 83,5 ans contre 81,8 ans, écart-type [ET] de respectivement 7,5 et 7,6). Les femmes sont proportionnellement moins nombreuses dans le groupe avec IC, tout comme les personnes vivant seules. Davantage de personnes souffrant d’IC bénéficient de la présence de soignants, mais aucune différence significative n’a été observée au niveau du stress de ces derniers.
Le tableau 2 présente les caractéristiques cliniques des clients des soins à domicile selon qu’ils souffrent ou non d’IC. Là encore, étant donné la grande taille de l’échantillon, la plupart des différences observées sont statistiquement significatives et seuls les résultats cliniquement significatifs sont présentés ici. Les clients qui souffrent d’IC ont des besoins fonctionnels plus complexes que les autres et leur état de santé est plus instable (mesures effectuées selon l’échelle CHESS). Comme on pouvait s’y attendre, ils affichent également une prévalence significativement plus élevée d’œdème et d’essoufflement. Ils présentent un taux moins élevé de troubles cognitifs (selon l’échelle CPS) bien que la proportion totale de clients souffrant d’IC et présentant un certain degré de troubles cognitifs soit élevée. La prévalence de dépression ou d’antécédents de chutes au cours des 90 jours précédant l’évaluation n’est pas affectée par la présence ou non d’IC.
Les clients souffrant d’IC utilisent davantage de médicaments et présentent davantage d’affections concomitantes que les autres. Une fois exclues les trois classes de médicaments prescrites pour le traitement de l’IC (les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, les bloquants des récepteurs de l’angiotensine et les bloquants des récepteurs béta-adrénergiques), le nombre moyen de médicaments du groupe avec IC était de 9,3 (ET = 4,1) alors qu’il était de 7,2 (ET = 2,9) pour l’autre groupe. De plus, 58,0 % des sujets du groupe IC prennent 9 médicaments ou plus alors que cette proportion n’est que de 35,0 % dans le groupe sans IC. Près de la moitié des clients du groupe IC (45,1 %) souffrent d’au moins cinq affections concomitantes alors que seulement 26,5 % des autres affichent ce niveau de comorbidité. L’hypertension artérielle, l’arthrite, la coronaropathie, le diabète, l’ostéoporose et les maladies respiratoires réactionnelles (dont la MPOC) sont les affections concomitantes les plus fréquentes dans l’ensemble de l’échantillon étudié. À l’exception de l’ostéoporose, les taux de comorbidité étaient plus élevés parmi les clients atteints d’IC. Une stratification a été appliquée aux données pour examiner la possibilité que l’âge agisse comme variable confusionnelle (résultats non présentés) : à l’exception de quelques variations des taux de dépression et d’antécédents de chutes, aucune différence n’a été observée dans les caractéristiques cliniques décrites qui puisse être attribuée à l’âge.
La clientèle souffrant d’IC (groupe IC) reçoit un volume de services infirmiers, domestiques et culinaires significativement plus élevé que les autres (tableau 3), bien que le recours à la physiothérapie reste faible dans les deux groupes. Les clients du groupe IC recevant des soins à domicile avaient, en moyenne, bénéficié de 1,3 jour de soins infirmiers dans les 7 jours précédant l’évaluation RAI-HC, alors que ce nombre était de 1,0 jour pour les clients de l’autre groupe. Les clients du groupe IC sont hospitalisés plus souvent, 37,4 % d’entre eux ayant été hospitalisés plus d’une fois durant les 90 jours précédant l’évaluation, contre 26,1 % dans l’autre groupe. Ils déclarent significativement plus de consultations aux urgences et utilisent plus de services de première urgence. Nous avons stratifié les données pour vérifier si l’âge était un facteur confusionnel, mais les résultats obtenus sont restés identiques à ceux du tableau 3.
Cette étude présente une description en profondeur de la clientèle ontarienne âgée souffrant d’IC et recevant des soins à domicile. L’abondance des données obtenues grâce au programme d’évaluation RAI-HC nous a permis d’examiner plusieurs caractéristiques démographiques et cliniques ainsi que l’utilisation des services de soins, qu’il s’agisse des soins à domicile ou des soins actifs. Ces descripteurs sont utiles pour la détermination des besoins en matière de soins de santé ainsi que des tendances dans l’utilisation des services par la clientèle plus âgée des soins à domicile au sein de la communauté. Ces analyses peuvent aussi servir à cerner des secteurs requérant des études plus poussées ou certaines stratégies d’intervention.
On s’attend à ce que les clients souffrant d’IC présentent une concentration de problèmes de santé associés aux mêmes facteurs de risque que l’IC, comme le diabète, et une concentration de problèmes de santé susceptibles d’intensifier l’IC, comme l’hypertension artérielle et la coronaropathie. Nos données ont confirmé une concentration de ce type, et permettent d’estimer la simultanéité de ces affections au sein de notre cohorte de clients âgés. L’effet de grappe observé entre l’IC et d’autres maladies associées au vieillissement, comme l’arthrite et les affections respiratoires réactionnelles, reflète la plus grande complexité médicale de ce groupe. De plus, ces affections concomitantes peuvent générer des difficultés thérapeutiques supplémentaires (p. ex. dans le cas des médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens [MAINS] pour l’arthrite) et des problèmes sur le plan du diagnostic (p. ex. dyspnée due à l’IC ou aux affections respiratoires réactionnelles).
Les besoins complexes du groupe avec IC se reflètent également par des niveaux significativement plus élevés de consommation de médicaments, même lorsqu’on exclut du compte les trois classes de médicaments prescrits pour l’IC. Cela signifie que la pratique de l’autogestion de la santé par cette clientèle exige une vigilance accrue pour gérer les effets secondaires indésirables des médicaments.
Les clients du groupe avec IC sont significativement plus âgés que ceux du groupe sans IC. Les caractéristiques cliniques de la clientèle âgée des soins à domicile du groupe IC sont plus complexes que celles des autres (tableau 2); leur santé est plus instable (selon l’échelle CHESS), et ils sont également moins aptes à la gérer de manière autonome (déficiences au niveau des activités de la vie quotidienne [échelle ADL] tant instrumentales que de base), et le taux de prévalence de la douleur quotidienne, de l’œdème, de l’essoufflement et de l’incontinence y est plus élevé. Bien que l’essoufflement soit plus fréquent chez les clients du groupe IC, ce symptôme n’est pas uniformément répandu dans ce groupe, sans doute parce que le type de clientèle affectée est frêle et que ce symptôme se manifeste de façon atypique, particulièrement chez les sujets les plus âgés1d,45a,46a. Il se peut cependant aussi que l’absence, dans l’échantillon choisi, de tels symptômes caractéristiques soit due à une bonne gestion de l’IC par une pharmacothérapie ou par d’autres modes de traitement. La prévalence significativement plus élevée de la douleur quotidienne et de l’incontinence dans le groupe IC pourrait traduire un aspect fréquent, bien que sous-estimé, de l’IC45b, tout comme le taux de prévalence globalement plus élevé d’autres affections concomitantes dans ce groupe.
Les clients souffrant d’IC sont proportionnellement moins nombreux à présenter des troubles cognitifs graves que les autres, même si le taux de prévalence de ces troubles reste élevé dans les deux groupes. Les troubles cognitifs chez les sujets souffrant d’IC sont associés à des résultats généralement plus défavorables, notamment un risque plus élevé de mortalité et d’hospitalisation, et donc aussi de placement en établissement de soins de longue durée. Une étude transversale comme celle-ci peut être affectée par le fait que les sujets souffrant à la fois d’IC et de troubles cognitifs peuvent être si inaptes à s’autosoigner qu’on les a dirigés vers des établissements de soins plus intensifs30b. Il se peut également que les troubles cognitifs soient sous-estimés lorsqu’ils sont mesurés selon l’échelle CPS de performance cognitive, étant donné que les déficiences, selon l’échelle des activités instrumentales de la vie quotidienne (IADL), sont également prévalentes chez les clients du groupe IC, ce qui traduit un dysfonctionnement exécutif dans ce groupe30c. Les symptômes atypiques de l’IC chez les personnes âgées peuvent inclure des sautes d’humeur et certains comportements, mais la similitude des taux de dépression dans le groupe IC et dans le groupe sans IC n’appuie pas cette interprétation46b,47. Les antécédents de chutes sont, eux aussi, similaires dans les deux groupes (tableau 2) et la prévalence des chutes est inférieure aux taux rapportés pour des populations du même type48. Ces résultats montrent que la complexité clinique des clients du groupe IC recevant des soins à domicile se manifeste davantage dans les caractéristiques fonctionnelles, par exemple les déficiences à l’échelle des activités de la vie quotidienne (ADL) et à l’échelle des activités instrumentales de la vie courante (IADL), que dans les déficiences d’ordre cognitif ou le taux de dépression.
Compte tenu des caractéristiques cliniques et de la complexité médicale des clients soignés à domicile souffrant d’IC, il est probable que l’autogestion de la santé se heurte, chez eux, à de nombreux obstacles. La fréquence de l’accès à un aidant naturel témoigne de leur difficulté à s’autosoigner. Il se peut aussi que, sans soignant, la clientèle souffrant d’IC soit plus à risque sur le plan de la mortalité et du placement dans un établissement de soins de longue durée et, par conséquent, moins susceptible de faire partie de cet échantillon de clients soignés à domicile.
La gestion de problèmes médicaux et de traitements multiples, la dépression, les troubles cognitifs et les pertes fonctionnelles constituent probablement tous des obstacles à la prise en main efficace de sa propre santé. Des troubles cognitifs sont présents chez 51,7 % des clients du groupe IC, des symptômes dépressifs chez 37,0 %. Les programmes de gestion des maladies chroniques offerts en milieu clinique ne sont peut-être pas conçus pour pouvoir vaincre de tels obstacles à l’autogestion, et le contexte où sont prodigués ces soins pourrait ne pas être adapté aux personnes souffrant d’IC. Les déficiences fonctionnelles sont fréquentes chez les clients des soins à domicile souffrant d’IC et pourraient limiter l’accès de ces clients aux programmes offerts en milieu clinique. De plus, la nécessité de prendre plusieurs rendez-vous et de s’y rendre pour assurer le suivi de multiples affections chroniques par de nombreux fournisseurs de soins peut également constituer un obstacle à la participation aux programmes en milieu clinique. Des programmes de soins de transition destinés aux personnes âgées et faisant intervenir du personnel de pratique infirmière avancée pour aider les patients souffrant d’IC et leurs soignants à améliorer leurs habiletés en matière d’autosoins contribuent à réduire les cas de réadmission après un congé de l’hôpital49. L’extension de tels programmes à des clients frêles, souffrant d’IC et soignés à domicile n’a pas été évaluée. Il se peut que les soins à domicile offrent un contexte plus favorable à la gestion des maladies chroniques de cette clientèle médicalement complexe que les établissements de soins de longue durée50. Les instruments d’évaluation interRAI , utilisés dans le contexte des soins à domicile, rendent possible l’évaluation des risques de résultats défavorables ainsi que l’identification des facteurs défavorables à l’autogestion de la santé, et constituent une plateforme potentielle pour la prestation de services de gestion des maladies chroniques.
Les variations géographiques du taux de prévalence de l’IC constituent une observation intéressante. Compte tenu du fait que les évaluateurs qui utilisent le système RAI reçoivent la même formation dans toute la province, il est improbable que ces variations proviennent de différences dans la manière dont ils consignent les diagnostics. Étant donné que le risque d’IC croît avec l’âge, la structure d’âge de la clientèle des divers CASC peut expliquer en partie ces variations. La prévalence de l’IC n’est cependant pas à son maximum dans les CASC desservant les clientèles les plus âgées. De telles variations peuvent donc refléter des différences dans l’accessibilité aux soins à domicile chez les sujets les plus âgés souffrant d’IC ou, au contraire, refléter des stratégies de gestion de l’IC différentes selon les CASC. Il se peut que certains CASC préconisent davantage le placement des clients souffrant d’IC dans des établissements de soins de longue durée, alors que d’autres préfèrent encourager une prise en charge plus dynamique dans le cadre des soins à domicile. Les variations géographiques du taux de prévalence de l’IC ont d’autres implications, et ce type de profils pourrait aider les CASC à établir des priorités dans la planification des services, à lancer des stratégies de gestion des maladies chroniques et à réaffecter le personnel en conséquence.
Cette étude descriptive montre que l’IC est fréquente parmi la clientèle des soins à domicile de l’Ontario et qu’elle entraîne chez ces patients une plus grande complexité clinique et un recours plus fréquent aux services à domicile et aux soins actifs que chez les patients ne souffrant pas de cette affection. Certaines limites sont à noter. Tout d’abord, la nature transversale du plan d’étude présente un instantané de l’échantillon durant un intervalle de temps précis, mais ne permet nullement d’évaluer l’évolution dans le temps des associations observées. Ainsi, nous ne savons pas si le recours aux différents services était postérieur ou antérieur au diagnostic d’IC. De plus, les causes des hospitalisations n’ont pas été examinées, ni celles des interventions d’urgence dans les services d’urgence ou ailleurs. Ces données montrent toutefois que les clients souffrant d’IC qui affichent le plus grand degré de complexité clinique ont effectivement davantage recours à des services, tant à domicile que dans l’ensemble du système de santé. En outre, ces données ne contiennent aucune information sur la gravité de l’IC, un facteur qui peut affecter le recours à divers services, en dépit du fait que l’échelle CHESS utilisée lors de l’évaluation permet dans une certaine mesure d’estimer l’instabilité de l’état de santé et peut même être un facteur prédicteur pronostic de mortalité chez les patients des établissements de soins de longue durée51. La clientèle du groupe IC présente des scores significativement plus élevés sur ce point, ce qui reflète globalement une instabilité plus grande de l’état de santé. Une autre limite de cette étude est que l’échantillon étudié est formé de clients déjà soignés à domicile en Ontario et n’est pas représentatif d’autres populations, en milieu institutionnel ou communautaire, qui ne demandent ni ne reçoivent de soins à domicile. Finalement, en raison des caractéristiques démographiques de cet échantillon, il est probable que l’IC à fraction d’éjection préservée (ICFEP) soit fréquente dans l’échantillon utilisé. L’ICFEP est plus fréquente chez les femmes et on considère qu’elle représente plus de la moitié des cas d’IC chez les personnes de plus de 75 ans52,53. Étant donné que plus de 80 % du groupe IC de l’échantillon était constitué de sujets âgés de plus de 75 ans, l’ICFEP est probablement présente chez une grande partie de ces clients. Les données utilisées ne permettaient pas de vérifier ce point, mais il est intéressant d’en prendre note, car cet état de fait a des retombées au niveau de la gestion des maladies chroniques. Il existe beaucoup moins de preuves de l’efficacité de la pharmacothérapie pour gérer ICFEP que pour gérer l’IC à fraction d’éjection réduite (ICFER). D’autres aspects de la prise en charge de l’IC sont toutefois applicables aux deux groupes. Les programmes de gestion des maladies chroniques devront s’adapter au fil des améliorations qui seront apportées au traitement de l’ICFEP.
Cette étude présente des points forts dignes de mention. D’abord, elle brosse un portrait clair du fardeau que représente l’IC pour les soins à domicile en Ontario et met en évidence certaines différences régionales. Ensuite, elle met à profit l’abondance de données disponibles grâce aux évaluations faites avec l’outil RAI-HC pour décrire de manière bien étayée les caractéristiques cliniques de cette clientèle, la prévalence d’affections concomitantes et l’utilisation des services. Enfin, elle évalue tous les clients des soins de longue durée à domicile en Ontario, ce qui, compte tenu du nombre important de clients souffrant d’IC dans l’échantillon utilisé, permet de décrire pleinement les caractéristiques cliniques et fonctionnelles des clients du groupe avec IC.
Selon nos résultats, la clientèle souffrant d’IC constitue un groupe plus complexe, ayant des besoins importants, consommant davantage de médicaments et ayant plus souvent recours que les autres à des services de santé. Cette clientèle doit également faire face à de nombreux obstacles potentiels à la pratique de l’autogestion de la santé, comme en témoignent les taux importants, dans ce groupe, de troubles fonctionnels et cognitifs, de dépression, de comorbidité et d’usage de médicaments. Toute nouvelle stratégie de gestion des maladies chroniques visant la clientèle des soins à domicile souffrant d’IC devrait tenir compte de ces divers facteurs. Des soignants compétents ont, certes, un rôle important à jouer, mais les programmes devraient être restructurés pour leur épargner un stress indu. En ciblant les stratégies d’intervention de façon à améliorer les habiletés des patients à gérer leur propre santé, on pourrait réduire considérablement la pression qui s’exerce sur d’autres parties du système de santé. L’amélioration des communications entre les fournisseurs de soins primaires, les gériatres ou les cardiologues et les prestateurs de soins à domicile pourrait permettre à des groupes aussi vulnérables de rester autonomes et de se soigner chez eux. De telles interventions seraient tout à fait adaptées à la stratégie ontarienne « Vieillir chez soi » ainsi qu’à la Stratégie canadienne de santé cardiovasculaire et au Plan d’action qui lui est associé. Comme première phase vers de telles stratégies, on pourrait cerner et cibler la clientèle qui présente les besoins les plus aigus de telles interventions. Cette étude constitue un premier pas potentiellement important vers ce but.
Les auteurs remercient la Change Foundation pour son appui financier. Andrea D. Foebel, Erin Y. Tjam et Suzanne L. Tyas ne sont pas en situation de conflit d’intérêts financiers. Le Dr George A. Heckman a reçu une subvention de recherche et/ou des honoraires de la Fondation des maladies du cœur de l’Ontario, de Novartis, de Pfizer et de Janssen-Ortho Inc. John P. Hirdes reçoit un appui du ministère ontarien de la Santé et des Soins de longue durée en tant que titulaire de la Chaire de recherche et d’échange du savoir de l’Ontario.
* Le Dr G. A. Heckman, membre de notre équipe de recherche.
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