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Nouvelles de la Bibliothèque nationale du Canada

Octobre 1995, vol. 27, no. 10



Un don de livres du Holy Blossom Temple

par Cheryl Jaffee, conservateur, Collection Jacob M. Lowy

En août 1994, Mme Diana Goodman, alors présidente du Holy Blossom Temple de Toronto, recevait une lettre de remerciements concernant un don de bibles, de livres de prières et de traités de droit religieux qui avaient récemment été cédés à la Collection Jacob M. Lowy de la Bibliothèque nationale du Canada. Les trente-cinq volumes écrits en hébreu, publiés entre 1698 et 1913, faisaient partie du Temple depuis tellement longtemps que personne ne se souvenait plus de leur date d'arrivée. Il est possible que des notices n'aient pas été produites au moment du transfert, ou qu'elles se soient perdues depuis, mais en 1994, on ne connaissait plus l'origine des livres.

Je me suis mise en frais d'examiner les volumes comportant beaucoup d'annotations afin d'en apprendre davantage sur leur provenance. À quel moment ces livres se sont-ils retrouvés au Holy Blossom Temple durant son histoire de presque 140 ans ? Fondé à titre de synagogue orthodoxe en 1856, le Holy Blossom Temple a d'abord emménagé rue Richmond, puis rue Bond plus tard. La congrégation s'est affiliée au début des années 1920 avec le mouvement de la réforme du judaïsme, et en 1938, elle s'est réinstallée à l'endroit actuel, rue Bathurst. Une partie très importante de l'histoire juive canadienne s'est jouée au Temple, et les livres constituaient un élément de plus en plus fascinant de cette histoire.

Un premier examen du don permet d'obtenir les renseignements suivants : quatre-vingt pour cent des titres ont été imprimés dans les régions germanophones d'Europe centrale; certains documents proviennent de Lunéville (Lorraine) à l'Ouest, de Prague et Vienne à l'Est, outre les livres de Carlsruhe, Sulzbach, Fürth, Offenbach et Francfort-sur-le-Main, entre autres villes allemandes. Le cuir en peau de mouton des lourds volumes folio orne les couvertures de hêtre qui portent encore les marques des agrafes métalliques. Une collection de livres de pénitence de 1792, provenant de Carlsruhe, était reliée dans du papier encollé à délicats motifs de feuilles. Les pages de garde de nombreux autres volumes étaient inscrites en hébreu cursif, parsemé à l'occasion d'allemand en caractères hébreux ou latins. Les pages de garde d'un livre de prières pour les fêtes imprimé à Homburg vor der Höhe en 1737 s'accompagnaient de motifs vert olive et de formes géométriques jaune pâle. Autre exemple, un volume de psaumes et de prières d'Offenbach (1826) comportait des pages de garde d'un bleu foncé éclatant. Très peu des éléments originaux de ces livres ont été remplacés.

Une inscription datée, peut-être la plus ancienne, figure en lettres hébraïques carrées à l'encre brune, dans une version imprimée de Magine Erets datant de 1732. La traduction se lit comme suit :

Ce livre appartient à l'éminent Rav Leb Biblis / En ce quatrième jour des jours intermédiaires de Sukkot [Fête des tabernacles] 526 [1766] / De moi le jeune Zalman [fils de ?] Rav Leb de Biblis et puisse- t-il jouir d'une longue et bonne vie /

Inscription hébraïque Inscription hébraïque.

À noter l'adaptation du nom géographique Biblis au nom de famille à la première ligne et plus tard, à la troisième ligne, sa désignation comme lieu géographique. Biblis est un petit village de la vallée du Rhin situé à moins de 10 kilomètres de l'historique ville de Worms. Cette région est le berceau des juifs ashkénazes. La tradition religieuse et culturelle ashkénaze provient des juifs allemands et s'applique généralement aux Juifs d'origine européenne non ibérique. Les sources documentaires indiquent l'existence d'une colonie juive à Worms, à la fin du dixième siècle. La vallée du Rhin, avec ses trois centres juifs que sont Speyer, Worms et Mayence, est une source des plus anciens manuscrits ashkénazes illustrés qui ont survécu. Le grand érudit du onzième siècle, Rashi de Troyes, s'est déplacé à Worms pour trouver des enseignants, pour ensuite introduire en France l'apprentissage de la culture ashkénaze.

On retrouve avec l'inscription hébraïque dans Magine Erets l'inscription suivante rédigée en allemand :

Dieses Buch gehört dem Ehrw. Mayntzischen / Schutz Juden Löw Salmon von Biebliss

La traduction peut se lire ainsi :
[Ce?] livre appartient à l'éminent Juif privilégié de Mayence Löw Salmon von Biebliss

Inscription allemande Inscription allemande.

Les Schutzjuden comprennent une petite classe de Juifs privilégiés qui conservent des lettres protégeant leurs droits commerciaux, religieux et résidentiels.

La famille à laquelle ces livres ont appartenu vivait alors au coeur de la région ashkénaze. D'autres inscriptions retrouvées dans de nombreux volumes anciens appartenaient également à Zalman, fils de Leb de Biblis. Des inscriptions plus tardives mentionnent la famille Fraenckel ou Fränckel de Biblis, et plus particulièrement Moses Fränckel qui, en 1831-1832, prétendait posséder un Pentateuque imprimé à Lunéville. Il est tentant de conclure que Zalman était apparenté à Moses Fränckel, et que, à la mort de Zalman, la propriété des livres de la famille a été cédée à la famille Fränckel.

C'est par le biais de la famille Fränckel, en définitive, que l'enquête nous mène directement au Holy Blossom Temple, et à Leo Franckel, le président de sa congrégation entre 1908 et 1928. Leo Franckel est né à Biblis en 1864 et a immigré au Canada en 1881. Il en est fait mention dans le Dedication Souvenir to Commemorate the Opening of the New Holy Blossom Temple, rue Bathurst en 1938 comme étant « l'un des chefs les plus progressifs et les plus actifs, non seulement pour la congrégation Holy Blossom, mais dans toutes les affaires de la communauté, juive et non juive, et la haute estime dont jouit cette congrégation parmi toutes les classes de la population de Toronto est due grandement à son travail et à son dévouement en son nom. » Il est mort en 1933, quand le Temple occupait encore ses locaux de la rue Bond. Il se pourrait qu'à son décès, sa famille ait remis les livres anciens au Temple. Dans ce cas, les livres ont été déménagés dans le nouvel immeuble en 1938, où ils sont demeurés jusqu'à leur redécouverte en 1993 par Carole Payne, la bibliothécaire du Temple.

Au cours de la dernière année, beaucoup de volumes ont été restaurés par un conservateur compétent. Des pages ont été nettoyées et les déchirures ont été réparées. Il est maintenant possible de lire les inscriptions et le texte sans causer d'autres dommages au papier et aux reliures fragilisées. Les reliures elles-mêmes ont été renforcées et de belles jaquettes en tissu protègent les volumes les plus fragiles. L'enquête généalogique vient à peine de commencer, mais elle est désormais possible.

Ces livres, objets de l'histoire juive canadienne, se retrouvent dans un endroit adéquat parmi les autres volumes d'oeuvres hébraïques anciennes et rares dans la Collection Jacob M. Lowy. Encore une fois, j'aimerais exprimer toute ma gratitude à ces personnes du Holy Blossom Temple, d'aujourd'hui et d'hier, qui ont rendu possible ce don.


Gouvernement du Canada Droit d'auteur. La Bibliothèque nationale du Canada. (Révisé: 1995-11-30)