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Conférence canadienne des arts

Document d'information sur le projet de loi C-2

(Révisé le 4 avril 2005)

En décembre 2002, le ministre de la Justice de l'époque, Martin Cauchon, présente à la Chambre des communes le projet de loi C-20, Loi modifiant le Code criminel pour la
protection des enfants et d'autres personnes vulnérables. Le projet de loi prévoit des modifications législatives considérables à plusieurs articles du Code, y compris celui sur l'obscénité. La CCA s'emploie ensuite inlassablement à faire valoir au gouvernement fédéral que toute modification des dispositions législatives sur la pornographie juvénile doit continuer à prévoir le moyen de défense fondé sur la valeur artistique afin de protéger le droit à la liberté d'expression des Canadiens prévu par la Charte des droits et libertés. Le projet C-20, renommé C-12 lorsque Paul Martin devient premier ministre à la fin de 2003, reste cependant au Feuilleton du Sénat au déclenchement de l'élection fédéral de mai 2004.

Au début d'octobre 2004, le Parlement est saisi une troisième fois du projet de loi, qui porte alors le numéro C-2; il s'agit du premier projet de loi présenté par le gouvernement libéral minoritaire nouvellement élu de M. Martin. (Cela n'est pas très étonnant étant donné que, dans le feu de la campagne électorale de juin, le parti conservateur a retiré un communiqué intitulé « Paul Martin appuie la pornographie juvénile? » pour le remplacer par
« Paul Martin s'attaque-t-il vigoureusement à la pornographie juvénile? ») Ce qui est étonnant cependant, c'est que le libellé du nouveau projet de loi n'a guère changé en réponse aux préoccupations exprimées par la CCA et les organismes qui y adhèrent, ainsi que par l'Association canadienne des libertés civiles et d'autres groupes.

Le projet de loi C-2 renferme les mêmes propositions visant à criminaliser les expressions légitimes, puisqu'il élargirait la définition juridique de « à des fins d'ordre sexuel » pour inclure les enregistrements sonores et les écrits décrivant une activité sexuelle interdite avec des personnes âgées de moins de 18 ans. Il élimine le moyen de défense contesté du « bien public » que prévoyait la version antérieure et le remplace par celui du « but légitime », qui est tout aussi vague et qui n'a pas été mis à l'épreuve dans le contexte juridique.

Le projet de loi C-2 a fait l'objet d'un débat en première lecture à la mi-octobre et a été renvoyé au Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile. Le Comité prévoit amorcer son étude du projet de loi ainsi que les audiences publiques à partir du 5 avril, 2005.

Sous l'égide de la CCA, les artistes du Canada avaient organisé une campagne de revendication musclée pour faire valoir l'opportunité de supprimer du projet de loi C-20 (puis C-12) le moyen de défense fondé sur le « bien public » et de conserver celui basé sur la valeur artistique, pour lequel il existe une jurisprudence canadienne protégeant la liberté d'expression. La CCA est en faveur des nouvelles mesures juridiques visant à protéger les enfants contre les préjudices, la violence et l'exploitation sexuels et contre le traumatisme d'avoir à témoigner contre leurs agresseurs. Cependant, elle croit également que l'élimination du moyen de défense fondé sur la valeur artistique, actuellement prévu par le Code criminel, donne au projet de loi une portée plus vaste que nécessaire en désignant comme des activités sexuelles la production, la distribution ou la présentation d'oeuvres décrivant des personnes âgées de moins de 18 ans dans des situations sexuelles.

Les démarches artistiques rejoignent les valeurs fondamentales même que la garantie de la liberté d'expression prévue par le paragraphe 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés vise à protéger, y compris la quête de vérité et d'épanouissement personnel. L'art est indispensable à toute société démocratique comme une forme d'expression qui décrit et commente les conditions humaines, sociales et politiques. Il joue un rôle critique en permettant aux êtres humains d'explorer et de comprendre leur réalité et le monde dans le lequel ils vivent et d'en prendre davantage conscience.

L'expression sexuelle est liée à presque toutes les valeurs qui sousentendent la liberté d'expression. Elle joue un rôle central dans notre compréhension de l'identité et de la
participation politique et elle constitue par conséquent un thème indispensable des formes écrite et visuelle de l'art. Pourtant, l'histoire - et notre société contemporaine d'ailleurs - fourmille d'exemples de tentatives de réglementer l'expression sexuelle qui n'exploite personne et qui n'est le produit d'aucune activité criminelle. Ces tentatives ont échoué parce qu'il est impossible de faire la distinction entre l'expression sexuelle interdite et l'expression artistique protégée dans les cas où personne ne subit de préjudice durant la production du matériel en question.

C'est dans ce contexte que nos tribunaux ont accueilli le moyen de défense fondé sur la valeur artistique dans le cas des actions gouvernementales contre des oeuvres
d'expression à teneur sexuelle ne faisant pas consensus. Ce moyen de défense occupe désormais une place reconnue en droit canadien, que la Cour suprême du Canada a résumée dans son arrêt Butler de 1992. « L'expression artistique est au coeur des valeurs relatives à la liberté d'expression et tout doute à cet égard doit être tranché en faveur de la liberté d'expression. Le moyen de défense de la valeur artistique s'applique non seulement aux oeuvres existantes, mais à celles qui sont envisagées […] le tribunal doit appliquer libéralement le moyen de défense fondé sur la valeur artistique ».

L'adoption du projet de loi C-2 dans son libellé initial laisse entrevoir nombre de scénarios dans lesquels la police et les tribunaux canadiens seraient obligés d'utiliser des expressions vagues pour déterminer si des oeuvres artistiques ont ou n'ont pas un « but légitime » ou « ne posent pas un risque indu pour les personnes âgées de moins de 18 ans ».

Si l'on suppose que l'expression « à des fins d'ordre sexuel » signifie la description de
n'importe quelle activité sexuelle et qu'une acception assez large est donnée à cette
définition, la modification proposée à la loi pourrait criminaliser des oeuvres canadiennes qui explorent des thèmes comme le passage à l'âge adulte et la sexualité juvénile, pour ne rien dire de la simple possession ou distribution de ces oeuvres, par exemple par des musées, bibliothèques, écoles ou galeries d'art. Le seul moyen de défense que l'accusé pourrait utiliser serait de prouver que l'oeuvre vise un « but légitime » en tant qu'expression artistique et, en même temps, qu'elle ne cause pas de préjudice ni ne présente une menace pour les mineurs et les enfants.

De plus, tout adolescent canadien qui a atteint l'âge de consentement, soit actuellement de 14 ans, s'exposerait à des accusations criminelles s'il décidait d'exprimer son
expérience personnelle d'un acte sexuel avec une autre personne dans un écrit, une
peinture, un film ou une chanson. Il en serait de même pour tout survivant adulte d'actes de violence sexuelle subis durant son adolescence qui utilise l'expression artistique comme une forme de thérapie.


Voilà le genre de boîte de Pandore juridique que le projet de loi C-2 ouvrirait. Cela est à la fois inacceptable et inutile étant donné qu'on n'a pas encore suffisamment débattu, au Parlement et au sein du grand public, des conséquences de l'adoption de ce projet de loi.

L'élimination du moyen de défense fondé sur la valeur artistique ne supprimera pas la
violence sexuelle dont sont victimes des mineurs au Canada ni n'empêchera la
production et la distribution du matériel de pornographie juvénile. Elle ne servira qu'à semer la confusion au sein du public et à persécuter des artistes légitimes dont les oeuvres pourraient être jugées en contravention des mesures législatives proposées.

(Une version antérieure de cet article a été publiée originalement dans le numéro du 28 octobre 2004 de Xtra!West)