CCA Bulletin 40/08 – Du bureau d’Alain Pineau
Lettre ouverte aux dirigeants politiques et aux dirigeants des organismes culturels du Canada
Les créateurs, les artistes et les professionnels des arts canadiens souhaitent depuis longtemps tenir une discussion nationale sur le rôle et la valeur du secteur des arts et de la culture dans notre vie nationale. Contre toutes attentes, la présente campagne électorale fédérale nous en a fourni l’occasion.
Malheureusement, le débat courant s’est polarisé entre ceux qui voient le secteur des arts et de la culture comme du superflu pour l’élite, et ceux pour qui les programmes et les politiques sont immuables et éternellement inadéquats.
Cette polarisation rend un très mauvais service au genre de discussion stratégique dont nous avons besoin pour évaluer et valider la contribution de ce secteur à la qualité de la vie canadienne tant individuelle que collective, sur le plan économique et social et en ce qui a trait à l'identité nationale, et à notre statut dans la communauté mondiale.
La concentration de la discussion sur ces deux solitudes nous fait rater une occasion que de nombreux gouvernements du monde ont déjà saisie – le remplacement de l’économie agraire/industrielle traditionnelle par l’économie créative qui est venue l’éclipser, un enjeu de taille pour le Canada et les autres pays développés. Ces gouvernements ont reconnu non seulement la contribution courante du secteur de la création à leur vie nationale, mais également le potentiel extraordinaire qu’il reste à développer et à exploiter pour le bien de tous nos concitoyens.
Le Conference Board du Canada, en collaboration avec le ministère du Patrimoine canadien, a parrainé un Forum international sur l'économie créative en mars dernier pour lancer un processus de réflexion. En plus de réunir la participation de quelques-uns des esprits les plus brillants du Canada et de la communauté internationale, le Forum a donné lieu à la présentation de statistiques impressionnantes sur la situation courante du secteur de la création, sans le bénéfice d’une stratégie nationale sur l’économie créative. Voici quelques-unes des constatations présentées :
- En 2007, l’empreinte économique du secteur de la culture au Canada a été très légèrement supérieure à 84 milliards de dollars ou 7,4 % du Produit intérieur brut (PIB);
- Le Conference Board estime que pour chaque dollar du PIB à valeur ajoutée réelle produit par les industries culturelles du Canada, environ 1,84 $ vient s’ajouter au PIB réel global;
- Le secteur de la culture employait 616 000 personnes directement en 2003 quand on a mesuré pour la dernière fois; en incluant les effets indirects et autres du secteur, on en arrive à plus de 1,1 million de Canadiens qui travaillaient dans le secteur de la culture en 2007;
- Les médias interactifs qui font appel à la technologie numérique ont généré, selon les estimations, cinq milliards de dollars de revenu en 2005, et employé plus de 50 000 personnes;
- Toronto, Montréal et Vancouver comptent 64 % des travailleurs des arts et de la culture;
- En 2005, les Canadiens ont dépensé 25,2 milliards de dollars en biens et en services du secteur de la culture, plus de trois fois plus que les 7,7 milliards de dollars dépensés par tous les niveaux de gouvernement en 2003;
- En termes réels, les dépenses publiques en matière de culture représentent maintenant 0,3 % de moins du PIB qu’en 1999.
Ces données illustrent de façon impressionnante le point de départ de l’économie créative en l’absence d’une stratégie nationale. Que ne pourrait-on réaliser avec une approche nationale coordonnée et exhaustive pour construire sur ces forces considérables! Malheureusement, nous n'y arriverons pas en débattant les positions retranchées depuis longtemps sur les enjeux de la culture.
La réalisation de l’objectif d’une stratégie nationale d’économie créative nécessite de s’attaquer à plusieurs sujets :
1) Il est impératif d’entreprendre un examen stratégique et transparent de toutes les politiques, tous les programmes et services fédéraux qui contribuent au développement d’une économie créative. Pareil examen est essentiel pour assurer que les politiques, les programmes et les services courants améliorent le développement du secteur de la création dans la vie canadienne au lieu de l’entraver.
2) L’engagement du secteur privé est essentiel pour la santé à long terme du secteur de la création. Pour réaliser son plein potentiel, l’économie créative a besoin de la participation de ceux du secteur privé non seulement dans une dimension philanthropique, mais également à titre de partenaires du développement de nouvelles entreprises dans le secteur de la création.
3) Il nous faut articuler un plan pour développer et exploiter les possibilités et les marchés internationaux pour le secteur de la création du Canada. Un grand nombre de nos partenaires et de nos concurrents internationaux l’ont déjà fait – en n’agissant pas maintenant, le Canada est désavantagé dans le marché mondial.
4) Le respect de tous les participants à ce dialogue est essentiel. Les hyberboles ou les stéréotypes ne créent pas une atmosphère propice au genre de dialogue national en profondeur que nous devons avoir. Nous devons raffiner les termes que nous utilisons dans le débat courant et nous exprimer avec plus de civilité.
5) Nous aurons besoin de la patience et des efforts de tous les participants à la discussion. Si nous pouvons convenir qu’il faut une stratégie nationale pour construire sur les réalisations du secteur de la création pour le bénéfice de tous les Canadiens, nous devons déclarer un moratoire sur les actions unilatérales des deux côtés. Au cours de la période de développement, il faut que les politiques et les programmes courants puissent fonctionner, et le secteur de la création doit participer au processus d’examen stratégique avec un esprit ouvert.
L’économie créative est un élément de plus en plus important de la subsistance du Canada. Tous les Canadiens auraient avantage à ce que nos dirigeants politiques nous engagent dans une discussion positive ouverte sur l'avenir et le rôle du secteur des arts et de la culture dans le développement du Canada, de notre économie et de notre sentiment d'identité nationale. À la veille de voir la 40e législature du Canada se rassembler à Ottawa, nous devons élaborer une stratégie avantageuse culturellement et économiquement qui profitera à tous nos concitoyens.
C’est là l’objectif premier que la Conférence canadienne des arts entend poursuivre avec tous ses moyens et toute son énergie. Nous espérerons que vous vous joindrez à nous dans cette entreprise très importante pour l’ensemble de la population canadienne et pour les générations futures.
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