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Canadian Conference of the Arts

Bulletin de la CCA 11/10

6 avril 2010

 

Télécommunications : le Canada vend-il sa souveraineté culturelle par la porte d’en arrière?

 

Pourquoi ce sujet est-il important?

 

Depuis plusieurs décennies, la politique culturelle canadienne s’appuie sur la notion que la propriété et le contrôle effectif de nos industries culturelles par des Canadiens est la meilleure façon de s’assurer que les Canadiens aient accès à des produits culturels canadiens. D’abord, il est plus facile de réglementer des compagnies domestiques que celles contrôlées à l’étranger. Et il est plus probable que des Canadiens racontent nos propres histoires et présentent notre vision du monde à partir de nos valeurs comme nation.

 

Compte tenu de la convergence des technologies et de la concentration de la propriété dans le domaine audiovisuel, ouvrir la porte à la propriété étrangère dans le domaine des télécommunications ne peut que mener à des pressions considérables pour faire de même dans la câblodistribution et la radiodiffusion.

 

L’absence de réglementation canadienne dans le secteur du cinema illustre parfaitement l’impact du contrôle par des interêts étrangers d’une industrie culturelle. La politique de distribution du film ne fait pas de distinction entre les droits nord-américains et canadiens pour la majeure partie des distributeurs. Il en résulte que les distributeurs étrangers contrôlent presque toute la distribution de films au Canada. Les films étrangers, i.e. américains, occupent 98% du temps d’écran au Canada anglais, la situation étant un peu moins dramatique au Québec. On ne peut trouver d’exemple plus éloquent de comment, en l’absence d’une réglementation forte, des intérêts étrangers peuvent bloquer la distribution de biens culturels canadiens à ceux qui les subventionnent!

 

Les faits en résumé

 

La semaine dernière, le gouvernement a déposé en Chambre le Projet de loi C-9, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 4 mars 2010 et mettant en oeuvre d’autres mesures. Enfoui dans la section 2184 de ce projet de loi omnibus se trouve un amendement aux paragraphes 16 (1) et (5) de la Loi sur les Télécommunications   afin de permettre à des intérêts étrangers d’acquérir des compagnies canadiennes de satellite. En liant cet importante question à un projet de loi budgétaire, le gouvernement met les partis d’opposition au défit de déclencher une élection sur le sujet. Dans les circonstances actuelles, le gouvernement s’assure donc de mettre en oeuvre sans réel débat la politique annoncée dans le Discours du Trône et dans celui du Budget.

 

Ironiquement, les partis d’opposition ont déclenché une étude par le Comité permanent sur l’industrie, les sciences et la technologie  des réglements canadiens concernant les intérêts étrangers dans le secteur des télécommunications. Le premier avril dernier, la CCA a comparu aux côtés d’autres organismes culturels pour inviter les parlementaires à maintenir le régime actuel de restrictions sur la propriété étrangère dans ce secteur stratégique à plusieurs points de vue. Il est fort probable que l’accès étranger au contrôle des entreprises satellite canadiennes sera fait accompli avant que les audiences du Comité soient terminées!

 

Pour en savoir davantage

 

Dans sa présentation, la CCA a insisté sur le danger d’un effet domino qui mette en péril la poursuite des objectifs culturels enchâssés dans la Loi sur la radiodiffusion (1991).

 

La première brèche dans la réglementation sur la propriété étrangère a été faite par le CRTC en 2007 lorsqu’il a autorisé l’acquisition d’Alliance Atlantis par CanWest, en dépit du fait, dénoncé par plusieurs critiques, que le contrôle effectif allait passer entre les mains du financier américain Goldman Sachs.  Le second domino est tombé en décembre 2009 quand le gouvernement a renversé la décision du CRTC  à l’effet que la compagnie Globalive Wireless Management  ne pouvait exploiter un service de téléphonie sans fil au Canada parce qu’elle était de facto contrôlée par une compagnie égyptienne, Orascom. Le troisième domino à tomber sera l’autorisation de vendre les compagnies canadiennes de satellite à des intérêts étrangers.  

 

Contrairement aux positions exprimées par les membres conservateurs et libéraux du Comité, la CCA croit qu’il est virtuellement impossible de changer les règles de propriété dans les télécommunications et d’isoler les entreprises de radiodiffusion des conséquences. Les compagnies canadiennes qui oeuvrent dans ce secteur comptent parmi les plus importantes au pays et elles exerceront des pressions considérables sur les politiciens afin « d’égaliser les chances » avec leurs compétiteurs et obtenir l’accès à des fonds étrangers sous les mêmes termes et conditions. Comment sera-t-il possible de dire non à l’un après avoir dit oui à l’autre? Comment établir une démarcation claire entre les intérêts complexes de Bell, Rogers, CTVglobemedia, Shaw, Telus ou Québécor?

Il est également important de rappeler que la réglementation canadienne actuelle donne aux entreprises canadiennes de télécommunications et de radiodiffusion accès à des fonds étrangers : ce qui est interdit, c’est le contrôle effectif de ces entreprises par des intérêts étrangers. Personne n’a encore démontré que ces industries souffrent de ne pas avoir plus ample accès aux investissements étrangers : la question a même été soulevée au cours des audiences du Comité quant à savoir si nos entreprises de télécommunications ont fait le plein des investissements actuellement consentis par la loi.

Culture et commerce international

La principale raison pour laquelle la CCA ne croit pas qu’il soit possible d’imposer les lois et réglements canadiens à des compagnies sous contrôle étranger tient à nos accords de commerce internationaux. La CCA est depuis longtemps inquiète de l’ALÉNA et tout particulièrement de son chapitre 11. Ce chapitre accorde à toute compagnie étrangère le droit de poursuivre le gouvernement canadien et de demander des compensations financières pour toute action gouvernementale qu’elle juge contraire à ses intérêts en vertu de l’Accord, y compris les décisions d’agence de réglementation comme le CRTC.

  1. Concernant l’ALÉNA dans son ensemble, il est important de noter d’abord que la portée de l’exemption culturelle est limitée aux industries culturelles identifiées lors de la signature du traité. Ainsi, et de façon importante, cette exemption ne couvre pas le secteur des nouveaux médias comme la télévision interactive, les jeux vidéo, etc.
  2. Deuxièmement, les droits accordés dans le Chapitre 11 pourraient être activés de deux façons. Si on change la réglementation concernant la propriété des entreprises de télécommunication, une compagnie étrangère qui décide d’investir dans une compagnie canadienne de câblodistribution ou de diffusion pourrait structurer une entente similaire à celle déjà autorisée par la nouvelle réglementation en télécom. Advenant le cas où le CRTC rejette cette demande, la compagnie étrangère pourrait intenter des poursuites en vertu du Chapitre 11, avançant qu’elle est traitée de façon inéquitable vis-à-vis une compétiteur qui oeuvre dans le même marché..
  3. Si on permet aux intérêts étrangers l’entrée dans le secteur canadien de la radiodiffusion, ou s’ils en forcent la porte, il sera sans doute possible de continuer d’appliquer les systèmes et réglements qui président actuellement à la production et à la distribution d’émissions canadiennes, le nouveau venu entrant sous un régime existant. Mais si le CRTC ou le gouvernement tentait d’adapter la réglementation pour répondre aux défis et opportunités d’un nouvel environnement, la compagnie étrangère pourrait recourir aux droits que lui accorde le Chapitre 11.

 

La CCA continue d’affirmer que l’on doit étendre aux nouvelles plateformes certaines des obligations des anciennes concernant la production d’émissions canadiennes. Il se pourrait bien que pareille réglementation, si elle était adoptée par le gouvernement canadien, ne puisse s’appliquer à une compagnie sous contrôle étranger.

 

Dans un tel scénario, qui n’a rien d’invraisemblable, le Canada aura perdu toute prétention de souveraineté culturelle dans le secteur audiovisuel.

 

Il y a bien sûr d’autres raisons de maintenir le présent régime concernant la propriété étrangère, particulièrement eu égard à la souveraineté canadienne en général. Il importe de souligner que la majorité de nos partenaires commerciaux, incluant les USA et la Communauté européenne, limitent la propriété étrangère, particulièrement en radiodiffusion, secteur considéré d’intérêt national vital.  

Que puis-je faire?

Exprimer vos inquiétudes au ministre du Patrimoine James Moore, au ministre de l’Industrie Tony Clement, à votre député(e), au Premier ministre et aux chefs des partis d’Opposition : Michael Ignatieff, Jack Layton et Gilles Duceppe.