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Canadian Conference of the Arts

« Cette misérable débandade » - Un bref historique du Groupe de travail sur le statut de l'artiste

Version originale - extrait de Blizzart, Été 2004 (PDF)

Lorsque la Conférence générale de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) s'est réunie pour sa vingt-et-unième session en1980 en vue d'étudier et d'adopter la Recommandation concernant le statut de l'artiste, elle achevait un long processus de consultation des organisations de la société civile et de débats entre les gouvernements sur des enjeux revêtant une importance critique pour les artistes et créateurs du monde entier. La Recommandation a été accueillie avec satisfaction par les artistes et leurs associations étant donné qu'elle exhortait les gouvernements à prendre des mesures
concrètes à l'égard d'une gamme d'enjeux :

  • [Traduction libre] « Le mot statut signifie, d'une part, l'estime vouée aux artistes dans une société en raison du rôle important qu'ils sont appelés à y jouer et, d'autre part, la reconnaissance des libertés et des droits, y compris des droits moraux, économiques et sociaux et notamment des droits à un revenu et à la sécurité sociale dont les artistes devraient jouir. »
  • L'éducation et la formation des artistes, et l'importance de l'éducation artistique.
  • Le statut social, comme des mesures destinées à assurer aux artistes un statut équivalent à celui des autres travailleurs, la protection de la liberté d'expression et la protection des droits de propriété intellectuelle.
  • Les conditions d'emploi, de travail et de vie des artistes et la reconnaissance des droits de leurs organisations professionnelles et syndicales.
  • Des mesures relatives au revenu, un soutien en période de chômage et des mesures relatives à la retraite.

En réponse à la Recommandation de l'UNESCO, le Canada a mis sur pied le Groupe de travail sur le statut de l'artiste Siren-Gélinas qui a produit son rapport en août 1986. Pour faire suite à ses 37 recommandations, le gouvernement fédéral a nommé le Comité consultatif canadien sur le statut de l'artiste (CCCSA), composé d'artistes et de représentants d'associations et de guildes, qui a rédigé un code canadien des artistes et en a recommandé l'adoption. Cela a mené à l'adoption de la Loi sur le statut de l'artiste, qui a été promulguée en juin 1992.

La Loi comporte deux parties. La partie I (Dispositions générales) fait état de la reconnaissance par le gouvernement des contributions des artistes et de leurs droits; elle prévoit l'établissement du Conseil canadien du statut de l'artiste, chargé d'exprimer les préoccupations du milieu des arts et de recommander les mesures que le gouvernement devrait prendre. La partie II (Relations professionnelles) préconise la création du Tribunal canadien des relations professionnelles artistes- producteurs (TCRPAP ou le Tribunal), chargé d'appliquer le cadre législatif régissant les relations professionnelles entre les artistes, en tant qu'entrepreneurs indépendants, et les producteurs sous compétence fédérale.

La Loi est maintenant en vigueur depuis plus d'une décennie. Le TRCPAP a accrédité 25 organismes
artistiques en tant qu'agents de négociation pour les artistes travaillant dans des sphères de compétence fédérale; il rend des comptes au gouvernement par l'entremise du ministre du Travail, tout en entretenant une relation spéciale avec le ministère du Patrimoine canadien. Il est dirigé par un groupe d'au plus six membres, présidé actuellement par David Silcox.

Bien que le Tribunal et ses fonctions aient évolué de la manière prévue par la Loi, cela n'a pas été le cas du Conseil canadien du statut de l'artiste. En effet, bien que son existence soit prévue par la Loi, le Conseil a disparu à l'expiration du mandat de ses derniers membres nommés. En juin 1995, son président, l'acteur Albert Millaire, a écrit une lettre de démission empreinte de frustration à l'honorable Michel Dupuy, alors ministre du Patrimoine canadien : « à la lecture de ce que j’appellerai mon modeste rapport moral, vous comprendrez, monsieyr le Ministre, qu’il m’est impossible de poursuivre ma tâche...Nous sommes au printemps 95, et j’apprends qu’enfin le tribunal sera en fonction. Il aura fallu quatre ans, l’opposition féroce de hauts- fonctionnaires, l’hésitation des ministères concernés...Nous avons défendu notre loi jusqu’auprès de Premier Ministre Mulroney, et sommes fiers de constater enfin que nos efforts ont été récompensés. A la suite des élections, nous nous sommes réjois de votre nomination. La première chose dont vous m’avez entretenue lors de notre première et seule rencontre fut du voeu de votre entourage de nous voir disparaître. Je ne pouvais pas imaginer comment cela pouvait se faire puisque nous sommes dans la loi. Je ne veux pas être complice de cette misérable débandade, et je me dois d’employer toutes mes énergies à la survie de mon metier. »

Cette lettre, qui constituait l'arrêt de mort du CCCSA, a été rédigée durant la période des compressions dans le domaine des arts, qu'on est venu à appeler « l'examen des programmes » et qui a réduit bon nombre des programmes de soutien aux arts de Patrimoine canadien, ainsi que les fonds accordés au Conseil des Arts du Canada, à la CCA et à bien d'autres organismes. Heureusement que la Loi a été adoptée trois ans auparavant, parce que la conjoncture favorable à l'adoption de mesures législatives en faveur des artistes avait certes disparu au milieu des années 1990.

Pendant toute cette période, la CCA, Equity, ACTRA et d'autres groupes représentant les artistes ont continué à exercer des pressions sur Patrimoine canadien pour qu'il remette sur pied le Conseil, sachant que la Loi devait faire l'objet d'un examen après sept ans et que le Conseil serait l'organe directeur parfait pour le bureau d'experts-conseils engagé en vue de mener cet examen. Même si la ministre Sheila Copps a annoncé, à une réunion de l'UNESCO tenue en Suède en 1998, son intention de rétablir le Conseil, aucun progrès en ce sens n'a été accompli, et l'examen a été entrepris à l'hiver 2002. Nombre de dirigeants d'organismes voués aux arts qui ont participé à l'examen étaient convaincus que le résultat aurait été beaucoup plus exhaustif et analytique si un conseil expert avait dirigé les conseillers chargés de produire le document pour Patrimoine canadien et DRHC.

Parmi les constatations clés de l'examen, mentionnons les suivantes :

  • Malgré l'utilité indéniable de la Loi, « le ministère du Patrimoine canadien pourrait envisager d'explorer d'autres
    politiques et programmes pour améliorer la situation socio-économique des artistes autonomes ». Les auteurs font observer que, d'après la plupart des artistes et administrateurs d'organismes artistiques, la Loi n'a pas amélioré la situation économique des artistes canadiens professionnels, perception que semblent confirmer les données disponibles. (C'est nous qui soulignons.)
  • Comme d'autres organismes financés par le gouvernement prodiguent déjà des conseils au nom des artistes, le Conseil pourrait bien ne pas avoir de rôle à jouer. Les auteurs du
    rapport affirmaient même que le Conseil des Arts du Canada ou la CCA pourrait éventuellement assumer cette fonction.
  • Le rapport renfermait aussi une série de commentaires sur le TCRPAP, ses procédures, ses pouvoirs dans le cas des ententes initiales et son autonomie.

En réponse à la deuxième recommandation, la CCA a envisagé d'assurer des services de secrétariat au Conseil, mais elle a conclu que ce dernier devait pouvoir fonctionner de manière autonome étant donné que ses positions pouvaient compromettre le conseil d'administration et les adhérents de la CCA (les deux groupes étant composés entre autres de représentants des travailleurs et des producteurs). Le conseil d'administration de la CCA a mis sur pied un comité chargé d'énoncer les raisons justifiant le renouvellement du mandat du Conseil et de travailler avec Patrimoine canadien, DRHC et les autres intervenants du milieu des arts pour faire avancer ce dossier. Voici certains des arguments présentés :

  • Le Conseil devrait avoir un nouveau mandat, l'accent étant mis tout particulièrement sur les artistes professionnels indépendants (plutôt que sur les producteurs ou distributeurs), qu'il a pour mandat de défendre. Il devrait toujours agir dans l'intérêt des artistes indépendants, indépendamment de leur discipline, de leur emplacement ou de leur langue.
  • À l'heure actuelle, aucun autre organisme n'exerce ce mandat. Le Conseil serait en mesure de prendre une position proactive et de se pencher sur tous les enjeux économiques, sociaux et juridiques au nom des artistes indépendants du Canada. Chaque organisme qui a pour mandat de s'occuper d'enjeux touchant la vie professionnelle des artistes est limité, d'une manière ou d'une autre, dans sa envergure et dans sa capacité à aborder tous les enjeux.
  • Le Conseil appuierait le ministre du Patrimoine canadien dans les cas à forte résonance où l'intervention directe du ministre n'est pas indiquée, mais pour lesquels une médiation experte s'impose.
    q Le Conseil serait l'endroit indiqué pour s'occuper de modifications à la Loi sur le statut de l'artiste en vigueur. Il pourrait servir de carrefour objectif pour la présentation de recommandations au gouvernement.
  • Il faut un organisme indépendant pour guider l'évolution de la Loi sur le statut de l'artiste. De nombreuses mesures décrites dans le Code canadien des artistes, comme les mesures fiscales et l'accès aux avantages sociaux, n'ont pas encore été mises en oeuvre et devront faire l'objet de démarches soutenues d'harmonisation avec des mesures législatives connexes.

Patrimoine canadien a récemment mis sur pied des conseils consultatifs nationaux analogues pour les industries de la musique, de l'enregistrement sonore et du film, toutes des industries bien en vue qui injectent des centaines de millions de dollars dans l'économie canadienne, mais qui n'existeraient pas sans les artistes individuels. Il faut attacher la même importance à un conseil prévu par la loi répondant aux besoins des créateurs individuels qui sont au coeur de
l'industrie.

La conférence annuelle de 2004 de la CCA, intitulée De l'Acte à l'action : Aller de l'avant sur le statut de l'artiste, donnera aux participants l'occasion de prendre part à une discussion stratégique en vue de développer les arguments en faveur du Conseil et d'élaborer des tactiques pour raffermir la volonté politique de prendre cette prochaine mesure importante dans l'évolution de la loi fédérale. Les premiers visionnaires qui ont mis la loi en place y voyaient un moyen de renforcer la capacité des artistes de subvenir à leurs besoins au moyen du revenu provenant de leur travail. Malgré les difficultés rencontrées, il faudrait valider leur sagesse et leur prévoyance en réalisant leur vision dans l'intérêt des générations futures d'artistes.