Les armoiries, le blason

Depuis que le monde est monde, les humains ont toujours eu recours à autre chose que le langage pour communiquer entre eux: des gestes, des signes, ou encore des dessins que tout le monde finit par reconnaître, germe des indications routières qui sont internationales.

C'est de ces derniers que je veux vous entretenir en ce moment, de cette façon de se faire reconnaître, de communiquer par des dessins, si bien faits que tout le monde non seulement finit par les comprendre, mais les considère comme de véritables oeuvres d'art. Des oeuvres d'art soumises à des règles bien précises, à un langage qui nous semble ésotérique, i.e. réservé à une catégorie de personnes qui auraient comme un langage secret, un langage chiffré comme dans un ordinateur. Faire ou lire ces oeuvres d'art s'appelle l'art héraldique, l'art du blason, l'art des armoiries.

Mais c'est quoi un blason? C'est quoi des armoiries? C'est quoi l'art héraldique? Ou l'héraldique tout simplement?

L'héraldique, c'est bien simple, c'est l'art des armoiries, dit le dictionnaire. R. Mathieu précise tout de même: "l'héraldique, c'est des emblèmes, i.e. des figures symboliques généralement accompagnées d'une devise, donc des emblèmes en couleurs, héréditaires ou constantes, propres à une famille, à une communauté ou parfois à un individu et soumis dans leur disposition, leurs couleurs et leurs formes à des règles spéciales qui sont celles du blason". Un monde bien spécial quoi!

Mais c'est quoi un blason? C'est "l'ensemble des signes distinctifs et emblèmes d'une famille noble, d'une collectivité, i.e. d'un groupe particulier". C'est la même définition que la première. Le dictionnaire nous dit d'aller voir au mot "armoiries". Il ne s'agit pas d'armoire. Non! Mais pas loin, puisque ce mot "armoire" veut dire "ustensile". Armoiries, dit le dictionnaire, "c'est la même chose que le blason, que l'écu, i.e. des emblèmes symboliques qui distinguent une famille noble, une collectivité". Et si l'on emploie le mot écu, écusson, on dit la même chose et on s'approche non seulement du sens mais de l'utilité des armoiries, du blason. Un écu, c'est, au Moyen Âge, le bouclier d'un militaire, d'un homme d'armes, d'un homme qui a des ustensiles pour se défendre ou pour attaquer l'ennemi, ou encore pour prendre part à un tournoi.

Imaginons justement un de ces combats d'autrefois. Comment reconnaître un ennemi, un adversaire? Comment l'identifier et ne pas le confondre avec un compagnon d'armes, un compagnon de la même équipe, alors qu'aucun costume ne le distingue comme celui des soldats de chaque nation aujourd'hui? Il est tout harnaché de casque, de heaume, de masque. Comment l'identifier?

Écu français de 1445. 45 ko
Écu français de 1445
C'est alors, vers l'an mille XIe siècle que l'on commença à peindre ou graver sur les boucliers des dessins, des signes qui, en un clin d'oeil, feront reconnaître un tel ou un tel, comme étant son chef ou son compagnon, ou son ennemi. Donc, au début, vers le XIe siècle, parce que n'ayant pas d'autres moyens pour se reconnaître en plein champ de bataille ou de tournoi qui en est presque un, on commence à peindre des signes sur son bouclier, sur son écu. C'était le début de la science des armoiries en bataille, ou en tournoi.

Au XVIe siècle, on se mit à se servir de l'écu, non plus seulement dans les guerres ou les tournois, mais dans les salons, dans les parlements, pour désigner ou reconnaître telle ou telle famille noble: sur ce qu'on appelle un "champ" en forme d'écu ou de bouclier lui aussi. On commença à représenter des emblèmes, des signes, des armoiries qui identifieraient telle ou telle famille, tel ou tel noble, telle ou telle ville. Disons tout de suite, que l'écu était devenu également depuis l'époque de 1336, en France, une monnaie qui représentait les armoiries de la France, l'écu de la France. Cela servait, vous le voyez bien, à identifier une pièce de monnaie française. Donc lors d'une bataille, d'un tournoi, pour la monnaie on a des écus.

Ce qui fait que armoiries, blason, écu, héraldique sont tous des mots qui nous viennent de l'art militaire avant de l'être pour la monnaie. Ils ont tous finalement la même signification et servent d'abord et toujours à identifier quelqu'un ou un groupe. Exactement comme un drapeau. Mais avec un langage plus précis, plus compliqué, que celui du drapeau où habituellement, on trouve seulement un agencement de couleurs, avec parfois un objet, v.g, rouge-blanc, rouge avec la feuille d'érable; vous reconnaissez le Canada où que vous soyez dans le monde. Si vous avez déjà voyagé au loin, dès que vous voyez cet emblème, vous le reconnaissez. Moi, c'est toujours avec une fierté profonde que je le retrouve.

Sur les armoiries, on dessinait ou brodait ou cousait comme dans les patrouilles des scouts, des lions, des éperviers, des aigles, des dragons, en somme des animaux qui symbolisent la force, l'énergie, le courage et tous de nature à faire peur à l'ennemi. D'abord utilisées par les seigneurs les plus importants au Moyen Âge, les armoiries sont vite devenues héréditaires et propres à une famille, comme un passeport familial. Vers 1150, donc pas longtemps après la mort de S. François d'Assise, au temps le plus illustre de la Chrétienté, au temps de S. Thomas d'Aquin, S. Dominique, S. Albert le Grand, Louis de France, Dune Scot, Roger Bacon, S. Bernard, tant d'autres qui ont été les plus grands génies de la spiritualité et de la théologie et de la philosophie, au temps si merveilleux des cathédrales gothiques, l'usage des armoiries se répand chez presque tous les nobles de France.

C'est à peu près en même temps qu'on commence à se faire des sceaux qu'on applique sur tous les papiers officiels, non seulement chez les nobles, mais aussi dans les classes non-combattantes: les femmes nobles, les évêques, les communautés religieuses, les bourgeois, i.e. les grands commerçants des bourgs et les villes aussi. Finalement au XIIIe siècle, i.e. après 1400, un peu avant la découverte de l'Amérique du Nord, de simples paysans, des corporations de métiers, les syndicats du temps, les abbayes, tout groupe ou personnage important a ses armoiries, son histoire résumée comme en une bande dessinée et symbolique. Ouvrons pour vous en donner une idée, le merveilleux Armorial des principales Maisons (familles) du Royaume, particulièrement celles de Paris et celles d'Isle de France (province), publié à Paris en 1757, deux ans après la Déportation des Acadiens: il y en a plus de trois mille deux cent. L'Italie, l'Allemagne, l'Angleterre l'Espagne, le Portugal en font autant et probablement d'autres pays, comme la Hollande, la Pologne.

La France surtout nous intéresse. Cet Armorial des principales maisons du Royaume, a été publié, la première édition, à la demande de Louis XIV en 1696. Dans quel but? Vous allez voir qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil, Louis XIV voulait contrôler les taxes; c'était une mesure fiscale même si le roi de France voulait obliger le plus grand nombre possible de familles, des roturiers, donc des non-nobles, à prendre des armoiries et le Parlement s'y opposa vivement, en 1760, à la veille de la Révolution, prévoyant trop bien combien de riches seraient bien pris ou plutôt mal pris. Mais le but de cette obligation semble d'avoir voulu identifier telle où telle famille pour qu'elle n'usurpe pas les droits d'autrui. Tout de même, j'ai trouvé dans l'Armorial trois blasons identiques, celui des La Nain, Donges et Druot.

C'est alors qu'au XVIIIe siècle, avant la Révolution française, s'introduisent toutes sortes de lois pour les préserver: en principe, seul l'aîné d'une branche aînée de famille, pouvait porter les armes pleines, i.e. telles que conçues à l'origine; les autres, sauf, les femmes et les clercs, étaient obligés de les briser, soit de les modifier en gardant une partie et en présentant d'autres objets qu'on appelle les meubles.
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