Évidemment, la Révolution française les interdit comme signes trop évidents de la noblesse. Napoléon les permit, mais pour les seuls nobles de l'Empire, avec toutes sortes de modifications aux lois rigides et précises de toujours.

Après Napoléon, on est revenu à l'antique observance. De nos jours encore, les armoiries constituent toujours pour les familles ou les groupements une propriété qui ne peut être usurpée.

Après les origines et son histoire, voici maintenant les éléments de l'art héraldique. C'est très compliqué, à première vue, mais très emballant. C'est comme si avec quelques centaines de mots, on parvenait à se faire comprendre parfaitement, indiquant l'essentiel de l'histoire d'un groupement ou d'une personne. C'est d'une concision unique. Et d'un langage bien particulier, très ancien, v.g. si je dis "de gueules", il n'y a aucun rapport avec la bouche; "de sable"... ce n'est pas ce que l'on pense, ni comme couleur, ni comme élément, cela veut dire: "noir".

Commençons tout de même. Des armoiries, c'est d'abord l'écu ou l'écusson, i.e. cette surface plane qui a la forme d'un bouclier d'homme d'armes; c'est lui le support de tout ce qu'il va représenter. C'est comme une personne vue de face; sa droite sera à votre gauche et sa gauche à votre droite, Mais, en héraldique, on dira sa senestre pour sa gauche, et sa dextre pour la droite. La forme de l'écu peut varier.

Cette surface, se nomme "champ". On peut le diviser en neuf parties, mais pas plus, qu'on appelle "points". Donc pas plus de neuf points dans la surface.

Les teintes du blason, on les appelle "émaux" (émail : vernis vitreux qui protège de l'air). Il y en a neuf. Ils réunissent trois choses: les couleurs, les métaux les fourrures. Des métaux, c'est facile à retenir: il n'y en a que deux: l'or et l'argent. Des couleurs, il y en a cinq: azur (bleu), gueules (toujours au pluriel : rouge), sinople (vert), pourpre (là c'est bien rouge) mais sable (c'est noir) comme de la zibeline (sabellum, latin médiéval: zibeline: martre). Voilà donc les émaux : deux émaux et cinq couleurs, plus deux fourrures qui sont l'hermine (blanc moucheté) et le vair (alternance de bleu et de blanc). On peut ajouter "au naturel" quand il s'agit d'animaux, de plantes ou d'objets dans leurs couleurs naturelles, v.g, le pied de tabac dans les armoiries de St-Jacques. S'il s'agit d'une personne, on dit "de carnation", i.e. en chair.

Si l'écu est du même émail, i.e. sans aucune autre couleur, on dit qu'il est plain (c'est très rare: tout bout de planche est comme ça!) Le champ, sa surface, est habituellement divisée en partitions ou sections faites par des lignes horizontales, verticales, courbes, i.e. bandes de travers, obliques ou n'importe comment, ornées de pièces héraldiques ou meubles, soit des objets: fleurs de lys, anneaux, lions, aigles, abeilles, arbres, tours, trèfles, calice, hosties, croix, serpents, porcs-épics, etc. Tout ce qu'on veut quoi! Tout ce que Dieu a créé ou que l'homme a imaginé.

Ce n'est pas pour épater que je vous parle avec de grands termes, des mots nouveaux pour la plupart d'entre nous, mais les lignes horizontales donnent le coupé, le chef, le comble, la champagne, la plaine, la fasce, le tiercé en fasce, (bandelette), le fascé, la jumelle, la burelle, le burelé, le contrefascé.

Les lignes verticales, elles, ont aussi leur langage ou plutôt, leur effet: elles donnent le parti, le pal, le tiercé enpal, la vergette, le vergeté, le contrepalé.

Les lignes diagonales donnent le tranché, la bande, la cotice, la coticé (ruban), le filet ou bâton, le bandé, le contrebandé, le tiercé en bande, le taillé, la traverse, la barre, le filet en barre, le barré, l'écartelé en sautoir, le sautoir, le chevron (comme dans les ceintures fléchées), le fetté, le losange, le fuseté, le vêtu, le chaussé, le chapé, le mantelé, l'embrassé.

Si on combine les lignes verticales et horizontales, ce sera ou de l'écartelé, ou du franc-quartier, contre-écartelé, la croix, les points équipolés, l'échiqueté (comme dans celle des Lanoue), le canton,etc.

Si, au contraire, on combine des lignes horizontales et diagonales, on aura le chef-bande et le chef-barre.

Si on ne prend que des lignes verticales et diagonales, on aura autre chose: le tiercé en pairle, le pairle, ou le gousset, ou le tiercé en pairle renversé. Si on se sert des trois sortes de lignes, horizontales, verticales, diagonales, eh bien, on aura du giron ou du gironné.

Si on mêle lignes courbes entre elles ou avec des lignes droites, on verra surgir l'écusson (petit écu au centre de l'écu), la bordure, l'orle, le trescheur d'Ecosse, le flanqué, l'enté, le chapé ployé et le chaussé ployé.

Quel tour de dictionnaire! Quelle procession de mots rares et beaux! Comme les défilés des seigneurs du Moyen Âge, ou encore celui du Pallio, annuel, à Sienne, en Italie et que la télévision nous fait passer en vitesse évidemment.

Enfin, vous dirais-je que les partitions ont elles aussi, une signification, la plus grande, en effet. Elles ont d'abord leurs lois: d'abord ne jamais mettre métal sur métal, soit or sur or, ou argent sur argent. Il faut l'alternance, à tout prix, non plus que couleur sur couleur, excepté dans quatre cas dont je vous fais grâce. Tout de même le Vatican fait exception à la règle.

Il y a aussi tout un vocabulaire pour désigner leur place, leur position, dans le blason ou l'écu: abaissée, haussée, mouvante, mal ordonnée, adextrée, senestrée, sommée, soutenue, accompagnée en chef ou surmontée, cantonnée, affrontée, adossée, accostée, semée, etc. vivrée, émancée, dentée, denticulée, ondée (De Lanaudière), engrêlée, cannée, nébulée, crénelée, bastillée, bretessée, contrebretessée, ployée, flammée, ajourée, vidée, remplie, resarcelée.

Si on emploie des astres, on les dessinera ou désignera d'un vocabulaire spécial: une personne sera soit parée ou armée, les animaux eux seront issants, engoulants ou à vilenés, évirés, diffamés, rampants, passants, courants, armés, onglés, langués, lampassés ou allumés, comme les oiseaux qui seront au vol abaissé, de face, animé, nimbé, couronné, romainse, qui seront des aiglettes, des alérions (Mgr de Laval): aiglettes sans bec ni pattes, comme la merlette. À Montigny sur Avre, dans l'église natale de Mgr de Laval, une belle fresque de Charlier rappelle sa mémoire , avec les armoiries des Montmorency-Laval. Je fis remarquer à M. le curé Mercier en 1970, d'abord l'erreur dans la devise "Dieu aida au premier baron chrétien" c'est "Dieu ayde (que Dieu aide)" et puis, dans les armoiries: les alérions avaient tous des becs et des griffes: Je dis au curé qui en était ébahi: "regardez ailleurs dans l'église: vous devez avoir les armoiries de la famille De Laval". Je me retourne, et sur une colonne, je les lui montre sans griffe, ni bec. Il en était tout éberlué.

Je reviens aux oiseaux: les merlettes non plus n'ont pas de bec ni de patte, v.g. celles de De Lanaudière et les nouvelles armoiries de Joliette dont on ignore toujours pourquoi on les a changées en 1981. Les reptiles eux aussi ont droit à leur vocabulaire, ainsi que les poissons. Les végétaux, les figures artificielles aussi.

Je vous ferai grâce des ornements extérieurs, i.e. les supports qu'on n'emploie généralement pas, excepté la devise, placée en dessous et habituellement en latin, exprimant une pensée, un sentiment, un mot d'ordre, v.g. Ipsa duce (St-Jacques), Concordia salus (Montréal), labore et caritate(Séminaire de Joliette), ardens et tenax (St-Paul). Pourquoi en latin? Parce que la concision du latin renferme une forme de frappe qui a traversé les siècles et dit plus que n'importe quelle langue; d'autant plus qu'elle permet souvent les contrastes, Normalement, elle exprime une règle de vie, d'action, en accord avec le passé et désignant l'idéal à poursuivre.

Enfin, comment lire un blason? Là aussi, il y a des règles invariables, un ordre à suivre, On commence par le champ, en signalant la pièce ou la figure ou les pièces et figures principales du premier plan; celles du deuxième plan en le chargeant de ses meubles; celles du troisième plan, surchargeant le troisième, le chef, la campagne, les deux flancs et la bordure, les brochant sur le tout et enfin, les ornements extérieurs.

Enfin, il n'est pas jusqu'aux couleurs qui n'aient pas de signification: l'or signifie richesse, force, foi, pureté, confiance; l'argent, l'innocence, la blancheur, la virginité; l'azur, la royauté, la majesté, la beauté; le gueules, courage, hardiesse, intrépidité; le sinople, l'espérance, l'abondance, la liberté; le sable, la science, la modestie, l'affliction; le pourpre, la dignité, la puissance, la souveraineté; le vair et l'hermine, la grandeur, l'autorité, l'empire.

Armoiries du Québec. 35 ko
Armoiries du Québec
C'est donc tout un monde, bien précis, bien ordonné, bien évocateur de l'histoire d'un groupe ou d'un individu ou encore inspirateur d'idéal (v.g. St-Jacques); celles de Mgr Edouard Jetté (tours, coquilles (Forget dit Latour, sa mère), coquilles Saint-Jacques). C'est un signe de très haute civilisation. Plusieurs villes s'en sont munies; parfois, certaines ont pris une devise en français, c'est contraire à l'usage; on n'a pas toujours suivi les règles de l'héraldique, c'est de l'ignorance ou de l'insolence.

Essayez donc de vous créer des armoiries. On nous invite à utiliser toutes sortes de gadgets "personnalisés" comme les chèques par exemple. Eh bien, rien ne pourra vous identifier davantage que votre blason dressé selon toutes les règles de l'art héraldique, sans compter la joie profonde ressentie à condenser plusieurs siècles de vie familiale en quelques objets et couleurs qui seront reconnues de tous.


Note bibliographique no. 10
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