Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin 17, 1971

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Résumé

« Espoir I »  de Gustav Klimt

par Johannes Dobai

English article

Page  1

D'après Ludwig Hevesi, ami de Klimt et dont les commentaires sont habituellement considérés dignes de foi, Gustav Klimt aurait peint Espoir I au cours de l'été de 1903 dans le but de le présenter à l'automne lors d'une exposition rétrospective de ses oeuvres. Espoir I n'avait toutefois pas figuré à cette exposition, organisée par la Sécession de Vienne, un groupe formé de jeunes artistes « non conformistes » dont Klimt avait été le premier président. L'artiste aurait accepté l'avis du ministre de l'Instruction publique de ne pas exposer sa toile. C'est à Berlin, en 1905, que Klimt l'a tout d'abord exposée, puis à Vienne en 1909, en même temps que Vision, une variante du même thème. Vers 1905, Espoir I avait été achetée par le collectionneur viennois Fritz Waerndorfer. Ce dernier avait cependant gardé jalousement ce tableau « isolé de tout regard profane derrière deux portes hermétiquement closes ». Ce tableau est certainement celui qui, parmi les créations de Klimt, a soulevé le plus de controverses. Certains contemporains le considèrent cependant comme une oeuvre d'inspiration religieuse.

A cette époque, plusieurs voyaient dans les oeuvres de Klimt une interprétation de thèmes sombres et défaitistes. Voyons cependant l'analyse que fait son ami Hevesi d'Espoir I:

« II s'agit, dit-il, d'Espoir, oeuvre réputée, ou plutôt mal famée, qui représente une jeune femme enceinte que l'artiste a osé peindre sans ses voiles C'est un de ses chefs-d'oeuvre, une création profondément émouvante. La jeune femme chemine, sereine, dans (a sainteté de son état. Des masques immondes et grimaçants, d'une lubricité blasphématoire, se pressent vers elle; les démons de la vie...mais ces tentations ne la troublent pas. Elle s'avance dans la voie des horreurs, incorruptible et pure, grâce à l'Espoir qu'elle porte dans Son sein. C'est une image symbolique - écho moderne du thème qu' Albrecht Dürer traite dans son tableau Le Chevalier, la Mort et le Diable. Cette image est interprétée avec une sensibilité romantique, à une époque où toutes les tendances à l'émancipation convergent. Est-il étonnant que « Jes purs » aient frappé l'oeuvre d'anathème et condamné l'artiste à cent mille ans de purgatoire? Les manuoevres d'une majorité hostile ont empêché d'exposer la toile à l'exposition Klimt, il y a deux ans. Elle se trouve actuellement dans le sanctuaire le plus privé de la maison Waerndorfer. » « Ludwig Hevesi, Das Haus Waerlldorfer (1905), dans Altkunst-Neukunst, Wien 1894-1908, Vienne, 1909, p. 223.)


Cette analyse d'Hevesi est assez juste si l'on tient compte de l'évolution de l'artiste dans les années qui ont précédé Espoir I. En effet, déjà en 1901, Klimt peint, dans le coin en haut à droite de son tableau La médecine, un nu semblable de femme enceinte. L'iconographie complexe de cette oeuvre, que les critiques du temps ont fortement attaquée, fait ressortir la nature du monde imaginaire du peintre à la fois agnostique, pessimiste et sceptique. La même vision, le même univers d'idées sont à l'origine d'Espoir I. Klimt a voulu, en recourant à un symbolisme ésotérique, exprimer, par une seule image, le réalisme de la vie, contestant ainsi l'esprit des philistins de l'époque victorienne et la « sainteté auguste » de la gestation. Bien que le fond des oeuvres symboliques (conformément aux concepts des symbolistes) ne puisse se ramener qu'avec prudence à des formules rationnelles et logiques, Klimt avait sans doute l'intention de symboliser par les monstres (comme la tarasque marine), les « puissances philistines ». La substance de certaines autres de ses oeuvres et la position qu'il occupait alors dans le monde de l'art viennois confèrent aussi une certaine plausibilité à cette hypothèse.

La lutte contre les concepts béotiens n'est, cependant, qu'un aspect de la teneur de cette toile qui est aussi un symbole plus profond de l'entité que forment la vie et la mort. Toutefois, la mort et le renouvellement de la vie ne sont que des facettes de l' « énigme du monde », que ne peuvent résoudre les simples facultés intellectuelles. C'est seulement dans l'optique de l'iconographie complexe de La médecine et d'autres tableaux de Klimt, qu'il est possible de comprendre cet aspect essentiel de l'oeuvre en question.

Klimt a repris plusieurs fois l'étude du même thème. De nombreux dessins datant de différentes périodes d'activité le confirment. Il s'agit, en partie, d'études ou de projets de composition, comme l'esquisse d'une frise, ponctuée, à certains intervalles, par le personnage principal d'Espoir I. C'est toutefois Vision, peinte en 1907 et exposée en 1909 en même temps que Espoir I, qui contribue de façon significative à l'interprétation de l'oeuvre: dans Vision, Klimt insiste d'une façon beaucoup plus évidente que dans l'autre tableau sur le « caractère sacré » de la gestation. C'est d'ailleurs conforme à tout son développement. Ainsi voit-on dans les ébauches pour la fresque de Stoclet le baiser revenir comme un leitmotiv auquel Klimt semble vouloir donner une valeur spirituelle. Cependant, peu de temps avant sa mort, Klimt revient au motif d'Espoir l dans les esquisses préliminaires d'Adam et Eve, oeuvre qu'il n'a pu achever. L'analyse de ses dessins confirme également la teneur principalement humaniste (et en partie autobiographique, bien que voilée) d'Espoir I, l'oeuvre qui marque l'étape la plus importante dans l'évolution artistique de l'artiste. Le tableau appartient à sa toute première époque. Il anticipait déjà non seulement sur le principe du montage, mais sur le contraste des divers plans réels dans une même oeuvre.

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