Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin 22, 1973

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Gaspard Dughet: Un nouveau dessin 
apparenté aux gouaches de la galerie Colonna


par Marco Chiarini


English Summary

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Jusqu'à tout récemment, à ma connaissance, quatre dessins (1) seulement pouvaient s'apparenter aux paysages à la gouache de la galerie Colonna, à Rome, l'une des oeuvres les plus importantes de Dughet. Maintenant, un autre dessin de qualité supérieure, appartenant à la Galerie nationale du Canada, vient s'ajouter à ces études. (2) Le dessin à la pierre noire sur papier bleu-vert représente un paysage rocheux avec une voûte naturelle: à l'arrière-plan se trouve un rocher (semblable à celui qui paraît dans l'un des quatre tableaux ronds de la collection Devonshire à Chatsworth); à droite, une chute d'eau; à gauche, un tronc d'arbre et quelques arbustes; et, presqu'au centre, esquissée de façon imperceptible, une figure d'homme appuyée à une butte (fig. 2).

Mis à part quelques légères différences de dimensions et quelques détails plus soignés dans le tableau, il est évident que la composition correspond parfaitement à l'une des gouaches de la galerie Colonna, plus précisément à celle portant le no 130 (fig. 1). (3) Comme c'est souvent le cas chez Dughet, la feuille d'études est de grande dimension et le dessin, exécuté à la pierre noire sur papier bleu-vert, révèle la technique qu'affectionnait le peintre dans sa maturité.

La datation des gouaches Colonna a été modifiée à plusieurs reprises (4) et, en ce qui concerne leur ordre chronologique, nous possédons un dossier d'une valeur inestimable: la biographie de l'artiste par Filippo Baldinucci, (5) dans laquelle les gouaches sont datées de la période suivant immédiatement les années où Gaspard exécuta le cycle des fresques de l'église Saint-Martin-aux-Monts (1648-1651). Comme le faisait récemment remarquer Marcel Roethlisberger et contrairement à plusieurs opinions, (6) il n'y a aucune raison de douter du passage de Baldinucci selon lequel « le connétable Colonna [...] commanda » à Dughet, après qu'il eut terminé le cycle de Saint-Martin, « plusieurs fresques pour des salles de son palais, des frises et des dessus de portes, ainsi que des tableaux à l'huile, qui étaient fort loués ». Les gouaches, que l'on considère comme étant une partie des travaux exécutés pour le compte de la famille Colonna et dont certaines sont probablement les « dessus de portes » mentionnés par l'historien de Florence, peuvent donc dater de sa période de pleine maturité, soit vers 1665.

Bien que nous ne sachions encore si les dessins apparentés aux tableaux de Dughet (autres que ceux de Saint-Martin-aux-Monts) sont des études préliminaires ou des transpositions de la toile sur papier, (7) il est absolument certain que les études correspondant aux gouaches Colonna datent de la même époque que les tableaux.

La technique employée par Gaspard, dans l'exécution de cette série d'oeuvres, est celle qui caractérise sa maturité et ses dernières années, lorsque l'influence de Nicolas Poussin et de sa façon de traiter l'aquarelle (toujours présente dans plusieurs études préliminaires pour les fresques de Saint-Martin) (8) aura presque complètement disparu. C'est à ce moment, en fait, que l'emploi de la pierre noire sur papier bleu-vert, parfois avec des rehauts, devint prédominant. (9) Le dessin d'Ottawa cadre bien avec cette période de travail pour la famille Colonna, alors qu'il exécuta également des fresques dans deux des salles du palais. Il existe des dessins de la décoration de l'une de ces salles, dont la facture est très proche du dessin d'Ottawa. Des trois feuilles d'études que l'on possède, l'une est au Kunstmuseum de Düsseldorf (fig. 3) et les deux autres, à la Crocker Art Gallery de Sacramento. Seule cette connaissance récente des fresques maintenant me permet d'établir une relation entre les paysages des dessins et ceux des fresques. (10)

La ressemblance de style entre les fresques et les gouaches, ainsi que les dessins en rapport avec celles-ci, vient confirmer qu'elles furent exécutées à la même époque, ainsi que le soutient Baldinucci. En comparaison des autres dessins exécutés par Dughet pour la famille Colonna, la feuille d'études d'Ottawa est parmi les meilleures. Par la souplesse de la touche et la hardiesse du traitement, elle se range parmi les plus pittoresques connues jusqu'à maintenant (Vienne, Sacramento et Düsseldorf), (11) tandis que les autres feuilles d'études sont plus sèches et plus schématiques. (12) Du point de vue technique, le dessin d'Ottawa, par sa douceur et l'atmosphère qu'il recrée, est comparable à certaines oeuvres plus complexes. (13) Uniquement au moyen du contraste de la pierre sur le fond coloré du papier, Gaspard obtient une intensité lumineuse et une ambiance des plus remarquables. Ce type de synthèse formelle diffère de l'approche très réaliste et analytique de son contemporain Claude Lorrain. De ce point de vue, il est caractéristique que Dughet laisse de grandes surfaces vierges et qu'il définisse les formes en clair-obscur, soulignant ainsi leur vigueur en projetant de fortes ombres qui les font ressortir. Cela est particulièrement remarquable si l'on compare le dessin avec le tableau correspondant, bien que plus « sombre » dans les tons bruns et verts et beaucoup plus détaillé dans la description de l'ambiance.

Si dans sa peinture Dughet cherche à exalter le majestueux volume et le poids des rochers et des masses, son dessin fait davantage ressortir l'architecture du paysage par la simplicité élémentaire des structures. Même dans ce dernier cas, il est très difficile de dire si Gaspard fut directement inspiré par la nature. Son dessin est tellement travaillé et élaboré qu'il suppose une conception en atelier à partir de souvenirs tirés de la réalité. Par contre, dans les compositions de ce genre commence à se faire sentir l'influence du paysage héroïque et sauvage dont Salvator Rosa s'est fait le champion à la suite de son long séjour à Florence (1640-1649); si bien que son paysage avec voûte naturelle et chute d'eau, au palais Pitti, à Florence, ses paysages rocheux des collections Mahon et Incisa della Rocchetta et ses compositions semblables nous reviennent à l'esprit. (14) Du reste, que Gaspard ait été sensible à l'expressivité préromantique de Rosa, on en a la preuve dans un dessin conservé au British Museum, sujet plein de désolation et de solitude datant de ces années-là et attribué à Salvator Rosa, mais qu'il m'a semblé plus raisonnable de rendre à Gaspard Dughet. (15)

Puisque la carrière artistique de Gaspard Dughet, dit aussi le Guaspre ou Gaspard Poussin (Rome, 1615- Rome, 1675), n'a pas été marquée d'incidents notables, il n'est pas facile d' établir une chronologie de ses oeuvres, puisqu'il ne les a jamais signées ni datées.

Les sources nous disent que le jeune Gaspard fut orienté par son beau-frère, Nicolas Poussin, vers la peinture de paysage, suivant les idéaux de la tendance classicisante commencée par les Bolonais (Annibale Carrache et le Dominiquin). Dughet, sauf pour un voyage de jeunesse en Toscane, ne quitta jamais Rome. Sa passion pour la chasse lui fit préférer la représentation des coins les plus sauvages des environs de la ville. Et c'est près de Tivoli, de Monte Sabini et de Monte Cimini qu'il trouvait l'inspiration pour ses innombrables compositions. L'oeuvre la plus renommée de sa carrière artistique fut le cycle de fresques à Saint-Martin-aux-Monts (1648-1651). Par la suite, il travailla pour les Colonna et, plus tard, il exécuta des décorations dans les palais Pamphili et Borghese. Le thème dominant, même dans ses fresques, est toujours la campagne romaine - Dughet ne s'intéressa jamais à la représentation de la figure humaine - vue selon une idéalisation qui révèle l'influence constante des idéaux poussiniens.

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