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Résumé
Bartolommeo Veneto et son portrait d'une femme
par Louise J'Argencourt
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Page 1
Un portrait de jeune
femme s'offre à notre regard. L'identité du modèle n'étant pas
parvenue jusqu'à nous, la fascination qu'exerce ce portrait tient
moins à ce visage et à ce que nous pouvons y projeter de sentiments qu'à la facture, si particulière, du tableau
tout entier.
Le fait même qu'il échappe à toute classification facile,
alimente encore l'intérêt qu'il suscite d'emblée. Par exemple, il
a fallu attendre jusqu'à la fin du XIXe siècle pour que ce
tableau, autrefois attribué à Léonard de Vinci, soit rendu à
son véritable auteur, Bartolommeo Veneto (connu 1502-1531), auquel
les historiens de l'art commençaient juste à s'intéresser.
Bien qu'aujourd'hui encore de nombreux points restent à éclaircir
sur la vie et la carrière de ce peintre, on peut lui attribuer avec
certitude une trentaine d'oeuvres dispersées à travers le monde.
Dans ce portrait de jeune femme, les effets expressifs de la
couleur, rouge vibrant sur vert, ainsi que la finesse du dessin
font de Bartolommeo l'ancêtre de Matisse, chez qui nous retrouvons
les mêmes qualités plastiques. Mais s'il fallait trouver, à
travers le temps, des liens de parenté plus précis, c'est à l'art
de peintres contemporains moins connus, tels que Walter Murch ou
Yves Tanguy, qu'il faudrait comparer celui de Bartolommeo. Chez tous
ces peintres, nous retrouvons la même élégance du dessin et la
même juxtaposition, en mosaïque, de surfaces colorées différentes,
qui confine au « décoratif ».
Le portrait d'Ottawa, comparé au reste de la production de
Bartolommeo, montre un visage si dénué de toute expression qu'il
faut chercher à expliquer ce fait. Cela tient peut-être tout
simplement au caractère calme et réservé du modèle dont le
peintre ne ferait que traduire aussi fidèlement que possible les
traits. Ou alors ce serait peut-être un pendant (genre ou la femme
devait montrer aussi peu de personnalité que possible), hypothèse
qui tout de même demande à être réexaminée car l'étape
actuelle des recherches sur Bartolommeo ne permet pas d'attribuer un
mari certain à cette belle dame. Une troisième tentative d'explication s'avère infructueuse: une radioscopie révèle que le
tableau a subi d'importantes modifications. Toutefois, il semble que
le visage de la femme n'ait pas été retouché, mais par contre la
coiffe et la blouse ont été entièrement repeints.
Ces observations ne servent peut-être pas à expliquer l'inertie
des traits de ce visage, mais en revanche elle servent de point de
repère pour la datation du tableau. Une spécialiste du costume,
Mme Stella Newton, situe la première version vers 1522, tandis
que les repeints mettraient la même dame à la mode des années
1525-1530. De plus, de nombreux rapprochements stylistiques entre un
autre portrait de femme, peint par Bartolommeo en 1530, et le
tableau d'Ottawa (les costumes des deux femmes sont semblables également)
portent à croire que la date serait 1530, ou peu avant.
Dans le cas de Bartolommeo, les sources normalement utiles pour la
connaissance des artistes de la Renaissance italienne s'avèrent
infructueuses. Ni Vasari, ni d'autres écrivains régionaux,
contemporains ou postérieurs à lui, ne font mention de l'artiste
ou de ses oeuvres. De même les archives publiques, où il est fait
état des commandes et des paiements versés aux artistes, restent
silencieuses. D'une part, ceci s'explique en grande partie par le
fait que le peintre n'a rempli, à peu d'exceptions près, que des
commandes privées, se limitant presque exclusivement à l'exécution
de portraits de petites dimensions. D'autre part, Bartolommeo
avait l'habitude de non seulement signer ses oeuvres mais, le plus
souvent, de les dater et d'y inscrire d'autres renseignements. Un
cas frappant: une inscription nous apprend qu'il s'identifie comme
« l'élève de Gentile Bellini ». Ces différentes inscriptions,
surtout les dates, constituent le point de départ des études plus
systématiques de l'oeuvre de Bartolommeo qui ont été entreprises
depuis la fin du XIXe siècle.
Pour bien comprendre l'art de Bartolommeo, il faut pouvoir le situer
dans le contexte artistique de l'Italie du Nord où, dès la deuxième
moitié du XVe siècle, l'art du portrait s'épanouit tandis que
l'Italie centrale, elle, ne verra fleurir ce genre que quelques
générations plus tard. Ainsi, l'on peut discerner dans l'oeuvre de
Bartolommeo à la fois l'influence de Gentile Bellini, bien qu'il vécut
au siècle précédent, par son dessin ornemental et ses formes un
peu figées, et la marque de Giorgione ou du Titien, ses
contemporains, surtout dans ses dernières oeuvres où la couleur
est davantage modulée et les visages plus expressifs.
En outre, le séjour de Bartolommeo à Milan marqua aussi ses
oeuvres d'une empreinte locale. En effet, le style du peintre se
colore ici de l'influence d'Andrea Solario qui, après l'ascendant
extraordinaire de Léonard à la fin du XVe siècle et au début
du XVIe, sut se tailler une place comme portraitiste entre les années
1510 et 1520. Il paraît vraisemblable qu'à la mort d'Andrea,
Bartolommeo prit la relève comme portraitiste à succès de
Milan.
Ces différentes influences combinées ne changèrent pourtant
jamais profondément la personnalité artistique de Bartolommeo
Veneto. En les reconnaissant, nous ne pouvons que mieux saisir
l'originalité incontestable de son talent.
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