Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin 22, 1973

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Résumé

Bartolommeo Veneto et son portrait d'une femme


par Louise J'Argencourt


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Un portrait de jeune femme s'offre à notre regard. L'identité du modèle n'étant pas parvenue jusqu'à nous, la fascination qu'exerce ce portrait tient moins à ce visage et à ce que nous pouvons y projeter de sentiments qu'à la facture, si particulière, du tableau tout entier. Le fait même qu'il échappe à toute classification facile, alimente encore l'intérêt qu'il suscite d'emblée. Par exemple, il a fallu attendre jusqu'à la fin du XIXe siècle pour que ce tableau, autrefois attribué à Léonard de Vinci, soit rendu à son véritable auteur, Bartolommeo Veneto (connu 1502-1531), auquel les historiens de l'art commençaient juste à s'intéresser. Bien qu'aujourd'hui encore de nombreux points restent à éclaircir sur la vie et la carrière de ce peintre, on peut lui attribuer avec certitude une trentaine d'oeuvres dispersées à travers le monde.

Dans ce portrait de jeune femme, les effets expressifs de la couleur, rouge vibrant sur vert, ainsi que la finesse du dessin font de Bartolommeo l'ancêtre de Matisse, chez qui nous retrouvons les mêmes qualités plastiques. Mais s'il fallait trouver, à travers le temps, des liens de parenté plus précis, c'est à l'art de peintres contemporains moins connus, tels que Walter Murch ou Yves Tanguy, qu'il faudrait comparer celui de Bartolommeo. Chez tous ces peintres, nous retrouvons la même élégance du dessin et la même juxtaposition, en mosaïque, de surfaces colorées différentes, qui confine au « décoratif ».

Le portrait d'Ottawa, comparé au reste de la production de Bartolommeo, montre un visage si dénué de toute expression qu'il faut chercher à expliquer ce fait. Cela tient peut-être tout simplement au caractère calme et réservé du modèle dont le peintre ne ferait que traduire aussi fidèlement que possible les traits. Ou alors ce serait peut-être un pendant (genre ou la femme devait montrer aussi peu de personnalité que possible), hypothèse qui tout de même demande à être réexaminée car l'étape actuelle des recherches sur Bartolommeo ne permet pas d'attribuer un mari certain à cette belle dame. Une troisième tentative d'explication s'avère infructueuse: une radioscopie révèle que le tableau a subi d'importantes modifications. Toutefois, il semble que le visage de la femme n'ait pas été retouché, mais par contre la coiffe et la blouse ont été entièrement repeints.

Ces observations ne servent peut-être pas à expliquer l'inertie des traits de ce visage, mais en revanche elle servent de point de repère pour la datation du tableau. Une spécialiste du costume, Mme Stella Newton, situe la première version vers 1522, tandis que les repeints mettraient la même dame à la mode des années 1525-1530. De plus, de nombreux rapprochements stylistiques entre un autre portrait de femme, peint par Bartolommeo en 1530, et le tableau d'Ottawa (les costumes des deux femmes sont semblables également) portent à croire que la date serait 1530, ou peu avant.

Dans le cas de Bartolommeo, les sources normalement utiles pour la connaissance des artistes de la Renaissance italienne s'avèrent infructueuses. Ni Vasari, ni d'autres écrivains régionaux, contemporains ou postérieurs à lui, ne font mention de l'artiste ou de ses oeuvres. De même les archives publiques, où il est fait état des commandes et des paiements versés aux artistes, restent silencieuses. D'une part, ceci s'explique en grande partie par le fait que le peintre n'a rempli, à peu d'exceptions près, que des commandes privées, se limitant presque exclusivement à l'exécution de portraits de petites dimensions. D'autre part, Bartolommeo avait l'habitude de non seulement signer ses oeuvres mais, le plus souvent, de les dater et d'y inscrire d'autres renseignements. Un cas frappant: une inscription nous apprend qu'il s'identifie comme 
« l'élève de Gentile Bellini ». Ces différentes inscriptions, surtout les dates, constituent le point de départ des études plus systématiques de l'oeuvre de Bartolommeo qui ont été entreprises depuis la fin du XIXe siècle.

Pour bien comprendre l'art de Bartolommeo, il faut pouvoir le situer dans le contexte artistique de l'Italie du Nord où, dès la deuxième moitié du XVe siècle, l'art du portrait s'épanouit tandis que l'Italie centrale, elle, ne verra fleurir ce genre que quelques générations plus tard. Ainsi, l'on peut discerner dans l'oeuvre de Bartolommeo à la fois l'influence de Gentile Bellini, bien qu'il vécut au siècle précédent, par son dessin ornemental et ses formes un peu figées, et la marque de Giorgione ou du Titien, ses contemporains, surtout dans ses dernières oeuvres où la couleur est davantage modulée et les visages plus expressifs.

En outre, le séjour de Bartolommeo à Milan marqua aussi ses oeuvres d'une empreinte locale. En effet, le style du peintre se colore ici de l'influence d'Andrea Solario qui, après l'ascendant extraordinaire de Léonard à la fin du XVe siècle et au début du XVIe, sut se tailler une place comme portraitiste entre les années 1510 et 1520. Il paraît vraisemblable qu'à la mort d'Andrea, Bartolommeo prit la relève comme portraitiste à succès de Milan.

Ces différentes influences combinées ne changèrent pourtant jamais profondément la personnalité artistique de Bartolommeo Veneto. En les reconnaissant, nous ne pouvons que mieux saisir l'originalité incontestable de son talent.

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