Il pouvait voir loin en avant. C'était un immense navire.
Les membres de l'équipage qui s'occupaient de la chaudière
étaient noirs comme du charbon quand ils venaient manger, juste avant
de se laver. On distinguait seulement leurs yeux. Ils étaient couverts
de suie. Le charbon remplissait toute la cale, tandis que le faux pont contenait
de la marchandise à destination de divers postes de traite.
Q : Nous pourrions peut-être parler de votre père à
l'époque où il aidait les baleiniers. Comment chassaient-ils
la baleine boréale?
R : Ils se servaient de baleinières un peu plus petites et plus minces
que celles que nous connaissons. Ils s'attaquaient à la baleine boréale
armés seulement de rames. Je crois que leurs rames ressemblaient
à celle-ci.
On comptait quatre rames de chaque côté. Si le vent était
trop faible pour les faire avancer, ils se servaient des rames uniquement
quand ils poursuivaient la baleine boréale et s'approchaient d'elle.
Le Blanc tenait le gouvernail; pour manier les rames, il y avait l'ANGUTIMMARIK
et d'autres, sous la direction d'un INUK. L'officier du bord s'occupait
tout à la fois de la baleinière et de son pilotage.
Q : Le navire se tenait-il à proximité?
R : Seulement après la débâcle de la glace. Tant que
la glace de rive était intacte, ils allaient de QIKIQTAT à
TAJARNIQ alors que la banquise était encore en place; des traîneaux
à chiens transportaient les baleinières jusqu'au bord de la
banquise. Arrivés là, ils tenaient les baleinières
sur la glace, prêtes às'élancer. Jour après jour,
on cherchait les baleines boréales; dès qu'on en voyait une,
les baleinières se lançaient à sa poursuite. Parfois,
ils passaient la journée entière à explorer les deux
côtés de la banquise. Il semble que c'est ainsi qu'ils chassaient
la baleine boréale. À leur retour à la base, ils tiraient
les bateaux sur la glace et montaient la tente.
Q : Quand ils approchaient de la baleine boréale, le harpon qu'ils
lançaient était fixé à une corde attachée
au bateau?
R : Oui. Le canon lance-harpon fonctionnait à l'explosif. La tête
du harpon, placée dans le cylindre, lui était rattachée
par une ligne. Une tige était insérée dans le cylindre.
La partie en bois avait cette longueur, et le canon, cette longueur.
Q : Devaient-ils lancer le harpon?
R : Oui, la cartouche contenait à la fois la douille, la poudre et
l'amorce, mais non la balle. La tête du harpon était le plus
souvent collée à la douille.
Quand ils approchaient de la baleine boréale, ils plaçaient
la culasse du canon lance-harpon ici, puis ils le soulevaient de ce côté,
comme cela. Le harpon était ensuite lancé sur la baleine.
Quand le contact se faisait avec la tête du harpon, une tige faisait
fonction de déclencheur; au moment où la tête du harpon
touchait l'animal, la force de l'explosion projetait la tige du harpon.
Q : Est-ce que la ligne était fixée au bateau?
R : Oui. La ligne du harpon ne se perdait pas : elle était hissée
dans la baleinière. Ensuite, il fallait remorquer la baleine morte.
La ligne d'amarre était enroulée sur une poulie fixée
à la proue. On attachait la ligne à un bollard en bois ou
un étançon sur la proue. La ligne continuait vers l'arrière,
où on l'attachait àl'APA; elle longeait le côté
de la dérive (SIPIKSAQ), puis continuait vers l'arrière, où
elle était immobilisée près du pilote. Pendant qu'on
remorquait la baleine, on tapotait de la main la ligne reliée à
l'arrière, pour l'empêcher de rebondir... Si la ligne rebondissait
et se dégageait, elle risquait de frapper quelqu'un. Le bateau continuait
à avancer tant que la ligne devenait plus lâche (SIAK). Mais
même ainsi, le bateau filait si vite que l'arrière s'enfonçait
dans l'eau.
Q : Arrivait-il qu'ils soient tirés sur la banquise?
R : On dit que cela ne se produisait que rarement.
Q : Les baleines écrasaient-elles parfois les bateaux avec leur nageoire
caudale?
R : Cela pouvait arriver si le harpon lancé sur la baleine boréale
frappait un os. Les baleiniers frappaient un os quand ils la harponnaient...
à la base de la mâchoire, parce qu'elle semble située
à peu près au milieu de l'animal. C'est l'os qu'on atteignait
le plus souvent.
Ils visaient juste en arrière de la nageoire avant. Si le harpon
passait près de la nageoire, on risquait de frapper un os : une baleine
ainsi touchée frappait sa nageoire caudale avec une force et un bruit
extraordinaires; si elle se heurtait alors au bateau, elle pouvait le couper
en deux.
Mon père a dit une fois qu'il avait assisté à un tel
incident. Les hommes se sont comme envolés, avant de tomber à
l'eau. L'équipage se composait entièrement de Blancs, et leur
bateau s'est rompu en deux morceaux. L'officier de bord qui dirigeait cette
baleinière est revenu à la nage jusqu'au navire; mon père
a observé qu'il souriait. Personne ne s'est noyé parce que
tous ces hommes savaient bien nager, mais pendant que le pilote approchait,
on a remarqué qu'il souriait.