Q: Est-ce que vous avez été fiancé avant même
votre naissance, quand votre mère vous portait encore dans son ventre?
R : Oui, quand une femme de notre camp est tombée enceinte après
ma naissance, il a été décidé que je serais
fiancé à son enfant si c'était une fille. Quand elle
est née, on m'a fiancé. J'ai commencé à me souvenir
des choses qui se passaient autour de moi sachant que j'épouserais
la fille quand j'aurais atteint l'âge adulte. La fille que je devais
épouser vit encore. Je la vois à très longs intervalles.
Q : Vous étiez fiancé à elle, mais vous en avez épousé
une autre?
R : Oui. Voici ce qui est arrivé : peu après la conversion
de notre peuple au christianisme, les gens se sont répartis en plusieurs
confessions; certains ont embrassé le catholicisme, et d'autre sont
devenus anglicans. À l'époque, les gens de confessions différentes
se traitaient en ennemis. Nous savons aujourd'hui que c'est parce qu'ils
avaient méconnu le sens véritable de la religion, et qu'ils
étaient mal renseignés au sujet de toutes ces choses. Chaque
groupe rabaissait l'autre et se tenait à l'écart. Tout le
monde se comportait ainsi, moi compris.
C'est arrivé parce qu'on ne connaissait pas vraiment le christianisme
et qu'on ne le comprenait pas. J'appartenais àl'église catholique,
tandis que ma fiancée était membre de l'église anglicane.
J'ai voulu l'épouser quand j'ai cru avoir atteint l'âge d'homme,
mais les parents ne voulaient pas qu'elle m'épouse parce que nous
appartenions à des églises différentes. Voilà
pourquoi je ne l'ai pas épousée. Elle vit encore aujourd'hui,
comme moi. Il m'a fallu épouser une femme de même confession
que la mienne.
Quant au mariage même, on nous unissait dans l'ancien temps à
des femmes qui n'avaient pas le moindre désir de se marier. La femme
ne montrait à aucun moment le moindre empressement. Les parents de
l'homme et de la femme s'entendaient alors que vous n'en saviez rien du
tout; ce n'est que plus tard qu'ils vous informaient que vous alliez épouser
telle femme. C'est ce qui m'est arrivé, et je sais que c'est arrivé
à quelqu'un d'autre. La femme n'avait aucune envie de se marier et
s'y opposait, mais la question avait été décidée
par les parents. Je ne connais pas de cas d'une telle union qui ait fini
par la séparation des époux, même quand la femme était
farouchement opposée au mariage.
Q : Est-ce que vous avez dû la forcer?
R : Il fallait se battre contre elles parce qu'elles s'opposaient résolument
au mariage, au point de brailler à l'idée de se marier. C'est
ce qui m'est arrivé, et je sais que c'est arrivé aussi àd'autres.
Mais quand elles ont commencé à nous accepter, il n'a jamais
été question de séparation. Depuis quelques temps,
on les envie parce qu'elles n'ont pas eu à se battre pour trouver
quelqu'un. Et les autres commencent à se séparer. J'ai remarqué
tout ça.
Q : Autrefois, les femmes s'opposaient au mariage; mais quand elles l'avaient
accepté, est-ce qu'il y avait un amour véritable entre les
époux?
R : On dirait que c'est ce qui arrivait. Les séparations étaient
rares; du moins, je n'en ai jamais connu. Et puis il y avait moins de monde
qu'aujourd'hui : la population est beaucoup plus nombreuse qu'autrefois.
Même si les gens dans la collectivité se divisaient, il resterait
beaucoup de monde. Dans l'ancien temps, il y avait moins de monde et moins
de naissances; les femmes n'enfantaient qu'à longs intervalles, tandis
que les naissances se sont multipliées depuis qu'on vit dans des
maisons et que la collectivité est urbanisée.
Q : Quand il a été décidé que vous ne pouviez
pas épouser votre fiancée, avez-vous demandé à
vos parents de vous trouver une autre femme, ou est-ce que vos parents vous
ont indiqué quoi faire?
R : Mes parents m'ont dit quoi faire. Je ne songeais vraiment pas à
me marier, parce que je manquais de confiance en moi; je ne faisais qu'attendre.
Ils m'ont nommé la personne que je devrais épouser. Elle ne
voulait pas se marier avec moi, mais je l'ai poursuivie. On était
ainsi faits.
Q : Vous étiez plutôt jeune à l'époque?
R : J'étais très jeune. J'avais à peine dix-huit ans
à la naissance de ma première fille.