Introduction

L'idéologie dominante, ainsi que les idéologies minoritaires du XIXe siècle ont été étudiées par de nombreux chercheurs, historiens et sociologues québécois. Les légitimations de l'élite, les objectifs visés, les stratégies proposées ont été disséqués, et pourtant il subsiste des éléments mal connus et inconnus. Les recherches devrait être faite sur leur émergence et leur évolution, leur réussite ou leur échec. Un autre phénomène sur lequel on a beaucoup écrit, qu'on a maintes fois évalué et dont on a souvent discuté les mérites et les dangers : les mouvements migratoires de la population et l'expansionnisme canadien-français.

Récemment, un auteur britannique, Jack Warwick, en examinant des œuvres littéraires qu'il trouvait significatives, publiait The Long Journey (1968), traduit en français sous le titre L'appel du Nord dans la littérature canadienne-française (1972). Son livre interprète le déplacement, la mobilité traditionnelle des Québécois à travers les thèmes symboliques des œuvres littéraires. Le titre anglais repris de l'œuvre du père Sagard, Le Grand voyageur du pays des Hurons (1632), ouvre d'emblée la perspective de l'étude : l'attrait vers la région « sauvage » des Pays d'en Haut, c'est-à-dire de l'Ouest et du Nord. Quoique nous soyons en partie d'accord avec ce qu'écrit l'auteur, nous nous en séparons assez pour proposer une interprétation nouvelle du « nomadisme » des Canadiens français dont la littérature de fiction rend compte mais qu'elle n'explique pas. Entre autres critiques que nous avons faites de Warwick, signalons celle d' «extraire », de la seule production romanesque limitée aux œuvres choisies par l'auteur, une représentation « satisfaisante » des errants continentaux (coureurs de bois et voyageurs). Le Nord n'est pas qu'une « terre » imaginaire au Québec et elle n'a pas inspiré que les romanciers. Nous pensons le contraire : la réalité du Nord, c'est-à-dire un espace immense peuplé de « sauvages » à la culture attirante, pouvait engendrer un type d'homme nouveau sinon un type de société différent. Ce ne sont pas les romanciers qui ont mythifié de Nord mais les promoteurs du mouvement nordique. Plus profond qu'un thème littéraire, le Nord est un thème mythique inscrit dans une idéologie.

Nous noterons, plus loin, le consensus de l'historiographie contemporaine sur la sédentarisation difficile des Français en Nouvelle-France. Aucun des historiens francophones pourtant ne fait référence à l'hypothèse de la « frontière » que de nombreux historiens américains et anglo-canadiens adoptent dans leur explication de la société nord-américaine. Comme nous faisons entrer le concept de « frontière » dans nos hypothèses sur le mouvement nordique, nous présentons la production anglo-saxonne qui porte sur la « frontière » et les Canadiens français. On peut citer, parmi les « frontiéristes » appliquant les idées de Turner à l'histoire de la Nouvelle-France, et parvenant aux mêmes conclusions que les historiens francophones sur le type social des coureurs de bois : W. sage (1928), A.R.M. Lower (1929), A.L. Burt (1940). Plus récemment, W.J. Eccles en fait le thème d'un ouvrage, The Canadian Frontier, 1534-1760 (1969). De façon plus générale et plus critique, deux historiens font une bonne analyse du phénomène : M. Zaslow (1948) et J.M.S. Careless (1954). Les auteurs s'entendent pour reconnaître, en Nouvelle-France, un type d'homme semblable à celui de la « frontière » américaine, explicable par un même environnement. A.L. Burt reconnaît dans la société de la Nouvelle-France l'émergence d'une société démocratique. Tout autres est la conclusion de J.L. McDouglall (1929) :

« Yet despite it all, they created an excessively stable, unadventurous society. All of it, with the exception of three seigneuries, lay below the first rapids, they recreated upon the banks of the St-Lawrence a replica of the French society which they had left ».

Lower avait répondu affirmativement à la question : « Has there been a frontier psychology in Canada as there was in the United States ? ». Lower est aussi le premier historien à s'être interrogé sur le Nord et sa portée dans l'histoire canadienne. Il n'aborde pourtant pas le Nord du Québec, comme il ne touche pas aux régions de colonisation québécoises dans son ouvrage, Settlement and the Forest Frontier in Eastern Canada (1936).

Dans une compilation sur le thème qui nous intéresse, l'éditeur M.S. Cross, faisant le point, écrit :

Nous nous élevons contre cette conception étriquée de l'histoire du XIXe siècle québécois, parce qu'il nous paraît évident que la mobilité traditionnelle s'est poursuivie après la conquête britannique, et que le discours idéologique, tout en valorisant le cramponnement au sol, a hésité à combattre ce que certains idéologues entrevoyaient comme une expansion-revanche. Il persiste une incompréhension fondamentale de la dynamique sociale québécoise, à la fois dans l'action de ses acteurs sociaux et dans les messages profonds de l'idéologie. Un exemple de cette incompréhension : l'article de A.I. Silver. L 'auteur reprend le débat sur la présence des Québécois aux « frontières » américaine et canadienne et conclut que ceux-ci ne se sont pas intéressés à l'Ouest canadien « French Canada in 1870 was far from the condition of any of the great colonizing societies. It was not a society in movement... » « Running through all these attitudes is a strain of pessimism, defeatism, or demoralization. One fears bank-ruptcy, harassment, loss of identity, or exile ». « An un-frontiersman n like attitude was natural here. Settlement was not a new start, but a way of preserving the old society of the St-Lawrence Valley ».