Cric et Croc (fins voleurs)

(version remaniée)



C'étaient deux fins voleurs qui ne se connaissaient pas et habitaient des régions très éloignées l'une de l'autre. Ces deux hommes firent le même rêve au cours de la même nuit. Chacun des deux rêva qu'il y avait dans une autre région un autre voleur, et que ce voleur était plus habile que lui.

L'un des deux voleurs était marié. Il s'appelait Croc. Quand il s'éveilla, il raconta tout son rêve à sa femme, « J'ai rêvé qu'il y a dans un endroit que je ne connais pas, un voleur que je ne connais pas non plus, mais qui est bien plus habile que moi. J'ai bien envie d'essayer de le trouver. » Ceci dit, il se mit en route.

L'autre voleur, nommé Cric, n'était pas marié. Il n'avait donc personne à consulter. Il partit tout simplement en se disant qu'il voulait savoir s'il y avait quelque chose de vrai dans son rêve.

Sans le savoir, chacun des deux voleurs se mit à marcher en se dirigeant à la rencontre de l'autre. Ils finirent par se rencontrer dans une auberge. Ils passèrent la nuit dans la même chambre. Mais ils ne se connaissaient pas encore.

Croc avait une belle montre. Cric l'avait aperçue et la lui vola pendant la nuit. Cric avait une tabatière qui lui fut volée par Croc au cours de la même nuit. Au lever du jour, Croc voulut voir l'heure à sa montre. Mais sa montre était disparue. Son compagnon jeta un regard sur la montre qu'il avait volée et lui dit l'heure. « je vais t'offrir une bonne prise, si ça peut te consoler de la perte de ta montre. » Tout en parlant, Cric mit la main dans sa poche d'habit et s'aperçut que sa tabatière avait disparu.

« Qu'est-ce que ça veut dire, tout ça ? Tu t'es fait voler ta montre et je me suis fait voler ma tabatière. Il faut donc que quelqu'un se soit introduit dans notre chambre au cours de la nuit. Pourtant, je n'ai eu connaissance de rien ! »

Croc se mit à réfléchir et commença à comprendre ce qui était arrivé. Il se mit à raconter à son compagnon le rêve qu'il avait fait : « Un voleur qui demeurait à l'autre bout du pays ; un voleur beaucoup plus habile que lui-même, et le reste et le reste... !

- Ce voleur auquel tu as rêvé, c'est moi. J'ai fait le même rêve que toi et comme toi, je me suis mis sur le chemin à la rencontre de l'autre voleur. » C'est ainsi qu'ils firent connaissance l'un de l'autre.

Croc expliqua à son ami Cric qu'il était marié et que, par conséquent, il devait retourner chez lui pour vivre avec sa femme. « Je t'emmène avec moi, et nous nous arrangerons pour vivre ensemble. »

Croc avait une raison bien particulière d'inviter Cric à venir demeurer avec lui et sa femme. La région qu'ils habitaient était dominée par un roi fabuleusement riche, tellement riche qu'il était obligé d'entasser son argent et son or dans une sorte d'entrepôt bien fortifié et étroitement gardé par des soldats qui veillaient jour et nuit. Depuis longtemps, Croc cherchait un moyen de s'approprier ces richesses qui constituaient pour lui comme une sorte de défi. Mais l'entrepôt était si bien surveillé qu'il n'y avait pas même moyen de s'en approcher.

De retour dans sa demeure, Croc présenta Cric à sa femme et lui fit part de tous ses talents. Aussitôt, on se mit à l'étude d'un plan pour s'emparer des richesses accumulées dans l'entrepôt du roi. Cric et Croc firent des promenades de reconnaissance autour de l'entrepôt. Mais les fortifications et les gardes qui veillaient jour et nuit sur le trésor du roi les obligèrent à conclure qu'il n'y avait aucun moyen de s'en approcher.

« Je crois que j'ai trouvé la solution, dit Cric à Croc. Il faudrait creuser un souterrain qui partirait de notre cave et déboucherait au beau milieu de l'entrepôt. Je ne vois pas d'autre moyen d'y pénétrer. Nous allons prendre nos mesures à l'extérieur de façon à conduire nos excavations sous l'édifice. La moindre erreur dans la direction de notre souterrain peut nous conduire à côté de l'entrepôt et nos travaux deviendraient inutiles.

- Ce qui m'inquiète davantage, répondit Croc, c'est ce qui peut arriver une fois que nous aurons débouché à l'intérieur de l'entrepôt. Rien n'empêchera les soldats de suivre le souterrain et d'arriver dans notre cave.

- Ne crains rien. Je connais un bon moyen de les en empêcher. »

Les deux copains se mirent donc à creuser leur souterrain. Ce fut long. Enfin, un dernier coup de pioche fit une toute petite ouverture dans le plancher de l'entrepôt. Un flot de pièces précieuses se précipita dans l'ouverture. Les deux voleurs se mirent à transporter l'or et l'argent.

Quand le gardien du trésor fit sa tournée d'inspection le lendemain matin, il s'aperçut qu'une bonne partie du trésor avait disparu. Il courut chez le roi pour lui faire son rapport. « J'ai remarqué qu'il y a une ouverture dans le plancher et il semble bien que c'est par cet endroit que l'or s'enfuit.

- Allons voir, dit le roi. Aussitôt les gardiens descendirent dans le trou et commençèrent à explorer le souterrain. On n'a qu'à suivre le tunnel, et nous finirons bien par rejoindre les voleurs, se disaient-ils. »

Cric avait prévu tout cela. C'est pourquoi, après avoir fini de transporter l'or dans leur cave, les deux voleurs avaient eu soin de bloquer le tunnel soigneusement avec une grande quantité de terre et de pierre.

Devant cet obstacle imprévu, les gardiens durent rebrousser chemin. Ils n'avaient pas d'outils et ils étaient incapables d'aller plus loin.

« Il vaut mieux ne toucher à rien. Les voleurs vont croire que nous ne sommes pas alertés et ne tarderont pas à revenir dans l'entrepôt pour s'emparer de nouvelles richesses, c'est là que nous les attendrons. Nous allons leur jouer un bon tour. Nous allons préparer un grand baril de goudron très épais. Nous allons le placer de façon à ce que les voleurs tombent dans ce baril et ne puissent pas en sortir. On ne sait pas combien de voleurs vont se présenter. Mais il n'y a aucun doute qu'il y a au moins un voleur qui va rester dans ce piège. »

Les deux voleurs ne savaient pas ce qui s'était passé durant la journée et le piège qui les attendait s'ils retournaient dans l'entrepôt. Cric, qui était plus intelligent que son compagnon, décida qu'il valait mieux attendre quelques jours avant de reprendre le tunnel pour retourner à l'entrepôt. Croc n'était pas de cet avis : « Puisqu'on ne nous a pas encore découverts, il vaut mieux y retourner tout de suite et en profiter pour nous emparer de tout ce qui reste dans l'entrepôt.

- Tu es libre d'y aller. Moi, je n'y vais pas ce soir. »

Croc prit le chemin du tunnel pendant que son compagnon passait la veillée à la maison de son ami. Ici, il faudrait peut-être mentionner que Croc exerçait le métier de cordonnier. Sa boutique était toute petite et ses clients étaient peu nombreux. Il employait le meilleur de son temps à voler, et sa boutique de cordonnier lui servait de façade pour dérouter ceux qui auraient pu concevoir certains soupçons. Son métier de cordonnier lui rapportait peu, mais ça n'avait aucune importance. Ce qui l'intéressait, c'était de pouvoir voler à son aise.

Croc finit par arriver à l'entrepôt où le roi entassait son or. Il s'empara de tout ce qu'il pouvait emporter et, toujours à tâtons, se dirigea vers la bouche du tunnel par lequel il voulait retourner chez lui. Toujours chargé de son or, il tomba dans le grand baril de goudron et s'y enfonça jusqu'au cou. Le goudron était si épais et l'or qu'il portait sur lui était si lourd qu'il n'arriva pas à sortir du baril.

Cric, voyant que son copain ne revenait pas, commença à s'inquiéter et décida d'aller voir ce qui se passait. Il trouva son ami épuisé, incapable de faire le moindre mouvement. Cric essaya de venir à son secours mais finit par y renoncer.

« Mon pauvre Croc, il est impossible de te sortir vivant de ce baril. Le roi va certainement te tirer du piège dans lequel tu es tombé. S'il réussit à te faire parler, nous mourrons tous les deux. D'autre part, si je continue à faire des efforts pour te faire sortir du goudron, le roi va arriver ici avant que nous soyons partis. Il faut donc trouver autre chose pour qu'au moins l'un de nous puisse survivre.

- Vite, dis-moi ton plan.

- Il faut que je te coupe la tête.

- Qu'est-ce que tu dis ? Te rends-tu compte de la gravité de ton plan ? Si tu me coupes la tête, je perds la vie, je perd ma femme, ma maison, mon or et tout le reste.

- C'est vrai. Mais autrement, le roi va nous faire mourir tous les deux et nous ne serons pas plus avancés l'un que l'autre. Tout sera perdu. Si, au contraire, tu me permets de te couper le cou, j'emporterai la tête et je la cacherai avec le plus grand soin. Ainsi, le roi ne pourra pas t'identifier. Pour ce qui est de ta femme, j'aurai de quoi la faire vivre comme une reine. »

Croc, dans cette situation intenable, finit par se résigner à mourir et donna son consentement au plan suggéré par Cric. Là-dessus, celui-ci décapite son compagnon et s'empresse d'en cacher la tête.