Jean De Calais (suite)

Quand le bateau atteignit Lisbonne on s'abstint de toute fête bruyante. Le roi manifesta de la tristesse et resta muet de douleur. La jeune veuve s'enferma dans une chambre du château avec son enfant et Constance.

Pendant que la princesse, isolée dans le château, menait une existence languissante, Don Juan formait le projet de l'épouser. Il commença à lui faire des propositions, mais il perdait sa peine ; la princesse ne voulait pas entendre parler de mariage.

Mais à cette époque-là, les rois et les princes n'étaient pas toujours maîtres de disposer d'eux-mêmes à leur guise.

Don Juan, pour arriver plus vite à ses vues, réunit le conseil du roi et proposa son plan : « Vous allez discuter s'il est inconvenant ou non que j'épouse Isabelle, la fille du roi, devenue veuve, il y a un an. Si votre opinion est favorable à ce mariage, le roi ne pourra l'empêcher, et moi , je vous récompenserai. »

Le conseil décida donc, comme on pouvait s'y attendre, que Don Juan devait épouser Isabelle.

La décision du conseil parvient au roi. Le roi s'empresse d'aller trouver sa fille et lui communique la nouvelle :

« Ma fille, ce sera peut-être douloureux pour toi, mais tu vas être obligée d'épouser Don Juan ; c'est le désir de mes conseillers. »

Isabelle refusa carrément la proposition, mais le roi maintint la première décision :
« Tu vas te marier ; nous allons faire les préparatifs de la noce . »

On commença immédiatement à préparer les fêtes nuptiales. Le clou de la fête devait être un gros feu de joie. On y mit l'argent nécessaire. On bâtit une immense maison de bois très inflammable, chaque appartement était muni d'un dispositif électronique relié à un tableau de contrôle, de sorte que, en pressant sur un bouton on pouvait mettre le feu à tel appartement en particulier ; et un bouton spécial pouvait communiquer le feu à tout l'édifice en même temps. Don Juan seul devait décider comment brûlait cette maison.

Alors qu'on jouissait de tous ces préparatifs, Isabelle « jonglait » et se désolait.

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Quittons le château de Lisbonne où la fête se prépare si bien et revenons à Jean de Calais au moment où il est bousculé à la mer.

En culbutant à l'eau, Jean de Calais tomba par hasard près d'un épave de bateau qui venait de faire naufrage. Il s'y cramponna et parvint à y grimper pour s'y installer. La houle l'entraîna ... Où ? il ne le savait pas. Elle l'amena à une petite île isolée et désolée : aucun arbre, aucune habitation, aucun oiseau ... rien ! Jean en prit vite son parti ; au moins, il était sur la terre ferme, et la température était très belle.

Il réussit à se nourrir de racines et de poissons morts que la vague jetait sur rive. Il maigrissait ; sa barbe devint longue, ses habits tombèrent bientôt en lambeaux.

Chaque jour, il retournait sur la pointe de l'île où il avait mis pied à terre et regardait dans la direction d'où il était venu. Aucun mâture, aucune voile à l'horizon. Il se désolait à la pensée de mourir tout seul dans ce coin ignoré. Et son petit garçon et Isabelle ? Qu'étaient-ils devenus ? La tempête les avait-elle engloutis ? Étaient-ils en sûreté ? Toutes ces questions s'entremêlaient dans sa tête sans jamais donner l'espoir d'une réponse.

Un jour, Jean était assis sur la pointe de l'île et scrutait encore l'horizon. Tout à coup, il entend marcher derrière lui. Il se retourne brusquement. Un vieillard barbu s'approchait.

« Bonjour Monsieur, cria Jean de Calais.

- Bonjour !

- Comment êtes-vous arrivé ici ?

- Ah ! dit le vieillard évasivement, je viens d'aborder de l'autre côté de l'île. Je suis venu en petit canot ...

- Comment en petit canot ? La terre ferme n'est donc pas loin d'ici ?

- Ah ! c'est loin, mais j'ai ramé ... Et vous, comment êtes vous ici ? »

Jean de Calais lui raconte alors l'histoire : la tempête, la traîtrise de Don Juan, le hasard de l'épave qui l'avait porté sur l'île.

« Il y a un peu plus d'un an que je suis ici et je n'ai plus aucun espoir de sortir de cette île.

- C'est bien malheureux, de reprendre le vieillard ; mais que me donneriez-vous si je vous sortais de cette île ? Qu'est-ce que vous me donneriez pour vous retrouver tout à coup dans votre famille ou dans la famille de votre femme ?

- Ah ! Monsieur, soupira Jean de Calais, je donnerais ... je donnerais ... Bien ! Je ne peux rien donner, je n'ai rien. Voyez mes haillons ; je ne puis même pas me faire la barbe ; je trouve à peine une maigre nourriture ...

- Me donneriez-vous la moitié de ce que vous possédez de plus cher au monde ?

- Ah ! oui, je le donnerais.

- C'est très bien, dit le vieillard . »

Et le vieil inconnu commença à parler de toutes sortes de merveilles. Jean l'écoutait, appuyé à un chicot. Le vieillard parlait, parlait ... son interlocuteur s'endormit bientôt.

Quand Jean se réveilla, il se trouva assis près d'un arbre, dans un bosquet touffu. Il avait beau regarder, examiner, il ne se reconnaissait pas. « Que diable ! où suis-je rendu ? » Il aperçoit un château à travers les branches ; puis un jeune garçon vient à passer près de lui.

« Hé ! petit gars ; arrête donc un peu ... Es-tu capable de me dire où je suis rendu ?

- Oui, monsieur ; vous êtes dans le jardin du roi du Portugal.

- Sais-tu si l'on me donnerait à manger au château ?

- Je ne sais pas, moi, dit le petit garçon un peu embrassé. Vous pouvez toujours aller demander. Je sais qu'ils ont de quoi manger : ils préparent des noces ...

- Des noces ! les noces de qui ?

- La princesse Isabelle était veuve depuis un an ; vous le savez peut-être, son mari s'est noyé. Eh bien ! elle va se marier avec Don Juan, l'intendant du roi.

- Merci, merci, mon jeune ; je vais aller frapper au château. »

Il se dirigea droit à la porte de la cuisine et demanda si l'on ne pourrait pas l'employer à quelque besogne.

«C'est pas de l'argent que je cherche, mais de la nourriture; je meurs de faim ! »

L'une des cuisinières lui répondit aimablement : « Si vous voulez nous rentrer deux brassées de bois, je vais vous donner un bon repas. »

Elle lui désigna le hangar à bois et Jean apporta deux grosses brassées de bois. Déjà une table bien garnie l'attendait dans la cuisine. Notre voyageur affamé se met à table et commence à manger.