Jean De Calais (suite)

Le roi se rendit au port avec son intendant, Don Juan ; et Jean les fit visiter son navire de fond en comble. Tout était neuf, tout était propre. Le roi n'avait pas remarqué le tableau sur la proue, mais Don Juan l'avait vu et en avait été tout ému.

Vers la fin de la visite du voilier, Don Juan dit au roi :

« Avez-vous vu ce qu'il y a sur la proue ?

- Non, répondit le roi.

- Venez voir ... »

A la vue du tableau le monarque s'écria :

« C'est Isabelle et Constance, ou bien mes yeux me trompent ! »

Il appelle Jean de Calais près du tableau :

« Quels sont ces gens-là ? »

Jean répondit sans aucun embarras : « Celle-ci, en désignant Isabelle, c'est ma femme. Celle-là, c'est sa cousine Constance, et le bébé, c'est mon petit garçon...

- Isabelle, s'empressa de dire le roi, c'est ma fille ! Elle a été volée.

- Justement, sire, je l'ai achetée des pirates, ainsi que Constance. Je comprends maintenant pourquoi Isabelle m'a demandé de venir à Lisbonne. Elle ne m'a jamais dit son nom de famille. Elle ne m'a jamais parlé de sa ville natale ...

- Eh bien ! dit le roi, tu vas aller me les chercher tout de suite ... »

Don Juan reçut aussitôt l'ordre d'appareiller un brigantin rapide et un autre bâtiment de plus fort tonnage. L'intendant monta sur le premier pour aller avertir Isabelle, tandis que Jean de Calais reviendrait sur son propre bateau escorté de l'autre vaisseau portugais.

Le brigantin devança de quelques jours les autres bâtiments. Et dès son arrivée à Calais, Don Juan courut avertir Isabelle et Constance de se préparer à revoir Lisbonne.

Dès qu'il apprit que sa bru était la fille du roi du Portugal, le vieux seigneur alla se jeter aux genoux d'Isabelle et lui demanda pardon de l'avoir laissée vivre misérablement dans une pauvre masure. Isabelle le releva en s'accusant elle-même de lui avoir caché son nom.

Jean arriva à son tour. Isabelle revêtit ses toilettes de princesse et ce fut une fête sans précédent au château du vieux seigneur de Calais.

Mais il fallait s'embarquer immédiatement pour obéir aux volontés du roi du Portugal.

Au tout dernier moment qui précéda le départ, Don Juan, qui avait donné des signes de jalousies, dit à Jean de Calais :

« J'ai un excellent capitaine sur mon vaisseau ; si tu voulais, je monterais sur le tien. Je connais la contrée, je pourrais vous renseigner, vous intéresser ...

- Monter avec nous, j'en suis tout heureux, intendant ... »

Et Don Juan monte sur le bateau de Jean de Calais.

Les voiles se déployèrent et la flottille gagna le large.

Le voyage durait depuis quelques jours sans le moindre incident, quand tout à coup, le temps changea au cours de la nuit. Une tempête soudaine éclata. La flottille fut dispersée comme une plumes au vent. La houle prit l'allure de montagne ; l'orage rendit la manoeuvre difficile. Le voilier de Jean de Calais se défendait péniblement. Bientôt une vergue craqua, puis une autre, un mât cassa ; la vague se rua sur le pont. Jean de Calais, au milieu de son équipage, donnait des ordres et manoeuvrait comme un simple matelot.

Dans le bruit de la tempête, Don Juan se faufila sur le pont et à la faveur d'une bourrasque et des ténèbres, il donna une bouscule à Jean de Calais et le fit culbuter par-dessus le bordage. Le bateau continuait toujours sa course à obstacles ...

Bientôt la tempête commença à s'apaiser. Les matelots gagnèrent l'entrepont un à un. Quand l'équipage fut réuni au complet, Isabelle demanda où était Jean de Calais. Tous haussaient les épaules : »Je ne sais pas ... Je ne sais pas... »

Mais un matelot hasarda une conjecture :

« J'ai entendu quelque chose tomber à l'eau tout à l'heure. Serait-ce possible que ... »

Isabelle avait compris que Jean était disparu pour toujours. Les cris et les pleurs ne pouvaient assez la soulager ; elle voulait aller se jeter à la mer. Constance, se voyait impuissante à la consoler, alla droit aux faits et entreprit de la raisonner. Elle prend le petit garçon entre ses bras, le place bien en face de la malheureuse mère :

« Écoute Isabelle. Ton mari est mort ; il faut que toi tu vives pour élever cet enfant-là. Pense à l'avenir de ton enfant. D'ailleurs, tu es chrétienne, tu es capable d'accepter les vues de Dieu sur toi. Ne te laisse pas abattre par la douleur et envisage chrétiennement ton devoir ! »

Ces paroles d'allure autoritaire eurent pour effet de calmer Isabelle.

On envoya au roi du Portugal la nouvelle du décès de Jean de Calais en lui demandant de sacrifier les réjouissances du retour.