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Aristocratie: la galerie des portraits

par Carol Léonard

(NDLR: Dans le dernier numéro de Revue historique, nous vous avons présenté un article d'Albert Dubé au sujet des entreprises des comtes français à la Rolanderie. Dans ce numéro, on vous invite à découvrir ces gentilshommes. Carol Léonard avait préparé cette galerie des portraits dans son ouvrage sur la Rolanderie en 1987.)

Nous l'avons vu, le premier gentilhomme à venir se joindre à Rudolph Meyer est le jeune comte Yves (Marie-Martial-Yves) de Roffignac. Issu d'une très ancienne famille française d'extraction chevaleresque (1385)1, il est né à Le Mazeix (ou Le Mazet), grosse maison bourgeoise située à cinq kilomètres de la petite ville Le Dorat.2 Figure importante des débuts de Saint-Hubert, de Roffignac marquera, tant par sa personnalité que ses entreprises et ses projets la vie et l'activité de la petite colonie naissante.

Donatien Frémont le décrit comme un jeune homme «plein d'allant et d'enthousiasme juvénile, ambitieux mais d'esprit peu réfléchi»3. Bien que l'abbé Fallourd soutienne qu'il ne fut jamais l'associé de Rudolf Meyer4, la correspondance de ce dernier laisse presqu'entendre le contraire.

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Le comte Yves de Roffignac. (Collection Carol Léonard) 26.6 Kb

Comme nous l'avons vu précédemment, le docteur Meyer chérissait l'idée de lancer une entreprise de traitement de la betterave à sucre dans le Nord-Ouest. Or, le comte de Roffignac qui a accompagné le docteur à son voyage de retour au Canada en 1886 revint en Europe la même année pour travailler à la réalisation de cette entreprise. Il est donc permis de supposer que les deux hommes se soient associés. Il est probable cependant que cette association a été de courte durée, une année tout au plus. Quelle aura été la cause de la rupture? On peut soupçonner, comme le suggère l'abbé Fallourd, une incompatibilité de tempérament.

Quoiqu'il en soit, de 1886 à 1889, les deux hommes partagent le même toit. Comment se rencontrèrent-ils? Il est possible que le comte Yves de Roffignac soit le jeune homme que Gabriel Ardant espérait trouver à l'été de 1885 pour en faire précisément, l'associé de Meyer.5

Rappelons qu'au printemps de 1886, ce dernier revient accompagné d'un jardinier. Il ne fait pas mention de Roffignac mais il est fort probable qu'il ait été du voyage. Sur ce point, l'abbé Fallourd est catégorique et montre une telle assurance qu'il est bien possible qu'il ait eu sur ce point des renseignements précis et irréfutables. Ainsi écrit-il: «Mais, une chose est absolument hors de doute, c'est que, dans les derniers jours de mars 1886, arrivaient ensemble, directement de France, trois personnes qui ont joué durant plusieurs années, un rôle de tout premier ordre, dans la question de la fondation de ce qui s'est appelée exclusivement (pendant quatre ans au moins), la «Rolanderie», et, à partir de 1890, Saint-Hubert. Ces trois personnages étaient monsieur le Docteur Rudolph Meyer, monsieur le Comte Yves de Roffignac, et monsieur Emile Renoult.»6

La prudence doit toutefois être observée. Car ce qui passe parfois pour assuré ne l'est pas toujours. Ainsi, le jardinier Emile Renoult, qui selon l'abbé Fallourd serait demeuré auprès de Meyer jusqu'à son départ en 18877, occupe au cours de ces années des tâches qui l'amènent loin de la Rolanderie, notamment à Whitewood chez le marchand Benjamin Limoges, où il travaille pendant quatorze mois, soit jusqu'à l'automne de 1888.8 Quelques mots encore à son sujet. Il est originaire de Beynes9, près de Maule. Il est sans doute recruté par Henri Lorin au début de 1886 pour accompagner Meyer. Il ne reste pas très longtemps chez ce dernier. Peut-être quitte-t-il la Rolanderie parce que le projet de ferme expérimentale n'a pas abouti. Aussi, après son départ de la Rolanderie, on le retrouve employé chez Limoges et par la suite, il entre au service du Comte de Roffignac et de quelques autres. Il habitera vers 1893 sa propre propriété acquise en août 189010, située sur le carreau nord-est, section 10, canton 15, rangée 3, à l'Ouest du 2e méridien.

Le Comte Yves de Roffignac quitte la Rolanderie à l'automne de 1886 pour faire la promotion en Europe de l'industrie de la betterave à sucre et peut-être aussi pour recruter des personnes prêtes à investir quelqu'argent dans la nouvelle colonie, ou encore des jeunes gens de sa condition séduits à l'idée de tenter l'aventure dans le «Far-West» canadien. C'est tout probablement au même moment qu'apparaît à la Rolanderie la famille Le Bidon de Saint-Mars (famille bourgeoise en dépit du nom à particule). Elle fait un bref séjour dans la vallée du Pipestone11. On ne sait si c'est pour rebrousser chemin ou encore pour gagner d'autres terres plus lointaines. De Roffignac qui réapparaît à la Rolanderie au mois de mai 1887 est accompagné de plusieurs nouveaux colons12, peut-on lire dans un journal de l'époque. Peut-être y a-t-il dans leurs rangs, la première vague de jeunes aristocrates à venir se joindre à Roffignac. C'est en effet au cours de cette année et de la suivante qu'arrivent presque tous les gros personnages qui avec le trio initial formeront le noyau de la colonie13. Parmi eux, on retrouve Joseph de Farguettes (de son véritable nom: Joseph de Pradal de Farguettes)14 et Joseph de Langle (Claude Alexis Joseph de Langle). Le premier est originaire de Toulouse tandis que le second est natif d'Alençon. À leur arrivée, ils entrent en association avec Roffignac dans une affaire d'élevage de chevaux de remonte.

«Les nouveaux venus fournirent les capitaux, l'autre se contentant de l'apport de sa présumée expérience. Ils achetèrent 135 juments et 15 étalons que Roffignac conduisit lui-même de Regina sur le ranch, avec l'aide du célèbre cow-boy Pascal Bonneau, fils. Soixante-cinq autres juments furent amenées de Pincher-Creek, en Alberta. La société ne dura qu'un an et prit fin par un procès retentissant qui se déroula en France. Roffignac le perdit, ce qui lui asséna un rude coup financier. Le Comte de Farguettes renonça à la vie de rancher et Joseph de Langle demeura le seul propriétaire des chevaux.»15

C'est en 1887 ou 1888 que Roffignac décide de se faire bâtir sa propre demeure16, une large maison blanche élevée sur son «homestead» (carreau nord-ouest, 3-14-3-W2. Construite par John Grieson, marchand de bois de Whitewood, elle s'élève sur un petit plateau en contrebas sur le coteau nord de la vallée. De cette position, on a une vue magnifique sur la vallée au fond de laquelle coule la Pipestone. C'est sans doute en raison du splendide panorama qu'on peut y observer que la maison est baptisée «Bellevue». On l'a appelée aussi «Maison Blanche» en raison de la couleur de ses murs.17 C'est là que le Comte de Roffignac et ses associés vont demeurer18 du moins un certain temps puisqu'à l'automne de 1889 on les retrouvera tous les trois résidant dans la maison principale de la Rolanderie19. De Langle et de Farguettes prennent chacun un «homestead» (le premier sur le carreau NE, 10-15-3-W2 20 et le second sur le carreau NE, 2-15-3-W2 21 qu'ils n'occuperont pas fort longtemps.

Monsieur de Farguettes, sérieusement blessé à la jambe gauche dans un accident rentre en France en janvier 189022. Quant à monsieur de Langle auquel certains donnent le titre de vicomte, il abandonnera son carreau pour aller en choisir un autre à quelques milles plus au sud-est (carreau SE, 20-14-2-W2)23.

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Le château Jumilhac, près de St-Jean de Côle, est une ancienne possession des Templiers (Collection Carol Léonard) 14.2 Kb

D'autres nouveaux venus font leur apparition en 1888. Parmi ceux-ci se retrouve le comte Jean de Jumilhac du Calvados dont certains ont affirmé, qu'il devint à son retour en France, Duc de Richelieu. En réalité, le Comte de Jumilhac appartenant à la famille Chapelle de Jumilhac à qui revient le droit de succéder à la famille de Richelieu et d'en reprendre le titre, ne fut sans doute jamais duc. Il est plus plausible par contre qu'il soit devenu marquis24. En arrivant, il se fait construire une superbe demeure (1/4 NE, 24-14-3-W2)25. L'auteur s'est laissé dire que cette grande maison était toute faite de briques. Un détail de sa construction peut donner une idée générale de ses dimensions. «The staircase was built on the same scale as his home in France and wide enough for a carriage and team.»26

À son arrivée, le Comte de Jumilhac se lance dans l'élevage du mouton. Il entre en société avec deux nouveaux venus, Robert Wolfe et Henri de Soras. «L'affaire eut un bon départ grâce à un berger écossais d'expérience qui sut se procurer des béliers de race pure, ainsi que des brebis Shropshire et Oxford Down.»27 précise Donatien Frémont. En fait, le Comte de Jumilhac eut à son service un personnel originaire de pays où l'élevage du mouton était bien connu et les bergeries fort nombreuses. Parmi les six employés résidant à Richelieu 1891, deux étaient écossais (Thomas Harvess et John Hulchonson) et un troisième australien (William McKenzie)28.

Henri de Soras (Gabriel-Émile-Henri de Veyre de Soras)29, natif de la région d'Annonay en Ardèche, arrive probablement au même moment que Jumilhac auquel il est associé. Plus tenace que Wolfe, peut-être même que Jumilhac, il va demeurer seul propriétaire de la bergerie30 qu'il réorganisera en 1888 dans la région de la Montagne d'Orignal, à quarante milles au sud de Whitewood. Cette bergerie située au sud-ouest de Kennedy portera le nom de Kalenterin31. Ce ranch de moutons comptera au bout de quelques temps plusieurs milliers de têtes32. Puis après plusieurs années passées là-bas, il liquidera l'affaire pour s'installer à Whitewood où il deviendra un citoyen respecté et aimé.33

Robert Wolfe, l'associé de Jumilhac et d'Henri de Soras, arrive au cours de l'été 1887. Il est pendant quelques mois l'invité du Comte de Roffignac.34 Originaire de Lyon, il est associé à la maison de Pianos Pleyel-Wolfe et a pour beau-frère le fabriquant de pneus Michelin.35 À l'automne, il quitte les lieux avec un dénommé André de Gagnay. Ce dernier, arrivé à la Rolanderie depuis quelque temps, est venu dans l'espoir d'investir dans l'affaire de chevaux. «Il passe quelques mois à Bellevue et là sans doute mis au courant de la situation, il décide de ne pas risquer ses capitaux dans une affaire douteuse.»36 Wolfe et de Gamay s'en vont donc en direction de l'Ouest. Ils se rendent à Vancouver et ailleurs. Une fois sa bourse vide37, Robert Wolfe revient à Bellevue au début du mois de mars 1888. Sitôt arrivé, il repart pour la France38 pour en revenir au mois de septembre suivant.39 C'est probablement à son retour qu'il joindra le groupe Jumilhac et Soras à Richelieu. Cette association sera, comme nous le savons, de courte durée. Vers 1891, il s'unira à A. McKenzie et à Guillaume de Rotz pour former ensemble le «Spring Lake Ranch Company».40

Parmi les gentilshommes qui firent un séjour plus ou moins prolongé à Saint-Hubert, à Whitewood ou à la Montagne d'Orignal, il s'en trouve qui laissèrent peu de traces de leur passage. Il en est dont on ne connaît pratiquement que le nom. C'est le cas notamment de monsieur de Miniac dont on ne sait à peu près rien si ce n'est qu'il travailla pour le trio Roffignac, de Langle et de Pradal de Farguettes au ranch de chevaux de remonte. Il en fut pour ainsi dire le «berger» ou le «cow-boy».41

Vers 1887 ou 1888, un autre personnage, beaucoup mieux connu celui-là, vient s'établir non pas à la Rolanderie ou à Bellevue mais à Whitewood dans une petite maison coquette située un peu à l'écart du village. L'homme, marié, a une famille nombreuse, quatre enfants. Il s'agit du Comte Jules de Beaulaincourt (Jules, Gustave, Ange de Beaulaincourt), né à Vaudicourt42 et issu d'une famille d'ancienne extraction.43 Lieutenant pendant la guerre franco-prussienne de 1870, il est fait prisonnier. Puis vers 1887 ou peut-être 1888, il décide de partir pour le Canada. Les motifs qui justifient sa venue sont très différents de ceux des autres personnes de sa condition qui peuplent les ranchs de la vallée du Pipestone. Aussi écrit-il: «Avec une très petite fortune, encore amoindrie par la crise agricole, inquiet pour l'éducation de mes enfants par suite du fâcheux esprit des classes riches qui n'ont pour ainsi dire pas plus de ressort pour le bien que pour le mal, j'ai voulu emmener ma famille bien à l'écart, lui apprendre la vie loin du monde.»44

Autre détail qui ne manque pas de montrer toute la singularité du Comte de Beaulaincourt, dans le Recensement du Canada de 1891, on peut lire sous la rubrique profession, occupation ou métier le type de travail qui caractérise le plus celui pratiqué par le recensé. Alors que tous les autres gentilshommes de la région mentionnent être soit «rancher», fermier ou éleveur, il fait inscrire le simple mot: artiste.45

Tous les gens titrés ou porteurs de particules qui descendent du train et s'engagent sur la voie qui les mène vers la colonie du docteur Meyer ne sont pas tous d'origine française. Les Van Brabant, qui débarquent au mois de mai 1887 sont des Hollandais, malgré que certains en aient fait des Belges.46

Avec son frère, sa femme Matilda et ses trois enfants, Rachelle, Octave, Suzanne47, le Baron prend un «homestead» (carreau NO-19-14-20-W2)48 à quelque six milles au sud de la vallée du Pipestone. L'année suivante, ils sont à la maison Richelieu pour remplacer de Soras à la gérance de l'exploitation.49 Puis, en 1889, ils passent à Bellevue où ils feront l'expérience de la culture de la chicorée.

Le début de l'année 1889 est principalement marqué par le départ du docteur Meyer (vers le 15 mai). Tout le cheptel et les terres de la Rolanderie passent aux mains d'une société50 par action limitée51 ayant pour nom: «Rolanderie Farming and Stock Raising Company». Le 20 mai52, soit à peine quelques jours après le départ de l'ancien patron, Yves de Roffignac, de retour de Paris depuis le début d'avril53, est nommé à la gérance du domaine par les nouveaux dirigeants. Qui sont les actionnaires de la nouvelle compagnie dont Donatien Frémont dit qu'à «part le seul commanditaire initial de 1886, le châtelain de Maule (Henri Lorin), tous les actionnaires appartenaient à la haute noblesse?»54 Ils ne nous sont pas tous connus. Parmi les noms mentionnés en 1889, il y a ceux du baron de Salvaing de Boissieu, du comte Albert de Mun et d'une troisième personne nommée Le Play. Dans le cas de cette dernière, il peut s'agir de l'épouse du sociologue de grande réputation, Frederick Le Play décédé en 1882.

Il est aussi possible que le sociologue Henri Lorin ait été au nombre des actionnaires dès 1889 comme le suppose Frémont; chose certaine, on le retrouve parmi ceux figurant sur une liste publiée en mars 1891 dans le journal Le Manitoba. Tous étaient très ami avec Meyer.55 Ceci nous fait songer que ce dernier a pu quitter l'Assiniboia en fort bons termes avec les actionnaires qui à sa suite reprenaient le flambeau.

Voici les noms des actionnaires, tels qu'ils furent publiés dans Le Manitoba au mois de mars 1891 (on notera que les noms de De Mun et Le Play ne figurent pas): Le Marquis de Mentault (probablement Montault); le Baron Salvaing de Boissieu; le Comte Yves de Roffignac; le Comte Henri de Roffignac; Martial (?) de Roffignac; monsieur Lorin, le Baron Roland de Blonsac (?); le Comte de La Lande; monsieur Dinaux des Arsis, lieutenant de cavalerie; monsieur de Saint Sauveur-Bougainville, lieutenant de vaisseau; le Comte André de Ganao (?); la Comtesse de Chabrillan; la Vicomtesse de Béranger; mademoiselle Dinaux des Arsis; mademoiselle de Thury.56

Peu de temps après son retour de France, monsieur de Roffignac mit en pièce le troupeau de porc qui avait constitué l'ancien propriétaire des lieux. L'abbé Fallourd a écrit sur cette hécatombe une funeste page: «Tout le monde est d'avis, n'est-ce pas, que sans une certaine quantité de grain, des porcs ne sauraient s'engraisser; et sans grain du tout, vous devinez ce qui peut arriver. Or, on avait jugé à propos cette année-là de ne rien cultiver, ou presque rien. Infailliblement il arriva ce qui devait arriver. En plein été, pour dispenser le troupeau de mourir de faim ou de misère, on dut décider de tout égorger. Aussitôt dit, aussitôt fait. Mais, naturellement, il était impossible de se procurer assez de saloirs pour une telle provision de lard. Alors, on s'en passa. Les victimes, découpées en morceaux, furent simplement entassées dans un angle d'un petit bâtiment au bord de la rivière Pipestone. Comme de raison, les mouches purent se payer là du bien beau temps.»57

Le carnage que l'abbé Fallourd a situé en 1890, aurait plutôt eu lieu en 89, soit quelques mois après la prise en main par le comte de Roffignac, des destinées de la Rolanderie. Participant au dépeçage des porcs, de Farguettes et de Langle (ce qui signifie sans aucun doute que la rupture du trio n'est pas consommée à cette date) et un dénommé Briggins, charcutier ou «pork packer». Il est possible que grâce à ce dernier on soit tout de même parvenu à préserver une partie de la viande pour fin de consommation.58

En 1889, arrive monsieur Guillaume de Rotz ou de Roty (véritablement: Guillaume de Rotz de la Madeleine)59 originaire de Bayeux, plus précisément de Vaux-sur-Aure60, communauté jouxtant Bayeux. À son arrivée, il est appelé à remplacer momentanément de Roffignac qui part pour la France; service rendu qu'il regretta par la suite sans l'ombre d'un doute. «En 1890, le nouveau directeur partit pour la France, afin de prendre contact avec les nouveaux actionnaires de la Rolanderie, laissant comme directeur temporaire de l'entreprise un jeune homme de 23 ans, arrivant de France, Guillaume de Rotz, bon petit jeune homme, que j'ai bien connu, mais sans expérience aucune de la culture et l'élevage. Il paraîtrait que sous son administration, les affaires furent assez négligées, aussi ce fut une bonne occasion pour de Roffignac, de faire de ce pauvre de Rotz, son bouc émissaire, qui fut accusé à Paris, auprès des actionnaires, d'avoir en quelques mois, ruiné toute l'entreprise.»61

Puis, il quitte la Rolanderie et entre en association avec Wolfe et un dénommé A. McKenzie. Ensemble ils fondent la «Spring Lake Company».62 Le ranch sera situé dans la région de la vallée au nord de Whitewood.

Un autre jeune gentilhomme à venir passer quelques années dans la région est monsieur de Niermont. L'orthographe de son nom nous est incertaine.63 Il semblerait que ce monsieur ait travaillé quelques temps avec Émile de Seyssel et le vicomte Alphonse de Seyssel.64

En 1890 arrive le fils d'un peintre français bien connu dont une des oeuvres, un tableau de l'Annonciation viendra enrichir l'intérieur de la première chapelle de Saint-Hubert.65 Il s'agit du jeune comte Charles de la Forest de Divonne. Ce que nous savons à son sujet, est fort mince. Il avait pour tuteur l'abbé Muller66 à propos duquel nous reviendrons. Il est probable qu'il fit plus d'un séjour à Saint-Hubert67, et y loge chez Émile Jannet.68

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Le comte Alphonse de Seyssel. (Collection Carol Léonard) 22.6 Kb

Enfin, en 1890 arrive le vicomte Alphonse de Seyssel, de Songieu. Il ne reste que peu de temps. Mais il reviendra en 1892.69 Il sera l'un des créateurs de la «Gruyère Cheese Factory» avec monsieur Émile Jannet. Ce dernier est fils d'un viticulteur, fabriquant de champagne et originaire d'Ay (Maine). Descendant d'une famille de magistrat donc bourgeoise, il parviendra, grâce a sa connaissance de l'anglais70, à occuper une place importante parmi les notables de Saint-Hubert.

Parmi les colons à venir s'établir à Saint-Hubert en 1891, nous notons l'arrivée de Paul de Beaudrap de Denneville (Manche) et de son épouse Yvonne Ribord. Leur venue au Canada se fait dans des circonstances assez tragiques puisqu'ils voient leur petit enfant Joseph, à peine âgé d'un an, mourir à leur arrivée à Montréal, en juin 1891. Arrière petit-neveu de Jeanne d'Arc, monsieur de Beaudrap occupe une place particulière dans le coeur des gens de Saint-Hubert puisque lui et son épouse sont les seuls à avoir vraiment persisté dans leur effort à s'établir au Canada. Après un bref séjour de quelques années en France ils reviendront au Canada, à Trochu, y reprendre leurs activités de culture et d'élevage.

Max de Quercize (Max de Chauveau de Quercize) est originaire de la région d'Autun. Il ne s'établit pas au bord de la Pipestone mais descend plutôt au sud, à la Montagne d'Orignal. Il prend là un homestead (le carreau SO-24-11-5-W2). Il y exploite un ranch de moutons. Son cheptel comptera plusieurs milliers de têtes.

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Monsieur de Saint-Seine (Collection Carol Léonard) 12 Kb

Enfin, un autre personnage qui laissera de lui un souvenir fort discret est Gonzague Legouz de Saint-Seine. Né à Saint-Seine-sur-Vingianne, le 26 janvier 1874 et fils du marquis Beguine Legouz de Saint-Seine, ce jeune comte n'a que 17 ans lorsqu'il arrive à Saint-Hubert. Aussi n'est-il pas étonnant de le voir occuper des emplois mineurs. Il s'occupera des chasses et du dressage de chevaux. Il retournera en France avec monsieur de Beaudrap.

En 1892, deux nouveaux jeunes gens apparentés à la noblesse française font leur apparition à Saint-Hubert. Il s'agit du vicomte Pierre de Provleroy du Perche et de monsieur O'Diette de Paris. Ce dernier est le fils adoptif du marquis de Foucauld et neveu du célèbre Père Charles de Foucauld, explorateur et missionnaire assassiné en 1916.

Nous ne saurions terminer ce nobiliaire de Saint-Hubert et Whitewood sans mentionner la présence en cette ville du baron Christian Uytendale (baron de Bretton, Indes Occidentales). Ce baron hollandais prit un «homestead» (le carreau SO-14-15-2-W2) à proximité de Whitewood.

Conclusion

C'est un riche héritage que nous ont légué ces comtes français. À nous de le découvrir et de l'apprécier.

Références

1 «Extraction chevaleresque: famille d'ancienne extraction réunissant, en outre, deux qualités: atteindre le XlVe siècle et y avoir l'état de chevalerie qui est entre autres extraits, un état militaire, rappelons-le.» Valette, Régis. Catalogue de la noblesse française contemporaine. Paris, Les cahiers nobles, numéro 18, voir l'introduction.

2 D'après une lettre de monsieur Gate, conseiller municipal à la mairie du Dorat, à l'auteur.

3 Frémont, Donatien. Les Français dans l'Ouest canadien, St-Boniface, Les éditions du Blé, 1980, page 84.

4 Fallourd, l'abbé. «Histoire ancienne», La Liberté et le Patriote, 14 janvier 1942, page 6.

5 A.P.C., RG 17, volume 2396. Lettre de Gabriel Ardant à Rudolf Meyer le 8 octobre 1885.

6 Fallourd, l'abbé. Op. cit., 31 décembre 1941, page 7.

7 Fallourd, l'abbé. Op. cit., 14 janvier 1942, page 6.

8 Aperçu historique de la paroisse de Saint-Hubert, s.l.n.d., page 3.

9 Archives provinciales de la Saskatchewan à Regina (APSF) «Homestead File», dossier Émile Renoult, 402283.

10 Aperçu historique..., page 3.

11 Frémont, Donatien. Op. cit., page 85.

12 The Regina Journal, 19 mai 1887, page 1.

13 Frémont, Donatien. Op. cit., page 85.

14 D'après des renseignements fournis à l'auteur par monsieur Pierre de Pradal de Farguettes de «La Tour», Cordes sur Ciel dans la région de Toulouse. Lettre du 12 décembre 1986.

15 Frémont, Donatien. Op. cit., page 85.

16 D'après les renseignements notés par l'abbé Léon Muller, dans une lettre adressée à la mère d'Émile Jannet; Fannystelle. L'auteur possède une copie du document.

17 Fallourd, l'abbé. Op. cit., 9 septembre 1942, page 6.

18 Frémont, Donatien. Op. cit., page 85.

19 Lettre de l'abbé Léon Muller, datée du 12 novembre 1889. Cette lettre est entre les mains de la vicomtesse André de Lesquen de Paris, fille d'Émile Jannet. L'auteur en possède une photocopie.

20 Gouvernement de la Saskatchewan. Land Branch Township General Register.

21 Gouvernement de la Saskatchewan. Land Branch Township General Register.

22 The Regina Leader, 4 février 1890, page 4.

23 Gouvernement de la Saskatchewan. Land Branch Township General Register.

24 L'abbé Fallourd mentionne qu'il devient duc de Richelieu à son retour en France (The Herald, 3 octobre 1940). Il est peu probable qu'il en ait été ainsi. Voir à ce propos Hawkes, John, The story of Saskatchewan and its people, Chicago, S.J. Clarke, 1924, volume 2, page 937.

25 Smeets, Larry. French Counts and the Origins of St-Hubert, page 5.

26 Williamson, Eileen M. «The Guerin Family of Whitewood, N.W.T.», The Beaver, été 1979, page 23.

27 Frémont, Donatien. Op. cit., page 85.

28 Recensement du Canada de 1891, Assiniboia, Est district 198, sous-district 17, 9 juillet 1891, page 28.

29 Nom fourni par Jean de Soras à l'auteur. Lettre du 17 décembre 1986.

30 Frémont, Donatien. Op. cit. page 85.

31 Smeets, Larry. Op. cit., page 5.

32 Hawkes, John. Op. cit., page 942.

33 Ibid., page 942.

34 The Regina Journal, 15 mars 1888, page 5.

35 Frémont, Donatien. Op. cit., page 85.

36 Lettre de Paul de Beaudrap à l'abbé Fallourd, 28 novembre 1940. L'auteur possède une photocopie.

37 Ibid.

38 The Regina Journal, 15 mars 1888, page 5.

39 The Regina Journal, 20 septembre 1888, page 7.

40 Henderson's Gazetter and Directory. Northwest Territories, 1891, page 667.

41 Aperçu historique...,page 3.

42 D'après une lettre de monsieur le comte Xavier de Beaulaincourt adressée à l'auteur le 17 décembre 1986.

43 Valette, Régis. Op. cit. Voir l'introduction. Ancienne extraction – famille dont la filiation prouvée atteint le XVe siècle.

44 Archives de l'Archevêché de Saint-Boniface. Lettre de Jules de Beaulincourt à Monseigneur Langevin, le 18 août 1895.

45 Recensement du Canada, 1891, op. cit., page 27.

46 Ibid., pages 28 et 29.

47 Ibid.

48 Smuts, Larry. Op. cit. page 5.

49 Ibid.

50 Lettre de Paul de Beaudrap à l'abbé Fallourd, 26 novembre 1940.

51 Le Manitoba, le 29 avril 1891, page 2.

52 Aperçu historique..., page 1.

53 The Regina Journal, 4 avril 1889, page 5.

54 Frémont Donatien. Op. cit., page 86.

55 A.P.C., RG 17, volume 2396, Paris, 2 novembre 1885.

56 Le Manitoba, 29 avril 1891, page 2.

57 Fallourd, l'abbé. Op.cit., 1 juillet 1942, page 6.

58 The Regina Journal, 27 juin 1889, page 5.

59 Moosomin Courier, 4 février 1892, page 4.

60 Guillaume de Rotz, né le 4 novembre 1865 aurait été le fils de Marie-Olivier de Rotz et de Luise Fressinet de Bellange. Renseignements fournis à l'auteure Michèle Coic, conservatrice de la Bibliothèque Municipale et de la Tapisserie de Bayeux le 28 janvier 1987.

61 Lettre de Paul de Beaudrap à Fallourd, 25 novembre 1940.

62 Henderson's Gazetter and Directory. Northwest Territories 1891, page 667.

63 Niermont, Neirmont ou Noirmont? Monsieur le vicomte de Seyssel qui semble l'avoir eu pour collaborateur ou employé écrit Niermont. Lettre du 25 février 1893, entre les mains de la vicomtesse André de Lesquen. Photocopie entre les mains de l'auteur.

64 Ibid.

65 Frémont Donatien. Op. cit., page 86.

66 Ibid.

67 Seyssel-Dothonad, Marc de. Songieu en Valromey (Ain), chez l'auteur, 1985, p. 243. Dans cette page on fait état d'un nouveau voyage de Charles de la Forest-Divonne en 1892. Il aurait accompagné Alphonse de Seyssel.

68 Aperçu historique..., op. cit., page 4.

69 Ibid.

70 De tous les Français qui sont liés d'une façon ou d'une autre à la Rolanderie, Émile Jannet fut peut-être celui qui maîtrisait le mieux la langue anglaise. Aussi n'est-il pas étonnant de le voir présent dans toutes les occasions où la présence d'un interprète pouvait s'avérer utile.

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