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Une colonie bretonne à Saint-Laurent, Man.


Au moment où le R.P. H. Péran, o.m.i., curé de St-Laurent, Man., vient de partir pour un nouveau voyage en Bretagne afin d'y recruter des colons, il nous fait plaisir de reproduire les lignes suivantes, que nous trouvons dans La Canadienne de Paris, excellente revue mensuelle, dont l'objet est le développement des relations franco-américaines et qui porte une attention toute spéciale à l'Ouest canadien.

La mission de Saint-Laurent, fondée par les Oblats qui en conservent la direction, a pour supérieur depuis quelques années un prêtre originaire de Bretagne. Dans toute la force de l'âge, gai, aimable en société, bien que ne mâchant pas ses mots quand il y a une remontrance à faire, ce prêtre est aimé et très estimé dans sa paroisse.

"Je suis content ici, disait-il parfois; mais je serais encore plus heureux, si je pouvais, de temps à autre, parler mon vieux breton. Oh! j'y parviendrai, car je n'ai pas la tête carrée pour rien." En effet, en 1906, il fit un voyage en France et ramena bon nombre de ses compatriotes: parents, amis, et connaissances, le tout formant une vingtaine de familles, pouvant compter environ 150 âmes.

L'arrivée de ces Bretons causa d'abord quelque sensation dans la paroisse, dont la population est composée principalement de Métis français. La petite coiffe des femmes, le gilet, la veste et le chapeau des hommes, firent l'étonnement des habitants, mais les pantalons à grand pont eurent le plus grand succès. Ils excitèrent surtout l'hilarité des jeunes snobs de l'endroit, qui n'en pouvaient pas croire leurs yeux et s'écriaient: "Ouah! ouah! des pantalons sans braguette!"

La colonie entière se fixa et resta à Saint-Laurent, sauf une ou deux exceptions. Chaque membre ayant apporté avec lui un capital plus ou moins important, aucun ne prit de homestead, tous préférèrent acheter des terrains à leur goût, et être de suite entièrement maîtres chez eux.

À part un maçon, un jardinier et un peintre décorateur très habile, ils se livraient en Bretagne à l'agriculture; ici, ils s'adonnèrent à l'élevage, au jardinage et bientôt après à la pêche sur le lac.

C'est un fait assez curieux, que ces Bretons, qui n'habitent pas les bords de la mer, ne connaissant rien de la pêche, s'en soient tous si vivement épris. Il est vrai que la pêche rapporte souvent de gros bénéfices; mais ne se pratiquant qu'en hiver sous la glace, c'est un travail rude et qui demande un certain mépris du froid et du danger. Peu leur chaut! très robustes, infatigables piocheurs, habitués aux travaux manuels, ils surprennent surtout les Métis par leur activité et leur belle endurance aux gros froids.

Au début, plusieurs commirent quelques bévues. Méprisant les conseils, comme cela arrive trop souvent aux nouveaux colons, ils se lancèrent dans des entreprises où ils laissèrent quelques plumes. Un peu de jalousie régna aussi entre eux et ils s'intentèrent même des actions judiciaires; mais quand ils virent que les plaidoiries vidaient rapidement la bourse, tout rentra bientôt dans le calme. Aujourd'hui, propriétaires d'une ferme d'élevage, bien montée et d'une importance proportionelle aux fonds dont ils disposaient à leur arrivée.

Pendant la belle saison, les jeunes gens, qui ne sont pas nécessaires sur la ferme, vont travailler à Winnipeg, à Saint-Boniface et dans les fermes environnantes; mais presque tous reviennent passer l'hiver avec leurs parents.

Les bénéfices de la ferme, les produits de la pêche, du jardinage et les gages de ceux qui ont une profession ou s'engagent pour travailler au dehors, permettent à tous de vivre très largement, suivant leurs goûts et leurs habitudes. Leur travail assidu et leur économie leur assureront bien vite une fort belle aisance.

Bon nombre d'entre eux ne manquent pas d'ailleurs d'initiative. Quelques-uns, adroits chasseurs, joignent l'agréable à l'utile, ajoutent chaque année aux recettes de leur budget le produit, non à dédaigner, de la vente des canards sauvages, qu'ils tuent en grand nombre à l'automne. Deux autres vont entreprendre le commerce du foin et viennent d'acheter deux presses coûtant 1650 francs chacune. Enfin, un autre, depuis deux ans, se fait une specialité du défrichage des terres boisées. Il y a eu quelques déboires, au commencement, mais on trouve maintenant que cela paie largement, d'autant plus que ce travail extra n'empêche pas sa femme et ses enfants de faire marcher sa ferme.

Naturellement le R.P. Curé est aujourd'hui heureux et très fier de ses Bretons. Quand on approche maintenant du presbytère et qu'on entend causer bruyamment, on peut affirmer que le supérieur de la mission est en train de Bretonner avec un ou plusieurs de ses compatriotes. Ce n'est pas le moment de les déranger. On lui demandait récemment de quelle partie de la Bretagne ils venaient. "Du département du Finistère et à part un Cornouaillais, nous sommes tous des Léonards."

(Les Cloches de Saint-Boniface, vol. 10, #5, 1er mars 1911, p. 64-66)

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