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Une paroisse française fondée par Dom Paul Benoît


Un spécimen des colonies de langue française dans l'Ouest canadien – Notre-Dame de Lourdes (Manitoba).

Nous croyons intéresser tous ceux qui s'occupent de colonisation française dans l'Ouest en publiant le document suivant qui montre le progrès étonnant d'une colonie composée de Français venant de France et de Canadiens-Français venus de la province de Québec.

Notre-Dame de Lourdes a été érigée en paroisse catholique par Mgr Taché, Archevêque de Saint Boniface, le 15 août 1891, sous le beau vocable qu'elle porte en l'honneur de la Vierge des miséricordes et prodiges, au sommet de l'ancienne Montagne de Pembina, à 1500 pieds environ au-dessus du niveau de la mer. Elle comprend 4 townships, c'est-à-dire un carré de 12 milles de long sur 12 milles de large, moins 4 sections qui en ont été détachées depuis, dans une région ondulée et alors toute couverte de forêts.

Cette paroisse, comme toutes les autres du Manitoba et de l'Ouest canadien, a été favorisée, depuis sa fondation, d'un progrès continu.

Aujourd'hui elle est traversée par une ligne ferrée construite il y a quatre ans, appartenant à la compagnie du Canadien du Nord (C.N.R.), allant de Winnipeg, par Carman, à Somerset et à Virden, avec un embranchement prenant à Cardinal, allant présentement à l'église même de Notre-Dame de Lourdes, et devant se continuer vers le nord-ouest. Deux autres lignes longent la paroisse au sud et au nord: l'une, à 2 ou 3 milles au sud appartenant à la même compagnie; l'autre, à 2 milles au nord, appartenant à la compagnie du Canadien Pacifique (C.P.R.). Il y a 3 stations dans l'intérieur même de la paroisse, à Leary, à Cardinal et à Notre-Dame de Lourdes même; deux stations au visinage des limites du sud, à Altamont et à Somerset; deux autres enfin auprès des limites du nord, à Rathwell et à Treherne. Du côté donc des chemins de fer, cette paroisse est très favorisée.

Le sol, sur le sommet lui-même des collines, se compose d'une couche arable de 1, 2 et même 3 pieds, dans laquelle domine l'humus; le sous-sol est formé d'un mélange d'argile et de sable, qui conserve l'humidité. Comme la fertilité d'un pays dépend presque autant du sous-sol que du sol, on peut dire que le terrain de N.-D. de Lourdes, comme celui de la plus grande partie du Manitoba, est éminemment propre à la culture.

Les homesteads ont été pris une première fois à N.-D. de Lourdes, de 1880 à 1882; mais ils n'ont point été occupés alors, pour la plupart. Ils ont été repris 10 ans après par des colons venus du Bas Canada, des États-Unis et surtout d'Europe, c'est-à-dire de la France et de la Suisse. Ceux-ci s'y sont établis. Ils n'avaient presque tous que leurs bras en arrivant dans le pays; ils louaient leurs services chez les anglais de la plaine pendant la moisson et les battages, vendaient du bois aux stations voisines pendant l'hiver, et se faisaient par ces deux industries quelque argent pour subvenir aux nécessités de la première installation.

Sobres, économes, laborieux, ils ont été bénis de celle que Mgr Taché avait établie la patronne de cette fertile montagne. Ils ont la plupart commencé les premiers labours avec des boeufs; ils les ont continués avec des chevaux. Ils ont bâti d'abord de bien pauvres chantiers, qu'ils ont remplacés ensuite par de meilleures habitations. Ils se sont procuré peu à peu, à force de savoir-faire et de travail, le matériel de la grande culture. Aujourd'hui ces pauvres journaliers des premiers jours sont devenus de grands propriétaires terriens, élevant leurs belles familles sur de vastes exploitations agricoles.

Nous allons donner une série de chiffres qui font toucher du doigt l'état primitif et l'état actuel avec les progrès qui ont conduit de l'un à l'autre.

La population est de 1025 habitants catholiques, au 15 août 1908, juste 17 ans après l'arrivée des prêtres et l'érection de la paroisse. Quelques familles sont groupées autour de l'église, quelques autres le sont à la station Cardinal; le reste est disséminé sur les terres, sans être mêlé à des protestants dans le rayon de 5 ou 6 milles.

Il y a près de l'église le monastère des Chanoines réguliers de l'Immaculée Conception, qui ont fondé la paroisse et la desservent, prenant 4 prêtres, 2 diacres, et 15 autres membres.

Les Soeurs des Cinq-Plaies y ont un couvent avec noviciat; elles tiennent la principale école de la paroisse avec un petit pensionnat. Il y a 5 autres écoles catholiques dans les diverses régions de la paroisse.

Des 1025 habitants, 637 sont français.
224 canadiens-français.
117 suisses, venus des cantons de Fribourg et du Valais.
27 belges.
12 allemands.
8 anglais.

179 familles ont feu et lieu, c'est-à-dire ont un foyer et une terre ou un lot;
21 familles ont feu, c'est-à-dire, ont un domicile mais non pas de propriété;
1 famille n'a ni feu ni lieu, étant au service d'une autre famille;
15 individus ont feu et lieu;
10 individus ont lieu, n'ont pas feu;
Donc 226 familles sont constituées ou en voie d'être constituées.

48 individus n'ont ni feu, ni lieu, la plupart journaliers récemment arrivés et commençant leur établissement en ce pays.
4 ont des propriétés et vivent en France ou ailleurs.

7 familles ont 1/2 quart de section, ou 80 acres, soit 32 1/2 hectares, dont elles sont propriétaires;
106 familles ont 1 quart de section, ou 160 acres, soit 64 1/2 hectares;
39 familles ont 2 quarts de section, ou 320 acres, soit 129 hect.;
2 familles ont 2 quarts 1/2 de section, ou 400 acres, soit 161 hect.;
9 familles ont 3 quarts de section, ou 480 acres, soit 193 hect.;
6 familles ont 4 quarts de section, ou 640 acres, soit 258 hect.;
2 familles ont 5 quarts de section, ou 800 acres, soit 322 hect.;

33 ont des lots de ville près de l'église;
12 ont des lots de ville à Cardinal.

155 familles cultivent leurs propres terres;
7 familles cultivent les terres d'autrui ou sont fermiers dans le sens propre;
8 familles cultivent à la fois et leurs terres et des terres d'autrui.

57 familles ont de 1 à 50 acres en culture;
57 familles ont de 50 à 100 acres en culture;
40 familles ont de 100 à 200;
14 familles ont de 200 à 300;
2 familles ont de 300 à 400.

Le village de N.-D. de Lourdes comprend 21 feux, 2 marchands, 2 maisons de pension, 1 élévateur, outre le monastère des Pères et le couvent des Soeurs.

Le village de Cardinal possède 15 feux, 2 marchands, 1 sellier, 1 forgeron, 1 boucher, 1 hôtel, 1 élévateur.

En 1893, Notre-Dame de Lourdes comptait 482 habitants.
En 1895, Notre-Dame de Lourdes comptait 567 habitants.
En 1897, Notre-Dame de Lourdes comptait 628 habitants.
En 1899, Notre-Dame de Lourdes comptait 714 habitants.
En 1902, Notre-Dame de Lourdes comptait 767 habitants.
En 1904, Notre-Dame de Lourdes comptait 860 habitants.
En 1906, Notre-Dame de Lourdes comptait 946 habitants.
En 1908, Notre-Dame de Lourdes comptait 1025 habitants.

En 1891, 2 colons possédaient un total de 7 chevaux;
En 1893, 24 colons possédaient un total de 82 chevaux;
En 1895, 53 colons possédaient un total de 138 chevaux;
En 1897, 97 colons possédaient un total de 275 chevaux;
En 1899, 101 colons possédaient un total de 362 chevaux;
En 1902, 128 colons possédaient un total de 415 chevaux;
En 1904, 136 colons possédaient un total de 545 chevaux;
En 1906, 142 colons possédaient un total de 652 chevaux;
En 1908, 147 colons possédaient un total de 689 chevaux.

On compte en 1891: 3 moissonneuses-lieuses, 3 faucheuses, 3 rateleuses.
En 1897: 47 moissonneuses-lieuses, 49 faucheuses, 37 rateleuses, 14 semeuses.
En 1902: 88 moissonneuses-lieuses, 88 faucheuses, 77 rateleuses, 79 semeuses, 15 charrues doubles.
En 1904: 112 moissonneuses-lieuses, 99 faucheuses, 98 rateleuses, 97 semeuses, 66 charrues doubles.
En 1906: 121 moissonneuses-lieuses, 112 faucheuses, 105 rateleuses, 106 semeuses, 91 charrues doubles.
En 1908: 137 moissonneuses-lieuses, 112 faucheuses, 105 rateleuses, 120 semeuses, 129 charrues doubles.

De 1891 à 1908 (15 août) il y a eu 558 naissances, soit une moyenne de 32 par année.

De 1891 à 1908, il y a eu 176 décès, soit une moyenne de 10 par année.

Donc en 12 ans, l'excédant des naissances a été de 382, soit un excédant annuel de 22.

Avec cet excédant des naissances sur les décès, la population doublerait en 20 ans, ce qui est la loi ordinaire du Canada catholique depuis les origines de la colonie; fait d'autant plus remarquable que le plus grand nombre de nos colons sont européens.

Nous complèterons ces aperçus par 3 ou 4 remarques générales.

  1. Voilà une colonie de langue française, où il y a 637 français venus de France ou issus de parents venus récemment de France, qui s'est formée spontanément, par la seule énergie de la race, sans l'appui d'aucun gouvernement. Des colonies semblables se sont formées ou se forment sur tous les points de l'immense Ouest canadien. A-t-on raison de répéter, comme on le fait si souvent, que le génie colonisateur est le propre des races anglo-saxonnes et n'appartient pas aux races latines?
  2. Tous les colons de Notre-Dame de Lourdes sont religieux, ceux-là même qui ne l'étaient pas à l'origine, le sont devenus; ils vont tous à la messe le dimanche; ils font tous ou presque tous leurs pâques; un très grand nombre fréquentent les sacrements tous les mois, et même toutes les semaines. L'honnêteté est des plus remarquables: un vol y est chose presque inouïe. Pourquoi cette honnêteté et cette religion? Parce que tous vivent dans le travail, sur de vastes domaines, au sein de la liberté religieuse la plus ample, loin des influences des politiciens et des sectaires. Ainsi a été la France autrefois, ainsi peut-elle redevenir, délivrée du joug de ceux qui oppriment chez elle la liberté de conscience.
  3. Chaque année, il nous arrive de 50 à 100 jeunes gens, la plupart sans capital; comme les colons des premiers jours, ils se placent chez les habitants qui ont été journaliers autrefois, et qui maintenant emploient 1, 2, 3 ouvriers; ils gagnent 1 piastre, $1 1/2 et 2 piastres par jour, outre leur nourriture; quand ils ont gagné quelques centaines de dollars, ils vont dans l'Ouest prendre des homesteads, ou demeurent au pays et y achètent des terres. Il se fait ainsi une immigration continuelle, très sérieuse, dans la paroisse et par elle. Les anciens colons sont contents; leurs parents, amis, connaissances des vieux pays n'ont d'eux que de bons renseignements; ils les suivent, se placent chez eux et, grâce à l'abondance et au prix élevé des salaires, arrivent eux-mêmes en quelques années à posséder un beau domaine agricole. Cette méthode d'immigration et de colonisation au moyen de la paroisse elle-même, est peut-être un peu lente, mais, nous le croyons, la meilleure par les éléments qu'elle fournit et les fruits stables qu'elle donne.
  4. Un certain nombre de nos colons sont retournés en Europe, après avoir gagné 25, 50, 75 mille francs; mais trois familles seulement sont restées en France et y jouissent de leurs petites rentes. Presque toutes sont revenues à Notre-Dame de Lourdes ou au Canada, trouvant en ce pays des avantages qu'elles ne trouvent plus en France. Chaque année, un certain nombre de nos colons vont passer l'hiver chez leurs parents ou leurs amis en France; l'année dernière, il y en a plus de 15 qui ont été en état de se payer ainsi un voyage d'Europe: signe encore de la prospérité de la colonie, principe d'un nouvel afflux de colons sérieux.

Qu'il plaise à Notre-Dame de Lourdes, en cette année jubilaire de ses apparitions, de combler cette colonie chère à son coeur des bénédictions spirituelles et temporelles les plus abondantes.

Dom Benoît

(Les Cloches de St-Boniface, vol. 12, #4, 15 février 1913, p. 38-43)

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