Drapeau fransaskois le Musée Virtuel Francophone de la Saskatchewan
Accueil Musées Pionniers Récits Anecdotals Archives et Folklore Parlure Fransaskoise
Accueil Musées Pionniers Récits Archives Parlure
 
 

Le plan de M. l'abbé J. Gaire


Sous ce titre "Notre Plan" nous publierons volontiers un extrait de la revue de M. l'abbé Gaire intitulée "Le Défenseur du Canada Catholique et Français" (les articles écrits en Canada sont imprimés à Lille, France, Institut de Dom Bosco). Déjà, cet infatigable prêtre-missionnaire a réussi à fonder quatre paroisses organisées et il en a commencé plusieurs autres qui sont en bonne voie de progrès. On ne peut pas donner au diocèse un plus touchant exemple de désintéressement et de zèle apostolique.

C'est pour se dévouer plus complètement à son oeuvre admirable de colonisation catholique et française que ce digne abbé a demandé comme une faveur à S.G. Mgr l'Archevêque de quitter la belle paroisse de Grande Clarière où il laisse tous les avantages d'une vie plus commode pour s'élancer dans les prairies de l'Ouest afin d'y fonder de nouveau centres catholiques et français.

Il faut se dévouer pour le public pour avoir des ennuis et même servir de cible à bien des traits, mais nul homme sensé et sérieux ne mettra jamais en doute le dévouement constant, la grande expérience, les motifs élevés, et le parfait désintéressement de cet apôtre de la colonisation.

Nous recommandons donc à la sérieuse et bienveillante considération des catholiques en Canada, en France et en Belgique, les deux grands objets de la sollicitude de M. l'abbé Gaire, à savoir: "La Société de la Ferme de Colonisation de l'Orignal" et "L'Achat des Terres Vierges" par des colons qui prendraient, en même temps, des lots gratuits, soit 160 acres pour $10, ou par des sociétés. Pour ces deux entreprises, s'il s'agit d'un placement d'argent, il faudra mettre le tout sur un pied d'affaires. Le soin avec lequel M. l'abbé Gaire a rendu compte de l'état financier de la première société établie est bien propre à justifier la confiance dont il jouit.

Quant aux prêtres colonisateurs Mgr l'Archevêque a accepté, cette année, un grand nombre de prêtres ou de séminaristes de France, de Belgique et du Canada, destinés aux nouvelles colonies, et Sa Grandeur a dû en refuser un plus grand nombre encore.

Mais il y a deux congrégations françaises: les RR. PP. de N.-D. de la Salette, et les RR. PP. Missionnaires de Chavagne qui ont accepté, la première à Alma, et la seconde à Saint-Hubert (deux colonies situées dans l'Assiniboia), des paroisses nouvelles qu'ils vont développer. Ces bons pères sont tout disposés à fonder d'autres paroisses et ils recevront volontiers les jeunes prêtres ou les jeunes séminaristes qui désireraient se vouer aux missions.

Tous ceux qui aideront M. l'abbé Gaire par leur concours personnel ou par leurs aumônes feront certainement une oeuvre excellente.

NOTRE PLAN

Notre but est connu. En présence de l'envahissement de plus en plus rapide de nos fertiles plaines par d'innombrables étrangers protestants venus de partout, nous nous hâtons d'amener les nôtres à prendre leur bonne part de ces riches territoires si disputés. Plus les nôtres bien choisis nous viendront nombreux, plus vite ils accourront, plus ils seront savamment dirigés et groupés; plus aussi il leur sera possible de remporter vite leur victoire définitive sur leurs compétiteurs.

Ce qui s'impose tout d'abord à notre zèle c'est donc une propagande active et immédiate auprès de toutes les races catholiques en général, et spécialement auprès des races françaises. C'est ensuite la création de nos oeuvres de colonisation avec l'établissement parfaitement compris de nos colons quoique nous fassions, les troupes de nos émigrants ne seront jamais aussi nombreuses que celles des émigrants étrangers. De là pour les nôtres les dangers graves d'être cernés. Voilà pourquoi une habile direction de nos forces s'impose rigoureusement. Nous devons nous garder de laisser les nôtres s'éparpiller un peu partout. Il est bon que nous prenions plutôt moins de localités, mais plus solidement, afin de pouvoir faire un bloc imprenable partout où nous aurons jugé bon de nous cantonner. De plus, il est nécessaire que ces sortes de citadelles déjà fortes par elles-mêmes soient suffisamment reliées entre elles pour pouvoir se sécourir réciproquement et s'appuyer l'une sur l'autre, de telle sorte que tous les efforts des étrangers soient complètement impuissants contre cette chaîne vivante. C'est en effet à une véritable prise de position, c'est à un groupement le plus savant possible de toutes nos forces que nous travaillons maintenant: la vraie bataille ne se livrera que plus tard. Elle sera longue, elle se donnera sur le seul terrain de la nationalité. Sur ce terrain nous sommes absolument supérieurs et notre victoire à la fin est certaine si nous arrivons à prendre un nombre «suffisant» de «fortes» positions «mettons le quart des plaines de l'Ouest canadien».

Nos lecteurs comprennent maintenant pourquoi nous entourons nos émigrants de tant de soins minutieux: ne pouvant avoir les gros bataillons, nous nous appliquons à nous en donner de bons.

Ces soins nous sont devenus familiers de plus en plus depuis quinze ans que nous les exerçons. Nous avons débuté bien humblement et un peu au hasard, les commencements ont été lents et difficiles. C'est seulement plus tard et de plus en plus que notre voie s'est montrée clairement à nos yeux. Nous sommes allés à différentes reprises en 1897, en 1900, jeter le cri d'alarme en France, où nous avons trouvé tout d'abord peu d'écho. Mais le péril s'aggravant ici, nous avons entrepris en 1901 un nouveau voyage en France qui a duré plus d'une année. En rentrant ici en juillet dernier nous amenions avec nous de précieuses recrues de Bretagne, du Rhône et de la région pyrénéenne, avant-garde d'émigrants plus nombreux, tant de ceux qui nous sont venus depuis de ces mêmes régions que de ceux qui nous sont annoncés pour le printemps prochain. En même temps nous savions que notre oeuvre de propagande connue un peu partout fonctionnait à merveille dans trente diocèses de France, spécialement dans ceux de Bretagne, grâce à la bienveillance des évêques, mais nous ne nous faisons pas la moindre illusion à ce sujet: nous savons que tout ce beau mouvement qui commence s'évanouirait bien vite si nous l'abandonnions à lui-même.

Au surplus des aspects nouveaux de la question nous sont apparus lors de notre retour ici: en un an le contingent d'émigration avait doublé, de puissantes compagnies américaines avaient acheté d'immenses territoires en plusieurs provinces, et la valeur des terres avait haussé le prix de moitié. Plus que jamais notre colonisation se trouvait débordée. Plus que jamais nous nous voyions dans l'obligation de signaler à nos compatriotes un péril de plus en plus pressant. Aussi nous n'avions pas encore établi nos nouvelles reclues que déjà un nouveau voyage en France était tout décidé dans notre esprit.

Ce voyage commencera en septembre 1903 pour finir en mai 1904. Nous partirions de suite tant nos angoisses religieuses et patriotiques nous pressent, tant la crise religieuse qui pèse en ce moment sur la France nous montre que le moment est essentiellement propice pour notre oeuvre. Mais d'impérieux devoirs nous retiennent ici encore quelques mois. Nous avons à terminer d'importantes constructions paroissiales à Grande-Clairière ce printemps: nous aurons dès le même temps quelques centaines de colons à établir soit à Wauchope, soit à Highview (Orignal) et les rudiments des établissements de colonisation de l'Orignal, à mettre debout.

C'est seulement quand nous aurons bien préparé la place un peu partout que nous pourrons nous hâter de regagner la France, pour y organiser notre propagande sur des bases solides, pour l'activer dans les diocèses où elle s'exerce déjà et l'introduire dans ceux qui ne la connaissent pas encore.

Outre ces oeuvres que nous n'avons cessé de signaler à nos lecteurs, nous pourrons leur expliquer bien des circonstances nouvelles qui transforment sensiblement l'état des choses. Nous parlerons surtout de cette société de la ferme de la colonisation de l'Orignal, qui donnera comme nécessairement un admirable essor à procurer le bétail nécessaire à l'exploitation de leurs lots sans bourse délier. L'opération est des plus simples. Notre société émet un certain nombre de parts (mettons 1.000 à 25 francs l'une). Avec ces parts nous achetons du bétail (des vaches de préférence). Un colon pauvre nous arrive-t-il à la tête d'une famille, s'il ne peut acheter quelques vaches et une paire de boeufs, sa famille sera bien misérable pendant quelques années. Ces misères ne peuvent exister avec notre société, celle-ci confie de moitié quelques vaches à ce colon pauvre pour 4 à 5 ans: le terme écoulé, le bétail s'est bien développé; la société prend la moitié du troupeau quadruplé: le colon garde l'autre moitié. Le voilà à son aise, à la tête d'un grand troupeau qui ne lui a rien coûté, sans compter qu'il a pu vivre largement dès le début du lait et du beurre de ce troupeau, quand au contraire il eut gémi dans les plus dures privations durant des années sans ce secours: quant à notre actionnaire, il voit doubler son capital en peu de temps.

Il nous semble qu'on ne peut guère trouver d'oeuvre plus parfaite. Elle est tout à la fois un placement de premier ordre et une opération de haute charité.

Nous avons lancé cette société en mai dernier. Notre retour de France, qui s'est effectué quelques jours plus tard, ne nous a pas permis de la porter à la connaissance d'un public considérable, elle fait cependant son chemin: déjà 56 parts sont prises par 9 actionnaires. Nous serions bien étonnés si au bout de quelques mois de propagande en France, nous n'avions pu trouver les 1.000 ou 1.600 parts que nous désirons rencontrer pour pouvoir produire tout le bien que nous aimons tant procurer. Mais il est une autre oeuvre que nous n'avions pas encore mentionnée quoique nous y avons déjà songé beaucoup. Nous voulons parler de l'achat de terres dans nos plaines canadiennes. Nous parlions plus haut de ces grosses compagnies américaines qui viennent d'acheter ici d'immenses districts en différents endroits. C'est uniquement l'esprit mercantile qui a conseillé ces opérations. Ces Américains sont parfaitement au courant de la valeur intrinsèque de nos terres; ils savent que leurs prix du moment est purement nominal et qu'elles ne peuvent guère tarder d'atteindre un prix plus en rapport avec leur valeur réelle, c'est-à-dire double, triple et quelquefois quintuple de leur prix momentané. Voilà pourquoi ils ont acheté dans le courant de l'été dernier plus de 100.000 hectares.

Que nous serions heureux si nous voyions quelques fortes sociétés françaises imiter cet example, il y aurait là une puissante réserve pour notre colonisation nationale. Aussi n'épargnerons-nous aucune démarche pour tâcher d'arriver à de beaux résultats dans ce sens. Mais ce n'est pas tout. Sans créer des sociétés puissantes, nous pouvons arriver à des résultats non moins considérables. Pourquoi de riches français, tout en restant en France, n'achèteraient-ils pas chacun un ou plusieurs lots dans les meilleurs districts où nous établirons les nombreux colons qui vont nous venir.

Ces terres qui s'achètent maintenant depuis 40 francs l'hectare ne tarderont pas à coûter le double et quelquefois bien d'avantage.

Ces terres, achetées par nos compatriotes riches restés en France, seraient une réserve précieuse pour nos émigrants français qui les achèteraient plus tard quand ils seraient en mesure d'arrondir «l'homestead» des premiers temps. Ce serait autant de terres de plus que les rapaces anglo-protestants n'auraient pu prendre en se mêlant à nous. Elles passeraient ensuite de nos capitalistes à nos colons qui les payeraient au bout de quelques années à leurs heureux propriétaires le double de ce qu'elles leur auraient coûté.

Dans notre prochain voyage en France nous ne nous lasserons pas de redire ces choses partout, et nous serions bien étonnés si un grand nombre de ceux qui nous entendront ne se décidaient pas à devenir à peu de frais grands propriétaires fonciers au Canada.

Les achats effectués, il ne resterait plus pour vendre et gérer ces terres qu'à nommer un conseil d'administration composé d'hommes sérieux, probes et capables. Nous savons où trouver ces hommes si on nous les demande.

JEAN GAIRE
Curé-Missionnaire

(Les Cloches de Saint-Boniface, vol 2, #30, 28 juillet 1903, p.385-386: vol 2, #33, 18 août 1903, p.423-425; vol 2, #34, 25 août 1903, p.433-435.)

Retour