Drapeau fransaskois le Musée Virtuel Francophone de la Saskatchewan
Accueil Musées Pionniers Récits Anecdotals Archives et Folklore Parlure Fransaskoise
Accueil Musées Pionniers Récits Archives Parlure
 
 

Le fait français dans l'Ouest


(Conférence prononcée à la séance annuelle de la Société du Parler Français, Université Laval, Québec, le 2 février, 1944)

Le Canadien français se sent chez lui partout au Canada. C'est là un fait que tous les Canadiens ne reconnaissent pas. Il s'en rencontre, au moins à l'Ouest des Grands Lacs, qui n'arrivent pas à comprendre qu'une culture canadienne-française puisse exister en dehors de la "réserve québécoise"; il s'en trouve, aussi dans le Québec, qui emploient naïvement le verbe expatrier pour signifier aller s'établir dans l'Ouest.

La Société du Parler français, au contraire, s'est toujours préoccupée de traduire par des actes sa conviction que nous sommes partout chez nous et que nous y sommes pour y rester. Son travail d'épuration de la langue, nous l'avons littéralement touché du doigt dans nos collèges de l'Ouest, au début, sous l'espèce de listes de vocabulaire et plus tard, sous la forme du Glossaire. Les deux congrès de la Langue Française, dus à son admirable initiative, ont convoqué, comme des frères, des personnages et des rapporteurs de chez-nous. La fondation du Comité permanent de la Survivance française, qui est sans contredit la plus réaliste de ses oeuvres, a concrété sa sollicitude envers les frères éloignés en les reliants au faisceau du Québec pour les rendre plus forts. Plus souvent qu'ils n'avaient le droit de l'espérer, les nôtres ont été pressés de venir prendre part, comme des égaux, à la réunion annuelle de la Société.

Le moins qualifié d'entre mes frères, je viens parmi vous et comme mes devanciers, c'est pour rendre témoignage. Témoignage d'attachement indéfectible, cela va sans dire: nulle part, dans l'Ouest, on ne parle, on ne pense du Québec comme d'une province étrangère. Et c'est là un phénomène admirable qu'un attachement aussi profond et filial d'ordre à la fois intellectuel et sentimental, ait pu résister au temps, à la distance, au conflit d'intérêts économiques. Témoignage de fidélité au patrimoine commun surtout. Et c'est cela qui fera l'objet de mon discours.

Tout d'abord c'est un fait que les premiers établissements de l'Ouest relèvent de l'initiative française et canadienne-française.

C'est vers 1660, que Radisson et Desgroseillers pénétrèrent les premiers dans l'Ouest. C'est en 1738 que la Verendrye érigea le Fort-Rouge, aujourd'hui Winnipeg, Manitoba; en 1749 que ses fils érigèrent le Fort-Poskoyac, aujourd'hui Fort-La-Corne, à quelque quarante milles à l'est de Prince-Albert, Saskatchewan; en 1751 que Boucher de Niverville érigea le Fort-La-Jonquière, aujourd'hui Calgary, Alberta. Ces randonnées et établissements appartiennent tous à l'épopée française.

S'il est vrai que, glorieux aventuriers, Radisson et Desgroseillers n'avaient point mandat de prendre possession de l'Ouest, ils étaient Français tout de même. Quant aux La Vérendrye et à leurs compagnons, ils étaient d'authentiques preneurs officiels de terre, comme Jacques Cartier et Champlain. D'autres, des nôtres encore, complétèrent leur oeuvre de découverte et de colonisation sous le régime anglais.

C'est également un fait que les Canadiens français sont établis partout dans les provinces des Prairies.

Sur la superficie habitée des trois provinces de Manitoba, Saskatchewan et Alberta, qui forme un total de 126,000 milles carrées, il y a environ 150,000 Canadiens français échelonnant leurs foyers depuis la Rivière-Rouge jusqu'à la Rivière-la-Paix. Ces Canadiens, ils portent vos noms, au point que, s'il me prenait fantaisie d'en faire l'appel, à 1,500 milles de distance, la plus grande partie de cet auguste auditoire se lèverait comme à un appel personnel.

Évidemment, quand on s'arrête à considérer l'effarant éparpillement de nos 150,000, on se prend à regretter que la colonisation ait été si capricieuse, car s'ils vivaient plus rapprochés les uns des autres, ils auraient plus de force, ils pourraient vivre une vie plus intensément canadienne-française, ils auraient leurs coudées plus franches, ils en imposeraient davantage. Mais une considération en appelle une autre. Et quand on n'est pas voué au pessimisme, on se dit qu'une médaille n'a point qu'un côté, le mauvais. Le bon, ce serait que les nôtres se sentent chez eux partout dans l'Ouest et qu'ils témoignent de leur droit à l'être par le fait de leur présence antérieure à toute autre.

La troisième "marque" du fait français dans l'Ouest est son statut juridique. Je dois avouer en toute honnêteté qu'elle n'a point de valeur probante si on l'analyse uniquement dans son contenu actuel, séparément des autres et abstraction faite du droit naturel et historique dont il s'est vu si injustement dépouiller.

Ce qui nous reste, le dépouillement accompli, c'est ceci: dans le domaine fédéral, l'interprétation courante de l'article 133 de l'Acte de l'Amérique britannique du nord, par laquelle tout ce qui émane directement ou indirectement du pouvoir central doit atteindre les citoyens d'origine française dans leur langue, -mais on sait qu'il y a loin de la coupe aus lèvres!-; dans le domaine provincial, une tolérance de l'enseignement de la langue française; tolérance tacite au Manitoba, où les enfants apprennent le français dans les écoles publiques sans y être autorisés, explicite en Alberta et Saskatchewan où, à des degrés divers, un peu d'enseignement de la langue française est permis par la législation scolaire; tolérance qui, dans les trois provinces, suppose que l'enseignement français ne peut se faire qu'en dehors et en marge du programme officiel.

Ces bribes d'un statut juridique français, nous les estimons comme les vestiges d'un droit constitutionnel aucunement périmé, dont les étapes portent les dates de 1867, 1870 et 1875. Par delà l'expression législative actuelle, c'est à ce droit que nous en appelons, que nous nous cramponnons et cela nous justifie, nous semble-t-il, de lui assigner une valeur relative de fait français.

J'en viens à la "marque" du fait français qui jouit de la plus grande importance parce qu'aucune volonté étrangère ne pourra jamais la faire disparaître: la culture.

C'est un fait que, dans l'ensemble, le groupe canadiens-français de l'Ouest se distingue nettement de tout autre groupe, britannique ou non-britannique, par une culture qui est française.

Si le mot culture n'est pas facile à définir, la chose se reconnaît assez aisément grâce à ses manifestations. Or, la culture française en terre canadienne se manifeste par une différenciation d'esprit, de sentiment et de langue. C'est donc dans ces trois manifestations que nous reconnaîtrons la culture française chez les nôtres de l'Ouest.

La manifestation d'une culture qui exprime celle-ci le plus profondément, c'est l'esprit. Je veux dire par là une manière distincte de penser, d'envisager, de juger, non seulement les grands problèmes mais encore les situations les plus terre-à-terre, et d'estimer telle valeur plutôt que telle autre.

Or, si pour l'esprit français, ce sont les valeurs religieuses, morales, intellectuelles qui priment, nos gens sont restés typiquement français, au point qu'ils sont portés à sous-estimer la réalité des contingences et à méconnaître l'existence de faits qui bousculent leur idéal et leur logique. Pour eux, est logique tout ce qui correspond à ces valeurs. Et c'est ce qui est logique qui doit être. Un exemple: une loi scolaire de la Saskatchewan porte depuis 1930 qu'il est défendu d'accrocher, au mur de l'école publique, un crucifix ou une autre image sainte. L'école de Prud'homme est une école publique parce que les Catholiques y sont la majorité et que l'école de la majorité, chez nous, est nécessairement école publique. Nos trois commissaires, dont deux savent à peine lire le français parce que là où ils sont nés voilà cinquante ans, il n'y avait pas d'école française, raisonnent comme ceci: "L'école que nous soutenons de nos contributions est notre école et non pas celle du gouvernement; donc, nous avons le droit d'y mettre le crucifix quoique ce soit défendu par la loi; le gouvernement nous menace et nous punit parce que nous lui désobéissons, eh bien! nous aurons le crucifix quand même." Et nous avons le crucifix à l'école.

Une culture se manifeste, en second lieu, par le sentiment et le comportement. Le sentiment, qui affecte l'homme dans sa sensibilité d'une façon particulière. Le comportement, qui extériorise cette disposition intime. Il y a sentiment et comportement, canadiens-français chez un groupe dont les réactions et les coutumes reflètent ce qui est distinctivement canadien-français.

Or, c'est ce que nous pouvons observer chez les nôtres de l'Ouest. "Nous autres, jeunes de l'Ouest...écrit une institutrice de Saint-Ignace-des-Saules, (Saskatchewan), même si nous passons notre vie à côtoyer des Anglais, nous restons 100% Canadiens français." Oui, c'est bien cela: les nôtres restent Canadiens-français. Noyés dans une masse hétérogène, ils forment habituellement bande à part, à la désillusion rageuse des assimilateurs. Quand ils se mêlent assez intimement aux autres, c'est par intérêt, réel ou imaginaire; mais ils reviennent instinctivement au commerce des leurs. Ils goûtent aux attraits puissants d'une civilisation qui n'est pas la leur, mais c'est avec une joie débordante qu'ils se livrent de nouveau aux plaisirs moins modernes qui nous sont coutumiers. Bref, ils ne se sentent pas entièrement chez eux avec les autres. Une jeune fille de ma paroisse, qui me paraissait avoir perdu tout intérêt à la vie canadienne-française travaille à Saskatoon. Le dimanche, elle ne va pas à la messe à la Cathédrale, où le chant, les cérémonies, le monde sont haut huppés; elle va à la petite, la très humble église canadienne, tout-à-côté, et elle m'explique: "Je me sens chez-nous, là."

Ce comportement s'exprime par les traditions propres au peuple canadien-français. Veuillez m'en croire, nous en avons gardé assez fidèlement le dépôt pour que personne ne puisse s'y méprendre. Au Jour de l'An, le matin, nos pères de famille continuent -ou réapprennent- à bénir leurs enfants, petits-enfants et arrière-petits enfants; après la messe, on se visite, on embrasse les "créatures " et... vous savez le reste. A Saint-Boniface, on court la guignolée. Partout, on veille les morts, comme je 'ai vu faire ici. On chante aussi. Des tyroliennes et romances américaines, oui. Mais aussi et surtout, quand l'âge a un peu rassis, les chansons du terroir. Les vôtres. Et de celles de chez-nous que vous ne connaissez pas. Quand Charles Marchand est revenu de ses tournées dans l'Ouest, il a rapporté, dit-on, une collection de deux à trois cents chansons qu'il n'avait jamais entendues au Québec ou en Nouvelle-Angleterre.

En troisième lieu, une culture se manifeste par la langue écrite et parlée d'un peuple.

C'est un fait que nos gens de l'Ouest parlent et écrivent le français assez habituellement et assez correctement pour qu'on les reconnaisse comme authentiquement français. Je ne dis pas qu'ils ne parlent pas volontiers l'anglais, langue principale de l'école, de bien des relations et des affaires. Il y a 25 ans, cela inquiétait de constater que nos jeunes employaient si volontiers l'anglais même entre eux. Ces jeunes sont pères et mères de famille aujourd'hui et la langue du foyer est restée celle de leurs parents, le français. Au fait, le processus se répète chez leurs enfants: à l'âge de la loi du moindre effort et de la légèreté succède une prise de conscience qui redresse.

Quant à la qualité de la langue parlée de chez-nous, il convient de distinguer. Dans l'ensemble, la terminologie est ni pire ni meilleure que dans la province de Québec. Mêmes locutions familières, mêmes expressions fautives et, ce qui est mieux, mêmes canadianismes. Le vocabulaire est très restreint et, malheureusement le mot anglais remplace souvent le mot français. Il ne faut pas s'en étonner mais en gémir. Nos enfants apprennent à peu près tous les termes français dont ils ont besoin, durant la petite heure quotidienne de français. Ils n'en entendent presque jamais en dehors de là. Ce qu'ils entendent et voient partout, ce sont des termes anglais. Au moment où je rédigeais cette causerie, un paroissien m'arrive pour faire dire une messe. Naturellement, je m'informe de son train quotidien - (son unique grand garçon est à la guere). Et le voilà qui m'explique l'effrayante misère qu'il a eue à radouer son "sleigh" avec les lisses faites à même de vieilles "grédeur".

La manière de parler de nos gens est peut-être plus châtiée qu'ici. Les prononciations régionalistes n'existent pas chez ceux qui sont nés là-bas. Les déformations de voyelles et de consonnes sont moins accentuées, tout en gardant la ligne que nous connaissons, car nos gens mettent une certaine coquetterie à ne pas parler comme des Français mais comme des Canadiens. Ils jouissent énormément du radio-roman «Un homme et son péché» parce qu'ils y retrouvent leur parler, plus que dans les bulletins de nouvelles ou les causeries, celui des gens instruits et celui des gens sans beaucoup d'instruction.

Pour ce qui est de la langue écrite, je vous surprendrai sans doute en déclarant que nous sommes passablement satisfaits étant donné le peu de temps qu'on y peut consacrer dans nos écoles soit une heure par jour; le reste, à l'exception du catéchisme est réservé à l'anglais. Voici quelques faits: des petits Canadiens français, dont les familles sont venues s'installer à Montréal au temps de la crise, entrèrent de plein pied dans les classes correspondantes à celles qu'ils avaient quittées là-bas; une de nos jeunes filles de Gravelbourg, venue compléter sa formation à Sillery, s'est classé première en composition dès son arrivée; un prêtre de France, auquel j'avais envoyé en 1935 les réponse de mes petits paroissiens aux questions d'un concours national de Catéchisme en le priant de porter un jugement franc sur le langage de mes jeunes aussi bien que sur leur savoir, me répond: "Le style est en général à peine moins correct que celui des petits Français. Ces copies arrivent à peu près à égalité avec celles des autres concurrents."

Ai-je besoin de souligner que ces résultats sont le fruit d'efforts ardus et persévérants, de la part de nos Associations, qui ont institué de véritables Bureaux de l'enseignement du français, de la part de notre personnel enseignant, qui s'ingénie à faire rendre 100 pour 1 à la petite période de français, de la part des enfants eux-mêmes, qui doivent étudier leur langue en plus de tout le reste.

* * *

Le témoignage que la Société du Parler français m'a si gracieusement invité à rendre devant mes frères du Québec est terminé. Un tableau en est sorti, qui accuse plutôt les lignes de grandeur et estompe les faiblesses. C'est qu'il a été brossé avec amour. Mais le même amour exige que toute la vérité soit dite. Et la vérité, c'est que ce magnifique fait français subit actuellement un assaut qui menace gravement son existence.

Cinq facteurs ont déterminé chez nous l'accomplissement du fait français: le foyer, le clocher, l'école, et j'entends par là la petite école, le pensionnat et le collège, le journal, l'organisation. Or, voici que dans l'Ouest, tandis que quatre de ces cinq facteurs demeurent intacts et même augmentent leur rendement, l'autre fléchit. Et c'est le premier, le plus important: c'est le foyer.

Si le foyer a faibli, ce n'est pas - du moins plus qu'ailleurs, par désagrégation interne, mais par l'intrusion d'un ennemi du dehors auquel il est moralement impossible de résister: la radio anglaise.

Jusqu'à l'avènement de la radio, nos foyers étaient comme des sanctuaires fermés a la langue anglaise, des oasis français en pleine civilisation étrangère. Nos enfants n'entendaient point ou peu d'anglais tant qu'ils ne franchissaient pas le seuil du toit paternel pour se rendre à l'école. Et à partir de là, quand ils rentraient à la maison, ils y retrouvaient leur parler, rien que leur parler, et la vie du foyer leur était un bain vivifiant qui les immunisait contre l'anglicisation de l'extérieur.

Avec l'avènement de la radio, "nos foyers ont été violés" comme le disait un de nos pères de famille.

En effet, presque tous les foyers ont leur appareil de réception, et s'il est possible aux parents de réglementer les auditions, tous ne le font pas et il ne serait pas raisonnable de les ostraciser. Car dans le fatras des émissions quotidiennes il y en a un grand nombre qui jouissent d'une réelle valeur. Or, les seules émissions française que nous ayons là-bas - (et depuis deux ans seulement) - nous viennent du poste de Radio-Canada à Watrous. Elles se chiffrent à une moyenne de quatre par jour et durent une moyenne de 55 minutes. Sur 16 heures et 30 minutes d'émission quotidienne, c'est bien peu. Pour comble de malheur, une bonne partie de nos programmes français passent à des heures de la journée où les enfants ne sont pas au foyer. Quand donc, aujourd'hui, on ouvre la radio, c'est presque uniquement de l'anglais qui envahit la maison, se conjugant à toutes les forces anglaises du dehors pour gruger petit à petit la mentalité française de notre peuple.

Nos chefs se sont émus dès le début et, après l'essai de quelques émissions payées, qui n'étaient d'ailleurs qu'une goutte d'eau, sitôt la Radio-État inaugurée, ils ont demandé, réclamé une part équitable de français au réseau national. N'ayant pas réussi, ils n'ont pas pu enrayer le mal.

Ce mal, il faut être sur place pour en saisir convenablement toute l'étendue. On s'intéresse tellement à notre et on comprend si bien notre situation qu'on en arrive à être comme à notre place.

Or, c'est précisément ce qui est arrivé au très distingué président de la Société du Parler français. En sa qualité de président du Comité permanent, il avait collaboré activement avec nos organismes nationaux de l'Ouest pour obtenir les quelques bribes de français dont je vous ai parlé. Et je veux, à la fois rendre hommage à son zèle et a celui de ses collaborateurs et lui en exprimer notre profonde reconnaissance. Comme gouverneur de la Société Radio-Canada, il savait les difficultés que rencontre celle-ci. Il a voulu cependant se rendre compte personnellement: il est venu dans l'Ouest. Pendant trois semaines, il a conversé avec les chefs ecclésiastiques et laïques de nos groupes. Il a visité près d'une centaine de paroisses, recherchant le contact familier avec nos gens, leur apportant le réconfort de sa vitalité débordante.

La conclusion à laquelle il est arrivé est celle-ci: "Coûte que coûte, il vous faut une radio française car il faut que vous viviez".

Vous devez bien vous imaginer qu'une telle consigne n'est pas tombée en terre aride. Venant du dehors, elle nous a confirmé dans notre jugement du danger, venant du centre de rayonnement de la vie française en Amérique du Nord, elle s'est révélée à nous comme le gage de l'appui du Québec, dont nous avons tant besoin: elle a stimulé nos énergies. Et de nouveau nous avons rêvé d'échapper un jour à l'oeuvre néfaste que les ondes hertziennes accomplissent chez-nous, de les faire servir à refaire de nos foyers des asiles de la langue française, à compléter l'enseignement parcimonieux du français dans nos écoles, à familiariser nos enfants avec de belles expressions, de beaux mots français, à retrouver, par l'intermédiaire de la langue, ce que nous avons perdu de notre âme.

Vous pouvez soupçonner ce que signifient de travail de luttes, de sacrifice, un tel rêve pour une population de 150,000. Mais nous entendons réussir. Car au cours des soixante-quinze années de notre histoire, nous nous sommes voués maintes fois à des tâches aussi ardues et plus obscures. Forts de l'appui du Comité Permanent de la Survivance et par lui de tous nos frères de l'Est, nous redoublerons d'efforts.

Nous nous sommes mis à l'oeuvre sans tarder. Et il y a trois jours, à Saint Boniface, qui est à l'Ouest ce que la cité de Québec est au Canada, la réunion plénière de tous les chefs des trois provinces a clôturé une série de réunions d'études préliminaires en instituant Radio-Ouest française, Société de radiofusion canadienne-française des prairies.

Notre but, c'est que des ondes françaises prennent la place, toute la place des ondes anglaises aux antennes de nos maisons, qui redeviendront alors ce qu'elles étaient auparavant, des asiles sacrés de la langue française. Par là, non seulement le mal dont nous souffrons aujourd'hui pourra disparaître. Mais l'invention merveilleuse qu'est la radio complètera heureusement l'enseignement parcimonieux de l'école: nos enfants entenderons souvent de belles expressions, de beaux mots français, avec lesquels ils se familiariseront et qui enrichiront leur vocabulaire. Enfin, par l'intermédiaire de la langue, ils retrouveront ce qu'ils ont perdu de leur âme.

Le moyen auquel nous aurons recours est la construction, après la guerre, de postes à nous, qui couvriront nos trois provinces. Dans un avenir très rapproché, c'est la réalisation d'un capital suffisant pour assurer l'entreprise. Car nous devons profiter de la prospérité actuelle si nous voulons réussir.

Nous avons trouvé chez nos gens la majeure partie des immenses ressources nécessaires au fonctionnement de nos organismes de résistance et de construction nationales. Grâce à la popularité extrême des quelques émissions française dont nous jouissons actuellement nous rencontrerons chez eux la même générosité. Nous ferons tous notre part.

Mais quand les 150,000 des Prairies auront fait leur large part, je crains fort que nous serons encore obligés de demander à nos frères de l'Est de nous témoigner une fois de plus leur intérêt. Nous viendrons, sous l'égide du Comité permanent, s'il le veut bien. Et d'avance, nous savons que vous nous aiderez, pour que ne mente point cette petite fille, qui écrit d'Ormeaux, au fond de la Saskatchewan: Nous sommes Canadiens français jusqu'à la racine des cheveux et nous le serons toujours!"

Maurice Baudoux, ptre.

Retour