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Les Canadiens Français et le rôle de l'Église catholique dans l'Ouest


Au cours d'une série d'articles, publiés dans L'Action Française de Montréal à l'occasion du soixantième anniversaire de la Confédération, S. G. Mgr l'Archevêque de Saint-Boniface a écrit le suivant:

Quand Mgr Plessis chargeait, en 1818, deux de ses meilleurs prêtres du soin spirituel des populations établies "au nord et à l'ouest des provinces du Haut et du Bas Canada", il ne mesurait probablement pas toute la portée de la décision qu'il venait de prendre. Lord Selkirk lui avait demandé un missionnaire, persuadé que c'était un excellent moyen de se concilier les Métis de l'ouest et d'assurer la paix à la colonie d'Écossais qu'il voulait établir à la Rivière-Rouge. Mgr Plessis lui accordait deux prêtres de choix, M. Provencher, curé de Kamouraska, et M. Dumoulin, vicaire à Québec. Ils devaient exercer le saint ministère parmi les blancs, les métis et les sauvages des pays d'en haut.

Deux ans plus tard, Mgr Plessis faisait une autre démarche non moins considérable. Il obtenait de Rome que tout le Nord-Ouest canadien fût détaché du diocèse de Québec et que M. Provencher présidât, comme évêque, à ses destinées religieuses. Pour celui-ci la charge était écrasante; l'excellent prêtre, tout courageux qu'il fût, fit son possible pour s'y soustraire. Ses compagnons, les uns après les autres, revenaient "au Canada". Pendant quinze ans, l'évêque de la Rivière-Rouge ne put retenir avec lui plus de deux ou trois prêtres à la fois.

En 1832, M. Belcourt établissait la première mission fixe vers l'ouest, en pleine prairie. En 1834, des délégués arrivaient des côtes du Pacifique et demandaient des prêtres au nom des Canadiens et des Métis de la rivière Wallamette, en Colombie Anglaise. Pour répondre à leurs désirs, l'évêque se mit en route vers Québec et se rendit jusqu'à Rome. Il ramena deux auxiliaires, MM. Blanchet et Demers, qui devaient être, avec un frère de M. Blanchet, les premiers évêques de la côte du Pacifique, à Orégon City, à Vancouver et à Wala-Wala, aujourd'hui Seattle. En 1842, répondant à l'appel des Métis établis aux pieds des Montagnes Rocheuses, Mgr Provencher envoyait M. Thibault dans l'Alberta actuel. En 1845 s'ouvrent les missions du nord d'Edmonton. M. Laflèche part pour l'Ile-à-la-Crosse, les Oblats arrivent dans l'ouest et se répandent bientôt dans tout le continent, jusqu'aux glaces du pôle nord. Le sort du catholicisme dans les pays d'en haut est désormais assuré.

Quand Mgr Provencher mourut, en 1853, après trente-quatre ans d'un travail ingrat et pénible, il laissait à son jeune coadjuteur, Mgr Taché, une tâche incommensurable, mais aussi l'assurance qu'on était sorti de la période de tâtonnement et d'incertitude et qu'on marcherait désormais de progrès en progrès. Au lieu d'un mois, comme auparavant, il suffisait maintenant d'une semaine pour venir de Montréal; on était moins souvent exposé à la faim; surtout on avait des aides qui ne feraient pas défaut. Depuis 1844, en effet, les Soeurs Grises étaient à Saint-Boniface; les Soeurs de la Providence devaient arriver dans l'Orégon et les Soeurs de Sainte-Anne à Vancouver, cinq ou six ans plus tard. Avec ces précieuses auxiliaires, l'oeuvre de l'évangélisation et de la civilisation ne devait plus s'arrêter dans ces contrées lointaines. Les Soeurs parsèmeront vite de leurs établissements les régions les plus reculées. Elles seront au nord d'Edmonton avant 1860, assurant la formation d'épouses chrétiennes, les fruits de la prédication évangélique.

Avec les missionnaires, en effet, l'instruction se répandait dans les prairies canadiennes. Dès son arrivée à la Rivière-Rouge, en 1818, M. Provencher avait ouvert une école. En 1821, M. Harper commençait à donner des classes de latin qui se continuèrent presque sans interruption à Saint-Boniface. En 1829, Mgr Provencher ouvrait la première école de filles, qu'il confiait à une demoiselle Nolin. L'arrivée des religieuses mettait l'éducation élémentaire a l'abri de tout recul. Peu à peu les écoles se multiplièrent.; en 1874, les Soeurs des Saints Noms de Jésus et de Marie, de Montréal, vinrent se joindre aux Soeurs Grises; les Frères de Marie arrivèrent à Winnipeg en 1880, les Fidèles Compagnes de Jésus en 1883. La persécution religieuse en France, au commencement du vingtième siècle, devait amener dans l'ouest de précieuses recrues pour notre personnel enseignant. Du reste, tout l'épiscopat de Mgr Langevin fut rempli par cette préoccupation de fournir aux différents groupes d'immigrants qui arrivaient, dans son diocèse, des prêtres pour les évangéliser et des éducateurs pour les instruire. C'est dans ce but qu'il fonda sa congrégation des Missionnaires Oblates du Sacré-Coeur et de Marie-lmmaculée, qui a déjà rendu de si grands services; c'est dans ce but aussi qu'il se donna tant de peine pour obtenir des prêtres et des religieuses du rite ruthène, jusqu'au jour où il put remettre à un évêque de ce rite cette importante partie de son troupeau.

Le collège de Saint-Boniface, connut bien des vicissitudes. Il fut successivement confié au clergé séculier, puis aux Frères des Écoles chrétiennes, puis aux Oblats de Marie-Immaculée, puis de nouveau aux prêtres séculiers et finalement aux Jésuites, en 1885. S'il ne suffit pas toujours au recrutement du clergé, il n'en rendit pas moins, tout le long de son existence, de précieux services; en formant des citoyens éclairés, capables de guider leurs compatriotes. Lorsqu'en 1877, l'Université du Manitoba fut fondée, les catholiques purent, grâce a leur collège, obtenir la reconnaissance officielle de l'enseignement secondaire catholique. Aujourd'hui encore, dans toutes les provinces anglaises du Canada, le collège de Saint-Boniface est un de ceux qui ont, vis-à-vis de l'Université d'État, la situation la plus enviable. Il fut vraiment pour les catholiques, du Manitoba et de tout l'Ouest canadien, une source de lumière et de force.

Mais c'est dans l'établissement des postes de mission et dans la fondation des paroisses qu'apparaissent le mieux le zèle apostolique et l'esprit d'organisation des fondateurs de l'Eglise de l'ouest. On ne relit pas sans émotion l'histoire si simple et si grande de l'érection des clochers catholiques sur la vaste prairie. Ils surgissent les uns après les autres, comme des points lumineux dans un ciel infini.

Quand il eut cinq prêtres, Mgr Provencher en envoya un dans l'Orégon, un autre à Vancouver, un troisième dans l'Alberta. Peu à peu les vides qui séparaient les postes se rétrécirent, puis le treillis devint presque continu. On ne soupçonne pas, aujourd'hui, au prix de quelles peines le missionnaire et la religieuse pénétraient dans ces solitudes lointaines. Pendant des semaines et des mois il fallait traverser la prairie dans des charrettes à boeufs ou monter le cours de rivières impraticables. Les exploits tant célébrés des voyageurs, qui remontaient en canot de Montréal à la Rivière-Rouge, étaient presque des voyages de plaisir auprès de la traversée des prairies.

Quand la population s'accrut, le clergé s'appliqua, avec un rare esprit de suite, à faire venir et à grouper des colons. De Québec, de France, de Belgique, de Suisse même, des agriculteurs catholiques vinrent s'établir autour de l'église et de l'école, qui servaient de forteresse à leur foi religieuse. C'est ainsi que le catholicisme s'est solidement fortifié, d'abord dans les parties les plus proches et les plus fertiles du Manitoba, aux bords de la Rivière Rouge et de l'Assiniboine, puis plus loin, formant des groupes compacts, des paroisses complètes. C'est là ce qui, encore aujourd'hui, constitue la force la plus solide de l'Église dans les provinces des prairies. Quelle influence, quel prestige aurait-elle, sans les chaînes de paroisses fondées par les colons de langue française, sous la direction de leurs prêtres? Parmi les effectifs catholiques de l'Ouest canadien, nous croyons que ces groupes sont ceux qui, par leur vote, sont en mesure d'exercer l'action la plus appréciable sur le gouvernement des villes et des provinces. Que seraient devenus, sans ce premier point d'appui, les immigrants catholiques au temps de la grande invasion? Quand arrivèrent, pêle-mêle, les catholiques de tout pays, ils trouvèrent des centres où se grouper, des cadres où prendre place. Ils trouvèrent ici des collèges, des couvents, des écoles, des orphelinats, des oeuvres de presse, tout ce qui caractérise la vie catholique intense. Les nouveaux venus n'avaient qu'à nous prêter main-forte. Nous leur ouvrions nos séminaires, parfois même gratuitement. Nous ont-ils rendu ce que nous pouvions en attendre? Force nous est d'avouer que, fascinés par la prospérité qui s'offrait à eux, ils ont trop souvent tourné à leur avantage personnel le bienfait de l'éducation que nous leur avions procuré pour le bien spirituel de leurs compatriotes. Aujourd'hui, comme il y a vingt-cinq ans, l'histoire de l'Église catholique dans l'ouest est presque uniquement l'histoire des oeuvres fondées par le clergé et les communautés de langue française. Du diocèse primitif de Mgr Provencher, huit diocèses et quatre vicariats apostoliques se sont formés au Canada. L'Église nouvelle se détacha toujours de l'ancienne avec un organisme complet, pleine de vie et d'espérance.

* * * * *

En ce soixantième anniversaire de la Confédération, si les raisons abondent pour nous de concevoir un légitime orgueil, les sujets ne nous manquent pas, non plus, pour les réflexions amères. Les minorités du Manitoba et de l'Ouest ont eu leur large part de déceptions, depuis 1870. Elles ont signé un contrat qu'il est difficile de ne pas considérer comme un pacte hypocrite. Qu'on relise les tractations de Mgr Taché, de Mgr Ritchot et de Louis Riel, d'une part, et du gouvernement canadien, de l'autre, lors du transfert du territoire de l'ouest. Tout le souci du gouvernement d'Ottawa semblait être de se réserver des échappatoires pour violer au besoin des engagements qu'il n'était pas sûr de tenir. Les représentants des Métis, Mgr Ritchot en particulier, mirent toute leur habileté à déjouer ces faux calculs: ils n'y réussirent pas. Trois ans plus tard, la persécution se déchaînait contre le jeune chef des Métis, auquel on ne peut s'empêcher d'accorder beaucoup de sympathie et d'admiration. Cette persécution, on le sait, devait le pousser jusqu'à la révolte ouverte, jusqu'à la folie, jusqu'à l'échafaud.

Quand on eut la force suffisante, on viola le droit sur une plus large échelle. En 1890, c'est l'exercice des droits les plus sacrés, les plus solennellement garantis, qu'on nous enlevait par acte de parlement. Au mépris de la foi jurée, on nous refusait l'usage officiel de notre langue au Manitoba, on nous enlevait l'administration de nos écoles, on nous prenait l'argent qui y était destiné. Désormais la lutte était engagée sur ce terrain: Tout l'effort des Anglo-Protestants tendrait à ruiner l'oeuvre si péniblement édifiée par l'Église catholique dans l'ouest; tout l'effort des catholiques consisterait à sauver des lambeaux de cette oeuvre, à la maintenir vivante, à lui faire quelque progrès. Cette année, on nous invite à nous réjouir de cette situation....

Contentons-nous de nous y soumettre, en nous efforçant de l'améliorer. L'Acte de 1867 a donné aux Canadiens une patrie où deux races ont consenti d'habiter dans l'égalité des droits religieux et civils. Ceux de la majorité actuelle peuvent regretter qu'il en soit ainsi, comme, à la lumière des faits, nous pouvons regretter d'être entrés dans ce qui paraît avoir été un marché de dupes: cela ne détruit pas la nature du pacte fédéral, et si nous avons un peu de fierté, la première de nos préoccupations sera de ramener notre patrie à l'esprit du pacte qui lui a donné naissance.

L'anglais et le français ont des droits égaux au Canada aussi longtemps que durera le pacte fédéral. Si la Confédération canadienne, sous sa forme actuelle, doit un jour voler en éclats, ce ne sera pas notre faute; nous verrons alors à nous tirer le mieux possible, avec la grâce de Dieu. Mais si la Confédération canadienne doit durer telle qu'elle est, la plus élémentaire fierté demande de nous, Canadiens français, que nous exigions l'égalité des droits religieux et civil qui nous ont été garantis par l'Acte de 1867 qui porte la signature de nos aïeux. Si nous avons un peu de fierté, nous nous efforcerons, en posant des actes, de combler l'abîme qui sépare le texte fédéral de son interprétation pratique dans toutes les provinces du Canada, celle de Québec exceptée.

En attendant que nos concitoyens de langue anglaise se rendent compte que l'état actuel ne peut pas durer, commençons par ne pas abdiquer, en cédant trop facilement à la peur quand il s'agit de prendre ce qui nous appartient.

Le vrai patriotisme canadien, pour l'Anglo-Saxon comme pour le Canadien français, consiste dans l'effort de chacun à donner sa pleine valeur en exigeant que l'autre ne mette pas d'obstacle à ses aspirations. Voilà ce nous semble, la vraie notion du patriotisme canadien; c'est, de plus, une condition nécessaire à l'union canadienne. Gêner l'un ou l'autre des deux groupes dans ses aspirations d'expansion, c'est ne pas faire honneur à la parole donnée, compromettre l'union nationale et manquer de patriotisme, puisque c'est travailler contre le bien de la patrie.

Les historiens de langue anglaise ont coutume de faire commencer l'histoire de nos provinces de l'ouest à l'arrivée des gens de Toronto aux bords de la Rivière Rouge, après 1870. Avant eux, il n'y avait ici que matières à légendes: chasse au bison, exploits de guerriers sauvage, solitudes infinies. On le croyait si bien, en 1870, que le gouvernement canadien se mit tranquillement à arpenter les terres en culture, comme si le droit de propriété n'avait pas existé avant son arrivée. À l'occasion de l'anniversaire qu'on célèbre, qu'on se donne la peine d'étudier de nouveau les origines des provinces de l'ouest. On verra combien le Canada, non moins que l'Eglise catholique, est redevable aux Provencher, aux Taché, aux Demers, aux Blanchet, aux Lacombe, à tous les humbles missionnaires qui portèrent, au prix des plus pénibles sacrifices, les bienfaits du christianisme et de civilisation jusqu'aux extrémités de notre pays.

Il y a quelques années, Mgr de Guébriant, visiteur apostolique des missions d'Asie, comparaît l'état religieux de la Sibérie à celui du Canada. Les analogies sont frappantes entre les deux pays. Pourquoi, se demandait l'éminent prélat, la Sibérie, qui n'a pas manqué d'avoir des prêtres, est-elle restée pays de mission, tandis que le Canada constitue une église des plus florissantes? C'est que, répondait-il, en 1760, Québec avait un évêque. C'est lui qui dut assurer le recrutement du clergé, la propagande de l'Évangile.

Il en fut de même dans l'Ouest canadien. En 1820, quand il fut nommé évêque, Mgr Provencher songeait à quitter la Rivière-Rouge, effrayé de la solitude et de la misère qu'il y trouvait. Son compagnon, M Dumoulin, n'y resta que cinq ans. Presque tous ses autres auxiliaires retournèrent bientôt, d'ordinaire avec une santé délabrée. L'évêque dut rester jusqu'à sa mort, plus de trente ans. Par ses lettres, par ses démarches, par ses exhortations, par ses exemples, il recruta un clergé, il assura la vie de son église, il soutint les colons fixés autour de lui. Il prépara ainsi les établissements futurs, que ses successeurs devaient seconder si puissamment.

Des noms comme ceux de Mgr Provencher, de Mgr Taché, de Mgr Langevin ne périssent pas tout entiers. On voudra bien se souvenir, au cours des célébrations prochaines, que ces grands pionniers n'ont pas fait oeuvre inutile, ni pour la religion, ni pour leur pays.

Mgr ARTHUR BELIVEAU, Archevêque de Saint-Boniface, Manitoba

(Les Cloches de Saint-Boniface, vol. 26, #7, juillet 1927, p. 155-160)

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