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Venez chez nous


Les cloches de Saint-Boniface ne sont point faites pour demeurer silencieuses en leur petit clocher, mais pour tinter au vent et à la brise.

Leur plus ardent désir est que non seulement leurs voix soient endues jusqu'aux extrémités de la province ecclésiastique de Saint-Boniface, mais beaucoup plus loin encore.

Placées presque au centre de cet immense pays que l'on appelle le Canada, elles croient, les petites cloches, qu'il est dans la volonté de la divine Providence que des rives du Pacifique à celles de l'Atlantique, l'écho aille partout répétant leurs joyeux ding, dang, dong. Mais elles sont ambitieuses et désirent plus encore. Elles voudraient, semblables aux blanches mouettes qui se perchent sur la crête des vagues, aller, bercées par les flots, jusques vers ces rivages, qui lui sont chers, de Bretagne et de la Normandie. Et là, dominant le bruit de la vague, elles voudraient prendre leur voix la plus douce, faire entendre leurs sons les plus persuasifs et dire aux frères de là bas: «Venez français catholiques amis de la terre, dans ce pays presque sans bornes qu'ont découvert vos ancêtres et qu'ont évangilisé vos missionnaires, vous y retrouverez la France et l'Église, et vous vivrez heureux avec nous!

«Venez à nous, vous tous qui êtes à l'étroit sur votre sol natal, vous tous pour qui la France jadis (terra major) est maintenant devenue trop petite, et nous vous donnerons la plaine immense!

«Quittez votre vielle terre trop épuisée par des cultures séculaires et venez dans la nôtre qui en bien des endroits est encore vierge de la charrue. Votre terre est ingrate, venez dans la nôtre qui rend largement la semence qu'on lui a confiée.

«Venez chez nous, vous qui n'avez pour paître vos maigres troupeaux que l'herbe plus maigre encore, qui croit entre les fentes des rochers où sur les landes désolées et vous aurez d'immenses prairies!

«Venez, vous fils de cultivateurs qui ne pourrez jamais devenir maîtres chez vous, ici avec un peu de bonne volonté vous pourrez devenir maîtres d'un domaine aussi grand que votre commune!»

Pourquoi donc, alors que tous les peuples se ruent à l'assaut de notre territoire, alors qu'Allemands, Italiens, Autrichiens, Russes, Polonais, Irlandais, Américains, Anglais, ne cessent d'affluer et se disputent les meilleures de nos terres, pourquoi faut-il que seule la France soit sourde à notre voix?

Il y a tant de ses fils qui n'ont jamais connu le goût du pain blanc tant le sol qu'ils cultivent est étroit, stérile et ingrat, qui s'ils venaient dans nos plaines si fécondes vivraient bientôt dans une honnête aisance.

Sans doute c'est aux hommes de coeur que nous faisons appel, à ceux dont les mains n'ont peur ni de la pluie ni du soleil, car partout existe la loi du travail qui devient de plus en plus rigoureux à mesure que la civilisation grandit.

Sans doute, nulle part, pas plus au nord qu'au sud, à l'ouest qu'à l'est, pas plus au Manitoba qu'en France, la terre ne produit toute seule. Le précepte «tu gagneras ton pain à la sueur de ton front» est général, et s'étend à tous les hommes, à tous les temps comme à tous les pays. Nulle part la terre ne s'ouvre d'elle-même, et le blé ne se sème tout seul; partout il faut que l'homme peine, pour conduire la charrue, peine pour semer son blé, l'arrose de ses sueurs, qu'il peine encore dans les chaudes journées de l'été pour ramasser sa moisson.

Mais ici plus que partout ailleurs pouvons-nous dire avec raison, si l'homme doit comme ailleurs arroser le sol de ses sueurs, du moins il a le bonheur de les voir tomber sur une terre féconde et généreuse qui le dédommage amplement de la peine qu'il a prise.

Allez donc, cloches de Saint-Boniface, allez partout où il y a des hommes ayant au coeur l'amour du travail.

Allez dire à tous ceux que l'ingratitude de leur sol décourage qu'ici, un sol immense, riche et généreux leur est réservé.

Allez petites cloches, allez dire à nos frères de la Province de Québec qui se préparent à déserter leur pays si beau, pour aller se noyer au sein d'une nation étrangère dont ils ne seront jamais que les esclaves, qu'ils viennent s'unir à leurs frères de l'Ouest; qu'ils viennent ici planter leur tente au milieu de la grande prairie qui ne demande qu'un coup de charrue pour se changer en une immense mer de blé.

Allez petites cloches, allez jusques sur les rives de la France et là, faites entendre vos sons les plus joyeux. Annoncez partout qu'ici, Dieu a préparé aux hommes de bonne volonté, des royaumes comme il n'en fut jamais.

(Les Cloches de Saint-Boniface, vol. 4, #1, 1er janvier 1905, p. 6-7)

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