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La colonisation du Manitoba et de l'Ouest canadien


Au lendemain de la création de la province du Manitoba, le problème le plus important qui se posa fut celui de la colonisation. Les autorités religieuses de Saint-Boniface, Monseigneur Taché et ses prêtres et missionnaires, voyaient avec une anxiété croissante se transformer le pays par l'arrivée de nuages de colons, venus surtout de l'Ontario. Une seule solution s'imposait: il fallait attirer vers le Manitoba autant de colons de langue française et de foi catholique que possible et cela dans le plus bref délai. Au printemps de 1871 M. l'abbé Georges Dugas, alors curé de la cathédrale de Saint-Boniface, fit un voyage à Québec pour entrevoir l'hon. Georges-Étienne Cartier et le prier d'aider à diriger le mouvement de colonisation vers le Manitoba. Monseigneur Taché, lui-même, un peu plus tard se rendit dans l'Est et entrevit les évêques du Québec, les suppliant d'intervenir dans le même but. Les évêques consentirent à adresser une lettre collective à leur clergé et Monseigneur Taché fut chargé de composer cette lettre.

La lettre collective des évêques porte la date du 23 octobre 1871. Elle est signée des noms suivants: E.A. Taschereau, archevêque de Québec; Ignace Bourget, évêque de Montréal; Joseph Eugène Bruno Guiges, O.M.I., évêque de Saint-Hyacinthe; Louis Laflèche, évêque des Trois-Rivières; Jean Langevin, évêque de Rimouski.

Voici le texte de la lettre collective (Histoire du Canada par les Textes: Guy Frégault, Michel Brunet, Marcel Trudel: Fides, Montréal, 1952, p. 205; aussi Manitoba, Champ d'Immigration: T.A. Bernier: Ottawa, 1887, p. 25).

Archevêque de Québec, 23 octobre 1871.

Monsieur le Curé,

Au milieu des questions importantes qui font l'objet des préoccupations des Évêques de la Province ecclésiastique de Québec pendant leur réunion, il en est une sur laquelle ils veulent attirer votre attention avant même de se séparer. Cette question, que l'on peut appeler vitale à cause de ses immenses conséquences sur notre état social et religieux, est la question de la colonisation. Nous ne pouvons que gémir à la vue du grand nombre de nos compatriotes qui désertent journellement le foyer domestique et la terre natale pour aller demander à la prospérité de nos voisins un bien-être, qu'il nous semble pourtant possible de trouver ici, au milieu des avantages nombreux que la Providence a départis à notre chère patrie. Votre coeur comme le nôtre ressent tout ce que cet état de choses a de pénible, aussi nous n'avons pas besoin d'insister pour faire comprendre nos trop justes regrets à cet égard. Notre unique but, dans cette lettre collective, est d'encourager votre zèle, au milieu des efforts qu'il fait pour s'opposer à ce torrent d'émigration qui prive la patrie des bras et de l'intelligence d'un grand nombre de ses enfants.

Le remède efficace à ce mal ne peut se trouver que dans le succès qui couronnera les tentatives faites pour rappeler et retenir, dans les différentes provinces de la Confédération canadienne, ceux de nos compatriotes, que la nécessité ou l'amour du changement ont poussés ou poussent encore vers la terre étrangère.

Le résultat obtenu par les sociétés de colonisation nous remplit de joie et de consolation, et nous permet d'espérer qu'un jour notre beau pays sera tout occupé par ses propres enfants, et que les Canadiens n'auront point le regret d'avoir privé leurs descendants de la terre que la Providence leur avait destinée. Que tous les Canadiens continuent cette noble et patriotique oeuvre de la colonisation de nos terres inoccupées. Les sacrifices faits dans ce but ne peuvent qu'attirer la bénédiction du ciel.

Notre jeune pays n'est pas renfermé dans des limites assez étroites pour qu'il soit nécessaire de l'abandonner. Plus que jamais d'immenses étendues de terrain s'offrent à notre population dans les limites même de la patrie. L'acquisition des territoires du Nord-Ouest, la création de la Province de Manitoba, offrent un avantage réel à ceux qui n'aiment pas le défrichement des terrains boisés, et qui pourtant voudraient s'éloigner de la paroisse qu'ils habitent. Il n'est pas nécessaire de passer la frontière canadienne pour trouver les riches prairies de l'Ouest.

Notre pensée n'est pas de demander aux paisibles et heureux habitants de la Province de Québec de changer une position certaine et avantageuse pour les incertitudes et les risques d'une immigration lointaine, mais, s'il en est auxquels il faut un changement et auxquels il répugne de s'imposer les rudes labeurs de bûcherons, à ceux-là. Monsieur le Curé, veuillez bien indiquer la Province de Manitoba.

Un octroi gratuit de 160 acres de bonne terre de prairie est promis par le gouvernement à tout homme de 21 ans qui voudra aller se fixer dans ces contrées.

Ces contrées si nouvelles pour les individus ne le sont pas pour le Canada. C'est l'énergie de nos pères qui les a découvertes; c'est le zèle de nos missionnaires qui les a régénérées et préparées à l'ère de prospérité qui semble les attendre. Ces contrées lointaines ne sont donc pas la terre étrangère. Environ la moitié de la population y parle le français et est d'origine canadienne, en sorte que dans toutes les paroisses on est certain d'y trouver des parents ou du moins des amis.

Dans cette nouvelle province, il y a un Collège où les garçons peuvent recevoir une éducation soignée; des couvents où les filles puisent l'instruction qui leur est prodiguée en Canada. Les missionnaires, trop heureux du renfort qu'ils recevront par cette émigration, étendront volontiers aux nouveaux venus l'affection qui les anime envers leurs ouailles actuelles. En colonisant une partie de Manitoba, les Canadiens Français s'assurent, dans la législature fédérale, l'équilibre qu'ils y possèdent aujourd'hui, et qu'ils perdront nécessairement s'ils ne sont point en novembre dans Manitoba et le territoire du Nord-Ouest. Nous considérons donc, M. le Curé, comme chose bonne et désirable, l'établissement de quelques-uns des nôtres dans ces régions, et nous verrions avec plaisir qu'il se fit quelque chose dans ce sens; si, par example, entre deux ou trois paroisses, on pouvait assurer le concours d'une famille honnête, chrétienne et laborieuse qui irait former dans le Nord-Ouest une population comme celle qui est venue, il y a deux siècles, jeter les fondements de notre nationalité en Canada.

Vous apprendrez, dans la première partie de l'hiver, par les journaux, ce que le gouvernement doit faire pour faciliter le transport et l'établissement des colons de Manitoba: nous vous écrivons aujourd'hui afin que vous connaissiez notre intention à ce sujet, et que, si l'occasion s'en présente, vous puissiez diriger de ce côté ceux qui voudraient émigrer.

Par cette émigration d'un genre nouveau, nos compatriotes ne se sépareront pas de nous: ils resteront Canadiens, soumis à nos institutions religieuses et civiles, dans un milieu où leur foi ne sera pas exposé, où, au contraire, ils aideront à faire luire ce divin flambeau, au milieu des vastes déserts de l'Ouest, qui n'ont été découverts par nos pères que dans une pensée toute de foi.

(Les Cloches de Saint-Boniface, vol. 54, #11, novembre 1955, p. 221-223)

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