Flèche Les Ateliers convertibles
Historique
[ Parcours désordonné ] [ Index ] [ Les Ateliers convertibles ][ Droits d'auteur ] [ Équipe W3 ][ English ]

  1. Les Ateliers communautaires d'en bas
  2. Pour une politique culturelle lanaudoise
  3. Un art au coeur du débat
  4. De la onzième rumeur au xième péché
  5. D'où regarder... d'autres rêves
  6. Le virage «convertibles»
  7. Le livre et sa mise en scène
  8. Échaffaudage d'un laboratoire-collection
Une version intégrale et illustrée de cet historique est disponible aux Ateliers convertibles.

Historique


1. Les Ateliers communautaires d'en bas

Convaincus de l'importance d'un lieu de création et de son effet dynamisant sur les pratiques des artistes(1) de la région de Lanaudière, les Ateliers communautaires d'en bas établissent dès 1983 un espace «communautaire» de création destiné à rallier des artistes localisés en périphérie de Montréal. Si ce territoire est reconnu pour la prolifération de ses lacs, il n'en est pas moins désertique par l'absence d'ateliers de production et de lieux de diffusion adéquats pour le développement de l'art contemporain local. À cette époque, les fondatrices et les fondateurs réagissent à l'exode des praticiennes et des praticiens lanaudois par la construction d'un foyer artistique à la fois spécifique et connecté au milieu de vie de cette ville axée sur l'art bourgeois favorisé par les religieux mais en pleine effervescence de groupes populaires variés. Ces deux caractères distinctifs orienteront le choix de certains enjeux tout au long de l'existence de ce regroupement d'artistes.

La fondation des Ateliers communautaires d'en bas repose sur deux états de fait : la situation précaire de l'art contemporain en région et la nécessité d'intégrer cet art à un contexte social, au coeur du développement des revendications sociopolitiques. Pour ces instigatrices et ces instigateurs, l'art de recherche se vit dans un mouvement collectif, par des questions, des dialogues, des transformations de la réalité quotidienne.

Peu d'expositions, d'activités ou d'événements en art contemporain tiennent lieu sans que les artistes en prennent l'initiative. Cette incontournable réalité a fortement encouragé la recherche intensive de ressources permanentes au sein des infrastructures existantes. Celle-ci s'accompagnait souvent d'une opération massive de sensibilisation auprès des institutions officielles, des organismes ou des groupes déjà «enracinés» dans la région.

«Le rôle du créateur c'est d'abord la recherche, la création.»
Premier mémoire des Ateliers communautaires d'en bas, 1986



2. Pour une politique culturelle lanaudoise

Après trois ans d'opération, les neuf artistes
(2) des Ateliers communautaires d'en bas rédigent les orientations de base d'un plan de développement culturel lanaudois basé sur les réels besoins des créatrices et des créateurs et les particularités d'une production axée sur l'art contemporain. Par un éventail précis de propositions claires (3) incluant tous les volets du monde culturel de la région -- le statut d'art amateur, semi-professionnel, professionnel, le socio-culturel, l'éducation artistique, les loisirs et les municipalités, la structure de fonctionnement et de gestion souhaitée pour une éventuelle galerie d'art contemporain, les bourses de soutien à la création, un programme d'aide à la relève, etc. -- les membres actifs réussirent, ensemble, à formuler un constat de la situation des arts et surtout à faire valoir le bien-fondé de leurs propositions. Ce premier plaidoyer collectif modifie le portrait de la politique culturelle locale. Il permet entre autres d'assurer qu'une partie de l'enveloppe budgétaire régionale soit réservée aux artistes en arts visuels s'identifiant à un art de recherche, de création à diffusion plus marginalisée.

Une approche nuancée caractérise les Ateliers communautaires d'en bas et se traduit par des efforts soutenus de conscientisation sur la création artistique. L'autonomie d'action et de pensée des membres prévaut quelles que soient les associations ou les collaborations avec l'extérieur. Au cours des cinq premières années, communiquer -- dans l'action -- une identité d'artistes soutenue par des modes de langage, d'intervention et de création très spécifiques et personnalisés fut un objectif majeur (4) et déterminant pour l'intégration effective de l'art contemporain dans différents milieux. C'est de cette façon que le statut de l'artiste, son rôle, sa participation dans la communauté, les droits qu'il revendique sont devenus clairs et légitimes pour la plupart des intervenantes et des intervenants de la culture, des loisirs et du social dans la fresque de vie lanaudoise de la fin des années quatre-vingts.

L'action créatrice a fait sa place, les artistes de Lanaudière ont surmonté l'appellation courante de «pelleteux de nuages» pour devenir des forces vives, engagées et engageantes faisant désormais partie de l'activité régionale. Dès lors, les Ateliers communautaires d'en bas assurent leur présence au coeur du puzzle culturel hétéroclite de leur entourage immédiat.

«L'atelier est indispensable et vital pour un Artiste comme la forge au forgeron.
Le Monde est notre Atelier. Le Monde est le lieu de notre expérience.
Le Monde se concentre dans l'Atelier, puis l'Atelier dans le tableau.»
Françoise Sullivan



3. Un art au coeur du débat

Les luttes menées au dehors retentissent jusque dans l'atelier. En guise de prolongement aux revendications énoncées précédemment, les créatrices et les créateurs intègrent les composantes de cette identité commune à l'intérieur de toutes les étapes de leur production artistique individuelle et collective.

Le sens critique et les échanges entre les membres à propos du groupe lui-même construisent progressivement l'orientation qui sous-tend le choix des activités et des événements du regroupement. À ce moment là, les Ateliers communautaires d'en bas créent de toutes pièces un espace fait sur mesure, véritable miroir de leur questionnement et de leurs prises de position en étroite correspondance avec leur recherche collective, soit une manière de faire et de penser l'art. L'atelier se définit comme un «lieu-laboratoire» (5), qui se transforme en tribune d'échanges, en lieu d'exposition et /ou de diffusion.

Dès la fin 1988, malgré l'urgence ressentie, les membres raffinent leur position en modifiant les statuts et règlements. Dorénavant, les Ateliers communautaires d'en bas s'affirment en tant que défenseurs d'un art clairement circonscrit, s'affichent comme «un véhicule qui rassemble les créatrices et créateurs dont la démarche interroge les multiples facettes de l'art contemporain», un groupe d'artistes qui «s'intéresse spécifiquement à la viabilité et au développement de l'art contemporain».(6) Dans les faits, la conjoncture est favorable à une telle prise de position puisque d'autres membres (7) se greffent au noyau de base à cause de ce positionnement décisif dans un contexte de région.

Parallèlement à ces choix artistiques, les membres continuent à participer au comité de gestion de la bâtisse qu'ils occupent avec une quinzaine de groupes populaires. Ils invitent des praticiennes, des praticiens à des séances de dessin d'observation au cours desquelles des mises en situation sont créées afin d'instaurer un processus de travail collectif. L'attention ainsi portée au processus amène une sensibilisation à la fois nuancée et efficace pour ce groupe fort diversifié.



4. De la onzième rumeur au xième péché

Par la tenue de l'exposition collective de 1989, De la onzième rumeur au xième péché, l'ensemble des créatrices et des créateurs en art contemporain attaquent de front la question de la visibilité : ils monopolisent tous les ateliers de production artistique de la ville de Joliette. Ces ateliers de travail légèrement transformés pour recevoir des oeuvres (8) incitent le public à investir un parcours culturel. Les Ateliers communautaires d'en bas s'inscrivent alors comme lieux de diffusion parallèles à la fois issus de la région et ouverts à d'autres régions telles que Québec et Montréal.

Dans la continuité de cette stratégie d'envahissement par l'art contemporain, le regroupement collabore officiellement avec l'institution muséale de Joliette à l'élaboration d'une publicité conjointe. Au même moment, le musée présente la première exposition collective itinérante d'artistes en art contemporain de l'Estrie et de Lanaudière (trois membres des Ateliers en font partie).

De plus, la «rumeur» accroît la visibilité du groupe avec des conférences d'artistes invités, une soirée de performances, un programme de vidéos d'art et la parution d'articles dans un autre réseau parallèle, celui des revues spécialisées en art. En effet, avant la sortie des journaux locaux, un texte sur le processus de création et les questions soulevées par la pratique de l'art contemporain est publié par un membre dans la revue L'Oeuvre (9), première revue lanaudoise spécialisée en arts visuels. Celle-ci offre une nouvelle tribune à un discours sur l'art prêt à dépasser le niveau du compte rendu. De même, après l'événement, d'autres articles paraissent dans une revue spécialisée hors-région et... encore une fois sous la plume d'artistes du groupe.(10) Ces artistes-auteurs en région assument ainsi une certaine part de diffusion en formulant leur propre discours. Les journaux régionaux quant à eux, soulignent l'effet d'aspersion de l'art contemporain ; un titre en fait foi : «Les arts visuels en effervescence dans Lanaudière».(11)

Le groupe tient à multiplier les affiliations, à réunir des praticiennes et des praticiens, des théoriciennes et des théoriciens ; l'art contemporain s'infliltre dans les manières de penser les événements artistiques. Avec De la onzième rumeur au xième péché, le groupe réussit à contourner de façon astucieuse l'absence d'un centre de diffusion en art actuel dans Lanaudière par un concept d'ateliers ouverts et transformables. Il préconise que le processus créateur soit le pilier central au sein de toute tentative de diffusion.

Les membres prennent confiance en leur démarche collective, choisissent l'échange comme cheval de bataille et ce, dans un contexte de recherche, de production et de diffusion en art contemporain.

«La place que l'on occupe dans l'espace
détermine notre vision du monde.» (12)
Martine Chagnon
L'année 1990 fut une année pleine de rebondissements autant au plan de la quantité d'activités organisées que des remises en question du fonctionnement et de la communication interne. L'effervescence des idées et l'éventail des stratégies d'intervention artistiques -- menées de plusieurs manières, dans différents réseaux et dans une période de temps relativement courte -- orienteront les Ateliers communautaires d'en bas sur la prépondérance du contenu, basé sur les intérêts du collectif.

Dès le début de l'année, les Ateliers communautaires d'en bas s'associent à la campagne publique de l'Académie populaire Pose ta brique  menée dans le but d'acquérir la bâtisse qui abrite des groupes communautaires et l'atelier. Les artistes s'intègrent à cette lutte en y apposant leur signature avec l'intention d'offrir un nouveau contexte au discours de l'art. Certains collaborent à la rédaction du texte de sensibilisation de cette campagne collective et programment des «actes d'art». Le centre incorpore à la programmation des manifestations d'art vivant et d'art engagé, mobilise des performeuses et des performeurs reconnus pour leurs propos revendicateurs et conceptualise une manoeuvre en guise d'événement de clôture.

Pendant cette campagne intensive, les Ateliers communautaires d'en bas mijotent l'événement majeur de leur histoire, celui qui offrira la plus grande diversité d'activités, le nombre le plus élevé d'invités et ce à l'intérieur d'un peu plus de quarante jours. Les ateliers continuent d'affiner leur pensée et leur expérience des différentes étapes de production et de diffusion du processus de création.



5. D'où regarder... d'autres rêves

Les membres étoffent le concept «d'exposition collective» et évitent le réflexe courant de réunir dans un même espace un ensemble d'oeuvres individuelles regroupées sous une thématique particulière. Ce sera donc sous le signe de la contrainte formelle et de l'expérimentation directe que se bâtira «l'événement photographique» D'où regarder... d'autres rêves.

Chaque artiste doit réaliser une oeuvre, utiliser la photographie (13) et participer aux activités «d'échanges sur les aspects historiques, iconographiques et techniques de la production photographique actuelle telle que pratiquée au Québec».(14)

On s'intéresse à la notion de médiums, à la spécificité et aux diverses utilisations de chacun d'entre eux ainsi qu'à leurs interrelations dans la mise en lecture d'une oeuvre contemporaine. Afin de mettre en corrélation ces composantes on se sert de la photographie comme catalyseur en prenant soin d'instaurer un processus d'expérimentation et de réflexion, histoire d'associer pratique et discours. Le Musée d'art de Joliette dépasse le statut habituel de collaborateur et s'allie aux questionnements partagés par les membres en offrant en ses murs un atelier collectif de camera obscura basé sur le concept de «musée-médium».(15)

Treize artistes s'engagent dans une expérience-laboratoire de trois jours et réalisent une nouvelle oeuvre qu'ils exposeront dans une salle du musée, à peine six jours après la fin de cet atelier collectif. Cette seconde exposition, au sein du même événement, pour cinq membres des Ateliers communautaires d'en bas, donne à voir les boîtiers fabriqués pour la prise de vue et les sténopés, résultats photographiques de ces expérimentations. On convie donc le public à un deuxième vernissage, à des communications d'artistes et de critiques en rapport avec la photographie actuelle au Québec et pour clore le tout, au lancement d'une publication-maison intitulée Camera obscura mémoire et collection. (16)

Ce livre d'artistes réalisé pendant D'où regarder ... d'autres rêves  illustre adroitement un «regard subjectif» sur la collection des salles permanentes du musée. Par son «oeil sauvage» (17), l'artiste lui confère, pour l'occasion, un caractère de musée-médium.

Cette fois-ci, le retentissement de cet événement de nature multiple aura des retombées décisives sur certains choix du groupe au niveau de son fonctionnement et de ses échanges. Les nombreuses stratégies mises à l'essai autant lors de la conception, la réalisation, la communication de la pratique artistique occasionnent un chambardement d'idées et un essouflement évident. Les membres demandent un ralentissement, un moment de maturation afin de laisser opérer la qualité de réflexion nécessaire à l'évolution des Ateliers communautaires d'en bas.



6. Le virage «Convertibles»

Le centre raffermit ses positions. Il n'est pas un centre de diffusion qui présente une programmation annuelle, il privilégie l'organisation d'un seul événement majeur par année. Adhérer aux Ateliers communautaires d'en bas, c'est avant tout participer à une réflexion et à des échanges sur l'art contemporain. La production artistique individuelle et «l'atelier-laboratoire» demeurent une priorité. Les services offerts sont simplement un soutien. L'aspect organisationnel du centre ne doit pas envahir la production des artistes même s'il est assuré par ceux-ci et non par une coordination extérieure.

Au plan de la démarche individuelle et collective, chacun des membres acquiert de la confiance grâce aux rapports avec les artistes invités et aux connaissances apportées par les conférences, les workshops, etc., sur les pratiques actuelles. Les membres désirent accroître les échanges avec l'extérieur mais par contre ressentent le besoin de cibler leurs interventions auprès de la population lanaudoise. Dans cette «sensation de trop plein», on a besoin de recul pour se positionner encore davantage dans sa production individuelle et apporter de meilleurs échanges à l'intérieur du collectif.

Une réactualisation de l'image des ateliers s'impose. On abandonne l'identification au communautaire et on change de nom. Deux mois après «l'événement photographique», les Ateliers convertibles se lancent dans une campagne de développement (18) et de financement, avec un nouveau concept de membership, une vision plus élargie vers l'extérieur et préparent une exposition annuelle réservée aux membres actifs.

«Les Ateliers convertibles veulent témoigner
d'un état d'esprit sérieux mais aussi fauve et fantaisiste» (19)
Louis Pelletier
Grâce à des programmes gouvernementaux, l'embauche de quelques employées permet, en quelques mois, d'actualiser le virage des ateliers.

Tout l'appareil médiatique «respire» une nouvelle manière de penser l'art, décrit une attitude d'ouverture portée par la nouveauté, l'humour et le dynamisme. L'art contemporain véhicule un état d'esprit, «une pensée convertible»!

«Les Ateliers convertibles invitent tous les artistes de toutes disciplines qui manifestent un intérêt dans le champ de la pensée contemporaine à se joindre à eux, souhaitant devenir aussi un pôle d'attraction, un foyer de réflexion.» (20) Trois catégories de membres seront ainsi créées : les membres actifs, les membres de soutien et les membres associés(21). Des activités conçues pour chacun des groupes seront programmées tout au long de l'année. Des soupers et soirées causerie/art contemporain sont offerts aux membres de soutien alors que Les Ateliers convertibles élaborent des concepts de rencontres tournant autour de la pensée contemporaine, événements destinés aux membres associés.

Des dispositifs multidisciplinaires inventifs élaborés par les membres actifs afin d'intégrer ses membres-penseurs, issus de différentes disciplines, dans un processus actif, alimentent une réflexion, une interrogation face à la pensée contemporaine. L'enjeu était là, dans cette communication directe. Le procédé de «mise en scène» s'adaptait aisément aux sujets, tous reliés à la construction de cette pensée en mouvement, convertible... somme toute contagieuse. Ces soirées-mises en situation permettent aux Ateliers convertibles d'expérimenter toutes sortes de formules afin de partager sur le vif des problématiques actuelles avec un sous-groupe issu de la population de Lanaudière. La vitalité et l'enthousiasme circulent telle une monnaie d'échange.

Pendant ce temps, le collectif des membres actifs fortifie sa communication sur l'art à l'aide d'une personne-ressource (22), à la fois artiste et critique, tout au long du processus de création des oeuvres de son exposition de 1991, Le Livre et sa mise en scène.  Des sessions de travail en commun permettent d'explorer la notion d'installation, l'aspect multidisciplinaire, l'utilisation de l'objet et des mots dans la production des créatrices et des créateurs. L'exposition Le livre et sa mise en scène  est devenue le lieu de cristallisation de combinaisons inhérentes à la pensée collective des Ateliers convertibles et ce par le biais d'oeuvres individuelles.

Au sein du groupe, les échanges deviennent une «manière de faire». L'exposition démontre une unité et une cohérence : nouveaux piliers d'une identité collective. Cependant, la découverte de similitudes et de différences, l'apparition de nuances tout à fait nouvelles ont généré d'autres difficultés dans la gestion quotidienne de cette identité en train de se solidifier. Après cette série d'événements d'un côté, le centre d'artistes est un peu bousculé par sa propre énergie interne et de l'autre côté est ralenti par des membres actifs incapables de prendre du recul au même rythme que les activités. Les Ateliers convertibles vivent alors un bris de communication. Un questionnaire-bilan (23) sert d'outil pour se libérer de ces tensions momentanées. La créativité sert aussi à gérer les moments de crise... Le contenu et l'attitude l'emportent sur la quantité d'actions. La vitesse de croisière doit permettre une réflexion approfondie et soutenue pour l'ensemble des membres. De cette manière, l'évolution du collectif et de l'individu s'équilibre. Le collectif comme expérience et apprentissage spécifiques devient la pierre angulaire sur laquelle reposent -- encore maintenant -- les différents choix et activités de ce centre régional d'artistes en recherche, production et diffusion d'art contemporain : Les Ateliers convertibles..

«Ce n'est pas qu'il faille à tout prix «faire différent,
c'est qu'il faut devenir autre.» (24)
Alain-Martin Richard



7. Le Livre et sa mise en scène

Changement majeur : les Ateliers convertibles élaborent un projet triennal en rapport à des questionnements précis. Les activités misent sur la diversité des moyens, la qualité d'intervention, la constance d'une réflexion et l'évolution de la «pensée convertible», sérieuse, fauve et fantaisiste !

À partir de 1992, le rayonnement du regroupement d'artistes, à l'extérieur de la région, se concrétise par des invitations de d'autres centres d'artistes, centres d'expositions et d'organisateurs d'événements spéciaux. (25)

À la lumière de l'expérimentation faite lors de la réalisation Du Livre et sa mise en scène  au niveau de l'encodage et du décodage d'une oeuvre-installation et des similitudes formelles entre les oeuvres exposées, les créatrices et les créateurs déterminent une problématique commune pour les trois années suivantes (de 1992 à 1995) : la collection. (26)



8. Échaffaudage d'un laboratoire collection

Guidé par certaines observations et l'intérêt commun pour la séquence, la série, la juxtaposition d'objets de différentes provenances et natures, la combinaison, la contagion des éléments et des médiums, ce choix s'avère un ancrage pertinent pour la prochaine recherche. Aussi, il est facile d'inclure dans la collection le développement de la conscience des stratégies et des positionnements inhérents aux différents étapes de conception, de production de l'art par rapport aux réseaux de diffusion en art contemporain. Ces aspects ont toujours eu leur place au coeur des diverses réalisations du collectif.

Curieusement... la notion d'attitute ouverte, de laboratoire refait surface non seulement au plan de l'atelier et du processus mais tout au long d'une production artistique, dans ce cas-ci une publication collective et une oeuvre-collection individuelle. Pour ce faire, seront organisés une panoplie de conférences, des ateliers intensifs avec des praticiennes, praticiens, théoriciennes, théoriciens provenant du Québec, du Canada et d'Europe ainsi que des rencontres et sessions de travail assidues avec une personne-ressource. Essais et erreurs valent mieux qu'un savoir-faire irréprochable. La démarche et les stratégies collectives deviennent ici l'oeuvre en constante évolution.

Avec le regroupement, les artistes optent pour des remises en question, le plaisir du décloisonnement et tentent de renouveler la pratique des arts visuels. L'enjeu des dernières années réside dans une meilleure articulation des échanges puisque ceux-ci sont au coeur de notre pratique. Une réactualisation constante de l'art nous pousse vers d'autres défis, toujours plus en marge...

En 1995, aux activités et à l'exposition collective s'ajoute l'approche discursive, soit des textes et des images sur la démarche vécue par les membres des Ateliers convertibles. Dans un premier temps, on s'approprie les pages centrales de L'Artefact, le bulletin d'information du Conseil de la culture de Lanaudière, de mars 1993 à juin 1994, en proposant des pages collectives/collection (photos-textes). Cette création collective fournit de nouvelles habiletés pour la structuration d'une publication collective d'envergure.

Les séances de travail du groupe touchent au thème mais aussi visent à la production de ce livre-témoin de la réflexion individuelle et collective. À l'été 1994, temps d'un interlude, les membres actifs réalisent la manoeuvre De porteur d'eau à bâtisseur.  Cette unique oeuvre collective joint certains procédés liés à la collection et la participation de la population en vue de l'érection d'une sculpture construite à l'aide de plus de 3,000 chaudières d'eau d'érable. Cette récente collaboration avec les résidents de Lanaudière a suscité l'ingéniosité du groupe et a renouvelé sa motivation à risquer -- dans l'action -- un discours différent sur l'art.

Après plus de dix ans d'existence les Ateliers convertibles sont à l'heure de l'autocritique constructive, du raffinement et de la nuance. La conjoncture politique et les conditions de production actuelles amoindrissent l'importance du positionnement des collectifs. La tentation de revenir à l'individu et à l'art pour l'art gagne du terrain. Les membres doivent maintenant définir dans quelle mesure la réflexion du collectif doit s'affirmer et comment il peut se positionner dans le système de l'art. Pour ces créatrices et ces créateurs autour de la quarantaine qui ont une pratique individuelle grandissante, est-ce exclusivement une question d'énergie, de relève et de risque ?



Notes

  1. Quelques manifestations spontanées, quelques événements ponctuels et rencontres d'artistes, hors réseaux, avaient déjà eu lieu malgré le manque d'infrastructure autant au niveau de la conception, de la réalisation que de la diffusion. Avec peu de moyens, une certaine présence avait déjà été assurée par une poignée d'artistes et certains sous-groupes.

  2. Les pratiques artistiques des membres fondateurs sont reliés à des disciplines de base telles que le dessin, la peinture, la sculpture. Notons qu'un des membres évoluait au niveau de l'animation culturelle.

  3. Mémoire présenté à la Commission des Arts et Lettres dans le cadre du Sommet culturel, le 29 novembre 1986.

  4. En plus des revendications faites auprès des instances concernées, Les Ateliers communautaires d'en bas ont organisé des journées portes ouvertes et des ateliers de modèles vivants basés autant sur l'expérimentation directe que sur l'aspect didactique en rapport avec l'art contemporain et la pratique des artistes membres du regroupement.

  5. Expression employée dans le mémoire présenté à la Commission des Arts et Lettres dans le cadre du Sommet culturel, le 29 novembre 1986, p. 1.

  6. Ces citations proviennent du document officiel des modifications aux statuts et règlements des Ateliers communautaires d'en bas, proposées en décembre 1988 et adoptées à l'assemblée annuelle de mai 1989, p. 1.

  7. Les nouveaux membres explorent d'autres pratiques telles que la sérigraphie, la photographie, la performance. Avaient été admis des artistes sans formation académique en arts plastiques mais engagés dans une pratique artistique contemporaine.

  8. Dans l'information écrite, des appellations doubles sont utilisées pour décrire les oeuvres. Cette terminologie typique des années 80, où le souci de bien se positionner face aux disciplines a favorisé des exemples comme ceux-ci : «installation photographique, installation dessin, installation sculpture, installation céramique.»

  9. Texte de Suzanne Joly dans L'Oeuvre, vol. 2 no 3, automne 1989, p. 26-27. Notons que dès ces premières activités les Ateliers communautaires d'en bas emploient le mot événement au lieu d'exposition et que certains membres utilisent l'expression art actuel. Le discours sur l'art contemporain dans Lanaudière prend des moyens pour exister.

  10. Dans la revue Inter, no 46, janvier 1990, nous retrouvons aux pages 8 et 9 un texte de Francis LaPan à propos de l'exposition des membres, à la page 10 un aperçu des conférences par Michel Perron (directeur du musée d'art de Joliette) et un commentaire de Suzanne Joly sur les performances à la page 11. La revue L'OEuvre, vol. 2 no 4, hiver 1989-1990, p. 4-6-8-10, présente un commentaire surtout photographique accompagné d'une introduction de l'artiste Marie-André Julien.

  11. Louise Bourassa, «Les arts visuels en effervescence dans Lanaudière», Le Joliette Journal, mercredi 13 septembre 1989, p. 64.

  12. Cette phrase tirée d'une performance de Martine Chagnon a servi de slogan dans le dépliant publicitaire de la campagne Pose ta brique, mars 1990.

  13. Cette utilisation obligatoire du médium photographique quelle que soit la discipline de travail de chacun des membres leur permettait une certaine autonomie dans leur propre langage plastique en même temps qu'une exploration concrète de nouvelles problématiques.

  14. Extrait du communiqué de presse de D'où regarder ... d'autres rêves, rédigé conjointement par le Musée d'art de Joliette et les Ateliers communautaires d'en bas.

  15. Pour l'atelier (workshop) de camera obscura donné par M. Pierre Charrier, tout l'équipement nécessaire à la prise de vue et au développement des sténopés a été déménagé dans un local du musée. La collection du musée servait de matière première à l'artiste qui revisitait une oeuvre de la collection. Le directeur du musée d'art de Joliette, M. Michel Perron, l'explique en ces termes dans une entrevue avec M. Michel Huard publiée dans la revue Musées, vol. 13 no 1, mars 1991, p. 26 : «Il est moins fréquent d'utiliser ( la collection) comme lieu de recherche formel par les artistes eux-mêmes. Je voulais donner par cette expérience la parole aux artistes, leur offrir l'occasion d'utiliser une collection de musée comme lieu de recherche. Approcher la collection comme médium. Cela nous amène à la notion du musée vu comme un médium.»

  16. La réalisation de ce document témoin fut assurée grâce à la collaboration du directeur du musée, M. Michel Perron, le critique et artiste Denis Lessard et les deux artistes photographes du regroupement à ce jour : Danielle Binet et Suzanne Joly.

  17. Cette expression vient du titre «Oeil sauvage sur une collection, entrevue avec Michel Perron» de l'article de Michel Huard cité à la note 15.

  18. Cette campagne de développement, d'une durée de 102 jours, a permis d'élever le membership à quarante-sept personnes et à une dizaine de commanditaires.

  19. Extrait d'un article de M. Louis Pelletier dans le Joliette Journal, mercredi 27 février 1991, p. 12 intitulé «Du nouveau avec les ateliers convertibles».

  20. Extrait d'un article de M. Christian Morissonneau, dans Le Régional de Lanaudière, lundi 18 mars 1991, p. A-25.

  21. Les soirées des membres associés se sont déroulées de mai 1991 à décembre 1992 sous différents thèmes comme : La pensée et sa mise en scène, La pensée convertible de quoi s'agit-il? L'artiste se cache la face en région, etc. Ces activités se sont davantage incorporées aux activités des membres actifs au cours des années 1993 à 1994.

  22. Denis Lessard avait déjà donné une conférence sur la photographie altérée lors de l'événement D'où regarder ... d'autres rêves. Il s'est joint aux Ateliers convertibles en tant que personne-ressource pour Le livre et sa mise en scène et reviendra plus tard comme maître d'atelier pour le projet collection.

  23. Les questions formulées à l'intention des membres actifs touchaient à des points d'ordre pratique et philosophique : bilan des activités, besoins actuels, désirs, opinions, orientations générales, problèmes de communication et relations interpersonnelles.

  24. Alain-Martin Richard, «Artefacts dynamiques», Inter, no 44, été 1989, p. 38.

  25. A titre d'exemple, l'événement J'irai crasher sur ta région qui regroupait plusieurs centres d'artistes dans des communications directes et par télécopieur sur tout le territoire québécois.

  26. Les influences d'ordre formel ont été repérées par les membres actifs dans l'exposition Le Livre et sa mise en scène. Il ne faut pas dénigrer pour autant d'autres types d'influences vis-à-vis la collection qui se sont manifestées lors de l'atelier camera obscura pendant l'événement photographique D'où regarder... d'autre rêves, en 1990.



[ Accueil ] [ Index ][ Les Ateliers convertibles ] [ Droits d'auteur ] [ Équipe W3 ] [ English ]

L e s   A t e l i e r s   c o n v e r t i b l e s

Adressez vos commentaires à
mailto lac@pandore.qc.ca

Ce site W3 a été créé en vertu d'un
contrat passé avec Industrie Canada
Les collections numérisées du RESCOL