La nouvelle Acadie : Les premiers arrivants

Vers l'Assomption

Au moment de la Déportation, certaines familles, avons-nous dit, étaient parvenues à s'enfuir et à se diriger vers Québec.  C'est ainsi qu'au printemps de 1756, 225 Acadiens y parvinrent par bateau.

De 1756 à 1760, la ville de Québec et les environs continuèrent à en héberger quelques milliers.  Ainsi, en 1758, les registres de la paroisse Saint-Charles de Bellechasse (Rivière Boyer) accusent « une mortalité s'élevant au chiffre énorme de 90 victimes.  L'arrivée du grand nombre de familles acadiennes en est la cause ».

D'autres iront par groupes dispersés, chercher refuge à Trois-Rivières, à Saint-Grégoire de Nicolet, à Yamachiche, à Saint-Sulpice, dans la région du Richelieu et au Portage de l'Assomption.  Ces derniers, sont les nôtres.  Ils viendront fonder Saint-Jacques, Saint-Alexis, Saint-Liguori, Sainte-Marie-Salomé, une partie de Sainte-Julienne et de Crabtree, et plus tard Saint-Alphonse, Saint-Côme et Chertsey.  Ils commenceront par s'établir sur les bords de l'Assomption et de l'Achigan, comme colons, engagés de ferme ou petits fermiers à bail.  L'accueil peu ordinaire du curé Jacques DeGeay (DeJeay, Degeay), et l'hospitalité sans pareille de ses ouailles ranimeront en eux l'espoir de refaire leur vie.

La première année de défrichement (86 Ko)
La première année
de défrichement
Vers 1759-1760, parmi ces « errants et fugitifs », comme les appellera le notaire J.-B. Daguilhe, de l'Assomption, il y avait Denis Petitot Sincenne, 47 ans, et son épouse Marie-Josephte Granger, de Grand-Pré, avec au moins neuf grands enfants (sa veuve s'établira à Saint-Jacques); Pierre Girouard, 39 ans, et son épouse Anne-Madeleine Doucet, de Port-Royal avec trois enfants (ils avaient été déportés à Portsmouth « en l'ancienne Angleterre »); François Girouard, 45 ans, et son épouse Marie Poirier, de Beaubassin, et un enfant (s'établira à Saint-Sulpice); Jacques Doucet et son épouse Anne Landry, de Port-Royal (s'établira à Saint-Jacques); Pierre Martin-Barnabé, 58 ans, et son épouse Marie-Anne Granger, de Port-Royal, avec quatre enfants (s'établira à Saint-Jacques); Pierre Doucet, 29 ans, et son épouse Marie Arsenault, de Port-Royal (s'établira à Saint-Jacques); Simon Savoie, de Beaubassin, et sa fille Anastasie (s'établira à Lachenaie, et ses frères, à Louiseville); François Cormier, de Beaubassin (s'établira à l'Assomption).

En 1761, Pierre Landry, 63 ans, et sa femme Euphrosine Doucet, de Port-Royal (s'établira à Maskinongé); Paul et Michel Bourgeois (s'établiront à Saint-Jacques).  En 1762, Pierre Forest, 24 ans, et son épouse Élisabeth Vincent, « de la paroisse de Ménéodi de l'Acadie » (Menoudy) et sa sœur, Catherine Forest; Joseph Girouard et son épouse Marie Arseneault, de Port-Royal (s'établira à Saint-Jacques).

Entre 1760 et 1763, François Bernard, 23 ans de Beaubassin; François Poirier et son épouse Madeleine Arseneault, de Beaubassin, et leur fille Madeleine (s'établira à Saint-Jacques); son frère, Jean Poirier et son épouse Rosalie Martin (s'établira à Saint-Jacques); Marguerite Martin, veuve de Claude Doucet, de Port-Royal.

La troisième année de défrichement (86 Ko)
La troisième année
de défrichement.
En 1764-1765, Isabelle Comeau, veuve de Jean Vincent, avec sept de ses enfants (s'établira à Saint-Jacques après avoir été en captivité à Halifax) ; Jean Arseneault, 61 ans et son épouse Mad.-Marguerite Hébert et leurs trois enfants, de Beaubassin (s'établira à Saint-Jacques); Armand Cyr, « garçon volontaire » (s'établira à Verchères).  Enfin, la veuve Jean Daigle, (Marie-Joseph Thériault) et ses deux enfants (s'établira à Saint-Jacques), et Jean-Baptiste Thibodeau, 28 ans et son épouse Marguerite Dugas (s'établira à l'Assomption).

À mesure qu'elles arrivent, ces quelques vingt familles s'installent donc d'abord à l'Assomption et dans les environs.  On l'imagine facilement, ils sont aux aguets des moindres renseignements, au sujet de leurs compatriotes.

Combien devait être précieux ce qu'on appellera plus tard le « téléphone arabe », c'est-à-dire, la transmission orale de la moindre nouvelle de parents ou d'amis.

Enfin, en septembre 1766, une Proclamation royale adressée à tous les seigneurs, concernait les réfugiés acadiens et recommandait les points suivants : « prendre soin des Acadiens, les établir sur les terres non concédées de leur seigneurie, aux meilleures conditions possibles, et leur fournir pour l'espace d'un mois les provisions à même les magasins du Roi ».

Seigneurie de Saint-Sulpice

Grands seigneurs et magnanimes bienfaiteurs, les Messieurs du Séminaire de Saint-Sulpice s'intéresseront au sort des infortunés Acadiens exilés en Nouvelle-Angleterre ou déjà arrivés dans l'Assomption.  Dès avril 1766, avant la Proclamation Royale, ils ont fait arpenter les terres du Ruisseau Saint-Georges, pour les y établir.

En octobre, ils recevront encore une quinzaine de familles, puis, en 1767, une cinquantaine.  Ils les orienteront vers les terres du nord de leur seigneurie de Saint-Sulpice, « vers ces belles plaines toutes couvertes d'érables ».

Qu'est-ce donc que cette seigneurie ?

« Cette seigneurie de Saint-Sulpice, au nord du Saint-Laurent, dans le comté de Leinster, est bornée en front par la rivière (le Saint-Laurent), au fond par le township de Rawdon (Cordon de la Seigneurie), au nord-ouest par la Seigneurie de la Valtrie (rivière Ouareau), et au sud-ouest par celle de l'Assomption (Grand-Ligne de Saint-Alexis); elle a deux lieux de front sur six de profondeur ».

« Il y avait déjà plus d'un siècle (1640) que ce territoire qu'occupent aujourd'hui les paroisses de Repentigny, Saint-Sulpice, l'Assomption, Saint-Paul-l'Ermite, Charlemagne, l'Épiphanie, Saint-Gérard, Saint-Jacques, Saint-Roch et Sainte-Marie, avait été cédé à Messieurs les Associés de Notre-Dame de Montréal, et aucun colon ne s'était encore fixé au-delà de Saint-Sulpice et de Repentigny.  Ville-Marie, et les établissements voisins avaient absorbé toutes les ressources dont on avait disposé.  C'est au prix des plus grandes difficultés que jusque-là s'était opéré le défrichement.  Seuls, pendant les rares années d'apaisement, les explorateurs et les coureurs de bois avaient osé remonter le cours des affluents du grand fleuve, pour s'enfoncer dans les solitudes mystérieuses de la forêt.  Mais dès que s'ouvrit la dernière période de paix avant la conquête du pays, la colonisation et le commerce prirent un nouvel essor ».

La place la plus importante de la Seigneurie du Saint-Sulpice était l'Assomption qui s'appelait alors Saint-Pierre du Portage ou Le Portage, tout simplement.  Ce bourg, fondé en 1717, quand les deux frères Charles et Thomas Goulet y construisirent la première hutte, fut érigé en paroisse en 1724, sur requête de Messire Pierre Le Sueur, prêtre-missionnaire, et de quelques autres citoyens.  Les Sulpiciens, seigneurs de toute cette étendue de terre, desservaient la cure de l'endroit.

Groupe de 1766

C'est M. Étienne de Montgolfier, alors supérieur des Messieurs et vicaire général de l'évêque de Québec pour la région de Montréal, qui accueille les exilés de sa seigneurie.

Jean-Olivier Briand (1715-1794), évêque de Québec entre 1764 et 1784 (92 Ko)
Jean-Olivier Briand, évêque
de Québec 1764 - 1784
« La paroisse de M. Degeay, curé de l'Assomption », écrit-il, le 16 octobre 1766, à Mgr Briand, évêque de Québec, vient d'augmenter tout à coup d'environ quatre-vingts personnes par l'établissement de douze ou treize familles acadiennes arrivées nouvellement dans ce pays, que j'ai accueillies dans cette paroisse, et à qui j'ai donné des terres dans ses profondeurs.

« Je leur ai envoyé un prêtre pendant environ trois semaines pour pourvoir à leurs besoins spirituels les plus pressants : c'est M. Brassier, (Gabriel-Jean) il en est de retour, et me paraît fort édifié de sa mission ».

En octobre, l'abbé Degeay, semble-t-il, était allé à Québec au-devant de ces douze-treize familles. Il les amène à l'Assomption qui mettra à leur usage divers « centres d'accueil » de fortune, entre autres, une immense bâtisse, en arrière de l'église actuelle, l'entrepôt « Leroux ».  Le curé dira qu'ils sont « cabanés tout autour du Portage ».  Ils sont environ 80 personnes, attendant « le jour pas trop lointain, que sur ces terres boisées qui leur étaient concédées dans les profondeurs de la seigneurie, des maisons bien à eux abriteraient leurs misères, leurs amours et leurs espoirs.  Quelques-uns d'entre eux, surtout parmi les vieux, (comme François Landry, 75 ans, et son épouse, Marie Doucet) sont morts à l'Assomption, bien près du but rêvé.  Ils ne virent jamais cette « Nouvelle Acadie » que pour eux, Messire Degeay s'efforçait de bâtir ».

En octobre, le curé revalide les baptêmes et les mariages contractés civilement en Nouvelle-Angleterre, durant l'exil.

Groupe de 1767

Ce groupe vient lui aussi, comme celui de 1766, des environs de Boston, comme Salem, Waltham, et du Connecticut, comme Pomfret Center, Norwich, New London.  Les pourparlers de transport ont été longs.  Il y a longtemps qu'on multipliait les pétitions pour revenir au Canada.

En mai 1767, un nouveau contingent « d'Acadiens de nation » vint de « Canaticotte » (Connecticut), ou de la « province de Boston » - rejoindre les frères acadiens déjà rendus à l'Assomption.

Toujours est-il que le 3 octobre 1766, à Norwich, Joseph Granger, François Simon, René Martin, Anne Granger, Marie Brun, René Babinot, Pierre Préjean, Alexandre Hébert, Jean Forêt, Dominique Robichaud, Pierre Miro, Tadée Fontaine, Louis Fontaine, Charles Gaudet, Julien ?, Jean Richard, Pierre Mireault, Jacques Michel, Charles Brun, Pierre Lord, Jean Brun, Michel Daigle, Guillaume Bourgeois, Simon Forest, François Forest, Daniel Granger etc… demandent à l'Honorable Assemblée de la Colonie de Connecticut qui doit se réunir à New Haven, le 2e jeudi d'octobre, de l'aide pour être transportés au Canada « où on leur offre des terres ».  Ils sont 147 et ils sont trop pauvres pour assumer les frais de transport.

Leur a-t-on accordé le secours requis ?  Il semble que oui.  En effet, en 1767, « certaines personnes, d'influence et d'autorité évidentes, ont réuni les vestiges épars de ces exilés acadiens à Norwich, d'où le capitaine Leffingwell en transporta 240 à Québec sur le brick « Pitt ».

D'autres partirent aussi, mais du centre et du nord-ouest du Connecticut; ils semblent être venus à pied et ensuite par bateau via Albany, le Lac Champlain et le Richelieu où d'aucuns s'établirent dans la région de Saint-Jean - à L'Acadie -, et d'autres, dans celle de l'Assomption, chez nous.

C'est l'été.  On imagine la joie des retrouvailles.  De ce groupe d'environ 240 personnes MM. Degeay et Brassier rebaptisent plusieurs dizaines d'enfants et revalident 25 mariages. Il y en a davantage de Port-Royal que de Gand-Pré.

M. Degeay munit à ses frais chaque famille d'abondantes provisions de bouche, de quelques quintaux de farine, d'une certaine pesée de lard, d'instruments aratoires, d'une vache et de quelques articles indispensables.

Dans une lettre du 31 décembre 1767 à son évêque, à Québec, Mgr Jean-Olivier Briand, le curé de l'Assomption décrit ses sentiments vis-à-vis de ses nouvelles ouailles.

Général Guy Carleton, Lord de Dorchester 1724 - 1808 (96 Ko)
Général Guy Carleton,
Lord de Dorchester 1724 - 1808
« J'ai reçu avec beaucoup de joye et plaisir toutes les familles acadiennes que vous m'avez adressées.  La majeure partie fut cabanée autour du Portage, en attendant qu'ils (les Acadiens) puissent aller s'établir sur les terres qui leur ont été concédées; je voudrais pour le bien de leurs âmes, qu'il y fusse déjà et je suis dans la disposition de tout sacrifier pour les y suivre.  J'en ai aux environs de cinquante familles dont je suis fort content.  Je n'ai rien négligé jusqu'à présent pour leur procurer les faveurs spirituelles qu'ils pourraient attendre de moy; j'ai fait faire ces jours derniers, la première communion à vingt-cinq; rien n'a été plus édifiant ni plus touchant.  Je m'attache tellement à eux que je commence à me détacher de ma paroisse, vu l'ingratitude dont ils (les paroissiens) me paient tous les jours.  Il est vrai que je ne dois pas attendre de récompense en ce monde…

« Pour ce qui est du temporel, conjointement, avec M. Brassier, nous leur procurons toutes les faveurs qu'il nous est possible, mais avec tout cela, quelques vieillards, quelques familles très nombreuses et très pauvres… auraient encore besoin d'un secours étranger… C'est ce que je compte faire lorsque M. le général (Carleton) sera à Montréal, avec un peu d'aide de votre part ».

Distribution des lots

Certains de ces exilés opteront pour l'Assomption, terre si hospitalière; d'autres, pour Saint-Sulpice où le Saint-Laurent rappellera la mer de la Baie française ou celle du Cassin des Mines, en Acadie; d'autres iront se fixer à l'Achigan (L'Épiphanie).  La majeure partie cependant, s'en viendra à Saint-Jacques et dans les environs immédiats.  Mail il faudra attendre deux, trois ans.

En effet, à la fin de 1767, le défrichement est à peine commencé au Ruisseau Saint-Georges, et encore moins au Ruisseau d'abord appelé Saint-Jacques puis Vaché, ou Vacher.

Depuis avril 1766, l'arpenteur Péladeau avait dressé les procès-verbaux d'arpentage d'un bon nombre de terres de chaque côté du Ruisseau Saint-Georges.  Plusieurs Canadiens viendront de l'Assomption surtout, de Repentigny ou de Saint-Sulpice se joindre aux Acadiens pour y recevoir une terre.  Parmi ceux-là, notons les Quesnel dit Lajoie, Desrosiers, Racette, Ricard, Pariseau, Marion, Ratelle, Liard, Gauthier, Roy, Rivest, Desmarais, Ménard, Plouffe, Piquette, Mainville, Laporte, Moisan, Croze, Jetté, et quelques autres qui ne semblent pas avoir fait souche.

Comment procède-t-on pour distribuer les lots ? - Ces terres étaient attribuées terre après terre, dans l'ordre, et souvent, les parents ensemble.

L'un des premiers procès-verbaux porte la date du 2 avril 1766 et concerne Jacques Gibeau, de l'Assomption; l'année suivante, il la vend à un Acadien, Jean Guildry dit Labine (Daguilhe, 1767).  Cette terre se trouve dans le Bas de la Grand-Ligne de Saint-Alexis, aux environs de chez MM. Rémi Mireault et Pierre Forest.

On dresse donc un procès-verbal d'arpentage.  On concède le lot.  On en défriche une partie et, environ un an plus tard, on la cultive.  Entre-temps, on voyage de l'Achigan ou de l'Assomption aux lots en friche.  Puis, modestement on élève un abri plutôt qu'une maison.  On le comprend facilement, cela prend des mois et des mois, voire des années.  

Maison datant de 1772 sur le Ruisseau Vacher à Saint-Jacques (82 Ko)
Maison datant de 1772 sur le
Ruisseau Vacher à Saint-Jacques
Ainsi, au Ruisseau Vaché, Joseph Leblanc eut sa terre vers 1770, (à l'équerre du village, chez M. Jean-Marie Venne); or, en 1773, « il n'y avait qu'un demi-arpent de terre en culture à la pioche, en superficie, et deux arpents en superficie de bois abattus, et le reste en bois debout et en fredoche « (Loisel, Ls-R., N.P., 26 juillet 1773).  Dans le « Bas de Saint-Alexis », Germain Landry (chez M. Paul-Émile Perreault, aujourd'hui), déclare qu'il a, dans son année, défriché « trois arpents de culture à la pioche… cinq minots de blé ensemencés… et une grange en bois de vingt-cinq pieds en carré « (Daguilhe, N.P., 26 juillet 1774).  En 1773, Thomas Janson, du voisinage, déclare qu'il a une terre « en valeur à la pioche la quantité de six arpents et de terre en abattis deux arpents et demi en superficie et le reste en bois debout et fredoche… et sur icelle de construit une grange de bois sur bois couverte en écorce de la contenance de 20 pieds de long sur 18 de large estimée à la somme de 28 livres » (Loisel, N.P., 17 mars 1773).

Sept procès-verbaux de concession par les Sulpiciens datent de 1773 : les nos 539 et 538 à Pierre Laporte, de l'Assomption et à Joseph Thibodeau (Grand Rang, aux nos 8 et 10, chez MM. Réal Lapalme et Raoul Lajeunesse); le no 526, à Basile Leblanc (au no 16, rue Saint-Jacques, chez M. Charles Racette); le no 497 à Thomas Janson (au no 822, rue Saint-Jean, à Sainte-Marie, chez M. Rosaire Léveillé); les nos 319 et 320 à Armand Dupuis et Charles Hébert (aux environs de chez M. P.-Émile Perreault, Saint-Alexis, Bas-de-la-Grand-Ligne) ; le no 322 à Pierre Doucet (au no 52, Ruisseau Saint-Georges sud, près de chez M. Réjean Allard.

En 1774, au Ruisseau Saint-Georges, 11 terres seront enregistrées; dans le rang de l'église, 28 sur le côté sud et 29 sur le côté nord; sur le Ruisseau Vaché, côté sud, 9 et sur le côté nord, 12.  Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on ne chôme pas, malgré la pauvreté des instruments dont on dispose pour défricher.  On doit, j'imagine, se trouver si chanceux d'obtenir, pour si peu, des terres qu'on pressent déjà d'une inépuisable fertilité.

Notons que l'acte de Québec (1774) permet un climat politique plus serein : il donne un gouvernement plus équitable et supprime le fameux « serment du test » qui a été surtout la cause des malheurs des Acadiens.  On doit aussi ignorer l'invasion américaine sur Québec.

Après avoir obtenu un lot, les nouveaux fermiers signaient un contrat devant notaire, quand ils avaient fourni la preuve qu'ils étaient capables de tenir le coup.  En 1774, le 3 octobre, on retrace les premiers de ces contrats, devant le notaire J.-B. Duguilhe : ceux de Jean Pellerin, Jean Lord, Louis Lord, Jean-B. Janson, Laurent Olivier, François Leblanc, Louis Racette, J.B. Élie Jannot, Pierre Mireault, Joseph Parisot, Alexandre Hébert, Amable Préjean, Nicolas ?, Joseph Parisot, Léonard Jannot, François Dubreuil, J.-B. Janson, Paul Langlois, Germain Landry, Charles Forêt, J.-B. Forêt, Joseph Desrosiers.  Certains recevront même deux terres.

Les clauses des contrats stipulent que les colons paieront une redevance annuelle en retour de leur lot, à savoir « dix deniers tournois et un demi-minot de bled froment, sec, net, loyal et marchant mesure de Paris, pour chaque vingt arpents en superficie, à moins qu'il n'y ait mention contraire dans les contrats ».  Ces actes de concession sont signés par Joseph Papineau, écuyer, arpenteur et notaire.

Ruisseau Vacher (87 Ko)
Ruisseau Vacher
Les lots comprennent presque tous 3 arpents de front sur 30 de profondeur.  Ayant pour base les ruisseaux Saint-Georges et Vacher, cela explique les angles aigus que forme la jonction des terres du Bas-du-Ruisseau Vaché sud et celles de Saint-Alexis, et la forme triangulaire de certaines d'entre elles.  Toutes les autres fermes seront de parfaits rectangles appuyés sur le « Grand Rang » et plus tard - vers 1790 - sur celui des « Continuations de la Seigneurie ».

Les contrats sont tous signés par Messire Étienne de Montgolfier, supérieur des Sulpiciens et vicaire-général du diocèse de Québec pour la partie de Montréal, ainsi que par le procureur, M. Gabriel-Jean Brassier.

Phénomène rare dans la fondation des paroisses qui habituellement, commencent par graviter autour d'un moulin, comme Joliette et Crabtree par exemple, pour ensuite s'étendre en zones circulaires, à Saint-Jacques, on constate qu'il y eut envahissement soudain de tout le territoire, à partir de Sainte-Marie et du Ruisseau Saint-Georges, jusqu'à la hauteur de chez M. Jean-Paul Mailhot (au no 56, Grand Rang) et aux environs de chez M. Jean-Charles Perreault, à Saint-Alexis.  Cette occupation simultanée s'explique, on le sait, par l'arrivée massive d'environ 500 personnes.

En 1775, quand il sera question de construire l'église, on décidera spontanément de l'élever au centre des terres défrichées : sur son site actuel, soit sur le lot 529 de l'ancien cadastre.

Par la suite, les terres seront presque toutes divisées en deux parties, d'un arpent et demi de largeur.  La mécanisation de l'agriculture qui permet la production massive, et plusieurs autres facteurs sociaux, ont, depuis 1960, obligé plusieurs cultivateurs à recevoir - et même à les dépasser - aux limites des premières terres de 1774 : certains achèteront autant que possible les terres voisines des leurs; il n'est pas rare de trouver aujourd'hui un cultivateur propriétaire de 3 et même 5 fermes.

Jusqu'en 1780, d'autres familles viendront rejoindre des parents ou des amis que l'exil avait séparés, et dont on avait sans doute des nouvelles par ouï-dire.  

Premiers chemins

Les grandes artères actuelles furent tracées dès les débuts : celles du Ruisseau Saint-Georges, en 1767-1768; le « Grand-Rang » de Saint-Jacques et la « Grand-Ligne » de Saint-Alexis, aboutissant, les deux, au « Cordon » de la Seigneurerie ainsi que les deux chemins du Ruisseau Vaché furent ouverts en 1769; vers 1790, « un nouveau chemin d'environ 40 arpents » fut aménagé : les « Continuations de la Seigneurie ».

Auparavant, en 1776, sur une terre de Paul Bro, au Ruisseau Saint-Georges, on taillera une lisière de 24 pieds de largeur pour un chemin entre les deux ruisseaux.  C'est le chemin Lépine, de la Savane.

Curés de Saint-Jacques (87 Ko)
Curés de Saint-Jacques
En 1814, le curé Bro donnera au curé de Saint-Roch une tranche de sa terre pour ouvrir un chemin vers Saint-Roch et le « Grand Saint-Esprit ».  C'est la route 33 entre le Ruisseau Saint-Georges et le « Bas-du Saint-Esprit ».

En 1819 il est question d'un chemin vers le Moulin « banal » de Saint-Liguori.  Cette route s'appellera chemin Gaudet et Foucher.  Ce dernier, cependant, passait plus à l'ouest et ne prit son tracé actuel que vers 1915.

Quand les deux routes reliant Saint-Alexis et Saint-Jacques seront-elles ouvertes ?  Celle de la « Côte », le fut probablement dès les débuts; elle sera verbalisée en 1808.  Le chemin Allard date de 1921.

Inutile de décrire ici les titanesques efforts déployés autant par les humains que par les chevaux dans ces routes que l'on pouvait dire carrossables, environ quatre mois par année.  Combien de personnes ne racontent-elles pas encore de ces récits épiques d'aventures rocambolesques survenues au cours des tempêtes toutes plus terribles les unes que les autres, d'où sortaient d'innombrables héros, vainqueurs de la pluie, de la neige, de la poudrerie, des bancs de neige, des fossés, des « grignons », des ventres-de-bœuf et de tout ce que la nature peut déchaîner en pareille circonstance ?

Ajoutons que l'état des routes de notre région a, plus longtemps qu'ailleurs, permis pareille tragi-comédies… Les routes de Montcalm sont connues… !

Quand les routes vers Rawdon, Joliette s'ouvrent-elles ?  Il est difficile de le préciser.  Vers Rawdon, ce doit sûrement être avant 1800.  Vers Joliette, ou plus précisément vers Saint-Paul de Joliette, ce doit être vers le même temps; dans un procès-verbal de route, daté de 1835, l'on mentionne le Pont des Dalles.

Moulins

Une œuvre de colonisation ne se pouvait concevoir sans la présence d'un moulin, soit à scie, soit à farine, soit, plus tard, à carde.  C'est ainsi que sur le Ruisseau Vaché, à l'équerre du chemin de ligne qui conduit au Ruisseau Saint-Georges, les Sulpiciens firent défricher un domaine, le « quatrième de la seigneurie , pour y construire, vers 1770, un moulin à scie destiné à « scier de long » le bois des défricheurs; et un peu plus tard, à quelques arpents de là, au confluent des ruisseaux Vaché et « de la source », un moulin à farine.

Le meunier du moulin à scie était l'acadien Amable Préjean.  Le procès-verbal de bornage, en date du 28 août 1767, (Daguilhe, 10 octobre 1774) dit ceci : « terre bornant par devant au Ruisseau Vaché et par derrière au flanc de la seizième terre joignant d'un côté à la quatorzième terre et d'autre côté au dit Ruisseau Vaché… sur laquelle dite terre Mesdits Sieurs Seigneurs se sont réservés environ quatre arpents en superficie » où est bâti un moulin à scie… « et dont il (Préjean) dit être content et satisfait même en étant en possession depuis long temps… »

Les Sulpiciens vendirent leur moulin à scie, vers 1840, à Jean-Michel Provost.  Il eut dans la suite différents propriétaires : de 1840 à 1842, Louis-André Brien dit Desrochers; de 1842 à 1859, Antoine Gaudet; et, de 1859 à 1862, Édouard Dugas.  Enfin, Jean-Baptiste Gauthier l'acheta de ce dernier, et le fit marcher jusque vers 1890.  En 1900, on le démolit, excepté le corps principal de la bâtisse, qui constitue une partie des granges de M. Gérard Gauthier (no 3, Chemin Gauthier).  Tous les chevrons, les clous et les joints sont en bois.

Moulin des Sulpiciens à St-Liguori (1819), fut plus tard désigné sous le nom de « Moulin Richard » (99 Ko)
Moulin des Sulpiciens à St-Liguori (1819),
fut plus tard désigné sous le nom de « Moulin Richard »
Tous les habitants ou censitaires étaient obligés à « porter moudre leur grain au moulin des dits seigneurs sous peine de confiscation et d'amende », et d'en verser une certaine partie au propriétaire.  Cette clause était commune à toutes les seigneuries.

Après 1819, l'on put aller aussi au moulin des Sulpiciens à Saint-Liguori pour y faire moudre son grain et carder sa laine.

Il y eut certainement d'autres petits moulins à farine, ici ou là dans le « haut de la Grand-Ligne » ou ailleurs.  Nous ne pouvons pas les indiquer, sinon, celui qui s'élevait chez M. Joseph Marsolais, dans le Grand-Rang (no 53); la roue ou pierre à moudre en était encore visible, vers 1925.

Premières habitations

La plus ancienne résidence de St-Jacques-de-l'Achigan (96 Ko)
La plus ancienne résidence
de St-Jacques-de-l'Achigan
Habituée à voir passer les Indiens dans ses sentiers, la forêt étonnée cède la place.  Elle fournit gîte et chaleur à ces pionniers emballés d'espérance.  Les premières habitations durent commencer à s'élever vers 1768.

Quel genre de maisons les Acadiens se construisent-ils ? - Comme celles d'Acadie ? - On ne l'a jamais su. - Des premières demeures subsistent celles de M. Pierre-Michel Marsolais (no 3, Bas-de-l'église N.); de M. Gervais Dalpé (no 900, rue Saint-Jean, à Sainte-Marie); de Joseph Lord (autrefois) et Jean-Louis Thibodeau (autrefois) à Sainte-Marie; de M. Gérard Lescarbeau (no 19, Ruisseau Saint-Georges S.); de M. Claude Archambault (Bas-de-la-Grand-Ligne) et sûrement quelques autres, dans Sainte-Marie ou au Ruisseau Saint-Georges.

Maison à Saint-Jacques construite avant 1770. (91 Ko)
Maison à Saint-Jacques
construite avant 1770.

Elles se présentent ainsi : forme carrée  plutôt que rectangulaire; immense toit à angle aigu de 45-50o et à « deux eaux » ou versants, parfois incurvé - oh ! très légèrement -, sans lucarne, sans « solage » et sans larmier.  De bois, bien entendu.  Mais on ne tardera pas, dès le début du XIXe siècle, à construire en pierre : on en a de nombreux et si beaux modèles à l'Assomption.  Et de pierres, nos champs en regorgent.  « Les pierres poussent ! ».

Maison de pierres aux continuations de Saint-Jacques. (92 Ko)
Maison de pierres aux
continuations de Saint-Jacques.
Les premières maisons furent construites au Ruisseau Saint-Georges, premier centre du défrichement.  Dès 1769, de nous dire Me Christian Roy, p.c.s. on y en trouvait déjà quelques-unes dont celles de Pierre Doucet, de François Poirier, beau-frère du précédent, et de son frère Jean Poirier, de François Leblanc et de Jean Guildry dit Labine.  Cette dernière, on l'a dit, se trouvait aux environs de chez MM. Rémi Mireault et Pierre Forest, à Saint-Alexis, tandis que celles des Poirier étaient dans le voisinage de chez M. Gérard Lescarbeau, au Ruisseau Saint-Georges.

Maison où fut chantée la première messe de Saint-Jacques en 1772. (98 Ko)
Maison où fut chantée la première
messe de Saint-Jacques en 1772.
Les premières maisons du Ruisseau Vaché ne furent pas construites avant 1770.  Cependant l'ouverture dans les parages d'un moulin à scie, vers le printemps de 1770, activa la construction des maisons et des granges.  Combien y en avait-il par exemple, lors de la célébration de la première messe en 1772 ? On ne saurait l'établir, mais à coup sûr, il y en avait une dizaine, dont celle de Paul Bro (chez Narcisse Robichaud, no 88, Bas-de-l'église N.)  (Daguilhe, 18 janvier 1771); de Beanjamin Martin (aux environs de l'église de Sainte-Marie)  (Loisel, 18 janvier 1772), de Jean Thibodeau dit Lacroix (chez M. Lucien Bolduc, no 43, Bas-de-l'église S.)  (Loisel, 13 février 1772), et sûrement, celle, toute neuve, de Charles Forêt (chez M. Fabien Robichaud, no 84, Bas-de-l'église N.) où fut célébrée la première messe.

Une maison jusque vers 1900

Comme dans le plupart des foyers ruraux du XIXe siècle, on vivra jusqu'à la limite de leur sens l'austérité et la frugalité.  Pour vivre, on devra se contenter du strict minimum.  On pratiquera l'économie domestique la plus fermée qui soit, comme celle du haut Moyen Âge. Sur place on devra trouver abri, nourriture, vêtement, luminaire et médicaments.

La forêt toute proche verra son beau « bois franc » se muer en billots équarris à la hache, ou en planches, avec quoi on bâtira maisons, étables, poulaillers, porcheries, bergeries.  On en fera même des charrues, des tables, des chaises ou des manches d'outils.  Le « bois mou » - le pin blanc surtout -, deviendra armoires, bahuts, bols et sabots.

Maison Archambault, construite vers 1780 à L'Assomption (95 Ko)
Maison Archambault, construite vers
1780 à L'Assomption
La maison prend en général la forme carrée que surmonte un immense toit à la française dont les versants rigides se joignent en un angle aigu de 45 à 50o, et sans larmier avant 1825 (environ), de bois et bientôt en pierre, selon le modèle de celles de l'Assomption.  Elle sera construite « pièce sur pièce », couverte de planches, parfois de chaume (herbe-à-liens qu'on ira cueillir sur les bords du Fleuve).  Les murs seront faits de planches brutes d'épinette rouge dont quelques-unes atteindront une largeur de 22 pouces.  Sur le seuil, une coche ou entaille indique qu'il est midi quand le soleil l'atteint.  Un escalier abrupt, et sans garde, permettra d'accéder à l'étage des pignons.  On n'y trouvera que les meubles indispensables : tables, chaises, lits-baudets : (« bodettes », i.e. lits avec sangles), bancs-lits, ber, armoires, bahuts, huche.  Aux murs, des crucifix et quelques images pieuses ou statues de la Sainte-Vierge et de Sainte-Anne.

On s'abreuvera avec un gobelet d'étain à même un seau de bois qui aura servi à puiser l'eau dans un puits creusé à l'extérieur ou parfois, dans la cave (comme dans la maison de pierre chez Clément Brisson).

Les jouets seront rares et de fabrication domestique.  Les grands joueront surtout à des « jeux de société » et aux cartes.

Chaque mère de famille devra s'improviser couturière, et les habits, habituellement de couleur sombre, seront loin d'avoir la coupe dite impeccable.  D'ailleurs, je crois que les Acadiens étaient moins soucieux de la mode que les Canadiens.

La nourriture, comme le vêtement, viendra du sol, de ce sol d'une fertilité incroyable qui comblera animaux et humains.  Avec un ou deux chevaux, on nettoiera les abatis et on se servira des roches pour en faire des clôtures, encore si nombreuses dans notre région.  Foin, avoine, blé, légumes - surtout les fèves et les pois, et plus tard (1820), les patates -, pousseront comme par enchantement.  Ces terres de Saint-Jacques et de Saint-Alexis seront bientôt classées parmi les plus propices à toutes sortes de cultures : leurs équivalentes ne doivent pas être nombreuses au Canada.

Les animaux, presque uniquement des vaches (sept ou huit), des cochons et des moutons (une dizaine), et des poules (une vingtaine) fourniront une nourriture solide sinon abondante.  En décembre, on tuera un porc dont on salera le lard, et on fera geler les viandes maigres avec le bœuf, les poules etc. qu'on enterrera dans le « carré d'avoine ».  Peu à peu, au cours de l'hiver, on les fera cuire dans une marmite suspendue à la crémaillère du foyer, car, dans toute maison, il y aura, au moins, un foyer.  Tout de même les poêles à un ou deux ponts commenceront à apparaître avant 1800, dans les magasins de l'Assomption.

Le lait des vaches sera confié à la fraîcheur de la « laiterie » : on en fera du beurre et du fromage qu'on conservera avec les confitures de fraises des champs, de framboises sauvages, de groseilles, de gadelles etc… Plus tard, on y remisera les conserves de cornichons, de betteraves etc… Les carottes, le céleri, les patates passeront l'hiver dans la cave, mais seulement après 1800, car auparavant, les maisons n'avaient qu'un « solage » de quelques pouces.  Chez M. Antonin Gaudet de Sainte-Marie, il existe, dit-on, une cave à vin de cette époque.

Chaque ménagère cuira son pain au four, habituellement situé près de la maison à l'abri du vent. L'éventail des recettes de cuisine n'était pas bien élaboré, mais les mets étaient fortifiants et peu compliqués.

On ne disposait que de très peu d'ustensiles de cuisine; les couteaux étaient rares.  Les « vaisseaux » étaient de bois ou d'étain.

Ourdissoir (59 Ko)
Ourdissoir
Les animaux fournissaient aussi le savon et le vêtement.  Les peaux de mouton servaient de tapis ou de couverture de lit.  Le cuir des vaches servira à fabriquer des souliers, plus ou moins précisément appelés « souliers de bœuf ».  La laine des moutons, on la cardera, on la filera puis on la tissera pour en faire des couvertures, ou des tissus de flanelle pour vêtements d'hommes, avec des « aigrettes » dedans.  Jusque vers 1900, chaque foyer aura un ou plusieurs rouets et métiers à tisser, comme aussi un métier pour piquer des couvre-pieds, avec un ourdissoir, un dévidoir et un travouil.

Des plantes, on tirait aussi les médicaments - tisanes, cataplasmes, onguents ainsi que les vêtements : chaque cultivateur récoltait du chanvre et surtout du lin dont on faisait de l'étoupe et des filasses, après avoir dû les rouir, les brayer et les « passer » au peigne à filasse.  Ensuite on en tissait des serviettes, des essuie-mains, des draps, des nappes, le tout « en toile » (prononcé « touèle).

Des moutons et des vaches proviendra aussi le rudimentaire luminaire.  Comme dans l'antiquité, on fera brûler du suif de lard dans des écuelles ou coquilles qui ne pouvait retenir un arôme fort incommodant.  On coulait aussi des chandelles de suif de mouton (qui servait aussi d'onguent).  Mais, étant donné qu'on se levait et qu'on se couchait avec le soleil, on n'en faisant pas grande consommation :  le plus tard possible, on s'éclairait de la flamme du foyer ou à la lumière du jour.

Sortie de la grand messe, août 1943 (96 Ko)
Sortie de la grand messe, août 1943
Avant le repos de la nuit, toute la famille s'agenouillait pour la prière du soir.  La dévotion mariale, étant encore bien vivante chez nous, on peut supposer combien le recours à Marie, qui les avait soutenus dans tant de difficultés, devait être fréquent et pétri de la plus filiale simplicité et confiance.

Croix de chemin (non datée), chez M. Édouard Leblanc, ruisseau Saint-Georges (62 Ko)
Croix de chemin (non datée),
chez M. Édouard Leblanc,
ruisseau Saint-Georges
Le dimanche, il fallait une tempête plus forte que la moyenne pour les empêcher de se rendre à l'église, à jeun et à pied la plupart du temps, à cause du mauvais état habituel des routes.  Ce n'était pas, non plus, quelque huit, voire dix milles à franchir, qui leur faisaient peur.  Ceux qui « gardaient la maison », s'unissaient par la récitation du chapelet, aux « gens de la messe ».  Ce rendez-vous dominical, autour de l'autel et sur le perron de l'église, a forgé le plus fort ferment culturel de notre société canadienne-française.  Souvent, on retournait à l'église pour les Vêpres, l'après-midi.

On a quelquefois qualifié cette religion de folklore.  Qu'en sait-on ? Surtout si, comme le dit notre éminent folkloriste, Luc Lacoursière, « lorsqu'on taxe de folklore une coutume religieuse, c'est qu'on la considère comme un adversaire ».

Dans une telle atmosphère domestique où l'apport de chacun était requis et apprécié, où, chaque occupation dépendait du « temps qu'il faisait », comment donc ne pas développer une intense vie familiale et un accord profond avec notre mère-nature ?  Parce qu'on était croyant-chrétien-pratiquant jusqu'aux dernières fibres de l'être, comment ne pas entretenir avec la Providence qu'on savait intéresser par des prières quotidiennes, et souvent par des neuvaines à la croix du chemin, une intimité qui, sans trop de heurts ni de crises, sut atteindre un degré dont l'équivalence ne se retrouve qu'aux hautes époques de la Grande Lumière du Moyen Âge, au XII et XIIIe siècles ?

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