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Porte pour un collectionneur, par Marcelle Ferron, 1971

Marcelle Ferron
Porte pour un collectionneur, 1971




 


 

Monique Brunet-Weinmann

Texte paru dans Parcours des Arts visuels, no 13, printemps 1994.

J’ai maintenant la certitude qu’il y a des îles de lumière et des voies encore inexplorées qui y conduisent fatalement.
         Fernand Leduc à Borduas, 1942.

La fascination de Marcelle Ferron pour la lumière-couleur, la transparence, et son attirance pour le verre remontent à l’enfance.

La couleur était quelque chose de vital pour mon père. Orphelines de notre mère, nous avions toutes, les trois soeurs, été habillées en rouge pour lutter contre la mort et le deuil.

Jeune enfant, enfermée dans la solitude d’une chambre privée à l’hôpital, elle tue le temps à observer le passage de la lumière et ses réfractions colorées à travers la vitre biseautée de sa fenêtre.

Expérience fondamentale, enfouie, qui ressurgit inopinément du subconscient au hasard d’une errance involontaire, vers 1964.

Après un dîner très arrosé chez des amies, je m’égare sur la rive droite de la Seine, ne sachant plus si j’étais à Londres ou à Paris. Je sors de la voiture pour chercher le nom de la rue, et tombe en arrêt devant une grande vitrine qui expose des dalles de verre coloré et des vitraux en verre antique. Me voilà dégrisée d’un coup par cette évidence: le verre coloré, c’est ce que je cherche. Rendez-vous est pris avec l’artiste, un certain Michel Blum, qui se déclare prêt à me léguer son concept. Ses intercalaires en plexiglass ne sont pas bons, provoquent des bris du verre antique, et il veut retourner à la peinture.

Ainsi, Marcelle Ferron reprend l’idée de placer le verre antique en thermos entre les vitres extérieure et intérieure, bien décidée à améliorer les joints et à transposer la méthode artisanale de Blum à l’échelle industrielle. Il s’agit de trouver une usine que ce défit artistique interesse. Une petite entreprise située à Douville, près de Saint-Hyacinthe, alors en phase de restructuration, accepte de collaborer à la mise au point de la technique qui est brévetée par Marcelle Ferron et les ateliers Cayouette-Superseal. Ce genre de verrière se présente sous la forme d’un triple vitrage scellé, comportant une architecture régulière et monochrome, ou un assemblage de verres de couleurs antiques, et reliés par des intercalaires, suivant des cartons créés par Marcelle Ferron.

La première commande vient de l’architecte Roger d’Astous, dans le cadre d’Expo 67. L’artiste accepte de réaliser dix-huit verrières mesurant 2,40m x 1,80m, à condition de pouvoir employer différents intercalaires pour les mettre à l’essai en situation réelle. Il n’est plus question d’utiliser le plomb des verrières médiévales , trop onéreux, mais elle reprend leurs joints en forme de H, que Blum avait abandonnés. Par expérimentation, elle passe des joints opaques aux intercalaires en vinyle transparent, qu’elle utilise pour les murales de la station de métro Champ-de-Mars dont elle a reçu commande. Du dessin-maquette, l’artiste passe aux patrons à l’échelle sur papier kraft, avec choix des couleurs parmi les quelque 3 000 échantillons de base disponibles. Les procédés de fabrication du verre de couleur Saint-Just par Saint-Gobain remontent au Moyen Age. Il s’agit d’un verre soufflé à la canne, teinté dans la masse, enrichi par les irrégularités et les dégradés qui portent la trace de son origine organique. La palette est extraordinaire, environ 500 nuances rien que pour le gris. Elle joue aussi de la translucidité qui distingue les verres légers des verres saturés. On a cependant perdu la recette de certaines couleurs, comme l’inimitable bleu de Chartres. Arrivés de France, les plaques de verre sont confiées au coupeur qui joue un rôle capital, car il a une part de liberté, il intervient dans le détail de la création. Les manipulations se font au moyen de machines, bras articulés munis de ventouses qui adjustent chaque pièce en place avant l’installation sur site.

Les grandes formes qui dansent pour accueillir le passager au métro Champ-de-Mars, illuminent l’architecture de béton et ensoleillent même l’espace extérieur. Elles ont fait l’unanimité de la critique et des usagers. Ces verrières constituent une réussite exceptionelle d’art public, adaptées à l’échelle urbaine par leurs proportions, à la fois fonctionelles et esthétiques. Avec cette oeuvre, Marcelle Ferron a contribué à sensibiliser une génération d’artistes et d’architectes à la nécessité, pour le public, d’avoir accès à l’art dans des lieux entièrement ouverts et fonctionnels. Qu’une artiste-femme en soit l’auteure ajoute à l’importance historique d’une telle réalisation collective, industrielle et monumentale. La date de sa création, 1968, est rélévatrice de l’idéologie ambiante qui revendiquait l’art pour tous, l’art dans la rue, sous les pavés la plage, et l’imagination au pouvoir.

Ce succès a entraîné de nouvelles commandes pour lesquelles Marcelle Ferron a continué de perfectionner sa technique. Elle a réussi à éliminer totalement les intercalaires.

On s’est aperçu que les intercalaires transparents dégageaient une buée qui, lentement, développait des champignons parasites pouvant endommager le verre. Maintenant, on fixe le vitrail sur le vitrage intérieur avec une colle spéciale, en laissant un petit jeu de dilatation. Avec l’intercalaire en vinyle, on avait toujours une ligne de lumière entre les couleurs, qu’on obtient aujourd’hui grâce au vide ainsi ménagé entre les découpes.

A l’église du Sacré-Coeur de Québec (1969) et à la Place du Portage de Hull (1972), ont succédé les Palais de justice d’Amos (1975), de Val-d’Or (1976) et de Granby (1979). Ce dernier projet fut pour Marcelle Ferron le chantier le plus passionnant.

Elle a aussi réalisé une sculpture monumentale de 9 m en verre antique, verre réfléchissant et acier inoxydable pour l’Organisation de l’aviation civile internationale, en 1976.

On est supposé remonter mon totem, dans un environnement adéquat. Il traînait quelque part en pièces détachées, dont plusieurs ont disparu sans laisser d’adresse. Il semblerait qu’un budget a été voté pour le restaurer et remplacer les parties manquantes. Les dix-huit verrières que j’avais faites pour d’Astous, elles aussi ont disparu ...

Exemples, s’il en est encore besoin, du vandalisme que subit l’art public dans notre société. A la station Vendôme (1980), Ferron allie verrière et sculpture monumentale laquelle, sorte de hamac hélicoïdal en tuyaux d’acier de 3 m, s’interpose entre la passerelle et les rails, pour prévenir les suicides, fonction psycho-sociologique insoupçonnée. Dans le même ordre d’idées, Marcelle Ferron a répondu aux voeux d’un aliéné d’un hôpital de Trois-Rivières qui lui demandait que sa verrière au bout d’un long corridor ne bloque pas la vue sur l’extérieur (seule source de ses repères temporels), et qu’elle soit de “la couleur de Dieu.” Ainsi, cette verrière est toute en jaune solaire, en jaunes modulés de variantes, l’or mystique, somme toute, des mosaïques de Byzance. Heureusement que la couleur de Dieu n’était pas le bleu de Chartres!

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