Monique
Brunet-Weinmann
Texte paru dans
Parcours des Arts visuels, no 13, printemps 1994.
J’ai maintenant
la certitude qu’il y a des îles de lumière et des voies encore
inexplorées qui y conduisent fatalement.
Fernand
Leduc à Borduas, 1942.
La fascination
de Marcelle Ferron pour la
lumière-couleur, la transparence, et son attirance pour le verre
remontent à l’enfance.
La couleur
était quelque chose de vital pour mon père. Orphelines de notre
mère, nous avions toutes, les trois soeurs, été habillées en rouge
pour lutter contre la mort et le deuil.
Jeune enfant,
enfermée dans la solitude d’une chambre privée à l’hôpital, elle
tue le temps à observer le passage de la lumière et ses réfractions
colorées à travers la vitre biseautée de sa fenêtre.
Expérience fondamentale,
enfouie, qui ressurgit inopinément du subconscient au hasard d’une
errance involontaire, vers 1964.
Après un
dîner très arrosé chez des amies, je m’égare sur la rive droite
de la Seine, ne sachant plus si j’étais à Londres ou à Paris. Je
sors de la voiture pour chercher le nom de la rue, et tombe en arrêt
devant une grande vitrine qui expose des dalles de verre coloré
et des vitraux en verre antique. Me voilà dégrisée d’un coup par
cette évidence: le verre coloré, c’est ce que je cherche. Rendez-vous
est pris avec l’artiste, un certain Michel Blum, qui se déclare
prêt à me léguer son concept. Ses intercalaires en plexiglass ne
sont pas bons, provoquent des bris du verre antique, et il veut
retourner à la peinture.
Ainsi, Marcelle
Ferron reprend l’idée de placer le verre antique en thermos entre
les vitres extérieure et intérieure, bien décidée à améliorer les
joints et à transposer la méthode artisanale de Blum à l’échelle
industrielle. Il s’agit de trouver une usine que ce défit artistique
interesse. Une petite entreprise située à Douville, près de Saint-Hyacinthe,
alors en phase de restructuration, accepte de collaborer à la mise
au point de la technique qui est brévetée par Marcelle Ferron et
les ateliers Cayouette-Superseal. Ce genre de verrière se présente
sous la forme d’un triple vitrage scellé, comportant une architecture
régulière et monochrome, ou un assemblage de verres de couleurs
antiques, et reliés par des intercalaires, suivant des cartons créés
par Marcelle Ferron.
La première
commande vient de l’architecte Roger d’Astous, dans le cadre d’Expo
67. L’artiste accepte de réaliser dix-huit verrières mesurant 2,40m
x 1,80m, à condition de pouvoir employer différents intercalaires
pour les mettre à l’essai en situation réelle. Il n’est plus question
d’utiliser le plomb des verrières médiévales , trop onéreux, mais
elle reprend leurs joints en forme de H, que Blum avait abandonnés.
Par expérimentation, elle passe des joints opaques aux intercalaires
en vinyle transparent, qu’elle utilise pour les murales de la station
de métro Champ-de-Mars dont elle a reçu commande. Du dessin-maquette,
l’artiste passe aux patrons à l’échelle sur papier kraft, avec choix
des couleurs parmi les quelque 3 000 échantillons de base disponibles.
Les procédés de fabrication du verre de couleur Saint-Just par Saint-Gobain
remontent au Moyen Age. Il s’agit d’un verre soufflé à la canne,
teinté dans la masse, enrichi par les irrégularités et les dégradés
qui portent la trace de son origine organique. La palette est extraordinaire,
environ 500 nuances rien que pour le gris. Elle joue aussi de la
translucidité qui distingue les verres légers des verres saturés.
On a cependant perdu la recette de certaines couleurs, comme l’inimitable
bleu de Chartres. Arrivés de France, les plaques de verre sont confiées
au coupeur qui joue un rôle capital, car il a une part de liberté,
il intervient dans le détail de la création. Les manipulations se
font au moyen de machines, bras articulés munis de ventouses qui
adjustent chaque pièce en place avant l’installation sur site.
Les grandes
formes qui dansent pour accueillir le passager au métro Champ-de-Mars,
illuminent l’architecture de béton et ensoleillent même l’espace
extérieur. Elles ont fait l’unanimité de la critique et des usagers.
Ces verrières constituent une réussite exceptionelle d’art public,
adaptées à l’échelle urbaine par leurs proportions, à la fois fonctionelles
et esthétiques. Avec cette oeuvre, Marcelle Ferron a contribué à
sensibiliser une génération d’artistes et d’architectes à la nécessité,
pour le public, d’avoir accès à l’art dans des lieux entièrement
ouverts et fonctionnels. Qu’une artiste-femme en soit l’auteure
ajoute à l’importance historique d’une telle réalisation collective,
industrielle et monumentale. La date de sa création, 1968, est rélévatrice
de l’idéologie ambiante qui revendiquait l’art pour tous, l’art
dans la rue, sous les pavés la plage, et l’imagination au pouvoir.
Ce succès a
entraîné de nouvelles commandes pour lesquelles Marcelle Ferron
a continué de perfectionner sa technique. Elle a réussi à éliminer
totalement les intercalaires.
On s’est
aperçu que les intercalaires transparents dégageaient une buée qui,
lentement, développait des champignons parasites pouvant endommager
le verre. Maintenant, on fixe le vitrail sur le vitrage intérieur
avec une colle spéciale, en laissant un petit jeu de dilatation.
Avec l’intercalaire en vinyle, on avait toujours une ligne de lumière
entre les couleurs, qu’on obtient aujourd’hui grâce au vide ainsi
ménagé entre les découpes.
A l’église du
Sacré-Coeur de Québec (1969) et à la Place du Portage de Hull (1972),
ont succédé les Palais de justice d’Amos (1975), de Val-d’Or (1976)
et de Granby (1979). Ce dernier projet fut pour Marcelle Ferron
le chantier le plus passionnant.
Elle a aussi
réalisé une sculpture monumentale de 9 m en verre antique, verre
réfléchissant et acier inoxydable pour l’Organisation de l’aviation
civile internationale, en 1976.
On est supposé
remonter mon totem, dans un environnement adéquat. Il traînait quelque
part en pièces détachées, dont plusieurs ont disparu sans laisser
d’adresse. Il semblerait qu’un budget a été voté pour le restaurer
et remplacer les parties manquantes. Les dix-huit verrières que
j’avais faites pour d’Astous, elles aussi ont disparu ...
Exemples, s’il
en est encore besoin, du vandalisme que subit l’art public dans
notre société. A la station Vendôme (1980), Ferron allie verrière
et sculpture monumentale laquelle, sorte de hamac hélicoïdal en
tuyaux d’acier de 3 m, s’interpose entre la passerelle et les rails,
pour prévenir les suicides, fonction psycho-sociologique insoupçonnée.
Dans le même ordre d’idées, Marcelle Ferron a répondu aux voeux
d’un aliéné d’un hôpital de Trois-Rivières qui lui demandait que
sa verrière au bout d’un long corridor ne bloque pas la vue sur
l’extérieur (seule source de ses repères temporels), et qu’elle
soit de “la couleur de Dieu.” Ainsi, cette verrière est toute en
jaune solaire, en jaunes modulés de variantes, l’or mystique, somme
toute, des mosaïques de Byzance. Heureusement que la couleur de
Dieu n’était pas le bleu de Chartres!
Page
d'accueil | Collection
| Dissertation
Bibliographie
| Crédits
Commentaires
et suggestions
|