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Autoportrait au cahier, 1999


 

Démarche artistique

Je ne trouve pas aisé de parler de ce qu'il est convenu d'appeler ma "démarche". S'il est un fait apparemment méconnu, c'est bien que la peinture, même la peinture exigeante, la haute-peinture, n'appartient pas à l'ordre du langage. Ce n'est pas à partir d'idées verbales ou logiques que l'on peint et ce n'est pas à partir de ce type d'idées non plus qu'on comprend la peinture.

J'y mettrais, moi, trois conditions, les mêmes finalement pour le peintre et son spectateur, avec peut-être une différence de degré. Mes trois conditions les voici:

1. Au premier chef, faire taire les concepts, les théories, les idées reçues. De toutes façons nous sommes imbibés des connaissances de notre époque et cela suffit.

2e condition - Une fois le silence cérébral établi, faire place à une forme de pensée intuitive qu'on néglige d'entrainer dans nos écoles (ce qu'ont souligné de grands pédagogues comme Edward DeBono par exemple) et qu'il ne faut surtout pas confondre avec l'ésotérisme et autres débilités. La pensée intuitive ne se commande pas mais on peut apprendre à créer les conditions favorable à son surgissement.

Et enfin 3e condition - Savoir se laisser aller.

N'autorisez personne à vous dire que c'est là une attitude anti-intellectuelle, puisque des scientifiques de grande pointure, comme Einstein ou Selyé (l'inventeur de la notion de stress) ont décrit leur propre travail de la même manière et que c'est ce qu'il enseignaient à leurs élèves. La création artistique et l'invention scientifique (pas l'analyse le calcul ou la démonstration !) sont deux sœurs qui se ressemblent beaucoup, du moins au point de départ.

La peinture est une invention poétique en formes et en couleurs. Aucun poète ne sait précisément ce qu'il va écrire quand il commence un poème ou un livre. S'il le savait, il s'ennuirait. Moi de même. Bien sur que j'ai une idée ou plutôt une image de départ quand j'entreprends un tableau ou une série de tableaux. Mais ensuite le tableau se développe, il me mène, et je le pense à mesure dans l'action de peindre.

Plus je suis libre, plus je suis moi, sans excuses et sans explications et meilleur est le tableau. Le reste est une question de potentiel individuel car on ne peut être plus grand que soi-même. J'en viens a conclure qu'il n'existe qu'un seul chemin pour un artiste: le sien. Et ce n'est pas un repli sur soi, bien au contraire, c'est l'ouverture de soi.

Un seul moteur aussi : un désir très ancien, comme disait Marcelle Ferron, parfois obscur mais inaltérable, qui peut se comparer à l'amour comme puissance de motivation. De désir, cette motivation devient la vie même de l'artiste et lui permet de faire des efforts déraisonnables, de se priver de beaucoup de choses, de ne jamais lâcher et, mieux encore, de troubler son plaisir et sa récompense là-dedans, sans trop attendre de retour.

Pour vous, mes chers spectateurs, le chemin de la peinture est moins austère sans doute mais c'est le même chemin.

Suzanne Joubert, 20 mars 1997

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