Démarche
artistique
Je
ne trouve pas aisé de parler de ce qu'il est convenu d'appeler
ma "démarche". S'il est un fait apparemment méconnu,
c'est bien que la peinture, même la peinture exigeante, la
haute-peinture, n'appartient pas à l'ordre du langage. Ce
n'est pas à partir d'idées verbales ou logiques que
l'on peint et ce n'est pas à partir de ce type d'idées
non plus qu'on comprend la peinture.
J'y mettrais,
moi, trois conditions, les mêmes finalement pour le peintre
et son spectateur, avec peut-être une différence de
degré. Mes trois conditions les voici:
1. Au premier
chef, faire taire les concepts, les théories, les idées
reçues. De toutes façons nous sommes imbibés
des connaissances de notre époque et cela suffit.
2e condition
- Une fois le silence cérébral établi, faire
place à une forme de pensée intuitive qu'on néglige
d'entrainer dans nos écoles (ce qu'ont souligné de
grands pédagogues comme Edward DeBono par exemple) et qu'il
ne faut surtout pas confondre avec l'ésotérisme et
autres débilités. La pensée intuitive ne se
commande pas mais on peut apprendre à créer les conditions
favorable à son surgissement.
Et enfin 3e
condition - Savoir se laisser aller.
N'autorisez
personne à vous dire que c'est là une attitude anti-intellectuelle,
puisque des scientifiques de grande pointure, comme Einstein ou
Selyé (l'inventeur de la notion de stress) ont décrit
leur propre travail de la même manière et que c'est
ce qu'il enseignaient à leurs élèves. La création
artistique et l'invention scientifique (pas l'analyse le calcul
ou la démonstration !) sont deux sœurs qui se ressemblent
beaucoup, du moins au point de départ.
La peinture
est une invention poétique en formes et en couleurs. Aucun
poète ne sait précisément ce qu'il va écrire
quand il commence un poème ou un livre. S'il le savait, il
s'ennuirait. Moi de même. Bien sur que j'ai une idée
ou plutôt une image de départ quand j'entreprends un
tableau ou une série de tableaux. Mais ensuite le tableau
se développe, il me mène, et je le pense à
mesure dans l'action de peindre.
Plus je suis
libre, plus je suis moi, sans excuses et sans explications et meilleur
est le tableau. Le reste est une question de potentiel individuel
car on ne peut être plus grand que soi-même. J'en viens
a conclure qu'il n'existe qu'un seul chemin pour un artiste: le
sien. Et ce n'est pas un repli sur soi, bien au contraire, c'est
l'ouverture de soi.
Un seul moteur
aussi : un désir très ancien, comme disait Marcelle
Ferron, parfois obscur mais inaltérable, qui peut se
comparer à l'amour comme puissance de motivation. De désir,
cette motivation devient la vie même de l'artiste et lui permet
de faire des efforts déraisonnables, de se priver de beaucoup
de choses, de ne jamais lâcher et, mieux encore, de troubler
son plaisir et sa récompense là-dedans, sans trop
attendre de retour.
Pour vous, mes
chers spectateurs, le chemin de la peinture est moins austère
sans doute mais c'est le même chemin.
Suzanne
Joubert, 20 mars 1997
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