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LA RESPONSABILITÉ CONSTITUTIONNELLE DES MINISTRES

Introduction

Au Canada, la responsabilité du gouvernement est fondée sur la responsabilité individuelle et collective des ministres envers le Parlement. Dans l’exercice de leurs charges, les ministres de la Couronne font rapport au Parlement, et ils ne restent en fonction que s’ils jouissent de la confiance (c’est-à-dire du soutien) de la majorité des députés à la Chambre des communes. Dans notre système de gouvernement parlementaire et ministériel, les ministres sont constitutionnellement responsables de la prestation et de la conduite du gouvernement, ce qui veut dire qu’aux termes de la loi et des conventions constitutionnelles, le pouvoir et, partant, la responsabilité sont exclusivement détenus par les ministres. Les ministres exercent ce pouvoir constitutionnellement parce que la loi le prescrit, et le Parlement et leurs collègues au Cabinet les tiennent responsables de leurs actions en vertu de la loi.

La responsabilité constitutionnelle des ministres ne dispense pas les titulaires d’autres charges de respecter la loi. Elle a plutôt pour objet de permettre au Parlement de concentrer la responsabilité touchant la conduite du gouvernement sur ses membres qui assument une charge ministérielle et qui doivent rendre compte en dernier ressort au Parlement et, indirectement, à l’électorat, de leurs actes et de ceux de leurs subordonnés. La responsabilité constitutionnelle des ministres permet au Parlement de s’assurer que le pouvoir est exercé de façon responsable dans l’ensemble de l’appareil gouvernemental.

Le gouvernement ministériel

Notre système de gouvernement, qui dérive du modèle britannique ainsi que de l’usage des époques qui ont précédé et suivi la Confédération, est un système ministériel. En leur qualité de conseillers de la Couronne, les ministres sont individuellement et collectivement responsables de la plupart des actes du gouvernement. 1 Leurs responsabilités individuelles sont pour la plupart déterminées par la loi. Grosso modo, ils exercent les pouvoirs que leur confère la Couronne au Parlement et ils exercent leur charge à titre amovible. L’exercice de ces pouvoirs, dont les ministres rendent compte au Parlement, constitue le fondement du gouvernement responsable. Par contre, la responsabilité collective des ministres est essentiellement fondée sur les conventions constitutionnelles plutôt que sur la loi écrite, et elle assure la stabilité et l’unité essentielles à la conduite du gouvernement ministériel.2

La responsabilité individuelle des ministres date du temps où, dans la pratique tout comme en théorie, le gouvernement était assuré par la Couronne plutôt que par les ministres, lesquels ne faisaient que conseiller le souverain et étaient légalement responsables de leurs actes envers la Couronne. De nos jours, cette responsabilité individuelle des ministres procède de la doctrine et de la loi constitutionnelle écrite: elle demeure une force pratique, étant donné la responsabilité conventionnelle des ministres envers la Chambre des communes et le caractère légal de leurs attributions dans l’administration publique. La responsabilité individuelle des ministres assure également la responsabilité à travers l’ensemble du système.3

La responsabilité collective des ministres, notion complexe qui englobe aussi leur responsabilité individuelle, est récente dans notre Constitution: elle remonte tout au plus à une centaine d’années. Elle est apparue le jour où la Couronne a cessé d’être la force motrice du gouvernement. Elle avait pour objet d’assurer un gouvernement stable dans le cadre de la structure gouvernementale existante. Les ministres ont remplacé le souverain en tant que décisionnaires du gouvernement, et leur responsabilité collective a assuré qu’ils tenaient collectivement les rênes du gouvernement. Cependant, cette responsabilité n’étant ni ancienne ni prévue par la loi, mais plutôt récente et de nature conventionnelle, elle ne revêt, pour ce qui est de l’obligation de rendre compte au sein du système, qu’une importance indirecte quoique essentielle. 4

La nature de la responsabilité constitutionnelle des ministres et son importance à l’égard du système est mal comprise, et l’efficacité permanente de la responsabilité ministérielle est parfois mise en doute. En fait, cette notion n’est pas tellement différente de celle qui existait il y a 200 ans, lorsqu’elle a d’abord été reconnue comme une notion distincte dans la Constitution. C’est donc dire qu’elle a toujours fonctionné dans un contexte politique et qu’elle reflète ce contexte.5

La responsabilité ministérielle est un principe fondamental de la Constitution. Selon ce principe, un ministre doit répondre personnellement de son exercice du pouvoir à la Chambre des communes. Comme la Chambre établit elle-même ses règles de procédure, ce principe possède toute la souplesse nécessaire pour s’appliquer à un nombre infini de situations et de circonstances.

C’est sur le principe de la responsabilité ministérielle que repose le contrôle de l’exercice du pouvoir dans notre système constitutionnel. Selon ce principe, les ministres assument à l’égard du Parlement une responsabilité constitutionnelle qui leur est propre et qui les distingue d’autres titulaires de charges publiques. Ce principe régit l’exercice responsable du pouvoir, et son efficacité ne dépend pas de l’application de la sanction ultime qu’est la révocation. I1 y a eu relativement peu de cas où des ministres ont été forcés de donner leur démission . 6 Le fait qu’un ministre ne sera probablement pas destitué à la suite de la révélation d’un cas particulier de mauvaise administration, ou même d’abus de pouvoir par les fonctionnaires sous ses ordres, ne modifie en rien sa responsabilité constitutionnelle ou l’obligation qu’il lui incombe de veiller à ce que de tels incidents ne se produisent pas. En effet, cette responsabilité est assurée par la possibilité toujours présente que, dans certaines circonstances précises, à cause de la manière dont il a exercé le pouvoir, le ministre peut se trouver dans une situation embarrassante, ou subir un discrédit qui l’affaiblit lui-même et le gouvernement dont il fait partie, ou perdre l’estime de ses collègues et compromettre ainsi son avenir politique, ou encore être forcé de se prêter à une enquête publique qui peut aboutir à un blâme et à la révocation. Ces possibilités sous-tendent la responsabilité constitutionnelle des ministres, sur laquelle est fondée la responsabilité du système tout entier.

L’évolution de la Constitution

Les Canadiens vivent dans un système politique qui a évolué pendant des siècles en fonction de la nécessité de contrôler l’exercice du pouvoir. Le gouvernement constitue une façon d’organiser ce contrôle de l’exercice du pouvoir, et quelle que soit la complexité de la société et de ses problèmes, l’exercice responsable du pouvoir est, à la longue, essentiel à la résolution des problèmes du pays ainsi qu’à la stabilité et au bien-être de la société.

Le contrôle de l’exercice du pouvoir par l’État est une nécessité fondamentale. Le moyen que nous avons choisi est également un moyen fondamental: il consiste à investir les ministres de la responsabilité constitutionnelle. C’est en connaissant et en comprenant notre histoire que nous pouvons comprendre et analyser le système selon lequel nous sommes gouvernés, nous rendre compte qu’il s’agit bien d’un système et que, si nous voulons en modifier un élément, nous devons savoir comment et pourquoi cet élément s’insère dans l’ensemble de nos usages, quelles conséquences découleront de ce changement, et quelles autres modifications seront nécessaires pour garantir l’intégrité de tout le système.

II nous faut par conséquent connaître notre histoire et comprendre les origines de nos usages dans ce domaine. Cette histoire et ces origines constituent le cadre dans lequel nous devons résoudre les problèmes complexes de l’heure, ou tout au moins le point de départ d’une réforme réalisable et, partant, utile du système.

Conclusion

La responsabilité personnelle est à la base de notre système de gouvernement parlementaire et ministériel. Elle découle de la responsabilité individuelle des ministres, responsabilité essentiellement personnelle et ne tenant pas aux institutions. Elle n’est pas partagée. La responsabilité s’attache non pas aux fonctions du ministre, mais à sa personne même, ce qui l’investit d’une responsabilité constitutionnelle propre pour ce qui est de l’exercice du pouvoir.

La nature de notre système de gouvernement ainsi que les paramètres de la responsabilité se définissent selon les origines, I’évolution et la nature de la responsabilité constitutionnelle de chaque ministre et selon l’effet qu’ont sur l’exercice de cette responsabilité les moyens qui permettent que la responsabilité collective découle de la responsabilité individuelle des ministres.


1 Sur le plan juridique, la Couronne au Canada est la reine représentée par legouverneur général. 

2 Voir Cabinet Government de Sir Ivor Jennings, 2e éd.(Cambridge, 1951) p. 1 à 13, où l’on trouve une excellente étude de la distinction entre la Loi et la convention constitutionnelle, ainsi que du processus par lequel on passe du précédent à l’usage et de l’usage à la convention. 

3 Voir l’étude du caractère légal de la responsabilité ministérielle dans l’ouvrage Introduction to the Study of the Law of the Constitution de A.V. Dicey, 10e éd., (London, 1964) p. 325 à 327. 

4 Les responsabilités individuelles des ministres sont modifiées par la responsabilité collective et les moyens mis en oeuvre pour l’assurer. De la même manière, la responsabilité des hauts fonctionnaires, qui est centrée sur les responsabilités individuelles légales des ministres, repose sur le besoin essentiel d’unité au sein du gouvernement, unité qui est la raison d’être de la responsabilité collective. 

5 Par exemple, les circonstances dans lesquelles un ministre peut être destitué ou risque de l’être sont une affaire de jugement politique, peu importe que le ministre ait été ou non au fait des événements dont il est tenu responsable. 

6 Voir l’étude approfondie de cette question dans Representative and Responsable Government de A.H. Birch (London, 1964), p. 139 à 149; et l’article de S.E. Finer, "The Individual Responsibilities of Ministers" paru dans Public Administration, vol. xxxiv, 1956.

 

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